Séance en hémicycle du 8 décembre 2009 à 22h30

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à vingt heures quarante, est reprise à vingt-deux heures trente, sous la présidence de M. Bernard Frimat.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

M. le Premier ministre a demandé la constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2010

La liste des candidats établie par la commission des finances a été affichée conformément à l’article 12 du règlement.

Je n’ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :

Titulaires : MM. Jean Arthuis, Philippe Marini, Gérard Longuet, Albéric de Montgolfier, Mme Nicole Bricq, M. François Marc et Mme Marie-France Beaufils.

Suppléants : MM. Charles Guené, Jean-Pierre Fourcade, Éric Doligé, Philippe Dallier, Edmond Hervé, Mme Michèle André et M. Michel Charasse.

Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, préalable au Conseil européen des 10 et 11 décembre 2009.

La parole est à M. le secrétaire d'État.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de venir vous présenter, au nom du Gouvernement, les enjeux du Conseil européen des 10 et 11 décembre.

Ce Conseil européen, auquel participera le Président de la République sera le premier de la « nouvelle Europe », issue de l’entrée en vigueur, le 1er décembre dernier – voilà donc une semaine tout juste –, du traité de Lisbonne.

Vous pardonnerez à un ancien député, blanchi sous le harnais du Parlement, de simplement regretter que ce débat, sur un sujet aussi important, se tienne ce soir aussi tard, dans un hémicycle qu’on aurait pu souhaiter plus garni compte tenu de l’ampleur des enjeux, soit dit sans outrepasser le respect dû à l’institution parlementaire. Le Gouvernement est corvéable à merci, mais je suis franc : je regrette que ce débat est lieu si tard…

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Merci, monsieur le président de la commission.

Vous le savez, l’ordre du jour de ce Conseil est extrêmement chargé et donne la pleine mesure des nombreux défis que l’Europe doit relever, maintenant que la page institutionnelle qui nous a occupés pendant tant d’années est derrière nous : les chefs d’État et de Gouvernement évoqueront, en effet, au cours de cette dernière réunion conduite sous présidence suédoise, outre les questions institutionnelles, malgré tout toujours présentes, le climat – la conférence de Copenhague venant de s’ouvrir –, les problèmes économiques et financiers et la préparation de la sortie de crise, l’asile et l’immigration, l’élargissement, ainsi que les questions internationales.

Permettez-moi d’évoquer, en premier lieu, le nouveau fonctionnement de l’Europe avec les institutions nouvellement mises en place.

L’entrée en vigueur du nouveau traité a impliqué, dès le 19 novembre, à l’issue d’un Conseil européen extraordinaire, la nomination du premier Président du Conseil européen, M. Herman Van Rompuy, et du premier Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Catherine Ashton.

Herman Van Rompuy, désigné à l’unanimité des chefs d’État et de Gouvernement pour deux ans et demi au poste de Président du Conseil européen…

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

… garantira la continuité de l’activité du Conseil européen et représentera l’Union européenne sur la scène internationale.

En tant que Premier ministre de Belgique, M. Van Rompuy a pleinement fait la preuve des qualités requises pour exercer cette responsabilité nouvelle : fort engagement européen, sens du compromis, connaissance des dossiers, confiance des autres chefs d’État et de Gouvernement.

Le Président de la République a reçu M. Van Rompuy vendredi dernier : il lui a dit toute l’importance que nous attachons à sa fonction et à son rôle d’impulsion et l’a assuré du plein soutien de la France dans l’accomplissement de sa mission.

J’ai, pour ma part, à l’issue du Conseil « Affaires générales » – celui-ci est désormais séparé du Conseil « Relations extérieures », où la France est représentée par M. Kouchner et qui s’est tenu ce matin – qui s’est réunie toute la journée d’hier à Bruxelles, rencontré Mme Catherine Ashton.

Mme Ashton devra, dans les semaines à venir, mettre en œuvre les orientations ambitieuses fixées par le Conseil européen d’octobre pour le futur « service européen pour l’action extérieure » et présenter sa proposition formelle de manière que le service soit officiellement établi d’ici à la fin du mois d’avril prochain.

