Mes chers collègues, nous reprenons aujourd'hui le cycle d'auditions en réunions plénières de notre mission d'information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences.
Tout d'abord, nous entendrons M. Guillaume Gellé, président de l'université Reims Champagne-Ardenne et vice-président de la Conférence des présidents d'université (CPU) - c'est en cette qualité qu'il s'exprimera sur les influences étrangères dans le monde universitaire et académique français. Ensuite, dans une seconde séquence organisée en table ronde, nous auditionnerons des responsables d'établissements d'enseignement supérieur sur leurs relations avec les instituts Confucius.
Notre réunion fait l'objet d'une captation vidéo qui sera consultable en vidéo à la demande sur le site internet du Sénat.
Je tiens à remercier la CPU de l'intérêt qu'elle témoigne à nos travaux. Grâce à vos services, monsieur Gellé, nous avons pu adresser un questionnaire à l'ensemble des établissements universitaires. Les premières réponses que nous avons reçues, en cette fin de période estivale, sont déjà éclairantes.
Le sujet qui nous occupe fait l'objet d'une attention médiatique dont je peux témoigner et qui ne se dément pas. Notre pays est de plus en plus conscient du changement de paradigme qui s'opère dans les relations internationales et qui répond à des logiques à peine dissimulées d'intérêts strictement nationaux. Dans ce contexte, la question de l'enseignement supérieur et de la recherche ne doit pas être négligée, aussi bien au regard de la protection de notre recherche et de nos découvertes que de celle de nos libertés académiques, de notre intégrité scientifique et de notre esprit d'ouverture sur le monde. Il nous a donc semblé essentiel d'entendre les présidents d'université, qui occupent une place centrale dans ce dispositif.
Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de Manuel Tunon de Lara, qui m'a demandé de le représenter.
Je tiens à souligner le travail toujours constructif entre le Sénat et la Conférence des présidents d'université sur un grand nombre de sujets embrassant les questions d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation dans notre pays.
La CPU, qui fête ses cinquante ans d'existence, représente environ 120 établissements, près de 2 millions d'étudiants et 200 000 personnels de recherche et d'administration.
Votre mission d'information s'intéresse aux influences étrangères et à leurs incidences sur les valeurs du monde universitaire et académique français, notamment en ce qui concerne l'autonomie des universités, les libertés académiques et l'intégrité scientifique.
La question des libertés académiques, principe fondamental reconnu par les lois de la République et par le Conseil constitutionnel, est au coeur des préoccupations de la CPU. Dans une grande partie du monde, ces libertés n'existent pas, sinon très partiellement.
Le code de l'éducation dispose que le service public de l'enseignement supérieur et de la recherche est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique ou religieuse. Il tend à l'objectivité des savoirs et respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l'enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique.
Nous avons la chance inouïe de vivre dans un pays où les enseignants-chercheurs sont libres de mener leurs recherches. Trop souvent, une partie des élus de la nation ou des représentants publics, parfois même dans votre institution, remet en question cette liberté fondamentale, dont vous êtes les garants. Pour ces raisons, la CPU avait proposé d'inscrire le respect des libertés académiques dans la Constitution.
L'intégrité scientifique constitue bien évidemment l'un des pendants de cette liberté académique. À cet égard, je tiens à saluer l'excellent rapport du sénateur Pierre Ouzoulias. Ce sujet fait l'objet d'attentions particulières depuis un certain nombre d'années - je pense notamment aux travaux de Pierre Corvol. Cette question fait aussi partie intégrante des principes déontologiques liés à nos missions d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation.
Vous avez raison : la vraie menace réside dans le risque d'intrusion d'idéologies diverses dans la science, dans le contenu des enseignements et dans les champs de recherche, au mépris de la liberté de chaque enseignant-chercheur - a fortiori si ces intrusions sont le fait d'organisations étatiques ou de gouvernements. L'enjeu est donc d'être suffisamment informé pour repérer et contrer toute forme de pratique de désinformation, de propagande ou d'intimidation. Il y va de la défense des libertés académiques et de notre souveraineté scientifique.
La crise sanitaire que nous traversons pose, par exemple, la question des outils informatiques utilisés pour les réunions à distance, au risque de voir certains échanges sensibles être aspirés par des services étrangers. Sans surprise, nous notons également, depuis le Brexit, l'explosion des demandes de collaboration émanant du Royaume-Uni afin d'aller chercher des fonds européens...
Si les relations internationales ne sont pas forcément la culture première d'un président d'université, elles le deviennent forcément : une de ses principales missions consiste en effet à représenter son établissement auprès des universités étrangères. Sur ces sujets, la CPU est en lien avec le haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (Mesri) et avec les fonctionnaires de sécurité et de défense de nos établissements, dont la plupart exercent au plus haut niveau de l'organisation de leur institution - directeurs généraux des services ou vice-présidents. Nous sommes également en train de préparer, avec les services des ministères de la défense, des affaires étrangères et de l'intérieur, des journées de formation des présidents récemment élus.
Il est indispensable de s'appuyer sur des politiques publiques claires, concertées et partagées avec l'ensemble des acteurs, et donc de disposer d'une véritable évaluation des dispositifs en place. Il s'agit d'aller plus loin que l'élaboration d'un simple guide de bonnes pratiques.
Nous voulons travailler sur trois axes.
Le premier concerne la présence ou les déplacements de nos enseignants-chercheurs à l'étranger, et inversement. Il faut distinguer les visites institutionnelles entre établissements, souvent bien préparées et cadrées par les services des relations internationales, en lien avec les ambassades et les consulats, des sollicitations individuelles, beaucoup plus difficiles à suivre. Nous travaillons avec les services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, mais cette collaboration pourrait s'intensifier encore.
Par ailleurs, le rayonnement de nos travaux passe aussi par l'invitation d'un certain nombre de chercheurs français à l'étranger. C'est l'un des éléments importants de l'évaluation des dossiers scientifiques de nos collègues, mais aussi d'une fragilité potentielle.
Se pose également la question de la présence des chercheurs étrangers sur notre territoire. Il est important de faire preuve de vigilance : les présidents d'établissements sont sensibilisés, mais il n'existe aucun dispositif particulier, sinon le regard des fonctionnaires de sécurité et de défense et du HFDS du Mesri sur les pays dont les pratiques peuvent être contestables.
Le deuxième axe concerne les travaux de recherche conduits dans nos établissements. En plus des enjeux centraux de formation, il est important de garantir, promouvoir et protéger une culture de l'intégrité scientifique. C'est le sens de certaines des mesures de la loi de programmation de la recherche, notamment des articles 16 et 18 relatifs au serment du doctorant.
Nous partageons les constats et recommandations du rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques (Opecst) : la question de la récupération des résultats de recherche d'innovation fait l'objet de toujours plus de vigilance de la part des établissements.
Le financement éventuel des chaires et des thèses par des États étrangers, plutôt apprécié dans le cadre de l'évaluation des chercheurs, doit également faire l'objet d'une vigilance particulière. Cette question renvoie à la dimension cruciale du financement public en France, garantie de l'indépendance de nos chercheurs.
Le troisième axe, c'est la question des étudiants étrangers extra-européens, plutôt à des niveaux infra-doctorat. Vous aurez l'occasion d'évoquer tout à l'heure les instituts Confucius ou les centres d'étude du français dans nos universités, qui sont très prisés, donc je n'irai pas plus loin sur ce sujet.
En conclusion, nous sommes tous conscients des risques et nous ne sommes pas dupes. Nous avons besoin d'organiser, de peaufiner la formation, et ce à tous les niveaux de l'université : présidence, unités de recherche, de formation ; chercheurs eux-mêmes. Dans le même temps, nous souhaitons vous alerter sur un certain nombre d'injonctions contradictoires de la part des pouvoirs publics : d'un côté, on encourage les partenariats et on facilite l'accueil des étudiants étrangers ; de l'autre, on nous appelle à une extrême vigilance. C'est difficilement compatible.
La prise de conscience est importante, mais les moyens sont encore limités pour assurer le suivi. Néanmoins, soyez assurés de notre vigilance sur le sujet.
Les trois axes que vous avez développés s'inscrivent parfaitement dans notre démarche.
Nous sommes tout à fait conscients des injonctions contradictoires que vous avez évoquées. La France a pour ambition d'accueillir 500 000 étudiants à l'horizon de 2027, même si je pense que la pandémie remet un peu en cause ces objectifs. Nous avons auditionné les représentants de Campus France, qui ont aussi souligné ce paradoxe.
Qui dit autonomie des universités, dit plus grande latitude dans la recherche des financements, mais il est clair également que nous devons vous donner des moyens pour mettre en oeuvre une politique de vigilance à l'égard de ces influences étrangères. On ne peut pas se contenter de la dénonciation. Pouvez-vous rebondir sur ce point ?
Pour nous, l'autonomie s'accompagne bien évidemment de la responsabilité dans la mise en oeuvre des politiques publiques. Je le répète, nous avons à travailler sur la communication et la formation, de concert avec les différents ministères concernés.
Le point le plus sensible, c'est bien celui des travaux individuels des chercheurs et de leur rayonnement à l'étranger. Et c'est évidemment lié à la question du financement. Dans un contexte où il est difficile d'obtenir des financements publics, une certaine fragilité s'est installée au sein de la recherche française, certains financements obtenus facilement ayant pu paraître orientés. J'y insiste, la garantie d'un financement public des travaux de recherche permettra à notre pays d'être robuste face à ces tentatives d'ingérence.
Bien évidemment, il ne s'agit pas de refuser tout financement dans le cadre d'un partenariat. Ce serait aller à l'encontre des principes dans lesquels nous nous inscrivons. Cependant, faire preuve de vigilance et d'exigence est plus facile quand on peut s'assurer d'un soutien public.
Il faut aussi avoir conscience qu'il est très important dans le déroulement d'une carrière d'être invité à des conférences et colloques à l'étranger. C'est également important pour le rayonnement de la science française. Cependant, certains pays peuvent être tentés d'utiliser nos failles et nos faiblesses.
Depuis plusieurs années, néanmoins, la plupart des partenariats avec les pays dits sensibles sont instruits avec toute l'expertise du haut fonctionnaire sécurité-défense. Il y a eu une réelle prise de conscience, qui a pu conduire, dans certains cas, à des refus de partenariat.
Vous avez insisté sur la nécessité de mieux former les responsables de la sécurité au sein de vos établissements. En fait, deux systèmes se superposent : un système interne à l'université et celui des services de l'État. Comment jugez-vous leur articulation ?
Il y a quelques années, les pratiques étaient très différentes de celles que l'on observe aujourd'hui. Le lien entre les fonctionnaires de sécurité et de défense de nos établissements et le HFDS du Mesri est maintenant établi, régulier. Il va plus loin que l'élaboration d'un guide des bonnes pratiques, avec la mise en place de formations en concertation. La sensibilisation des décideurs est acquise, notamment en ce qui concerne l'accueil des chercheurs étrangers ; il nous faut aller maintenant jusqu'aux chercheurs, qui doivent être mieux formés pour la conduite de leurs travaux individuels, de pair à pair, et ce dès leur arrivée à l'université.
Je reviens sur les FSD. Ces derniers doivent aussi gérer la sécurité des locaux, en lien avec le risque terroriste. Est-ce compatible avec la dimension analytique des travaux des chercheurs, qui doit éventuellement leur permettre de déceler des problèmes ? N'est-ce pas trop pour une seule personne ?
Ces fonctions sont confiées à des personnes qui se trouvent au plus haut niveau de la hiérarchie de l'université. Ainsi, elles peuvent s'appuyer sur l'ensemble des personnels de l'université pour assurer leurs missions. La sécurité des locaux est assez bien gérée par les personnels supports de nos établissements et ne représente pas une mission trop chronophage pour les FSD. Je puis vous assurer qu'ils sont extrêmement sensibilisés aux sujets qui font l'objet de votre mission.
J'ai trois questions à vous poser.
Tout d'abord, vous avez cité le rapport de Pierre Corvol sur la charte nationale d'intégrité scientifique. Ces travaux ont-ils permis des avancées significatives, au-delà du serment inscrit dans la loi de programmation de la recherche (LPR) ?
Par ailleurs, vous avez évoqué des injonctions contradictoires. À cet égard, la pression que font peser les divers classements internationaux n'a-t-elle pas un effet pervers sur les pratiques de la communauté scientifique ? Selon moi, la qualité devrait primer la quantité.
Enfin, arrivez-vous à mutualiser les bonnes pratiques au sein de la CPU ?
Les travaux de Pierre Corvol sur l'intégrité scientifique font partie intégrante de notre déontologie. Il y a eu des avancées avec la LPR. Certes, on pourrait aller plus loin, mais l'autonomie des universités s'accommoderait mal d'un cadrage trop strict de la loi. Cependant, je puis vous assurer que ces notions sont au coeur de nos pratiques. Beaucoup d'établissements ont créé des commissions chargées de ces questions d'intégrité, d'éthique et de déontologie. Les débats récents dans la communauté scientifique autour de la pandémie ont rendu cette problématique encore plus prégnante.
S'agissant de l'importance des partenariats dans les classements internationaux, il faut quand même rappeler que la recherche n'est rien sans une ouverture au monde. Un pays refermé sur lui-même ne peut abriter une recherche performante. Il faut s'inscrire dans cette compétition internationale. C'est un élément d'appréciation important, tant au niveau des États qu'au plan individuel. Pour autant, tous les classements ne se valent pas, et il faut savoir faire la part des choses.
Enfin, les fonctionnaires de sécurité et de défense ne sont plus isolés. Ce sont souvent des directeurs généraux des services ou des vice-présidents, et ils ont, à ce titre, développé d'importants réseaux dans la communauté universitaire. Le partage des bonnes pratiques se fait donc de manière naturelle, même si l'on peut toujours améliorer les choses.
J'ai peut-être mal compris vos propos, mais il me semble que vous avez mis en cause, d'une certaine manière, l'attitude des parlementaires à l'égard de l'intégrité des universités. Pouvez-vous expliciter votre pensée, même si je pense savoir à quoi vous faites allusion ?
Par ailleurs, pouvez-vous nous dire si les FSD ont des relations de coopération avec leurs homologues européens ?
Enfin, prenez-vous en compte l'influence des diasporas au sein même de notre pays ?
Effectivement, nous avons pu entendre certains propos de parlementaires, lors des débats sur la LPR à l'Assemblée nationale, par exemple, qui témoignent peut-être d'une certaine méconnaissance des règles relatives à l'autonomie des universités et aux libertés académiques. Je pourrai aussi citer les propos de notre ministre de tutelle sur l'islamo-gauchisme. Il faut toujours faire la part des choses entre les travaux scientifiques et les avis personnels. Les chercheurs savent le faire.
S'agissant des coopérations européennes, je ne suis pas en mesure de vous répondre aujourd'hui, mais je pourrai vous apporter une réponse écrite par la suite si vous le jugez nécessaire pour les travaux de la mission.
Je vous rejoins maintenant car en tant que conseiller départemental fraîchement réélu, je tenais absolument à participer à la rentrée des enseignants dans le collège dont je m'occupe pour leur dire de vive voix combien ils sont utiles à l'édification de nos principes républicains.
Le Sénat a mené, via notre collègue Laure Darcos notamment, une action extrêmement importante. Nous avions beaucoup travaillé avec la CPU sur l'intégrité scientifique et nous avions entendu votre souhait de ne pas aller trop loin dans la prescription aux établissements, c'est-à-dire de s'arrêter à des principes législatifs généraux, afin de permettre à chaque institution de se saisir en interne de ces nouveaux objectifs.
Il y a là désormais, pour vous, un chantier important : transformer ce qui a été voté par le Parlement en un code de bonne conduite et de procédure. La presse nationale s'est fait l'écho la semaine dernière du cas particulier d'un sociologue qui est intervenu sur un domaine qui n'est pas tout à fait le sien ; j'ai regretté que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) n'utilise pas les outils votés par le Parlement pour gérer cette affaire.
Nous avions travaillé, à la suite du rapport Corvol, sur les méconduites scientifiques, c'est-à-dire les manquements aux règles qui président à la pratique scientifique de terrain ou de laboratoire, mais très peu sur les conflits de compétences, car là n'était pas l'actualité du moment. Or, la crise pandémique a montré qu'il y avait en la matière un problème majeur. Si des mesures sur l'intégrité scientifique ont pu être incorporées aussi facilement dans la loi française, c'est en vertu d'un « effet Raoult » absolument évident, et il faudrait remettre à ce monsieur un prix de l'intégrité scientifique : il nous a beaucoup aidés !
Il faut travailler à transformer, établissement par établissement, ce qui a été voté par le Parlement en un code de règles contraignantes ; il faut surtout que vous mettiez au point des normes d'instruction pour ces affaires.
Vous avez parfaitement traduit la vision qui est celle de la CPU sur ces sujets. Il me semble que le travail avance dans le bon sens, même si nous attendons un certain nombre de décrets dont la publication sera importante pour franchir une étape supplémentaire. Ces sujets relatifs à l'intégrité scientifique font l'objet d'échanges réguliers avec le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres).
Depuis un certain temps, sur la question des plagiats par exemple, les établissements ont su trouver les réponses, y compris dans le cadre de commissions disciplinaires. Mais l'actualité a montré que l'intégrité scientifique était un sujet beaucoup plus vaste que celui du seul plagiat. Nous essayons d'avancer, par des formations et par des sensibilisations.
Le Hcéres a défini des référentiels, mais ils sont un peu vagues : il s'agit d'évaluer, par exemple, si tel ou tel partenariat étranger constitue une « plus-value » pour les écoles doctorales. Ne faudrait-il pas aller davantage dans le détail avec ces référentiels d'évaluation ? Quid, en outre, des processus d'auto-évaluation ? La CPU a-t-elle formalisé des guides d'auto-évaluation ?
J'ai oeuvré au sein du Hcéres pendant trois ans ; j'ai pu à ce titre contribuer à l'élaboration des guides d'évaluation, dont les établissements se saisissent pleinement dans le cadre de leur auto-évaluation.
