Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la France fait face depuis 2015 à de nombreuses attaques terroristes, certaines d’origine endogène et perpétrées par des personnes se radicalisant sur le territoire national. Outre le risque djihadiste, les services de renseignement s’inquiètent de l’émergence de radicalités multiformes : politiques, religieuses, survivalistes ou encore conspirationnistes.
Face à ces menaces, plusieurs textes de loi ont permis d’assurer la sécurité de nos concitoyens tout en garantissant les droits et libertés que leur octroie la Constitution. Il s’agit notamment de la loi de 2015 relative au renseignement et de la loi de 2017, dite SILT.
Le présent projet de loi vise à adapter notre droit à la menace terroriste en apportant une réponse légale et proportionnée aux menaces auxquelles nous continuons de faire face aujourd’hui. Le texte entend ainsi pérenniser – le Sénat avait même envisagé de le faire plus tôt – et adapter certaines mesures de lutte antiterroriste introduites à titre expérimental dans notre droit par la loi SILT, comme la fermeture administrative des lieux de culte, des mesures de surveillance ou encore un renforcement des pouvoirs de police administrative. Il crée, de plus, une mesure judiciaire de réinsertion sociale antiterroriste et renforce la loi sur le renseignement de 2015. Mais, tout cela, les orateurs précédents l’ont largement expliqué.
La mise en œuvre de l’ensemble de ces mesures a été évaluée dans le cadre d’une mission de la commission des lois, qui s’est inscrite dans le moyen terme et a démontré l’utilité opérationnelle pour l’autorité administrative, ainsi que le caractère finalement complémentaire entre l’intervention de l’autorité administrative et celle de l’autorité judiciaire – ce n’était pas forcément acquis initialement.
Aussi, réunie hier matin, notre commission des lois a examiné le rapport de nos collègues Agnès Canayer et Marc-Philippe Daubresse, dont j’aimerais ici saluer le travail conjoint.
Nous regrettons bien sûr, comme les collègues qui se sont exprimés avant moi, comme l’a fait également à diverses reprises le président de la commission des lois, que la CMP n’ait pu aboutir sur ce texte. C’est dommage ; l’objectif était à notre sens atteignable.
L’article 3 du projet de loi prolongeant à vingt-quatre mois la durée maximale des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les Micas, a été modifié par le Sénat, lequel a créé une mesure de sûreté prononcée à l’issue de la détention de la personne qui comporterait des obligations tant d’accompagnement à la réinsertion que de surveillance. Cette mesure figurait à l’article 5. Or l’Assemblée nationale et, semble-t-il, le Gouvernement n’ont pas souhaité aller au-delà des obligations de réinsertion que nos collègues députés avaient adoptées en première lecture.
En réintégrant les articles 3 et 5 dans leur intégralité, articles pourtant modifiés par le Sénat, l’Assemblée nationale a pris la responsabilité de ne pas permettre un accord entre nos deux chambres. Elle n’a conservé que quelques-uns de nos apports, essentiellement la suppression de l’article 4 bis, qui posait des questions en matière de droit à un recours juridictionnel effectif.
En définitive, nous constatons principalement trois points de divergence entre les deux chambres.
Le premier est l’extension à vingt-quatre mois des Micas, dont la suppression par notre commission était motivée par les fortes interrogations demeurant sur la constitutionnalité de la mesure, au regard de la première appréciation portée par le Conseil constitutionnel.
Le deuxième point de divergence est l’article 5, également modifié par la commission pour prévoir la possibilité de prononcer tant des mesures de surveillance que des mesures de réinsertion.
Le troisième point de divergence est l’article 13, pour lequel la commission a retenu que les incertitudes tant techniques que juridiques liées à l’atteinte aux libertés représentée par la possibilité d’utiliser les URL parmi les données traitées par algorithme imposent de rendre cette extension expérimentale. Accessoirement, cela permettrait de vérifier la faisabilité technique du dispositif, celle-ci n’étant pas tout à fait acquise.
Sur ces trois points, deux avaient déjà fait l’objet de décisions du Conseil constitutionnel, indiquant qu’une prudence particulière était nécessaire. Comme Alain Richard l’indiquait précédemment, chacune des deux assemblées avait pu recevoir quelques observations à ce propos.
Sur le troisième point, les problèmes de conventionnalité, ce sont non les décisions du Conseil constitutionnel, mais les arrêts de la CJUE et du Conseil d’État qui nous invitent à être vigilants. Chacun, dans cet hémicycle, connaît les efforts remarquables que ce dernier réalise pour éviter le conflit entre droit interne et droit européen. Alors que le « chemin de crête », pour employer une formule maintenant classique, avait été complexe à tracer, on avait fini par trouver une solution pour faire converger les deux droits. Il ne nous semble pas forcément opportun de remettre cela en cause.
L’ensemble de ces points montre que la rédaction retenue par notre assemblée présentait de nombreux avantages. C’est pourquoi le groupe des sénateurs UC votera en faveur du projet de loi, dans la version issue des travaux de notre commission des lois.