Intervention de Hussein Bourgi

Mission d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement — Réunion du 23 juin 2021 à 16h35
Audition des responsables des affaires publiques des principaux réseaux sociaux : instagram facebook snapchat et tiktok

Photo de Hussein BourgiHussein Bourgi :

Je vais commencer par des paroles aimables, à l'égard des cinq personnes qui ont répondu à notre invitation, et qui ont eu le courage de venir nous écouter et de nous apporter quelques éléments de réponses.

Toutefois, à ce stade, j'ai entendu des mots valises, des concepts creux, comme « application bienveillante et vertueuse », « application créative et éducative » et « chaîne de valeurs ». Je suis quelqu'un de très concret. Je vais essayer de vous poser des questions concrètes, pour lesquelles j'attends des réponses concrètes.

La première question porte sur la prévention. J'ai entendu quelques exemples d'opérations qui, de mon point de vue, relèvent davantage du marketing. Je ne suis pas persuadé que des centaines de milliers d'utilisateurs des réseaux sociaux soient particulièrement passionnés par ce que Jean-Michel Blanquer a à raconter.

De la même manière, faire des opérations d'événementiel qui peuvent concerner quelques centaines de milliers de personnes est très bien, mais quand on est une application fréquentée par des centaines de milliers, voire des centaines de millions de personnes, ce n'est pas ainsi que je conçois la prévention.

Quelle prévention de masse pouvez-vous mettre en place ? Je vous propose tout de suite une réponse à cette question : pourquoi ne pas faire des bandeaux éducatifs, préventifs comme on en voit pour les bandeaux publicitaires pour tel ou tel annonceur ? C'est-à-dire faire en permanence de la prévention de masse à l'égard de toutes les personnes inscrites sur votre application, sur votre réseau social, et non pas seulement une fois par an à l'occasion de telle ou telle journée.

J'ai aussi beaucoup entendu évoquée aujourd'hui la notion de « responsabilité partagée », des parents, de la gendarmerie, de la police, de l'Éducation nationale. J'ai peu entendu parler de votre propre responsabilité.

J'évoquerai l'Éducation nationale. Aujourd'hui, lorsqu'on regarde toutes les missions qui lui sont confiées - prévention contre les conduites addictives, contre le tabagisme, contre l'alcoolisme, information sur la sexualité, sur les maladies sexuellement transmissibles - je ne voudrais pas qu'à force la société dans son ensemble sous-traite tous ces sujets à l'Éducation nationale dont la vocation première est d'éduquer, d'instruire, et de respecter les programmes d'histoire-géographie, mathématiques, allemand, etc. Je ne voudrais pas que toute la société se défausse sur l'Éducation nationale qui a des missions principales et secondaires, mais qui ne peut pas tout faire à la place de la société et des parents.

Vous avez ensuite évoqué dans vos propos la notion de modération grâce à l'intelligence artificielle. Je vous apporte mon témoignage, celui de quelqu'un inscrit sur certains de vos réseaux, et d'un élu local qui siège au conseil d'administration de huit lycées de la région Occitanie.

Nous avons parfois été confrontés à des convocations de conseils de discipline à cause de mauvaises usages de vos applications et réseaux sociaux. Nous sommes parfois allés à plusieurs afin de faire un signalement. La modération d'un de ces réseaux sociaux nous remerciait pour notre contribution et notre coopération, et nous avertissait qu'après vérification, le signalement effectué n'enfreignait pas les règles de la communauté. Dans ces circonstances très particulières et très précises, je peux vous assurer que les propos à caractère raciste, sexiste, ou homophobe, étaient punis par la loi française et donc enfreignaient les règles de la communauté. À ces occasions, j'ai pu constater que la modération grâce à l'intelligence artificielle était certainement artificielle mais assurément pas intelligente.

Concernant la rupture de l'anonymat, j'ai bien compris, en vous écoutant, que vous y êtes foncièrement hostiles. On vous propose une solution et vous tergiversez pour la refuser. Quand certains parents apprennent que leur enfant a fait une tentative de suicide, ils découvrent qu'il a ouvert une page sur un réseau social sans même qu'ils ne le sachent.

Demain, la meilleure façon de s'assurer que les enfants ont bien eu l'autorisation des parents, c'est de demander à l'adulte une pièce d'identité et à l'enfant le livret de famille. À ce moment-là, les parents pourront peut-être remplir la mission que vous leur assignez : celle d'éduquer, d'informer et de sensibiliser leurs enfants.

Monsieur Garandeau, vous nous avez tendu une perche à la fin de vos propos et je vous en remercie, en disant que vous appliquez naturellement la règlementation en vigueur. Nous sommes plusieurs à avoir entendu que sur ces réseaux sociaux, 99 % des contenus ne posent aucun problème.

Si je participe à cette mission d'information, c'est parce que, depuis que j'exerce des fonctions électives, j'ai été trop souvent confronté à des drames : l'échec scolaire, l'anorexie, la dépression, les tentatives de suicide et suicides. Ces 99 % ne m'intéressent pas. Ce qui m'intéresse c'est le 1 % à l'origine de ces tragédies. C'est la raison pour laquelle je suis dans cette assemblée à laquelle j'essaye d'apporter mon expérience du terrain et de la traduire avec mes collègues qui ont été confrontés à ces réalités humaines dramatiques.

Quand je vais dans un conseil d'administration de lycée aujourd'hui, quand je pénètre dans une salle, quand je vois certains parents, des infirmières scolaires, me revient alors en mémoire la scène de ce qui s'est passé alors qu'on s'est retrouvés au lendemain d'une tragédie ou d'un drame. C'est pourquoi vous excuserez la force ou le caractère un peu politiquement incorrect de mon propos.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion