La révision du cadre des lois de finances et des lois de programmation des finances publiques (LPFP) a été proposée par l'Assemblée nationale à partir des travaux menés en 2019 par une mission d'information - la mission d'information relative à la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (Milolf) -, dont le président était Éric Woerth et le rapporteur Laurent Saint-Martin.
La crise sanitaire et économique a conduit à différer d'une année la présentation de ces textes par rapport à l'intention des auteurs. Ainsi, ils n'ont été adoptés que le 19 juillet dernier en première lecture. Ils ne trouveraient à s'appliquer que pour le projet de loi de finances (PLF) pour 2023, soit au début du prochain quinquennat ; mais le Gouvernement a souhaité les inscrire dès ce mois de septembre à l'ordre du jour du Sénat. Il nous reviendra d'ailleurs peut-être d'analyser, à cet égard, les intentions du Gouvernement : le vote de ces textes présentait-il réellement un caractère d'urgence ?
La proposition de loi organique (PPLO) contient trois titres relatifs, respectivement, à la programmation des finances publiques, aux lois de finances et, enfin, à l'information du Parlement ainsi qu'au contrôle sur les finances publiques.
Actuellement, les règles applicables en matière de programmation des finances publiques sont prévues par la loi organique du 17 décembre 2012 adoptée, notamment, pour permettre à la France de transposer les dispositions du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire (TSCG).
L'article 1er a d'abord pour objet d'insérer les dispositions de la loi organique du 17 décembre 2012 au sein de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), alors même qu'elles concernent des lois de programmation qui portent sur l'ensemble des finances publiques. À notre sens, cette insertion n'était pas indispensable, mais elle ne pose pas non plus de difficulté.
Avant de présenter les autres modifications proposées via cet article 1er, je rappelle que les orientations pluriannuelles des finances publiques sont purement programmatiques et que, sans révision de la Constitution, elles ne peuvent pas s'imposer au législateur financier. Gardons toujours cette idée à l'esprit.
En premier lieu, l'article 1er institue, au sein du domaine obligatoire des lois de programmation, un objectif d'évolution de la dépense des administrations publiques (ODAP), décliné par sous-secteurs. Cela n'est pas nouveau en soi, puisque les LPFP peuvent déjà comporter un objectif de ce type, mais ce n'était pas obligatoire.
S'y ajoute une plus grande nouveauté : la présentation d'un « compteur des écarts » entre cet objectif de dépenses et la réalisation, qui figurerait dans le rapport économique, social et financier (RESF) annexé au PLF, comme le précise l'article 9 bis de la proposition de loi. Ce compteur permettrait de comparer les différences en euros courants entre l'ODAP et le niveau des dépenses exécutées ou prévues au titre du PLF. Dans la mesure où la Constitution ne permet pas de donner un caractère contraignant aux trajectoires de soldes ou de dépenses fixées en LPFP, il s'agit surtout de renforcer l'information du Parlement. J'ajoute, à titre personnel, que c'est aussi le moyen d'exercer une certaine pression sur les assemblées, notamment en présentant à la presse quelques éléments d'information en milliards d'euros.
En deuxième lieu, l'article 1er propose que le Gouvernement remette au Parlement le rapport sur l'orientation des finances publiques non plus à la fin de la session ordinaire, comme actuellement, mais au plus tard le 30 avril. L'objectif est de fusionner le débat sur le programme de stabilité et le débat sur le rapport d'orientation des finances publiques, dont notre commission a souvent relevé les redondances.
En troisième lieu, il est proposé de compléter le contenu des articles liminaires des différentes lois de finances.
En résumé, la réforme de la programmation des finances publiques tient en trois éléments : rendre obligatoire la définition d'un objectif de dépenses, rapprocher le débat sur le programme de stabilité et le débat sur l'orientation des finances publiques et ajouter des éléments aux articles liminaires.