C’est pour la France, j’y insiste, un sujet essentiel. Le service européen doit être l’un des instruments d’une Europe politique plus influente sur la scène internationale, capable de mobiliser au service de ses objectifs, de façon efficace et coordonnée, l’ensemble des instruments de la politique extérieure de l’Union européenne, en cohérence avec le Conseil, c'est-à-dire avec les États. C’est donc une tâche difficile mais passionnante, exaltante même, qui attend Mme Ashton. Je tiens à souligner, parce que certains commentaires ont été publiés dans la presse britannique, que la France jouera pleinement le jeu. D’ailleurs, au Quai d’Orsay, nous travaillons activement à la contribution de la France à ce service.

Par ailleurs, je me réjouis de la nomination de M. Pierre de Boissieu au poste tout à fait éminent de secrétaire général du Conseil.

Le deuxième temps fort du mois de novembre a été la désignation par le président Barroso des nouveaux membres de la Commission et la répartition des portefeuilles en son sein.

Nous nous réjouissons que José-Manuel Barroso ait attribué à Michel Barnier le portefeuille du marché intérieur et des services financiers. C’est un portefeuille important, que la France n’avait jamais obtenu dans le passé.

Les attributions dont Michel Barnier aura la responsabilité sont au cœur de la construction européenne et représentent un enjeu crucial pour la vie quotidienne des quelque 500 millions de citoyens de l’Union européenne. Le dossier du marché intérieur, notamment dans sa dimension relative à la régulation des services financiers, est fondamental pour contribuer à la sortie de crise, préparer les conditions du retour de la croissance en Europe et préserver le rôle moteur que l’Europe a acquis au sein du G20, sur l’initiative du Président de la République pendant la présidence française de l’Union européenne.

Les nouveaux commissaires devront être auditionnés par le Parlement européen lors de la session plénière de janvier, pour que la Commission soit pleinement opérationnelle le 1er février prochain.

Concernant l’augmentation du nombre de sièges au Parlement européen, la future présidence espagnole vient de manifester son intention de demander au Conseil européen de convoquer une conférence intergouvernementale pour apporter les modifications nécessaires au traité.

Le nombre de députés européens devrait ainsi être de 754 jusqu’en 2014, puis de 751 après les élections de 2014 – l’Allemagne perd trois députés –, conformément au traité de Lisbonne.

À titre transitoire, en attendant la ratification de cet acte modificatif par chacun des vingt-sept États membres et son entrée en vigueur, les États qui voient leur nombre de sièges augmenter sont invités – c’est une décision toute récente – à désigner des « observateurs » au Parlement européen.

Ces dispositions transitoires se traduiront pour la France par la désignation de deux observateurs issus des bancs de l’Assemblée nationale, qui deviendront députés européens de plein exercice lorsque toutes les procédures de ratification nationales seront achevées.

La décision du Premier ministre de demander à l’Assemblée nationale de procéder à la désignation de deux députés permet à la fois de respecter le principe constitutionnel de la sincérité du scrutin – en l’occurrence, celui de juin dernier – et de profiter de cette opportunité offerte par la décision du Conseil européen de décembre 2008, sous présidence française, pour rapprocher parlementaires nationaux et parlementaires européens.

J’en viens à la négociation sur le climat, qui sera, bien sûr, au cœur des échanges du Conseil européen, mais aussi, à Copenhague, pendant les quinze jours qui viennent, de la planète tout entière.

C’est peut-être la première fois dans l’histoire que tous les pays de la planète sont appelés à prendre conscience collectivement de leur communauté de destin et à faire le choix, ensemble, soit du salut soit du naufrage.

Pour tous les pays de l’Union européenne, le changement climatique est une question grave, qui menace nos territoires, notre agriculture et notre mode de vie. Mais, pour de nombreux pays, je pense à certains États insulaires comme les Seychelles ou les Maldives, lutter contre le changement climatique, c’est à très court terme une question de survie.

Soyons donc très clairs sur l’objectif : l’accord de Copenhague doit permettre de limiter le réchauffement mondial à moins de deux degrés par rapport à l’époque préindustrielle. Cet objectif signifie qu’il faut atteindre le plus tôt possible un « pic mondial des émissions » et réduire celles-ci d’ici à 2050 d’au moins 50 % par rapport à 1990.