La CPU a pour vocation de sensibiliser les présidents et chefs d'établissement à l'organisation de leur auto-évaluation sans pour autant trop la cadrer - il y va du respect de l'autonomie des établissements. Autrement dit, nous sommes à l'écoute des sollicitations des établissements sur le sujet, mais nous ne sommes pas prescripteurs. Faire ainsi la part des choses est essentiel.
Un mot sur la question de la communication instantanée et sur le rôle des réseaux sociaux. En la matière, nous sommes à la fois vigilants et un peu démunis : il y a là un risque qu'un certain nombre de chercheurs et d'enseignants-chercheurs ne mesurent pas.
Nous avons parlé d' « influences » étatiques ; nous n'avons pas utilisé le terme d' « ingérence ». Nos amis anglo-saxons emploient un autre terme, celui d' « interférence » : pour que les choses se passent, il faut deux acteurs. Deux grandes logiques sont à l'oeuvre : celle de l'accaparement de travaux de recherche, de la prise plus ou moins illicite d'informations ; celle de l'influence, qui vise à nourrir un certain récit national depuis des institutions universitaires.
La question se pose de la transparence des financements - en la matière, la surveillance est possible au niveau des établissements universitaires -, mais également de la transparence des travaux de recherche eux-mêmes. Dans les revues américaines, chaque auteur doit le signaler s'il a été invité dans l'université de tel ou tel pays, a fortiori s'il a bénéficié d'une bourse. Ainsi sait-on d'où le chercheur parle ; il y a un effet de déclaration, qui n'interdit d'ailleurs pas la publication. Il ne s'agit pas de censurer, mais de savoir si un travail de recherche a fait l'objet d'une influence, ce qui pourrait d'ailleurs inciter les pouvoirs publics à consacrer davantage de moyens publics à la recherche plutôt que de contraindre les chercheurs à passer des arrangements, parfois nécessaires, avec d'autres pays.
Une telle mesure, sans être attentatoire aux libertés académiques d'investigation, permettrait de relativiser la production.
Concernant l'influence, il faut faire la part des choses entre ce qui relève du soft power et ce qui relève du délit, des cyberattaques ou de l'espionnage scientifique dans les laboratoires, comme on l'a vu avec des doctorants chinois voilà quelques années. La mission d'influence, elle, passe davantage par la sensibilisation, par l'adhésion, par le financement.
Nous avons l'habitude, dans nos travaux de recherche, de mentionner les partenariats économiques, mais peut-être un peu moins, c'est vrai, les partenariats internationaux financés. C'est pourquoi nous attendons la parution du décret concernant les déclarations d'intérêts scientifiques. Il n'existe pas d'opposition de la part des chercheurs sur ce sujet, mais la sensibilisation est insuffisante.
Quels sont les secteurs qui vous paraissent les plus sensibles et les plus touchés ? La recherche fondamentale, la recherche technologique, les sciences humaines et sociales ? Tout ce qui est lié au militaire et au stratégique est très surveillé, mais certains sujets sont indissolublement économiques et stratégiques, comme on le voit dans le domaine de la santé.
Il est difficile de répondre à cette question. Notre sentiment est que le problème se pose davantage à l'échelle d'un ensemble d'établissements ou d'un établissement particulier qu'à celle d'un secteur scientifique. Sur un territoire donné, certaines thématiques, l'aéronautique à Toulouse, l'électronique et la microélectronique à Grenoble, doivent faire l'objet d'une attention particulière ; c'est moins le champ disciplinaire qui compte que l'établissement.
Vous dites que c'est l'écosystème qui lie des entreprises, des collectivités et des universités qui est en cause : l'établissement universitaire serait pris dans un espace qui constituerait un domaine d'intérêt spécifique pour un pays donné.
Vous avez parfaitement résumé ma pensée : le point de fragilité des établissements est bien là.
Cette stratégie d'influence de la part d'États extra-européens peut être très diversifiée. L'adhésion à une idéologie politique et le partage d'intérêts géostratégiques, par exemple, posent des problèmes très différents.
Pour finir, je note, comme vous, madame la sénatrice Goulet, l'absence de réseau européen réunissant les hauts fonctionnaires de défense et de sécurité.
Nous vous remercions de votre participation.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Nous avons le plaisir d'accueillir les représentants des cinq établissements d'enseignement supérieur qui coopèrent avec des instituts Confucius : pour l'université d'Orléans, M. Luigi Agrofoglio, vice-président chargé des relations internationales, et M. Guillaume Giroir, directeur de l'institut Confucius ; pour l'université de La Réunion, Mme Anne-Françoise Zattara-Gros, vice-présidente chargée des relations internationales, ainsi que, en visioconférence, M. Karl Tombre, vice-président de l'université de Lorraine chargé de la stratégie européenne et internationale, M. Pasquale Mammone, président de l'université d'Artois, et Mme Delphine Manceau, directrice générale de l'école de commerce Neoma de Reims.
Sur le même thème, M. le rapporteur entendra demain le président de l'université de Bretagne-Occidentale et, la semaine prochaine, le vice-président du conseil d'administration de l'université de Polynésie française.
C'est un plaisir de vous recevoir, et je tiens à souligner l'investissement des établissements d'enseignement supérieur dans les travaux de notre mission d'information.
Vos établissements ont tissé un partenariat avec un institut Confucius, signe d'ouverture internationale, marqueur de notre tradition académique. Toutefois, vous savez sans doute que les instituts Confucius ont récemment suscité des controverses. Sont mises en cause leurs relations avec le gouvernement chinois et leur possible influence sur le monde académique. En 2020, les États-Unis d'Amérique ont décidé de restreindre l'implantation de ces instituts en les classant comme des missions diplomatiques. La même année, la Suède a fermé l'ensemble de ses instituts Confucius. En France, on note une fermeture à Lyon et une suspension de partenariat à Nanterre après des accusations d'interférence.
Il nous paraissait donc indispensable, dans le cadre de cette mission, de recueillir l'expérience des établissements ayant noué ce partenariat. Il ne s'agit évidemment pas de remettre en cause l'ouverture internationale des établissements d'enseignement supérieur, qui est indispensable au rayonnement de la recherche française, mais d'assurer la meilleure articulation possible entre cette ouverture et la défense des libertés académiques.
