Intervention de Odette Terrade

Réunion du 17 février 2011 à 9h00
Coordination des politiques économiques au sein de l'union européenne — Rejet d'une proposition de résolution

Photo de Odette TerradeOdette Terrade :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette proposition de résolution présentée par nos collègues du groupe du RDSE fait écho à la tournure prise par le Conseil européen du 4 février dernier : alors qu’il devait se focaliser sur les questions d’énergie et d’innovation, le Conseil a surtout été l’occasion pour la France et l’Allemagne de soumettre aux Vingt-Sept leur projet de « pacte de compétitivité ».

La crise économique a plongé le monde et les peuples dans un gouffre de récession et d’incertitudes quant à l’avenir. Si elle a démontré une chose, c’est bien le besoin de mettre fin au système capitaliste et à sa perversité.

D’ailleurs, de nombreux dirigeants européens, à commencer par le Président de la République française, ont même affirmé, en plein cœur de la crise, vouloir « refonder », « réguler » ou encore « moraliser » le capitalisme.

Mais derrière ces effets d’annonce, malgré la disqualification totale du capitalisme, on ne constate aucune volonté sincère de changer. Pis, la teneur du sommet de Davos et le contenu du pacte de compétitivité franco-allemand attestent que les dirigeants européens sont retournés à leurs fondamentaux, qu’ils n’ont jamais vraiment voulu abandonner.

Pour l’Allemagne, soutenue par la France, il n’est en effet plus question de garantir la stabilité financière de la zone euro ni de participer au sauvetage des États membres de l’Union en difficulté sans que ces derniers acceptent des mesures de rigueur.

Ainsi, aux termes du « pacte d’austérité », les pays de la zone euro doivent viser des objectifs communs concernant, entre autres, les pensions, les salaires, les déficits, la flexibilité du travail, l’imposition sur les sociétés.

C’est ainsi qu’il est proposé de mettre fin à l’indexation des salaires sur l’inflation. Les États qui la pratiquent, comme la Belgique, le Luxembourg ou le Portugal, ont déjà fait part de leur refus. Avec une telle mesure, les salaires réels diminueraient. Faut-il rappeler que les salaires sont déjà en quasi-stagnation pour une grande part des salariés ? Faut-il rappeler aussi que la part des salaires dans la valeur ajoutée est aujourd’hui à un point historiquement bas, alors que celle des revenus versés aux actionnaires atteint des sommets ? Dans le cadre de ses travaux préparatoires, la délégation sénatoriale à la prospective le démontre d’ailleurs sans équivoque.

Le « pacte » Merkel-Sarkozy veut aussi généraliser l’âge légal de départ à la retraite à 67 ans. La réforme des retraites qui vient d’être adoptée en France est déjà marquée par une profonde injustice. Il est encore une fois évident que l’on veut demander aux salariés, au plus grand nombre, de payer les conséquences d’une crise dont la responsabilité pèse sur quelques puissants de ce monde.

Jusqu’où la droite poussera-t-elle ainsi le cynisme ?

Le troisième axe central de ce pacte est l’obligation pour les États membres d’inscrire dans leur Constitution une « règle d’or » sur le respect des règles budgétaires européennes.

Une telle mesure aurait pour conséquence de constitutionnaliser l’austérité. En gravant dans le marbre l’obligation d’une politique d’austérité, on cherche à déterminer, d’avance, les politiques des futurs gouvernements, quels qu’ils soient, rendant de ce fait sans objet le vote des citoyens. C’est une très grave atteinte à notre démocratie, à la souveraineté des parlements nationaux qui votent le budget, et à la souveraineté des peuples.

L’inscription de l’interdiction des déficits dans la Constitution marquerait une nouvelle étape, après la mise en place du « semestre européen », qui s’apparente à une véritable mainmise de la Commission sur les budgets nationaux au nom d’une prétendue meilleure gouvernance économique européenne. En effet, à partir de 2011, les gouvernements nationaux devront soumettre leurs projets de budget et de réforme à un examen collectif et à des recommandations préalables de la Commission européenne.

Le pacte de compétitivité s’appliquerait d’abord aux États membres de la zone euro. Mais des États extérieurs à la zone monétaire ou candidats à l’euro pourraient se joindre à ces mesures s’ils le désirent. De ce fait, l’austérité devient une condition nécessaire à l’adhésion à l’euro.

L’argument répété à l’envi et justifiant toutes les politiques d’austérité est indéfectiblement le même : l’ampleur des déficits.

Monsieur le secrétaire d'État, faut-il de nouveau rappeler à la majorité et au gouvernement qu’eux-mêmes sont les créateurs des déficits abyssaux qu’ils critiquent ? En effet, la majorité a une fâcheuse tendance à oublier toutes les mesures prises pour remplir les poches déjà pleines de quelques-uns.

Il en est ainsi des 73 milliards d’euros d’exonérations sociales dont ont bénéficié les entreprises en 2009, sans effet sur l’emploi d’après la Cour des comptes.

Il en est ainsi des centaines de milliards d’euros perdus par l’État du fait que le capital est moins taxé que le travail.

Il en est ainsi des taux d’imposition favorables aux plus hauts revenus, passés, pour ce qui les concerne, de 60 % à 41 % seulement.

Non seulement c’est cette majorité qui a créé le déficit, mais les mesures qui l’ont occasionné n’ont eu absolument aucun effet en termes d’emploi, de croissance ou de niveau des salaires.

Pis, en faisant le choix dogmatique de l’austérité, non seulement vous ne désendetterez pas les États, mais vous appauvrirez la grande masse de la population, ferez tomber notre pays dans la récession et le chômage massif avec, de surcroît, moins de recettes fiscales et donc plus d’endettement public.

Cette thèse est d’ailleurs soutenue par le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, selon lequel, avec les mesures d’austérité, on court à la catastrophe.

Le pacte de compétitivité choisi comme mode de gouvernance économique européenne est une chasse aveugle aux déficits. Or d’autres logiques doivent prévaloir, d’autant que celles qui ont été mises en œuvre ont démontré leur impuissance.

À l’inverse des politiques de concurrence débridée prônée par les traités européens, la crise économique nous a montré le besoin de mettre en place de nouvelles coopérations et des mécanismes de solidarité.

C’est ainsi que la coopération économique doit se tourner vers l’instauration d’une véritable politique industrielle et de recherche.

À cet effet, la Banque centrale européenne doit jouer tout son rôle ; il convient donc de la réorienter, de la réformer en un outil public propre à venir en aide aux États en difficulté et à financer éventuellement leurs dépenses et investissements sociaux.

En France, les services publics, pourtant malmenés par le Gouvernement, ont joué un rôle d’amortisseur de la crise. La création de services publics européens pourrait ainsi constituer un champ d’action original et efficace.

Même si rien de concret ne devrait être décidé avant une prochaine réunion européenne en mars, laissant le temps au président du Conseil européen de consulter les vingt-sept gouvernements, une chose est certaine : toutes ces mesures inquiétantes seront prises dans un cadre intergouvernemental. Comme cela a déjà été dit, la Commission européenne et, surtout, le Parlement européen sont soigneusement marginalisés.

Dans ce contexte, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au regard des mesures antidémocratiques et antisociales proposées par le couple franco-allemand, la présente proposition de résolution rappelle utilement et à-propos la souveraineté des parlements nationaux en matière de budgets et d’objectifs sociaux.

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