Nous devons, dans cette optique, parvenir à rallier tous les pays partageant nos ambitions, pour peser à Copenhague sur les États qui sont aujourd’hui les plus réticents à s’engager. C’est le sens de la démarche commune engagée par le Président de la République avec le président brésilien Lula. C’est aussi le sens de la démarche engagée par Jean-Louis Borloo, avec son plan « justice-climat » pour les pays en voie de développement.

En termes de propositions concrètes, la lettre commune du président Sarkozy et du président Lula, publiée le 14 novembre dernier, est susceptible de constituer un point d’équilibre entre toutes les parties, dans la perspective d’un accord politique mondial à Copenhague. Cette lettre et ce raisonnement s’articulent autour de sept propositions.

Selon la première proposition, la réduction des émissions de CO2 sur le plan mondial se déclinerait en trois types d’engagements : pour les pays développés, une réduction de 80 % au moins de leurs émissions en 2050 par rapport à 1990, avec un objectif de réduction de leurs émissions à moyen terme, pendant la période 2020-2030, allant de 25 % à 40 % ; pour les pays émergents, c'est-à-dire les pays en développement les plus avancés, une déviation « significative », c'est-à-dire dans une fourchette comprise entre 15 % et 30 % de leurs émissions de CO2 par rapport à la tendance actuelle ; pour tous les pays, des plans nationaux de croissance à faible intensité en carbone, permettant une réduction substantielle des émissions.

Deuxième proposition : l’adaptation au changement climatique.

Un paquet « adaptation » doit permettre de répondre rapidement aux besoins des pays en développement. Le « plan justice-climat » présenté par Jean-Louis Borloo prévoit à ce titre un dispositif d’appui spécifique aux pays les plus vulnérables – Afrique, pays les moins avancés, pays insulaires en développement –, sur la base de projets identifiés, avec un financement dédié pouvant provenir notamment de mécanismes innovants de financement.

La troisième proposition concerne la coopération technologique. L’accord de Copenhague doit permettre le déploiement accéléré des technologies « bas-carbone » – captage et stockage du carbone, énergies renouvelables, nucléaire – et le partage des meilleures pratiques, notamment en matière d’efficacité énergétique.

Quatrième proposition : la mise en place de nouveaux financements pour les actions de lutte contre le changement climatique.

Nous défendons le principe d’une contribution universelle, telle celle qu’a proposée le Mexique, et le développement de mécanismes de financement innovants pour lutter contre le changement climatique.

Un financement public spécifique prévu pour les années 2010-2012, appelé fast start, à destination des pays les plus pauvres et les plus vulnérables, devrait par ailleurs accompagner les actions immédiatement entreprises sur la base de l’accord dégagé à Copenhague.

La cinquième proposition a trait à un engagement global sur une réduction de moitié de la déforestation d’ici à 2020 et un arrêt de celle-ci d’ici à 2030, avec l’adoption de mesures concrètes pour atteindre ces objectifs. Nous souhaitons que 20 % du fast start y soit consacré.

Sixième proposition : la création d’un mécanisme de mesure, de communication et de vérification des actions engagées. Les pays qui ne prendraient pas des engagements comparables doivent être dissuadés de se comporter en « passagers clandestins ».

À cet égard, l’Union européenne ne doit pas s’interdire de recourir à un « mécanisme d’inclusion carbone », qui évitera à nos entreprises d’être injustement concurrencées par la production de pays moins regardants sur les normes environnementales.

Enfin, la septième proposition porte sur la création d’une Organisation mondiale de l’environnement, qui aurait notamment vocation à assurer le suivi et le respect des engagements pris.

Le Conseil européen des 10 et 11 décembre doit permettre de définir une position commune sur l’ensemble de ces points.

Trois sujets sont encore, à ce stade, en débat.

Le premier sujet concerne la conditionnalité du passage de 20 % à 30 % de réduction des émissions de CO2 en 2020.

L’Europe doit, dans ce domaine, avoir une approche généreuse, certes, mais aussi réaliste. Pour passer à 30 % de réduction, il faut que les engagements pris par les autres parties soient réellement comparables. Ne nous laissons pas leurrer par des effets d’annonce !