À ce titre, toutes vos recommandations nous seront d'une aide précieuse.
L'université d'Orléans a été l'une des trois dernières à ouvrir un institut Confucius, en 2019. Nous avons donc peu d'expérience, puisque la crise du covid est arrivée juste après.
L'université d'Orléans collabore avec diverses universités à travers le monde, et avec la Chine depuis plus de trente ans, en géosciences, dans le cadre de laboratoires dont certains sont labellisés zones à régime restrictif (ZRR). La formation en langue chinoise a d'abord été lancée sur le campus de Châteauroux ; il nous a semblé intéressant de la rapatrier sur le campus d'Orléans, où nous avons ouvert, dans le cadre de la composante LLSH - lettres, langues et sciences humaines -, un enseignement du chinois, deux jeunes maîtres de conférences étant titularisés.
Le climat était favorable, la région Centre-Val de Loire développant une relation de partenariat économique avec la province du Hunan. Quant à la métropole d'Orléans, elle partageait cette volonté de rapprochement avec la Chine. Nous avons ainsi poussé plus avant un projet qui était dans les tiroirs depuis un certain nombre d'années et créé cet institut Confucius avec la Central South University.
Cette expérience est très récente, comme je l'ai dit, et nous n'avons noté aucune interférence. Il nous semblait important de commencer par maîtriser l'enseignement du chinois via une approche très académique avant d'ouvrir ce partenariat à d'autres orientations et à d'autres étudiants qui ne seraient pas inscrits dans la composante langues étrangères appliquées (LEA) anglais-chinois. Très récemment, et en conformité avec le règlement général sur la protection des données (RGPD), nous avons ouvert des cours pour le test HSK (Hanyu Shuiping Kaoshi).
Nous sentons bien que le climat a changé et n'ignorons rien de tout ce qui est dit sur ces instituts Confucius. Nous avons à coeur de bien dissocier la sphère académique proprement dite de l'institut Confucius : les collègues chinois qui nous sont envoyés par l'université partenaire ne sont pas membres de l'université d'Orléans, donc n'ont pas accès à toutes les facilités informatiques associées à ce statut.
Quel est le profil de ceux qui suivent les enseignements ? Sont-ce des étudiants de l'université ou d'ailleurs, des professionnels, des retraités ?
Nous avons eu beaucoup de retraités issus de l'université du temps libre et pour l'instant, peu d'étudiants de l'université. Nous devons faire connaître l'institut Confucius ; certains voient la Chine comme un partenaire important en sciences et trouveraient un intérêt à le rejoindre.
La première année, les enseignements étaient ouverts à tous, donc il y a même eu des élèves mineurs. La deuxième année, nous les avons fermés à ces derniers, qui n'entrent pas dans notre périmètre. Pour l'instant, la majorité des étudiants sont extérieurs à l'université d'Orléans et 20 à 30 % en sont issus.
Y a-t-il un institut d'études chinoises au sein de l'université d'Orléans ? L'ancien président de l'université Paris 8 Nanterre a évoqué la complexité de la coexistence entre l'établissement d'études chinoises de l'université et l'institut Confucius.
Non, nous n'avons pas d'institut d'études chinoises. En revanche, nous offrons un cursus de langue chinoise au sein du département de lettres et sciences humaines (LSH), à Châteauroux depuis plus de dix ans et à Orléans depuis trois ou quatre ans.
La faculté de lettres compte un département de japonais, mais pas de chinois. Les deux maîtres de conférence de chinois relèvent du département de LEA, tant à Orléans qu'à Châteauroux.
L'institut Confucius a accueilli 78 étudiants, dont 32 mineurs en 2019-2020, avec une forte demande de familles franco-chinoises désireuses de voir leurs enfants se réapproprier la langue chinoise. Il nous est ensuite apparu souhaitable de ne plus donner de cours aux mineurs. En 2020-2021, nous sommes passés à 49 étudiants, mais nous avons dénombré 66 inscriptions puisque certains étudiants se sont inscrits à plusieurs cours.
Nous sommes pionniers dans l'application du RGPD, qui nous a été fortement recommandée par le service juridique de l'université d'Orléans. Nous avons rédigé un avenant à la convention de création de notre institut, sur lequel j'essaie de sensibiliser les autres instituts Confucius. En effet, certains d'entre eux réalisent des tests de chinois à domicile, en totale non-conformité. Nous allons durcir notre procédure pour l'appliquer de manière intégrale.
Notre public est composé de retraités et de passionnés de la Chine - nous offrons des cours de calligraphie et de peinture -, mais aussi d'étudiants. Nous allons nous ouvrir à la formation professionnelle financée, via le service de la formation continue de l'université d'Orléans (Sefco). Nous avions déjà fait une tentative en ce sens il y a un an, mais elle n'a pas abouti pour des raisons tant sanitaires que diplomatiques, le contexte étant très pesant. Nous allons aussi proposer des formations internes destinées au personnel de l'université, à titre gratuit.
Étant géographe spécialiste de la Chine, je propose une vingtaine d'heures de cours sur le développement durable en Chine, de façon totalement libre, sans aucune pression de la partie chinoise. En revanche, on ne peut pas méconnaître l'autocensure. Si je voulais parler du Tibet au sein de l'institut Confucius, cela risquerait de poser des problèmes. Je ne peux pas dire qu'il y ait des ingérences manifestes, mais il y a des soupçons d'ingérences. Qu'ils soient fondés ou non, ils nous posent problème, notamment au niveau du conseil d'administration. Ces soupçons ont des répercussions délétères sur le statut administratif de l'institut, qui est un objet administratif mal identifié, soumis à des lourdeurs.
Ma recommandation serait d'ajouter aux conventions un avenant rappelant le respect obligatoire des libertés universitaires, conformément au processus de Bologne. Cela me paraît une condition de notre fonctionnement dans une société démocratique.
Il serait également souhaitable d'avoir une politique universitaire tournée vers l'Asie, comme à La Rochelle, avec un département d'études asiatiques pluraliste.
