Effectivement, ces textes sont d'apparence technique, mais ils ont une grande importance sur notre rôle dans le vote du budget de la sécurité sociale. Aussi, je vous demanderai d'y être très attentifs.
Il s'agit de deux textes de notre collègue député Thomas Mesnier, l'un organique et l'autre « ordinaire », ayant pour objet de réformer les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS).
Vous le savez, nous avons nous-mêmes conduit une réflexion sur le cadre organique des LFSS lors de travaux lancés sur l'initiative de Jean-Noël Cardoux, alors président de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss), et dont je vous avais présenté les conclusions en juillet 2020. J'ai d'ailleurs, sur cette base, déposé une proposition de loi organique (PPLO) en mars dernier, qui a été cosignée par Catherine Deroche, présidente de notre commission, Alain Milon, René-Paul Savary, président de la Mecss, et l'ensemble des rapporteurs de branche du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Je tiens donc tout d'abord à me féliciter de ce que l'initiative parallèle de Thomas Mesnier, rapporteur général de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, nous offre l'occasion de faire évoluer en droit le cadre organique des LFSS à l'occasion de la navette. En effet, même si le calendrier n'est pas bouclé, l'idée est bien de faire aboutir ce texte avant la fin de l'actuelle législature. Il s'agit donc d'une occasion à saisir, car ce genre d'opportunité ne se rencontre que rarement : ainsi, depuis la création des LFSS en 1996, une seule réforme d'envergure a été menée, en 2005 - voilà donc déjà 16 ans.
Venons-en au fond en examinant le contenu des propositions de loi transmises par l'Assemblée nationale.
S'agissant de la proposition de loi organique, qui contient de loin les dispositions les plus substantielles, son article 1er procède à une réécriture complète de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale, qui définit les périmètres (obligatoire, exclusif et facultatif) des LFSS. Ce faisant, il reprend bien sûr une grande partie du droit existant, que vous connaissez et dont je vous ferai grâce pour me concentrer sur les principales innovations du texte, étant entendu que vous pourrez vous reporter au rapport écrit afin d'avoir l'ensemble des détails.
En premier lieu, il est proposé de créer une nouvelle catégorie de LFSS : les lois d'approbation des comptes de la sécurité sociale (LACSS), qui seraient discutées au printemps, temps fort de l'évaluation parlementaire, sur le modèle des lois de règlement du budget de l'État. Les LACSS remplaceraient ainsi l'actuelle première partie de la LFSS de l'année, dont il faut reconnaître qu'elle est souvent traitée à la va-vite, personne n'ayant envie, en octobre et en novembre, de regarder dans le rétroviseur, alors que tout le monde a l'esprit tourné vers les mesures que propose le Gouvernement pour l'année à venir. La proposition de loi sénatoriale, déposée avant celle de l'Assemblée nationale, contenait d'ailleurs déjà la même mesure.
En deuxième lieu, un article liminaire figurerait désormais en tête des PLFSS de l'année. Selon la formulation retenue par les députés, cet article présenterait, pour le dernier exercice clos, pour l'exercice en cours et pour l'année à venir, l'état des prévisions de dépenses, de recettes et de solde des « administrations de sécurité sociale » (ASSO). Je vous rappelle que ce dernier terme est bien plus large que le périmètre des LFSS et englobe l'assurance chômage, les régimes complémentaires de retraite, la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), le Fonds de réserve pour les retraites (FRR), les hôpitaux, etc. Il s'agit d'un sous-secteur des administrations publiques au sens de la comptabilité européenne, et c'est sur ce périmètre que sont fixés les prévisions et objectifs des lois de programmation des finances publiques.
En troisième lieu, la PPLO propose une extension du périmètre exclusif de la sécurité sociale, c'est-à-dire des mesures qui ne peuvent figurer que dans une LFSS à l'exclusion de toute autre loi. Ce monopole des LFSS concernerait également la répartition entre les régimes, branches et organismes de sécurité sociale des recettes transférées de l'État à la sécurité sociale, lesquelles seraient désormais envoyées à l'Urssaf Caisse nationale - l'ancienne Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) -, qui se chargerait ensuite de la répartition entre branches. Le but, que nombre d'entre nous ne peuvent qu'approuver, serait de simplifier l'article de « tuyauterie » financière qui se trouve en fin de première partie des PLFSS.
Par ailleurs, une nouvelle disposition à la rédaction complexe vise à ce que toute loi hors LFSS ne puisse contenir des dispositions relatives à des exonérations, réductions ou abattements de cotisations ou de contributions sociales non compensés à la sécurité sociale qu'en prévoyant une durée d'application inférieure à trois ans, à compter du moment de leur entrée en vigueur. La pérennisation de ces exonérations, à savoir la suppression de la « borne » ou limitation dans le temps de son application, ne pourrait être inscrite qu'au sein des LFSS. Si je comprends l'intention, la bonne articulation de ce dispositif avec le monopole existant des LFSS sur toute mesure de réduction de recettes non compensée ne va pas de soi. Je vous proposerai peut-être des aménagements de ce dispositif d'ici à la séance publique.
Enfin, le texte propose également de modifier le périmètre facultatif des LFSS, c'est-à-dire les mesures pouvant figurer dans une LFSS sans constituer des « cavaliers sociaux », mais également susceptibles de figurer dans un autre type de loi.
Le domaine des LFSS serait ainsi étendu aux mesures relatives à la dette des hôpitaux. On peut se demander s'il ne s'agit pas d'une régularisation a posteriori d'un article relatif aux modalités des transferts de dette hospitalière à la Cades, dont nous avons débattu l'année dernière en PLFSS...