Les États-Unis ont, par exemple, annoncé, le 25 novembre dernier, une réduction de leurs émissions de CO2 de 17 % en 2020, mais ce pourcentage est calculé par rapport à 2005. Ramené à l’année de référence retenue par les Européens, à savoir 1990, cet engagement ne correspond, en fait, qu’à une baisse de l’ordre de 4 % de leurs émissions.

L’Union européenne doit rester ferme sur ses ambitions pour la planète, et les conditions d’un relèvement éventuel de l’objectif européen, conformément aux conclusions du Conseil européen de mars 2007, devront être examinées, après Copenhague, sur la base d’une analyse précise de l’accord, en liaison étroite avec le Parlement européen.

Le deuxième sujet restant en discussion a trait au montant que la communauté internationale en général, y compris donc l’Union européenne, consacrera au financement fast start des actions à conduire dans les pays en développement entre 2010 et 2012.

Vous le savez, le Président de la République a souhaité, lors de son récent déplacement à Trinidad-et-Tobago, que la communauté internationale mobilise 7 milliards d’euros de crédits publics, dont 20 % seraient consacrés à la lutte contre la déforestation.

Le troisième sujet porte sur la référence explicite, dans les conclusions du Conseil européen, à la constitution d’une Organisation mondiale de l’environnement.

La conférence de Copenhague s’est ouverte lundi dernier et se clôturera le 18 décembre sur un ultime segment de négociation, auquel participeront 110 chefs d’État et de Gouvernement, y compris le président Obama. Le Président de la République, qui s’était entretenu de ce sujet avec lui voilà une semaine, a accueilli avec satisfaction l’annonce de cette présence du président américain.

Les négociations seront conduites à la fois pendant la conférence, mais aussi en marge, avec une réunion ad hoc sur l’articulation entre politique de développement et climat le 14 décembre prochain, et surtout le sommet sur la forêt en Afrique centrale, qui se tiendra le 16 décembre prochain à Paris, sur l’initiative du Président de la République, à la veille du dernier segment de la négociation.

Nous pensons aujourd’hui qu’un accord politique ambitieux à Copenhague est un objectif pleinement atteignable. La multiplication, ces derniers jours, d’annonces majeures, telles celles de la Chine ou de l’Inde quant à des réductions chiffrées de l’intensité carbone de leurs économies, sont autant de signaux politiques importants qu’il faut prendre très au sérieux.

J’en viens aux questions économiques et financières et à la préparation de la sortie de crise.

Dans le domaine financier, la présidence suédoise a tenu l’agenda ambitieux qui lui avait été fixé par le Conseil européen de juin dernier et qui consistait à dégager, au sein du Conseil, un accord complet sur la réforme de la supervision européenne, pour permettre au nouveau système d’être pleinement opérationnel en 2010. C’est un pas décisif pour renforcer la solidité du système financier en Europe, au lendemain de la terrible crise financière de 2008.

À la veille du précédent Conseil européen du mois d’octobre, la présidence suédoise était déjà parvenue à dégager un accord sur le volet « macrofinancier », qui prévoit la création d’un comité européen du risque systémique, chargé de prévenir l’apparition des très grands risques de marché, comme ceux que nous avons connus en 2008.

La présidence suédoise a obtenu un nouveau succès au conseil Ecofin du 2 décembre dernier, en dégageant un accord sur le volet « microfinancier ».

Conformément aux conclusions du Conseil européen de juin, l’accord prévoit la création de trois nouvelles « autorités » de surveillance des services financiers au sein de l’Union, respectivement chargées des banques, des assurances et des marchés et valeurs mobilières. Comme nous le souhaitions, ces autorités pourront exercer, dans le respect de certaines conditions, des pouvoirs contraignants sur les superviseurs nationaux. Elles seront dotées, par exemple, de la faculté d’intervenir en cas de désaccord entre superviseurs nationaux, et disposeront de pouvoirs accrus en situation d’urgence ou de crise.

Cet accord est un succès d’autant plus important qu’il y avait, faut-il le rappeler, des sensibilités différentes autour de la table.