Actuellement coexistent des instituts Confucius associatifs largement financés par la Chine, qui sont majoritaires, et des instituts Confucius universitaires, qui sont minoritaires. Il pourrait être souhaitable de tout harmoniser et de tout faire entrer dans le cadre universitaire que je rappelais il y a quelques instants.
Quels sont les coûts pour l'université, qu'ils soient immobiliers ou de gestion ? À l'université Paris 8 Nanterre, l'institut Confucius prenait beaucoup d'espace, ce qui est coûteux.
Notre problème est inverse. La convention prévoit un cofinancement à parts égales entre la partie française et la partie chinoise. L'université met à la disposition de l'institut une secrétaire et un bâtiment. La partie chinoise donne une somme équivalente, réservée à des projets. Or, pour des raisons sanitaires et diplomatiques, nous ne parvenons pas à la dépenser. Nous conservons des reliquats que les règles de comptabilité publique imposent de ne pas garder trop longtemps.
Par ailleurs, en tant que professeur d'université, j'ai une décharge de 30 %, or je consacre 80 % de mon travail à l'institut Confucius. Le statut des directeurs français d'instituts Confucius pose problème.
Sa position, dans le bassin sud-ouest de l'Océan Indien, place l'université de La Réunion à part dans le paysage de la recherche et de l'enseignement supérieur français. Notre population, très métissée, compte une communauté chinoise, notamment venue de Canton, ce qui a conduit au développement naturel de liens avec la Chine. Notre université a noué une dizaine de partenariats avec des universités chinoises dont l'Université normale de Chine du Sud, avec laquelle nous avons créé l'institut Confucius en 2010. J'en ai pris l'administration provisoire il y a un an. En tant que vice-présidente en charge des relations internationales, j'en avais une vision macro et je voulais savoir ce qui se passait à l'intérieur, car certaines procédures n'étaient peut-être pas mises en place et certains process devaient sans doute être améliorés.
Cet institut fonctionne bien. Nous n'avons jamais noté de problème particulier. Nous essayons de collaborer avec d'autres services de l'État pour connaître le profil des personnes mises à disposition par la Chine pour rejoindre l'université. Le contrôle est effectué en amont de la mise à disposition et pendant celle-ci. Nous avons essayé de limiter le recrutement par cette voie et de négocier avec le Hanban l'embauche de personnel local. En effet, à côté de l'offre de l'institut Confucius, nous proposons des diplômes d'État, dont une licence de LEA anglais-mandarin, et nous ne voulions pas d'un turnover constant des enseignants. L'an dernier, pour la première année de la licence, nous avons réalisé un recrutement parfaitement local. Les Chinois ont sans doute été surpris. Cette année, nous avons constaté que nous recevions des candidatures de personnes qui ne sont pas chinoises, mais pas non plus issues de La Réunion. Clairement, du côté de l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), des liens existent, avec des relations historiques et sans doute des ponts.
L'institut Confucius est un objet bien identifié au sein de l'université. Lors de sa création, nous avons souhaité qu'il soit un vrai département afin que l'ensemble des règles qui régissent l'université puissent s'y appliquer pleinement, de façon à encadrer le mieux possible toutes ses activités, y compris celles qui sont proposées par des partenaires telles que la Fédération des associations chinoises de La Réunion.
Les statuts de l'institut ont été négociés avec la Chine. Son conseil d'administration a été pensé pour être totalement contrôlé par l'université ou par d'autres personnes extérieures, mais de La Réunion. Le directeur général est obligatoirement un enseignant-chercheur de l'université de La Réunion. Auparavant, il y avait un exécutif à deux têtes avec un directeur chinois chargé de la pédagogie et un directeur français chargé des activités culturelles. Très vite, il y a eu des frictions et nous avons décidé de mettre en place une direction générale totalement assurée par un Français de l'université de la Réunion. Nous avons décidé de profiler ce poste.
Le conseil directorial est plutôt ouvert avec des membres de l'université de La Réunion, de l'institut Confucius - dont des membres de l'Université normale de Chine du Sud - ainsi que des personnalités extérieures de La Réunion et des invités permanents, dont le directeur général des services pour disposer d'une vision plus administrative.
Nous dénombrons aujourd'hui 900 apprenants, dont 300 de plus depuis 2016. Nous accueillons des étudiants extérieurs, dont des retraités et des chefs d'entreprise qui commercent avec la Chine, mais aussi nos étudiants de certaines filières, le chinois étant proposé comme langue vivante par l'académie de La Réunion. C'est le cas des étudiants de l'institut universitaire de technologie (IUT), de l'institut d'administration des entreprises (IAE) et de l'école supérieure d'ingénieurs de La Réunion Océan Indien (Esiroi). Tout cumulé, cela représente un bassin de 250 étudiants formés au chinois.
Tout à fait. Nous fonctionnons en lien étroit avec la Fédération des associations chinoises.
Nous travaillons également avec le Consul général de Chine à La Réunion. Nos relations ont toujours été excellentes. Toutefois, depuis la crise de la covid, nous n'avons pas pu rencontrer le nouveau consul général, et nous sentons que les liens sont plus distants.
Nous avons également d'excellentes relations avec le Hanban. Les instituts Confucius seront gérés, après la réforme, par une nouvelle fondation. Nous aurons désormais deux référents : le CLEC - The Center For Language Education And Cooperation -, ou l'ancien Hanban, et la CIEF - The Chinese International Education Foundation -, qui labellise les instituts Confucius. Les moyens seront sans doute plus importants, puisque cette fondation est constituée de partenaires institutionnels privés et publics.
Le Hanban continue également à apporter un financement.
Pour notre université, il s'agit de continuer à diversifier ses partenariats dans la zone de l'océan Indien. Nous sommes situés en dessous des nouvelles routes de la soie. C'est un bassin qui intéresse fortement les Chinois, pour des raisons non seulement économiques, mais aussi géostratégiques et militaires.
Les partenariats recherchés initialement concernaient les sciences « dures ». Aujourd'hui, ils relèvent des sciences humaines ou sociales, afin d'atteindre les objectifs de la cinquième route de la soie. On observe une volonté d'aboutir à des accords en géographie, anthropologie, droit, économie ou littérature, pour mieux comprendre les peuples avec lesquels des liens pourraient être noués. Le virage a été pris voilà trois ou quatre ans.