Pourraient également figurer dans les LFSS les mesures ayant un impact financier sur la sécurité sociale pour l'année N+1 et les années suivantes, sans pour autant être pérennes.
Dernière chose en matière de présentation des LFSS, les tableaux d'équilibre soumis à notre vote ne concerneraient plus que les régimes obligatoires de base de sécurité sociale (ROBSS), sans vote spécifique sur le seul régime général.
L'article 2 de la PPLO de l'Assemblée nationale réécrit, de la même manière, l'article L.O. 111-4 du code de la sécurité sociale, relatif aux annexes des PLFSS. Là encore, je centrerai mon propos sur les principales nouveautés que contient le texte des députés.
Une première série de modifications consiste en une rationalisation des annexes existantes, certaines étant rassemblées et des éléments peu nécessaires ou obsolètes étant supprimés.
Cette réorganisation s'accompagne d'une différenciation plus importante des annexes selon le type de PLFSS. Ainsi, un nombre restreint d'annexes est prévu pour les projets de loi de financement rectificative, avec pour intention d'alléger les freins au dépôt de tels projets.
Un deuxième mouvement conduit à la réécriture de cet article L.O. 111-4 pour un accroissement de l'information du Parlement en matière de sécurité sociale. Je remarque à ce titre que, sans faire entrer le régime d'assurance chômage dans le champ des LFSS, nos collègues députés demandent que soit jointe au PLFSS une annexe sur ses comptes. Deux autres annexes, relatives, d'une part, aux régimes de retraite complémentaire et, d'autre part, à la situation financière des établissements de santé, que nous appelions de nos voeux, sont en outre prévues. Une plus grande information concernant la construction de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) comme une évaluation plus suivie des niches sociales est également inscrite.
Par ailleurs, le dernier volet des modifications apportées est celui qui est présenté comme le plus déterminant, avec un remaniement du rapport annexé au PLFSS, qui constitue aujourd'hui « l'annexe B ». Le rapporteur général de l'Assemblée nationale propose ainsi ce qu'il désigne comme un « compteur des écarts » : devront figurer dans le rapport annexé un recensement des écarts entre le PLFSS et les objectifs de dépenses votés en loi de programmation. Cette logique, qui me paraît aller dans le sens d'un approfondissement de la vision pluriannuelle des finances sociales et d'un souci plus fort de respect des lois de programmation, me paraît tout à fait bienvenue, mais inaboutie. Nous aurons l'occasion d'y revenir dans la série d'amendements que je vous soumettrai.
Enfin, l'article 3 avance le calendrier de dépôt des PLFSS. Ceux-ci devraient désormais être transmis à l'Assemblée nationale au plus tard le premier mardi d'octobre. Cela devrait améliorer les conditions d'examen du texte à l'Assemblée nationale, la commission des affaires sociales ne disposant actuellement, en général, que d'une semaine avant d'examiner le texte en commission. Le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale devrait, quant à lui, être déposé avant le 1er juin de l'année suivant celle de l'exercice auquel il se rapporte. Il s'agit là d'une proposition de la Cour des comptes.
Il est à noter que l'Assemblée nationale a introduit, comme dans le projet de réforme de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), une disposition prévoyant que « la Conférence des présidents de chaque assemblée peut décider qu'une semaine prévue au quatrième alinéa de l'article 48 de la Constitution est consacrée prioritairement au contrôle de l'exécution des lois de financement de la sécurité sociale ». Il s'agit d'élever au rang organique le « printemps de l'évaluation » qu'organise l'Assemblée nationale. Cette mesure n'a évidemment pas d'utilité propre, puisque, d'une part, l'Assemblée nationale organise déjà ainsi son temps sans disposition organique, et que, d'autre part, notre commission s'intéresse à l'application de la LFSS depuis 2015 dans un autre cadre. Je vous indique simplement ne pas vous proposer de la supprimer à ce stade ; nous verrons si une initiative de ce genre voit le jour d'ici à la séance publique.
Je serai plus bref pour ce qui concerne la proposition de loi ordinaire soumise à notre examen, qui ne comporte qu'une modification des conditions de saisine des caisses de sécurité sociale du PLFSS. Alors que les caisses doivent actuellement, en une semaine, se prononcer sur l'avant-projet de loi avant son examen en Conseil des ministres, elles disposeraient, dans le nouveau système, de deux semaines pour transmettre un avis au Parlement, et non plus au Gouvernement, sur le projet de loi lui-même.
L'ensemble des dispositions proposées, en loi organique comme en loi ordinaire, entrerait en vigueur en juin 2022, à l'exception des dispositions destinées à assurer une transition entre les deux systèmes, en particulier en conservant une première partie de la LFSS pour 2023 en l'absence de LACSS. Le temps d'adaptation des administrations sera donc assez réduit.
Voilà donc, mes chers collègues, les principales dispositions sur lesquelles nous sommes invités à nous prononcer. L'examen des amendements me permettra de développer mes analyses et les ajouts qui me semblent nécessaires. Je vous dirai simplement, à ce stade, que les évolutions proposées vont plutôt dans le bon sens, tout en étant moins complètes et parfois plus timides que celles qui figurent dans la proposition de loi organique du Sénat. Vous ne serez donc pas surpris que des amendements proposent d'enrichir le texte de Thomas Mesnier de la quasi-totalité des mesures de la PPLO sénatoriale. Cela concernera en particulier l'assurance chômage, la procédure de révision à la hausse de certains des sous-objectifs de l'Ondam, qui ne correspondent pas au versement de prestations, ou encore la règle d'or destinée à assurer l'équilibre des comptes de la sécurité sociale à moyen terme.