Intervention de Anne-Catherine Loisier

Commission des affaires économiques — Réunion du 15 septembre 2021 à 9h30
Proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Anne-Catherine LoisierAnne-Catherine Loisier, rapporteure :

Nous abordons ce matin un sujet qui est au coeur de nombreux travaux de notre commission depuis plusieurs années : la rémunération des agriculteurs. Celle-ci, au-delà de ses aspects économiques, constitue un enjeu de justice sociale et de dignité. Les agriculteurs nourrissent le pays : ils sont indispensables à la Nation. Il est inadmissible que certains d'entre eux ne puissent se verser un revenu décent. Dans aucun autre secteur vous ne rencontrerez des hommes et des femmes travaillant plus de douze heures par jour, dans des conditions souvent difficiles, sans dimanche, sans vacances, sans aucune prise sur la rémunération qu'ils tirent de la vente de leur production.

La faiblesse des recettes était mentionnée comme l'une des premières causes de la détresse de certains agriculteurs, dans le rapport de nos collègues Françoise Férat et Henri Cabanel. Bien entendu, il ne faut pas généraliser : un certain nombre de professionnels s'en sortent bien. Mais l'insuffisante valorisation du travail agricole est un sujet majeur dans de trop nombreuses exploitations. Nous le savons depuis longtemps, mais, en dépit des appels répétés du Sénat à traiter les différentes causes de cette situation - prix, mais aussi alourdissement des charges, concurrence déloyale de certains produits importés -, les initiatives majeures de ces dernières années ont échoué à inverser la tendance.

Nous l'avions prédit lors de l'examen du projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « Egalim 1 », et nous le constatons depuis février 2019 : il n'y a pas de ruissellement du seuil de revente à perte (SRP) vers les différentes filières. Il ne suffit pas de faire confiance aux acteurs en aval pour protéger l'amont, il faut agir structurellement ; nous l'avons suffisamment répété au Gouvernement !

Cette proposition de loi renforçant certains dispositifs de la loi Egalim 1, on pouvait douter de son efficacité. L'examen du texte et les auditions le confirment.

Pour résumer, la vente de produits agricoles devra désormais passer par des contrats écrits, qui ne sont pas obligatoires aujourd'hui ; le prix sera déterminé en tenant compte d'indicateurs de référence et pourra fluctuer selon une clause de révision automatique, ce qui est plutôt positif. En aval, l'industriel devra afficher la part des matières premières agricoles dans son tarif fournisseur, lorsque ces matières représentent plus de 25 % du volume du produit, cette part devenant non négociable, et le prix du contrat pourra lui aussi fluctuer selon une clause de révision automatique du prix. Ce faisant, la proposition de loi ambitionne de renforcer la construction du prix « en marche avant » en sanctuarisant les matières premières agricoles tout au long de la chaîne de valeur.

Compte tenu de l'effort de transparence demandé, il est prévu que les produits dont la construction du prix est dévoilée dans les conditions générales de vente bénéficient parallèlement d'un principe de non-discrimination tarifaire, c'est-à-dire qu'aucune baisse de tarif ne pourra être exigée par la distribution sauf à proposer en échange des contreparties réelles. Pour vérifier ces dernières, un dispositif de « ligne à ligne » doit permettre de détailler plus précisément quels sont les services commerciaux proposés en échange.

D'autres articles ont été introduits en séance à l'Assemblée nationale, qui concernent le mode de calcul du seuil de revente à perte pour les alcools, l'expérimentation d'un « rémunérascore » ou l'utilisation des symboles représentatifs de la France sur des produits dont l'ingrédient principal n'en est pas originaire.

Cette proposition de loi présente à mes yeux quatre inconvénients majeurs.

Elle ne touche que 20 % du revenu agricole, à savoir la part liée aux grandes et moyennes surfaces (GMS), mais en excluant les marques de distributeurs (MDD) ! En outre, elle ne dit rien quant aux charges croissantes - et onéreuses - supportées par les agriculteurs.

Elle tend à proposer un schéma d'une très grande complexité, qui ne détendra pas les relations, ouvrira de nouveaux contentieux et, in fine, affaiblira la compétitivité des produits français.

Elle pourrait déséquilibrer complètement la négociation commerciale : bien qu'animée de bonnes intentions à l'égard des agriculteurs, elle conduit les industriels à dévoiler toutes leurs marges à la grande distribution, qui elle, ne dit rien de son utilisation des recettes issues du SRP ...

Elle risque de fragiliser la médiation des relations commerciales, qui est pourtant une initiative utile et consensuelle.

Sans rejeter une initiative qui présente des propositions intéressantes, je me suis appliquée à en corriger les nombreux effets de bord et déséquilibres, à la simplifier, à améliorer l'étiquetage des produits, à renforcer la médiation - voie privilégiée par les acteurs - à créer une ambitieuse réglementation des MDD et une transparence répartie sur l'ensemble de la chaîne.

Je vous proposerai ainsi d'encadrer davantage la possibilité pour le pouvoir réglementaire d'exempter des filières ou des produits de la contractualisation écrite. Bien entendu, cette dernière ne s'appliquera pas à chacune d'entre elles ; plusieurs présentent en effet des spécificités qui rendent la contractualisation inutile - je pense par exemple aux fruits et légumes frais, aux céréales ou aux produits de la vigne.

Je vous soumettrai ensuite un amendement qui réécrit entièrement l'article 2 afin de simplifier les options de transparence imposées à l'industriel pour les rendre plus applicables et équilibrées. Cette nouvelle rédaction harmonise et rend plus compréhensible le périmètre d'application de cet article. Elle revient sur le raccourcissement de la période des négociations commerciales. Elle s'assure que la clause de révision automatique prenne bien en compte les indicateurs de coût de production et ouvre la possibilité d'assouplir ces obligations pour les petites entreprises. Enfin, elle harmonise le périmètre de cet article, du « ligne à ligne » créé à l'article suivant et du principe de non-discrimination.

De façon générale, il m'a paru essentiel de rééquilibrer le rapport de force entre fournisseurs et distributeurs. C'est notamment dans cette optique, et pour que l'ensemble du secteur alimentaire participe à la recherche d'une rémunération plus juste de l'amont agricole, que je vous proposerai un encadrement plus ambitieux des produits vendus sous MDD et une plus grande transparence du SRP.

J'ai également souhaité renforcer les pouvoirs du médiateur des relations commerciales agricoles, en lui permettant notamment d'être nommé arbitre par les parties si et seulement si elles le demandent.

Je vous soumettrai aussi des amendements qui corrigent les articles contraires au droit européen - ils ont fait beaucoup parler d'eux - concernant l'affichage de l'origine des denrées. Nous devrions nous demander quel est notre rôle de législateur : voter ce que certains voudraient voir dans la loi, même si c'est inapplicable, ou proposer des améliorations applicables pour contrôler les pratiques abusives ou trompeuses ?

Nous aurons également l'occasion de discuter d'une demande d'informations supplémentaires sur ce qu'est devenue la cagnotte du SRP+ 10.

Je suis convaincue qu'à l'issue des travaux de cette commission, puis du Sénat, ce texte aura acquis une réelle portée opérationnelle.

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