Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Réunion du 8 décembre 2009 à 22h30
Conseil européen des 10 et 11 décembre 2009

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordre du jour du Conseil européen des 10 et 11 décembre reflète la transition européenne, profonde et positive, à laquelle nous assistons.

Tout d’abord, il s’agit d’une transition institutionnelle réussie, avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne à compter du 1er décembre dernier. C’est un immense progrès pour l’Union européenne, la logique de la fuite en avant par un élargissement sans approfondissement ne pouvant, nous n’avons jamais cessé de le répéter, se poursuivre indéfiniment. Désormais, l’Europe des Vingt-sept aura les moyens institutionnels de ses ambitions, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. À cet égard, je ne rejoins donc pas le pessimisme de notre collègue Jean François-Poncet.

La transition est également environnementale. Elle se poursuit à l’heure actuelle, avec les négociations du sommet de Copenhague. Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, il faut parvenir, le plus vite possible, à un accord juridiquement contraignant. Or, pas plus qu’en matière institutionnelle, l’Europe n’a à rougir dans ce domaine. Unie et incitative, elle a même été exemplaire, en particulier sous l’égide de la présidence française, qui, rappelons-le, a fait adopter le « paquet énergie-climat ».

Nous ne pouvons que nous féliciter de l’engagement, sous l’autorité du Président de la République, de l’« équipe France », composée de personnalités telles que vous-même, monsieur le secrétaire d’État, ou Jean-Louis Borloo. Si nous obtenons un accord ambitieux à Copenhague, nous le devrons en grande partie à cette équipe.

Enfin, la transition devrait être économique, et c’est à ce point que je consacrerai l’essentiel de mon intervention.

Tirer les leçons de la profonde crise que nous traversons implique de nous interroger sur les fondamentaux de l’économie européenne, afin de sauvegarder le modèle de croissance sociale auquel nous sommes tant attachés.

En matière économique, la nécessité pour l’immense majorité des États membres de l’Union de rééquilibrer leurs finances publiques est criante. Aujourd’hui, vingt États sur vingt-sept sont « hors des clous » de Maastricht.

Mais un tel redressement ne sera possible que si l’Union parvient à mettre en place une véritable stratégie commune de sortie de crise.

L’Europe est en mal de relance parce qu’elle est aujourd’hui privée d’impulsion. Or le moteur européen est bien connu : c’est, depuis toujours, le couple franco-allemand.

La France et l’Allemagne, les deux grandes puissances de l’Union, ne sont toujours pas parvenues à mettre en place une impulsion économique commune. Aucune ligne économique générale ne se dégage de leurs dynamiques, ce qui pose une fois de plus, mais avec une acuité nouvelle, la question de la politique budgétaire de l’Union.

Or, dans cette affaire, la responsabilité de notre pays pourrait être aujourd’hui déterminante. La France est en retard par rapport à son voisin d’outre-Rhin. L’Allemagne a initié bien avant nous son ajustement économique. Dans les années quatre-vingt-dix, le chancelier Kohl mettait en place la retraite à soixante-sept ans, avec l’appui des socialistes. Le socialiste Gerhard Schröder fit de même en matière de protection sociale, avec l’agenda 2000. Le résultat est frappant : le taux de dépenses par rapport au PIB est de sept points inférieur en Allemagne.

Non seulement l’Allemagne a su mener ces réformes, mais elle dispose également d’au moins deux atouts économiques maîtres par rapport à la France.

Le premier est une base industrielle beaucoup plus puissante que la nôtre, ce qui lui permet de supporter sans trop souffrir un euro à 1, 5 ou 1, 6 dollar. Le différentiel de compétitivité entre nos deux pays est de quinze points.

Le second atout est d’ordre démographique. La démographie allemande est bien moins dynamique que la nôtre. Paradoxalement, les 650 000 ou 700 000 naissances par an, rapportées à 82 millions d’habitants, que notre voisin allemand enregistre depuis dix ans – à comparer aux 800 000 naissances françaises pour 62 millions d’habitants – constitueront pour lui un atout, car il n’aura pas à supporter le poids d’un trop grand nombre de jeunes à former. Cet avantage perdurera jusqu’en 2015 ; la démographie deviendra alors un handicap pour l’Allemagne. Mais, d’ici là, il faudra bien tenir et s’adapter.

Tous ces facteurs structurels expliquent le différentiel de trois points de déficit qui subsiste entre nos deux pays. En 2008, l’Allemagne avait un déficit budgétaire égal à zéro, quand celui de la France était de 3 % du PIB.

En raison de la crise, ces deux pays ont vu leur déficit structurel augmenter de 5 %, pour s’établir à 8 % du PIB pour la France, contre 5 % pour l’Allemagne. Tous ces facteurs structurels nous placent face à nos responsabilités.

Faute pour notre pays de procéder aux ajustements structurels qui s’imposent, le couple franco-allemand demeurera un « attelage bancal », pour reprendre l’expression de Christian Saint-Etienne. Le couple franco-allemand est aujourd’hui bien trop déséquilibré, ce qui nous affaiblit et nous décrédibilise vis-à-vis de l’Allemagne.

Le Président de la République semble en avoir pleinement conscience, comme en témoigne, pour ne prendre qu’un exemple, le fameux rendez-vous annoncé du printemps 2010 sur les retraites.

C’est la France que le couple franco-allemand attend pour repartir ! Ce sont des réformes de la France que l’Europe attend pour retrouver son moteur économique, et pour rebondir !

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