Sur le volet économique, le Conseil européen était convenu, il y a un an, d’un « plan de relance européen », destiné à soutenir une activité économique profondément ébranlée par la crise. Ce plan européen et les mesures nationales adoptées par les États nous permettent d’observer aujourd’hui les premiers signes, certes fragiles, de la reprise, et une croissance de nouveau positive au second semestre de cette année.

Cette évolution encourageante doit encore être consolidée : il est trop tôt pour interrompre les mesures de soutien. Lorsque la croissance sera de nouveau solidement installée, nous devrons retirer graduellement ces mesures et engager un effort majeur pour consolider les finances publiques.

Mais nous devons également préparer l’avenir, car les peuples nous jugeront non pas sur nos institutions, mais sur nos résultats. Dans ce domaine, l’Europe doit être visionnaire si elle veut « faire et non subir le XXIe siècle », comme l’a souligné le Président de la République.

Le débat sur la stratégie UE 2020, appelée à prendre la suite de la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l’emploi, est, de ce point de vue, absolument fondamental, car nous avons besoin, avec l’appui de la nouvelle Commission européenne et de tous les États membres, de construire maintenant et ensemble une Europe plus forte. En effet, l’Europe sort de la crise économique et financière la plus grave que le monde ait connue depuis 1929, et il nous faut donner à nos entreprises, notamment à nos PME, les moyens de retrouver rapidement le chemin d’une croissance élevée et durable.

En outre, l’Europe doit, avec l’émergence d’un monde multipolaire, pouvoir lutter à armes égales avec ses principaux grands concurrents économiques.

Si nous voulons réussir demain là où la stratégie de Lisbonne a échoué hier, nous devons doter la nouvelle stratégie européenne d’une colonne vertébrale plus forte, ce qui signifie concrètement que la stratégie de l’Europe ne doit pas se résumer à la somme de 27 stratégies nationales : la Commission européenne doit également prendre toute sa part dans cette démarche.

À ce sujet, je voudrais insister plus particulièrement sur six points, qui devraient se refléter dans la future Stratégie UE 2020 et que j’ai exposés tant à Mario Monti – je l’ai rencontré mercredi dernier –, chargé par le président Barroso d’une mission sur la relance du marché intérieur, qu’aux vingt-six autres États membres qui étaient réunis, vendredi 4 décembre, à Bruxelles, lors du Conseil « Compétitivité de l’Union européenne », où je représentais la France.

En premier lieu, l’Europe doit impérativement rechercher de nouvelles sources de croissance pour rester compétitive. Elle doit se tourner, sans hésitation, vers l’économie de la connaissance, l’innovation et les technologies vertes, faisant ainsi totalement écho aux priorités identifiées en France par la commission sur le grand emprunt. La démarche menée en France, consistant à identifier les priorités d’avenir, pourrait d’ailleurs parfaitement être « européanisée ». Nombre de projets envisagés chez nous dans le cadre de cette réflexion stratégique sont appelés à avoir une résonance profondément européenne.

En deuxième lieu, l’Europe doit parvenir à réconcilier son marché intérieur avec les 500 millions d’Européens, car celui-ci suscite encore bien souvent la méfiance de nos concitoyens, qui craignent l’affaiblissement de leurs droits sociaux, une diminution de la qualité des biens ou des prestations servies et, au final, une moindre protection.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Je souhaite un marché intérieur qui parvienne à concilier un fonctionnement efficace du marché, un niveau de protection élevé du consommateur et un respect de la cohésion sociale en Europe.

En troisième lieu, nous devons donner toute sa place à la dimension sociale dans notre stratégie.

La crise l’a bien montré, l’Europe de demain doit être plus soucieuse de la cohésion sociale, en anticipant les restructurations, en investissant dans nos systèmes éducatifs, en soutenant la formation et la reconversion des travailleurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

C’est le contraire du budget que nous venons de voter !

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

II est inconcevable qu’une multinationale étrangère comme General Motors impose aujourd’hui aux différents pays européens un chantage sur des milliers d’emplois, en échange d’aides publiques, en appliquant une stratégie de division et de surenchère entre les États de l’Union, comme le firent, jadis, les Horaces et les Curiaces, ce qu’on peut également appeler la tactique du salami.

