Intervention de Agnès Canayer

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 septembre 2021 à 9h30
Projet de loi organique et projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire — Examen du rapport et des textes proposés par la commission

Photo de Agnès CanayerAgnès Canayer, rapporteur :

Présenté en conseil des ministres le 14 avril dernier, ce projet de loi s'accompagne d'un projet de loi organique. Ils ont été adoptés à l'Assemblée nationale le 25 mai à une large majorité. C'est le cinquième texte depuis le début du mandat d'Emmanuel Macron qui tente de réformer l'institution judiciaire, après la loi de programmation de 2019, la loi relative au parquet européen, le texte sur la justice de proximité et celui sur la justice pénale des mineurs.

L'intitulé de ce texte marque l'ambition du garde des sceaux : redonner confiance en la justice alors qu'aujourd'hui seuls 22 % des Français ont véritablement confiance dans notre justice.

Partageant la nécessité de restaurer les conditions de la confiance entre le citoyen et la justice, notamment par l'amélioration du fonctionnement de l'institution, le Sénat a largement alimenté cette réflexion grâce à de nombreux rapports. Je pense, notamment, au rapport d'information intitulé Cinq ans pour sauver la justice ! présenté par Philippe Bas en 2017.

Conscient de l'urgence de redonner à la justice les moyens pour répondre pleinement aux attentes des Français, le Sénat a toujours adopté les réformes qui allaient dans ce sens. C'est dans ce même état d'esprit qu'avec mon collègue Philippe Bonnecarrère nous avons mené nos travaux sur ces deux textes qui affichent une ambition volontaire, mais demeurent malheureusement avant tout un catalogue de mesures de portée très inégale.

L'ambition affichée est par ailleurs fortement atténuée par un calendrier de réformes et une activité judiciaire qui altèrent largement l'enjeu porté par l'intitulé de ces textes. Le Président de la République a annoncé la tenue d'États généraux de la justice, à peine les textes votés à l'Assemblée nationale. Par ailleurs, en réaction à l'affaire Halimi, le Gouvernement a déposé un texte sur l'irresponsabilité pénale, dont nous aurons à traiter dans les semaines à venir. Sans parler des annonces d'hier lors du Beauvau de la sécurité...

C'est la raison pour laquelle, pour redonner confiance en la justice, il me semble urgent d'apaiser le monde judiciaire et les relations entre les différents acteurs - magistrats, avocats, policiers, greffiers, qui font souvent l'objet d'attaques infondées.

Pour redonner confiance, un principe nous paraît fondamental : faire ce que l'on dit et dire ce que l'on fait... Certes, la publicité et la communication autour de la justice sont un enjeu phare du texte, mais il importe surtout que ces dispositions soient réalistes. Or un certain nombre d'entre elles sont en décalage, notamment en ce qui concerne la réduction des délais en matière d'enquête préliminaire pour les secteurs économique et financier, ainsi qu'en ce qui concerne l'implication des entreprises dans le travail pénitentiaire.

Enfin, il est essentiel que les réformes engagées soient assimilées. Or ces dernières s'additionnent les unes après les autres, ce qui démobilise fortement les acteurs de la justice, qui ne disposent pas des outils juridiques et numériques pour les mettre en oeuvre. Ils voient apparaître avec crainte cette nouvelle réforme, qui modifiera une fois de plus leur quotidien.

Nous avons voulu répondre aux enjeux de la restauration de la confiance dans la justice en vous proposant d'adopter des mesures qui répondent à ces objectifs d'apaisement, de réduction des délais, de lutte contre le sentiment d'impunité et de simplification des procédures.

J'évoquerai plus spécifiquement l'enregistrement et les audiences, c'est-à-dire l'article 1er, article phare qui ne nous éclaire pas vraiment. Nous avons eu du mal à percevoir la volonté du Gouvernement. S'agit-il de lutter contre des dérives ? S'agit-il de faire de la pédagogie ministérielle sur le fonctionnement de la justice ? C'est ce que nous ne manquerons pas de préciser dans le texte pour éviter que ce principe d'enregistrement et de diffusion des audiences ne conduise à des dérives journalistiques et pour nous assurer qu'il soit bien conforme aux objectifs affichés par le ministre. Nous adopterons également un certain nombre de dispositions techniques pour encadrer les conditions de cette diffusion, notamment pour éviter toute contrepartie financière à la participation des parties.

Le deuxième grand axe de ce texte est l'amélioration de la procédure de jugement des crimes. Plusieurs mesures paraissent importantes.

Tout d'abord, une mesure sur l'organisation des audiences préparatoires criminelles. Le Gouvernement souhaite les généraliser. Nous voulons qu'elles soient facultatives et limitées. Laissons de la souplesse aux acteurs.

Ensuite, le retour de la « minorité de faveur » lorsque la cour d'assises statue sur la culpabilité de l'accusé, afin de garantir que la décision est prise par une majorité des jurés populaires, auxquels nous sommes très attachés.

Par ailleurs, nous sommes favorables à la création de pôles compétents pour les crimes sériels, mais nous sommes opposés à la généralisation des cours criminelles départementales. Cette expérimentation a été engagée par le Gouvernement en 2019. Nous pensons qu'il est trop tôt et nous manquons de recul : seules 143 affaires avaient été jugées quand le Gouvernement a élaboré son projet à la mi-mars. Je vous propose donc de prolonger l'expérimentation jusqu'en mai 2023.

De surcroît, le ministre est très attaché à ce que des avocats honoraires puissent siéger au sein des cours d'assises et des cours criminelles départementales. Dans un souci d'apaisement - cette mesure étant extrêmement mal perçue par les magistrats -, il convient de ne pas autoriser les avocats honoraires à le faire dès lors qu'ils peuvent déjà par ailleurs devenir magistrats à titre temporaire (MTT).

Autre sujet important, après la manifestation des policiers, l'Assemblée nationale a décidé, à l'initiative du Gouvernement et du groupe Les Républicains, de supprimer le rappel à la loi. C'est problématique pour les magistrats du parquet qui n'ont plus de première réponse pénale face à des prévenus ayant commis des infractions légères. Nous attendons les propositions promises par le garde des sceaux.

Enfin, le ministre a introduit des dispositions qui visent à relancer le travail pénitentiaire. Aujourd'hui, seuls 9 % des détenus travaillent contre 50 % il y a encore vingt ans. Le Gouvernement prévoit la mise en place d'un contrat d'emploi pénitentiaire, conclu soit avec l'administration pénitentiaire, soit avec des entreprises extérieures. Il s'agit d'éviter la récidive et de favoriser la réinsertion. Cet objectif est louable. Néanmoins, le texte de loi prévoit la mise en place de droits sociaux pour les détenus. Nous ne contestons pas cette nécessité, mais nous craignons que le coût supplémentaire qui devrait en résulter ne dissuade les entreprises. C'est pourquoi nous proposerons d'élaguer l'habilitation à légiférer par ordonnance.

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