Les relations de l'université d'Artois avec la Chine sont assez anciennes, puisque la première convention-cadre avec l'université de Nankin remonte à 1998, pour des activités de recherche, essentiellement sur des questions de transculturalité. Ce lien s'est renforcé en 2008, au moment de la création de l'institut Confucius, axé sur des missions d'enseignement du chinois, ainsi que sur une certification en langue chinoise. Nous avons également, à l'université, un département de chinois. L'Institut Confucius propose aux étudiants de ce département des séances de soutien pédagogique.
Il y a aussi nombre d'activités culturelles, comme l'enseignement des arts martiaux, l'organisation de conférences et des ateliers de calligraphie. L'institut Confucius a été sollicité pour accompagner un certain nombre de projets. Ainsi, la région Hauts-de-France a signé un partenariat avec la région du Xinjiang, au sud de Shanghai, et l'institut a créé, dans ce cadre, des diplômes universitaires s'adressant essentiellement aux chefs d'entreprise envisageant des relations commerciales avec la Chine.
L'institut Confucius participe également à un certain nombre d'activités culturelles avec le musée du Louvre-Lens. Il est d'ailleurs prévu d'implanter, en 2023, un jardin chinois au sein du musée.
Pour ma part, je ne perçois pas de pressions en provenance de Chine. L'institut bénéficie d'un double pilotage : un enseignant-chercheur de l'université est assisté d'un directeur adjoint nommé par Nankin. Mais le moteur, en termes de propositions et d'activités, est l'enseignant-chercheur de l'université.
Tous les projets proposés par l'université sont évalués par Nankin, qui les apprécie avant d'accorder son financement.
NEOMA est une école de management membre de la Conférence des grandes écoles. Elle est implantée dans trois villes : Reims, Rouen et Paris. Elle est née de la fusion, en 2013, des écoles de commerce de Rouen et de Reims. C'est une école d'enseignement supérieur consulaire, à but non lucratif, qui dépend de la chambre de commerce de la Marne et de celle de la métropole Rouen Normandie. Nous regroupons 9 000 étudiants, 185 enseignants-chercheurs et 500 collaborateurs administratifs.
Notre institut Confucius a été créé en 2014 à Rouen. Il s'agit d'un institut Confucius for business, une partie de notre activité consistant à simuler des relations économiques et à accompagner les entreprises chinoises qui voudraient s'implanter en France et les entreprises françaises qui souhaiteraient s'implanter en Chine. Nous travaillons avec l'université de Nankin, sur la base d'une convention de projets.
Nos activités s'articulent autour de trois sujets. Tout d'abord, nous organisons des cours de chinois pour les étudiants de NEOMA et un public externe, ainsi que des séjours linguistiques en Chine. Nous avons publié l'année dernière un manuel de chinois des affaires en français.
Ensuite, d'un point de vue culturel, nous célébrons des événements comme le Nouvel An chinois ou des fêtes traditionnelles chinoises. Nous organisons également des conférences sur des thématiques annuelles.
Enfin, s'agissant des relations économiques, nous organisons des séminaires et des tables rondes, dont les sujets peuvent être, par exemple, les nouvelles routes de la soie ou le développement des entreprises françaises en Chine. Nous avons également organisé des formations interculturelles pour les entreprises françaises souhaitant s'implanter en Chine. La perception de l'activité des instituts Confucius a beaucoup évolué depuis quelques années. Toutefois, nous avons toujours été encouragés dans notre activité, qui permet de favoriser la coopération entre les deux pays.
Notre institut Confucius se positionne essentiellement dans le champ de l'animation culturelle et de la formation linguistique auprès du grand public. Il est situé au sein d'une bibliothèque universitaire.
Sans naïveté aucune - je précise que je m'occupe de stratégie européenne et internationale et que j'ai présidé un institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA) travaillant sur des questions de cybersécurité, de protection du patrimoine et d'éventuelles influences étatiques -, nous continuons d'être vigilants, en particulier dans le domaine de la recherche. Ainsi, dans le cadre des instituts franco-chinois, autre construction dont l'implantation est plutôt chinoise, les thématiques sont, à mon sens, plus « punchy » que ce qui est expérimenté pour les instituts Confucius.
Pour autant, pour ce qui concerne les instituts Confucius, on sent bien une volonté chinoise de recadrage national. De par leur positionnement sur la culture et la formation linguistique, ces instituts n'interfèrent pas avec les formations universitaires.
Lors du conseil d'administration annuel, qui se déroule alternativement en Chine et en France, on a bien senti une volonté d'extension. Nous sommes une université multi-sites, et nous fonctionnons selon le principe du coût consolidé.
Nous sentons également l'intérêt de la Chine à ce que l'université soit plus ouverte sur le monde économique. Il nous est reproché, à la chinoise, c'est-à-dire de manière très courtoise, de ne pas offrir davantage de formations linguistiques aux Chinois, dans les entreprises travaillant avec la Chine. Leur remarque est tout à fait justifiée. Toutefois, nous souhaitons agir en nous fondant sur nos propres observations, sans avoir à répondre à une demande offensive, dictée par je ne sais trop quelles arrière-pensées.
Sans avoir le sentiment d'être naïfs, il nous semble que, pour border les politiques d'influence, les instituts Confucius ne constituent pas un sujet de profonde inquiétude. D'autres aspects nous paraissent plus préoccupants.
Comme l'a souligné ma collègue de La Réunion, la question de l'influence de la Chine se pose peut-être davantage dans le cadre des routes de la soie.
Par ailleurs, l'importance politique des instituts Confucius se ressent dans notre région au regard du nombre de déplacements qu'effectue le consul général de Chine pour assister à des événements culturels auxquels ni le président de l'université, ni le président de la métropole, ni même le maire de la commune n'ont cru nécessaire de participer...
L'évolution du pilotage de l'université du Hanban vers une fondation à la fois publique et privée me semble particulièrement intéressante. Nous avons le sentiment que la dimension économique revêt une importance très forte dans la stratégie des instituts Confucius, sans doute au regard du développement des routes de la soie.