En quatrième lieu, nous devons nous demander collectivement où l’Europe veut être dans les dix ou vingt prochaines années. Car le principal risque, c’est la marginalisation de l’Europe et l’accentuation de sa dépendance face aux pôles industriels émergents.

Soyons clairs : le mythe de l’Europe postindustrielle a vécu ! Nous avons besoin d’un socle industriel en Europe, nous avons besoin de ces emplois, car une économie uniquement fondée sur les services n’est pas viable à long terme.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Je l’ai constaté, même les plus libéraux des autres États de l’Union européenne ont le sentiment qu’il est urgent de prendre des mesures face aux risques de désindustrialisation.

Nous devons donc être capables de mettre au point, collectivement, une véritable politique industrielle et énergétique commune qui réponde au défi de la désindustrialisation européenne.

En cinquième lieu, l’Union européenne est aujourd’hui l’espace économique le plus ouvert au monde, et il n’est pas question de revenir sur cet acquis.

Toutefois, nous devons, à l’égard de tous nos partenaires, avoir une approche pragmatique : les combats idéologiques appartiennent au passé. À quoi sert la vertu entre nous si, en dehors de l’Europe, d’autres ne respectent pas les règles – parfois les plus restrictives au monde ! – que nous nous imposons ? Nous devons, bien évidemment, nous appliquer des règles justes et équitables mais, comme le souligne le Premier ministre, François Fillon, la question n’est pas seulement de savoir si la concurrence est parfaitement assurée entre la France et la Belgique ou l’Allemagne, par exemple, elle est aussi de savoir si l’Europe a les instruments nécessaires pour lutter contre la concurrence extrêmement forte des pays du Sud-est asiatique, de la Chine, de l’Inde ou du continent américain.

Ne soyons pas naïfs, comme le dit le président Barroso lui-même : l’Europe doit savoir se défendre et faire respecter ses normes, promouvoir ses intérêts et ses valeurs dans les domaines industriel, social ou environnemental. Autrement dit : n’attendons de cadeaux de personne ! De cela tout le monde semble commencer à prendre conscience.

En sixième lieu, enfin, l’ouverture européenne doit se concevoir dans un esprit de réciprocité, y compris s’agissant des marchés publics.

Alors que les plans de relance européens sont totalement ouverts aux entreprises hors zone, comme l’illustre, par exemple, le marché de près de 8, 5 milliards d’euros gagnés par Hitachi en Grande-Bretagne au détriment de concurrents européens, Siemens ou Alstom, nos entreprises européennes se heurtent au « mur » de certains marchés publics étrangers...

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

... ou se voient appliquer un traitement discriminatoire.

Il en a été ainsi, tout récemment – –, pour la vente de ravitailleurs à l’armée américaine !

M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Certes, cela relève de la défense, mais il s’agit quand même d’un marché public ! Cette situation de discrimination n’est pas acceptable. Ce n’est pas affaire de protectionnisme ; c’est une question d’équité et de réciprocité !

M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Pour sa part, la France transposera en droit interne les dispositions dérogatoires à l’accord sur les marchés publics de l’OMC de 1994, mais c’est bien une démarche européenne que nous voulons. Au nom de la France, j’ai demandé à la Commission de proposer les mesures réglementaires qui s’imposent pour faire appliquer les dispositions de cet accord sur le plan européen, dans un esprit de parfaite réciprocité.

Le Conseil européen sera également appelé à approuver le nouveau plan pluriannuel sur l’espace de liberté, de sécurité et de justice, dit « programme de Stockholm ». Ce programme, qui succède à ceux de Tampere et de La Haye, fixe les objectifs pour les cinq années à venir.

Ce document répond aux priorités que nous nous étions assignées : mettre en œuvre concrètement les engagements du Pacte européen sur l’immigration et l’asile, adopté sous l’impulsion de Brice Hortefeux, lors de présidence française ; renforcer la coopération opérationnelle en matière policière et judiciaire ; accroître l’efficacité de l’Europe de la justice au bénéfice des citoyens, notamment à travers la mise en œuvre du principe de reconnaissance mutuelle ; enfin, développer la dimension extérieure de la JAI, c’est-à-dire la justice et les affaires intérieures, en faisant des relations extérieures un élément du renforcement de la sécurité de l’espace européen de libre circulation. Nombre de domaines sont ici en cause : l’immigration, la lutte contre la drogue, etc.

