Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte qui nous réunit aujourd’hui est la transposition d’un accord national interprofessionnel en proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail.
Nous regrettons que les médecins du travail n’aient pas été plus largement associés à la concertation avec les partenaires sociaux. Ils sont pourtant bien placés pour évaluer la santé au travail et pour agir en faveur de son amélioration et de la prévention.
Faute d’un accord ambitieux et de ce cadre contraint, accentué par l’application stricte des articles 40 et 45 de la Constitution, nous n’obtenons au final qu’une proposition de loi a minima. Ce texte portait pour ambition l’amélioration de la prévention et de la santé au travail, mais il apporte en réalité des confusions et le risque d’un rapport déséquilibré entre travailleurs et employeurs.
Les versions issues de l’Assemblée nationale et du Sénat étaient insatisfaisantes et nous ne constatons pas d’amélioration significative du texte dans la rédaction de la commission mixte paritaire. Cette rédaction présente au contraire un risque de dégradation de la protection des salariés.
Le texte opère un véritable glissement de la santé au travail vers des missions de santé publique et de promotion de la santé globale, soit une dilution de la mission de santé au travail au profit de la notion de santé en entreprise.
Il y a une véritable confusion entre la santé au travail, c’est-à-dire la santé relative à l’organisation du travail en matière de prévention des risques primaires, et la santé individuelle des travailleurs, relative aux comportements vis-à-vis par exemple de l’alcool, du tabac ou de la pratique sportive.
Pour autant, la version issue de la commission mixte paritaire supprime la disposition introduite par le Sénat précisant que le personnel de santé au travail contribue à la sensibilisation aux violences conjugales ou sexuelles. Le rapprochement entre la vie professionnelle et la vie personnelle des salariés, voulu dans ce texte, ne s’applique pas dans le cas des violences intrafamiliales, pourtant grande cause du quinquennat. Nous regrettons très fortement que ce sujet soit passé à la trappe de la commission mixte paritaire.
Cette proposition de loi présente un risque pour les travailleurs, en organisant la déresponsabilisation de l’employeur en matière de sécurité et de protection de la santé des salariés. L’instauration d’un passeport de prévention à l’article 3 peut être perçue, en réalité, comme un permis autorisant les employeurs à se dégager de leurs responsabilités en matière de sécurité, au motif qu’un travailleur a été préalablement informé et formé.
L’examen au Sénat et en commission mixte paritaire n’a malheureusement pas apporté de solution à ce problème, pointé par notre groupe lors des débats au Sénat.
Par ailleurs, donner accès au dossier médical partagé au médecin du travail représente un danger pour la protection des salariés. Cet accès au dossier médical peut leur être préjudiciable, en particulier lors des visites d’embauche et de reprise du travail, surtout lorsqu’il y a une nécessité d’adaptation à l’emploi.
La proposition de loi n’apporte, en outre, aucune solution au principal problème relatif à la médecine du travail, qui continue à tous nous inquiéter : la pénurie de médecins du travail.
Pour y faire face, il est proposé de recourir à des médecins praticiens correspondants. Cette solution n’en est pourtant pas une dans le contexte de désertification médicale que connaît actuellement notre pays. Ces médecins praticiens correspondants, de surcroît, ne pourront pas, même avec deux années de formation complémentaire, faire de la prévention en entreprise. Or c’est le rôle essentiel du médecin du travail.
Toutefois, les discussions entre les députés, les sénateurs et le Gouvernement ont permis quelques évolutions positives du texte.
La première est la prise en compte aussi bien des agissements sexistes que des propos ou comportements à connotation sexuelle dans les situations visées dans la définition du harcèlement sexuel au travail. La prise en compte des faits subis par la victime, indépendamment de l’intention des personnes concernées de les imposer, va dans le sens des propositions que nous avions formulées lors de l’examen au Sénat.
Par ailleurs, nous saluons l’adoption d’un amendement à l’article 2 ter visant à instaurer un suivi renforcé pour les salariés ayant été exposés à des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité.
De même, la nouvelle version du texte consacre une vigilance spécifique quant aux nouvelles formes d’organisation du travail, en particulier au télétravail. Elle dispose que les services de prévention et de santé au travail prêtent une attention particulière à l’impact que peut avoir le télétravail sur la santé et la sécurité des travailleurs.
Dans le même sens, nous sommes également favorables au rétablissement de la disposition retenue par l’Assemblée nationale selon laquelle le service de prévention et de santé au travail devra être associé au futur rendez-vous de liaison entre l’employeur et le salarié en arrêt de travail. Cette présence permet de protéger le salarié des éventuelles pressions de l’employeur et d’éviter un tête-à-tête entre eux.
S’agissant de la possibilité pour les infirmiers disposant de la qualification nécessaire d’exercer en pratique avancée en matière de prévention et de santé au travail, la disposition ne nous satisfait pas totalement. Si elle permet, en effet, de protéger les infirmiers, qui exercent sous la responsabilité du médecin du travail, elle empêche toutefois le plein exercice de la pratique avancée et risque de dévaloriser in fine le métier d’infirmier et cette spécialisation.
Cette proposition de loi, porteuse de grands espoirs concernant la pénurie de médecins du travail, la prévention des risques primaires et la lutte contre les inégalités territoriales, n’apporte en réalité pas de réponse concrète aux difficultés posées par l’exercice de la médecine du travail. Nous le regrettons et, en conséquence, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne soutiendra pas ce texte.