Intervention de Guillaume Gellé

Mission d'information Influences étatiques extra-européennes — Réunion du 1er septembre 2021 à 10h00
Audition de M. Guillaume Gellé vice-président de la conférence des présidents d'université sur les influences étrangères dans le monde universitaire et académique français

Guillaume Gellé, vice-président de la Conférence des présidents d'université :

Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de Manuel Tunon de Lara, qui m'a demandé de le représenter.

Je tiens à souligner le travail toujours constructif entre le Sénat et la Conférence des présidents d'université sur un grand nombre de sujets embrassant les questions d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation dans notre pays.

La CPU, qui fête ses cinquante ans d'existence, représente environ 120 établissements, près de 2 millions d'étudiants et 200 000 personnels de recherche et d'administration.

Votre mission d'information s'intéresse aux influences étrangères et à leurs incidences sur les valeurs du monde universitaire et académique français, notamment en ce qui concerne l'autonomie des universités, les libertés académiques et l'intégrité scientifique.

La question des libertés académiques, principe fondamental reconnu par les lois de la République et par le Conseil constitutionnel, est au coeur des préoccupations de la CPU. Dans une grande partie du monde, ces libertés n'existent pas, sinon très partiellement.

Le code de l'éducation dispose que le service public de l'enseignement supérieur et de la recherche est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique ou religieuse. Il tend à l'objectivité des savoirs et respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l'enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique.

Nous avons la chance inouïe de vivre dans un pays où les enseignants-chercheurs sont libres de mener leurs recherches. Trop souvent, une partie des élus de la nation ou des représentants publics, parfois même dans votre institution, remet en question cette liberté fondamentale, dont vous êtes les garants. Pour ces raisons, la CPU avait proposé d'inscrire le respect des libertés académiques dans la Constitution.

L'intégrité scientifique constitue bien évidemment l'un des pendants de cette liberté académique. À cet égard, je tiens à saluer l'excellent rapport du sénateur Pierre Ouzoulias. Ce sujet fait l'objet d'attentions particulières depuis un certain nombre d'années - je pense notamment aux travaux de Pierre Corvol. Cette question fait aussi partie intégrante des principes déontologiques liés à nos missions d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation.

Vous avez raison : la vraie menace réside dans le risque d'intrusion d'idéologies diverses dans la science, dans le contenu des enseignements et dans les champs de recherche, au mépris de la liberté de chaque enseignant-chercheur - a fortiori si ces intrusions sont le fait d'organisations étatiques ou de gouvernements. L'enjeu est donc d'être suffisamment informé pour repérer et contrer toute forme de pratique de désinformation, de propagande ou d'intimidation. Il y va de la défense des libertés académiques et de notre souveraineté scientifique.

La crise sanitaire que nous traversons pose, par exemple, la question des outils informatiques utilisés pour les réunions à distance, au risque de voir certains échanges sensibles être aspirés par des services étrangers. Sans surprise, nous notons également, depuis le Brexit, l'explosion des demandes de collaboration émanant du Royaume-Uni afin d'aller chercher des fonds européens...

Si les relations internationales ne sont pas forcément la culture première d'un président d'université, elles le deviennent forcément : une de ses principales missions consiste en effet à représenter son établissement auprès des universités étrangères. Sur ces sujets, la CPU est en lien avec le haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (Mesri) et avec les fonctionnaires de sécurité et de défense de nos établissements, dont la plupart exercent au plus haut niveau de l'organisation de leur institution - directeurs généraux des services ou vice-présidents. Nous sommes également en train de préparer, avec les services des ministères de la défense, des affaires étrangères et de l'intérieur, des journées de formation des présidents récemment élus.

Il est indispensable de s'appuyer sur des politiques publiques claires, concertées et partagées avec l'ensemble des acteurs, et donc de disposer d'une véritable évaluation des dispositifs en place. Il s'agit d'aller plus loin que l'élaboration d'un simple guide de bonnes pratiques.

Nous voulons travailler sur trois axes.

Le premier concerne la présence ou les déplacements de nos enseignants-chercheurs à l'étranger, et inversement. Il faut distinguer les visites institutionnelles entre établissements, souvent bien préparées et cadrées par les services des relations internationales, en lien avec les ambassades et les consulats, des sollicitations individuelles, beaucoup plus difficiles à suivre. Nous travaillons avec les services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, mais cette collaboration pourrait s'intensifier encore.

Par ailleurs, le rayonnement de nos travaux passe aussi par l'invitation d'un certain nombre de chercheurs français à l'étranger. C'est l'un des éléments importants de l'évaluation des dossiers scientifiques de nos collègues, mais aussi d'une fragilité potentielle.

Se pose également la question de la présence des chercheurs étrangers sur notre territoire. Il est important de faire preuve de vigilance : les présidents d'établissements sont sensibilisés, mais il n'existe aucun dispositif particulier, sinon le regard des fonctionnaires de sécurité et de défense et du HFDS du Mesri sur les pays dont les pratiques peuvent être contestables.

Le deuxième axe concerne les travaux de recherche conduits dans nos établissements. En plus des enjeux centraux de formation, il est important de garantir, promouvoir et protéger une culture de l'intégrité scientifique. C'est le sens de certaines des mesures de la loi de programmation de la recherche, notamment des articles 16 et 18 relatifs au serment du doctorant.

Nous partageons les constats et recommandations du rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques (Opecst) : la question de la récupération des résultats de recherche d'innovation fait l'objet de toujours plus de vigilance de la part des établissements.

Le financement éventuel des chaires et des thèses par des États étrangers, plutôt apprécié dans le cadre de l'évaluation des chercheurs, doit également faire l'objet d'une vigilance particulière. Cette question renvoie à la dimension cruciale du financement public en France, garantie de l'indépendance de nos chercheurs.

Le troisième axe, c'est la question des étudiants étrangers extra-européens, plutôt à des niveaux infra-doctorat. Vous aurez l'occasion d'évoquer tout à l'heure les instituts Confucius ou les centres d'étude du français dans nos universités, qui sont très prisés, donc je n'irai pas plus loin sur ce sujet.

En conclusion, nous sommes tous conscients des risques et nous ne sommes pas dupes. Nous avons besoin d'organiser, de peaufiner la formation, et ce à tous les niveaux de l'université : présidence, unités de recherche, de formation ; chercheurs eux-mêmes. Dans le même temps, nous souhaitons vous alerter sur un certain nombre d'injonctions contradictoires de la part des pouvoirs publics : d'un côté, on encourage les partenariats et on facilite l'accueil des étudiants étrangers ; de l'autre, on nous appelle à une extrême vigilance. C'est difficilement compatible.

La prise de conscience est importante, mais les moyens sont encore limités pour assurer le suivi. Néanmoins, soyez assurés de notre vigilance sur le sujet.

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