Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’actualité nous prouve que les outils de renseignement les plus puissants et les méthodes d’intrusion les plus élaborées sont susceptibles d’être développés et utilisés par des acteurs privés. Les nouvelles technologies, les constellations satellitaires, la 5G, mais aussi, plus prosaïquement, les applications mobiles nous le démontrent également, et tout indique que nous allons poursuivre dans cette voie.
Il me semble qu’il y aurait un certain paradoxe à laisser des opérateurs privés mener des actions de renseignement, tout en n’habilitant pas les services publics, que l’on encadrerait, à agir dans ce domaine. Il me semble qu’il y aurait un certain paradoxe à l’accepter pour des acteurs privés, mais pas pour ceux qui ont vocation à nous protéger.
En effet, la maîtrise des techniques de renseignement est aujourd’hui essentielle pour protéger les Français, physiquement comme dans leur vie privée. Les débats que nous avons et les constats que nous dressons à propos de l’affaire Pegasus depuis quelques jours le montrent bien. C’est la raison pour laquelle il est indispensable d’encadrer les services de renseignement : cette précaution est primordiale dans une société démocratique.
De ce point de vue, la loi de 2015 a constitué une rupture. Je pense à la création de la CNCTR ou des moyens accordés au GIC, qui permettent d’encadrer la manière dont les techniques de renseignement sont utilisées par la puissance publique en France.
Aujourd’hui, les nouvelles technologies exigent que nous améliorions et élargissions la portée des dispositifs existants. C’est ce que prévoit ce texte. C’est pourquoi nous soutenons les propositions de la rapporteure. Je pense notamment à la nature intrusive des URL – nous aurons ce débat tout à l’heure –, qui nous impose de rendre expérimentale la possibilité de les inclure parmi les données traitées par algorithme.
Il nous faut toutefois regretter, en particulier compte tenu de l’actualité, que le texte ne prenne pas en compte l’arrêt de la CEDH du 25 mai dernier, qui appelle à un encadrement des relations avec les services étrangers. L’affaire actuelle montre que ce qu’il n’est pas possible de faire dans un pays peut être sous-traité ailleurs, si bien qu’en l’absence d’encadrement des échanges il y a problème et, donc, potentielle fuite. Autrement dit, l’encadrement ne sert finalement à rien.
Par ailleurs, si les échanges de nos propres services avec l’étranger ne sont pas encadrés, un certain nombre de pays et de partenaires proches, qui se conforment, eux, à l’arrêt de la CEDH, ne pourront plus travailler de la même manière avec nous. Cette évolution est donc indispensable.
Pour ce qui est du terrorisme, les menaces au Levant, en Afghanistan et en Libye ainsi que l’évolution de ces menaces nous obligent à continuer de disposer d’outils pour protéger les Français. Le recours à ces instruments doit néanmoins se faire conformément à nos valeurs. Si nous en changions, nous offririons la victoire aux terroristes. C’est la raison pour laquelle, depuis le début, le groupe socialiste considère que la prévention relève du pouvoir administratif, mais que, dès que c’est possible, il faut judiciariser les modalités de suivi des condamnés pour terrorisme, de manière à placer les éventuelles mesures de privation de liberté sous le contrôle du juge. Cette réponse repose sur une bonne coopération entre le parquet et les services administratifs, ainsi que sur la conviction que les moyens à la disposition des services de renseignement, de la police et de la justice jouent toujours un rôle plus déterminant que les lois dans la protection des Français.
Les Micas, particulièrement intrusives, sont peut-être nécessaires. Nous avons d’ailleurs dit à plusieurs reprises que nous n’étions pas opposés à leur maintien, même si nous avons rappelé notre souhait d’un contrôle régulier du Parlement et de validations législatives régulières au cas où nous les prolongerions. Ce n’est toutefois pas la version qu’avait retenue la commission mixte paritaire.
Même si celle-ci a finalement échoué, il existe tout de même un certain nombre de convergences entre le Sénat et l’Assemblée nationale que nous ne partageons pas. C’est pourquoi, pour nous assurer que les dispositions votées par le Parlement seront conformes aux garanties qu’offre notre Constitution, notamment sur le volet relatif au terrorisme, nous saisirons le Conseil constitutionnel. Nous voulons lever tout doute quant au texte adopté par le Parlement.
Je terminerai en faisant deux remarques.
En premier lieu, je veux m’arrêter sur l’article 15 et la manière dont le Parlement et le Gouvernement proposent de sortir de la difficulté à laquelle nous sommes confrontés depuis que la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt qui impose aux opérateurs de communications électroniques de conserver les données de connexion, ce qui empêche la justice de faire son travail et les opérateurs de répondre aux près de 2 millions de réquisitions judiciaires qu’on leur adresse chaque année. Les parquets craignent vraiment de ne pas être capables de poursuivre leurs enquêtes avec la même fiabilité et robustesse.
Cet article 15, qui a été conçu sans que l’on s’intéresse à ce que font nos partenaires européens, pourtant soumis à la même législation, et sans que l’on se demande s’il ne faudrait pas changer la règle au niveau communautaire, dès lors que l’ensemble des pays européens sont susceptibles de rencontrer une difficulté en la matière, nous paraît quelque peu hasardeux. La question que je posais précédemment au ministre de la justice montre que le sujet est peut-être traité avec un peu trop de désinvolture, alors même que, pour donner confiance en la justice, il faut la doter de moyens robustes et fiables.
En second lieu, j’évoquerai l’article 19 sur les archives. Excusez-moi de le dire ainsi, mais il est vraiment scandaleux, alors que nous examinons de nouveau ce projet de loi aujourd’hui, que nous ne puissions pas présenter des amendements, tout cela parce qu’il y a eu accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat et que cet article a été adopté conforme.
Le groupe socialiste veut exprimer son désaccord absolu avec la méthode qui consiste à nous faire voter aujourd’hui un texte qui modifiera la base légale du régime de communicabilité des archives et qui rendra obsolète l’arrêt du Conseil d’État du 2 juillet dernier, qui annule les procédures de déclassification de chaque archive.
Ce n’est pas un petit sujet, car le fait de construire l’histoire de notre pays, non pas sur des mythes, mais sur la réalité, et de donner la possibilité à nos chercheurs de construire notre récit national sur les faits est essentiel. Or cela ne sera plus possible s’il n’est pas envisageable de déclassifier certains documents.
Nous savons bien qu’il est nécessaire de continuer à protéger un certain nombre d’archives qui peuvent encore présenter une utilité opérationnelle, mais nous considérons que la manière dont le débat a été mené en première lecture et ce à quoi il a abouti sont un réel scandale. C’est la raison pour laquelle, malgré notre accord sur un certain nombre de points, nous nous abstiendrons sur ce texte.