La mise en œuvre de ce nouveau programme sera l’une des priorités de la prochaine présidence espagnole. Elle pourra, à cet égard, bénéficier des nouvelles règles établies par le traité, notamment un processus de décision facilité dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.

Enfin, l’actualité internationale chargée se reflétera dans l’agenda du Conseil européen.

Le premier point concerne l’Afghanistan, après le discours prononcé, le 1er décembre, par le président Obama.

Le renforcement militaire de la coalition n’a pas de sens sans la réussite du volet civil de notre assistance ; ce point est capital. Avec une aide annuelle de près de 950 millions d’euros, montant consolidé de l’aide des États membres et de la Commission, l’Union européenne a un rôle majeur à jouer dans la stabilisation de la situation en Afghanistan qui, je le rappelle, fait partie des deux ou trois pays les plus pauvres du monde. L’Union européenne peut contribuer de manière décisive à la définition des priorités de la communauté internationale.

La Conférence internationale de Londres, le 28 janvier, sera un rendez-vous essentiel dans ce domaine. Elle aura pour objectif de redéfinir les termes de la relation entre la communauté internationale et l’Afghanistan. Il s’agira, en particulier, de créer les conditions d’une appropriation croissante des responsabilités par les Afghans eux-mêmes.

Deuxième point : le Conseil européen doit également être l’occasion d’envoyer un message de détermination au plus haut niveau politique sur le programme nucléaire iranien.

L’Iran continue d’accumuler de l’uranium faiblement enrichi – pour l’instant... –, en violation des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, sans vraie raison électronucléaire civile identifiable.

Voilà dix jours, le 27 novembre 2009, le conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique a demandé à l’Iran de se conformer sans délai à ses obligations internationales et de cesser immédiatement ses travaux sur le site de Qom. Cette résolution, la dixième, vient s’ajouter aux cinq résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.

Malheureusement, l’Iran continue de rester sourd à nos inquiétudes sur la finalité de son programme nucléaire. Je rappelle qu’il n’existe toujours pas de socle électronucléaire dans ce pays. Non seulement il ne répond pas aux offres de dialogue, mais il défie la communauté internationale, comme en témoigne l’annonce, par le président iranien, de la construction de dix nouvelles usines d’enrichissement.

Notre offre de négociation reste sur la table, mais il doit être clair que nous attendons des gestes concrets de la part de l’Iran et un changement profond de son comportement sur le dossier nucléaire. Si l’Iran continue de refuser de coopérer avec la communauté internationale, nous devrons prendre des mesures fortes, à la mesure de l’enjeu, de l’urgence, de l’inquiétude des pays de la région et des efforts de dialogue que nous avons entrepris.

Nous rechercherons l’adoption de nouvelles mesures en priorité au Conseil de sécurité. Mais il appartient aux Européens de prendre leurs responsabilités et nous souhaitons que l’Union européenne s’y prépare dès maintenant. Il s’agit d’un enjeu essentiel pour l’avenir de la sécurité internationale et régionale ; or le temps presse.

Troisième point : en ce qui concerne le Proche-Orient, le conseil « Affaires étrangères » a, ce matin, rappelé la priorité absolue de l’Europe, à savoir que les négociations de paix reprennent le plus rapidement possible.

Le Conseil a également rappelé un certain nombre de principes essentiels : sécurité d’Israël, soutien à des négociations conduisant à l’établissement d’un État palestinien. Il a également qualifié la récente décision du gouvernement israélien relative au moratoire sur la colonisation en Cisjordanie de « premier pas dans la bonne direction ». Le Conseil a également souligné que Jérusalem avait vocation à devenir la capitale des deux États.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Quatrième et dernier point : l’état des négociations avec la Turquie et plusieurs États candidats des Balkans occidentaux.