En tant que co-rapporteurs, nous avons veillé à adopter une attitude constructive par rapport à ces propositions, ne serait-ce qu'au nom du consensus dont la LOLF avait bénéficié, à l'origine, au sein des assemblées. Cependant, avant de vous préciser ce que nous souhaitons améliorer et ajouter, il me semble nécessaire de donner notre sentiment sur l'opportunité même de la démarche engagée.
En réalité, cette révision du cadre de la programmation pluriannuelle nous semble à contretemps : elle arrive à la fois trop tard et trop tôt. Elle arrive trop tard puisque, depuis maintenant quelques années, nous avons identifié des lacunes dans la pratique de la programmation pluriannuelle dans notre pays. En témoigne notamment le fait que le Gouvernement n'a, jusqu'ici, ressenti aucune difficulté à laisser en vigueur une loi de programmation reposant sur des hypothèses totalement dépassées - c'était déjà vrai avant la crise sanitaire... - et décrivant des objectifs déjà abandonnés à leur sort.
Elle arrive trop tôt puisque, à la suite de la crise sanitaire, nous sommes au coeur d'une réflexion à l'échelle européenne sur la réforme du pacte de stabilité, qui pourrait aboutir au cours de l'année 2022. Sans doute aurait-il été plus utile d'adopter, une loi de programmation reposant sur des hypothèses et des objectifs actualisés et d'attendre les conclusions de cette réflexion européenne pour réformer, en profondeur s'il le faut, le cadre organique relatif à la programmation des finances publiques.
Ces précautions étant apportées, voici les pistes d'amélioration que nous avons identifiées. Certaines sont traduites dans un amendement que nous vous soumettons dès ce matin. D'autres le seront probablement dans d'autres amendements, qui seront présentés en séance ; elles doivent encore être affinées et travaillées.
Premièrement, nous estimons que la définition de l'ODAP doit s'accompagner de l'identification des « dépenses d'avenir », que notre commission, comme le comité Arthuis, appelle de ses voeux. À cette fin, nous vous proposons un amendement en vertu duquel le montant et la croissance des dépenses « durablement favorables à la croissance économique, au progrès social et environnemental » sont indiqués en LPFP et détaillés dans le rapport annexé.
Deuxièmement, la visibilité en matière de dépenses doit s'accompagner d'une même visibilité du côté des recettes. Nous proposons donc d'instituer un objectif d'évolution des recettes des administrations publiques (ORAP).
Troisièmement, la transmission du rapport sur l'orientation des finances publiques prévue « au plus tard le 30 avril » n'est pas compatible avec l'organisation en temps utile d'un débat portant sur le rapport et sur le programme de stabilité, à moins que l'on ne demande au Parlement de débattre d'un document qui aura déjà été envoyé à la Commission européenne. En effet, le 30 avril constitue une date butoir pour la transmission du programme de stabilité. En conséquence, nous vous proposons un amendement tendant à ce que le rapport sur l'orientation des finances publiques soit transmis au Parlement, comme le programme de stabilité, au moins quinze jours avant que ce document ne soit remis à la Commission européenne, soit au plus tard le 15 avril.
Au-delà, il nous apparaît que l'article 1er pourrait être complété sur deux points.
Tout d'abord, rien n'est proposé pour éviter, à l'avenir, de laisser en vigueur des lois de programmation manifestement dépassées - c'est un grand sport national. Nous regardons actuellement les solutions techniques qui pourraient y remédier, comme la transformation des lois de règlement en « lois de règlement et de révision des orientations pluriannuelles des finances publiques ». Chaque année, on constaterait les résultats et modifierait la loi de programmation en conséquence, dans la logique d'un chaînage vertueux entre exécution et programmation.
Ensuite, la clarté de la discussion et de la présentation des lois de programmation pour ce qui concerne chacune des administrations publiques, notamment les administrations publiques locales, devrait être renforcée. Nous devrions également vous proposer une initiative en ce sens.