Les autorités chinoises semblent s'intéresser particulièrement au tissu français des écoles de commerce et de management. À Brest, par exemple, l'institut Confucius s'est installé dans une école de commerce. Comme l'a souligné M. Tombre, au-delà des polémiques relayées dans les médias, nous n'avons pas le sentiment que les instituts Confucius soient le lieu central des interférences de la République populaire de Chine. Le nombre de créations d'instituts marque d'ailleurs le pas par rapport à ces dernières années.
À cet égard, une chercheuse américaine soulignait récemment que la fermeture massive des instituts Confucius aux États-Unis entraînait un déficit de l'enseignement du mandarin que l'offre universitaire ne compensait pas.
La présence de ces instituts en France semble aujourd'hui s'inscrire dans un dispositif de soft power beaucoup plus large, qui s'intéresse aux développements industriels spécifiques d'une région ou d'un territoire, parfois en lien avec les élus locaux. Je pense au rôle qu'ont pu jouer les pouvoirs politiques ou les collectivités territoriales dans les décisions d'implantation des instituts.
Dès la création de l'institut Confucius à Orléans, la question de notre positionnement au regard des classements internationaux s'est posée. Nous sommes une université de taille moyenne, très dispersée, notamment entre Montargis, où Deng Xiaoping s'était rendu au siècle dernier, et Châteauroux - la métropole avait la volonté d'y implanter un institut dans le cadre du rachat de l'ancienne base de l'OTAN. Finalement, nous avons opté pour le campus principal de l'université d'Orléans. Nous avons pu profiter d'un accompagnement de la région, qui avait mis en place une zone de coopération décentralisée avec la province du Hunan.
C'est bien l'université d'Orléans qui pilote l'ensemble du dispositif. Les fonds alloués aux instituts rattachés aux universités font l'objet d'une gestion publique très stricte, ce qui permet de bien cadrer les choses. Ces dernières années, nous avons des demandes récurrentes, venues d'autres partenaires chinois, pour créer des écoles de commerce. Nous ressentons une réelle volonté de développer cette thématique.
Je ne perçois pas une volonté plus marquée de développer la dimension commerce et business. Au-delà des instituts Confucius, l'ensemble des écoles de commerce de la Conférence des grandes écoles a noué des partenariats académiques avec des universités chinoises ; plusieurs ont également des campus en Chine. Ces instituts ne sont donc qu'un élément parmi d'autres visant à encourager les relations économiques.
La région Normandie et la métropole ont été associées au projet dès le début, même si l'initiative revient bien à l'école, et continuent de jouer un rôle clef dans les décisions que nous prenons.
Un mot sur la question de l'intervention des pouvoirs publics et des collectivités locales. C'est le consul général de Chine à La Réunion qui, en lien avec les associations chinoises, avait souhaité qu'un tel institut y soit implanté. Le grand débat était de savoir si une association serait constituée ou si l'institut pourrait être abrité au sein de l'université de La Réunion. C'est ce second choix qui a été fait, ce qui permettait aux pouvoirs publics d'encadrer le développement de l'institut.
Il existe une autre construction dont on parle moins, à savoir les instituts de la nouvelle route de la soie, qui devraient prendre leur essor dans les prochaines années. Nous avons été approchés voilà deux ou trois ans, lorsque la question de l'implantation d'un tel institut dans le bassin sud-ouest de l'océan Indien s'est posée. Le vice-consul général de l'époque, qui aujourd'hui a rejoint le ministère des affaires étrangères chinois, a été très proactif en la matière. Contactés pour abriter ce nouvel institut aux côtés de l'institut Confucius, nous avons étudié très sérieusement la question, sachant que les collectivités locales y étaient extrêmement favorables.
En définitive, cela ne s'est pas fait. La crise du covid a permis de différer les discussions, qui furent très vives, et dont je ne suis pas certaine qu'elles soient fermées aujourd'hui. La force de frappe de ce genre d'instituts, dont la vocation est clairement économique, sera beaucoup plus importante que celle des instituts Confucius. Ce qui m'inquiétait, outre l'origine des fonds, c'était l'évolution du positionnement de l'université qu'engendrerait une éventuelle dépendance financière : par rapport à l'institut Confucius, nous serions passés sur une autre planète du point de vue du montant des dotations allouées.
Les instituts de la nouvelle route de la soie sont en effet un point d'attention stratégique beaucoup plus important que ne le sont les instituts Confucius.
L'institut Confucius de l'université de Lorraine a une dizaine d'années ; ses fondements ont été posés juste avant la fusion par l'ancienne université de Metz ; il se trouve que, professeur à Nancy, j'enseignais dans une autre université. Je ne connais pas les détails, mais je sais qu'une collaboration existait déjà, aussi bien à Nancy qu'à Metz, avec une ville chinoise de province que personne ne connaissait à l'époque, Wuhan. Il y avait donc une certaine cohérence à ce que l'institut Confucius soit créé en partenariat avec l'université technologique de Wuhan : cette initiative entrait dans la stratégie globale des universités lorraines, puis de l'université de Lorraine, en direction de la Chine.
La ville de Metz a été à nos côtés depuis le début, mais c'est vraiment une volonté commune de l'université de Metz de l'époque et de la collectivité qui a permis l'implantation de cet institut Confucius à Metz.
Un petit complément sur les aspects locaux.
L'ancienne mairie d'Orléans a organisé pendant huit ans le Nouvel An chinois, qui attirait pas mal de monde. La nouvelle municipalité a supprimé l'événement, ce qui montre que les relations avec la Chine au niveau local sont très différentes selon le contexte politique. L'institut Confucius est mal préparé à ce nouveau contexte municipal, mais aussi régional, et pâtit de la réactivation des partenariats avec des pays européens au détriment des relations avec la Chine.
Merci pour toutes les informations que vous nous avez apportées. Quand on parle d'influence étrangère, on pense naturellement beaucoup aux instituts Confucius. Or, ce qui ressort des travaux que nous menons, c'est que les vecteurs d'influence de la Chine sont beaucoup plus nombreux que les seuls instituts Confucius. Cette table ronde était l'occasion pour nous de bien comprendre le sens de ces instituts et d'appréhender la variété des situations d'un territoire à l'autre.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 25.