Avec la clôture du débat institutionnel, le long processus de stabilisation et d’intégration européenne des Balkans – avec la perspective offerte aux pays de la région depuis les sommets de Zagreb en 2000, là encore sous présidence française, et de Thessalonique en 2003 – sera l’une des priorités de l’Union européenne. C’est un enjeu majeur pour la sécurité et la paix de notre continent sur lequel la France s’est particulièrement engagée depuis plus de quinze ans.

C’est grâce à elle que les États concernés ont accompli d’importants progrès – même si rien n’est encore réglé dans les Balkans –, qui ont été relevés par la Commission européenne dans son dernier rapport sur l’élargissement.

De plus, dans l’ensemble de la région, des accords de facilitation des visas avec l’Union européenne vont entrer en vigueur ou vont être conclus prochainement.

Mais ces progrès sont à consolider et beaucoup reste encore à faire : l’accord slovéno-croate qui vient d’être signé devrait faire l’objet de procédures référendaires en Slovénie ; la Croatie doit encore trouver une solution à la transmission d’éléments de preuve exigés par le tribunal de La Haye et, plus encore, réformer un système judiciaire encore lent et corrompu ; la Serbie ne pourra poursuivre son rapprochement avec l’Union européenne que si elle sait se montrer irréprochable et régler ses comptes avec l’histoire en livrant les criminels de guerre Ratko Mladic et Goran Hadzic au tribunal de La Haye et en produisant les réformes attendues ; la persistance du différend sur le nom de l’ancienne République yougoslave de Macédoine ne permet pas, pour l’heure, de fixer une date pour le début des négociations d’adhésion de ce pays, qui devra attendre au moins la présidence espagnole du premier semestre prochain.

Je n’oublie ni le Kosovo, où, en dépit des progrès enregistrés, la question de la reconnaissance de son indépendance demeure ouverte pour cinq des États membres de l’Union, ni la Bosnie-Herzégovine, où les responsables politiques restent encore incapables de faire aboutir les réformes () qui doivent permettre de démanteler le quasi-protectorat en place depuis quinze ans et dont le maintien interdit tout nouveau progrès au-delà de l’accord de stabilisation et d’association en cours de ratification.

Enfin, l’absence de progrès réels de la Turquie dans le respect de ses engagements de 2005 au titre du protocole d’Ankara, qui prévoyait l’ouverture des ports et aéroports du pays au commerce chypriote, ainsi que la normalisation des relations avec la République de Chypre, est un autre sujet de préoccupation pour le Conseil européen, qui devrait conclure à la reconduite des mesures restrictives adoptées par l’Union européenne en 2006 aussi longtemps que ces conditions n’auront pas été remplies par Ankara.

Tels sont, mesdames et messieurs les sénateurs, les principaux sujets inscrits à l’ordre du jour du prochain Conseil européen. Je vous prie d’excuser la longueur de mon propos, mais, comme vous l’avez constaté, il y a beaucoup de travail sur l’établi

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Hubert Haenel

Monsieur le secrétaire d’État, je ne peux qu’approuver ce que vous avez dit lorsque vous vous êtes réjoui des nominations intervenues depuis le dernier Conseil européen.

Vous venez de dresser un tableau complet de l’état de l’Union ; il y a effectivement de la matière, comme l’on dit !

Pour ce qui est des thèmes abordés, le Conseil européen des 10 et 11 décembre va se situer dans une grande continuité par rapport au Conseil européen du 19 novembre, même s’il y a des éléments nouveaux.

La principale différence est que les nominations du président stable et du haut représentant sont derrière nous. Le Conseil européen va donc pouvoir se concentrer davantage sur les deux grands thèmes déjà évoqués voilà un mois : la situation économique et le changement climatique, à quoi va s’ajouter le « programme de Stockholm » en matière de justice et d’affaires intérieures.

Voilà autant de domaines où l’action de l’Union a besoin d’impulsions fortes et durables, et où elle est attendue. Mais cette action suppose aussi une vue d’ensemble et une continuité dans la démarche. Nous savons tous que les anciennes règles de fonctionnement ne permettaient pas d’obtenir ce résultat. Il a fallu des années pour parvenir enfin à la ratification du traité de Lisbonne. Naturellement, on ne peut pas encore savoir, aujourd’hui, si le résultat sera nettement meilleur avec ce traité ; c’est l’expérience qui le dira. Mais nous n’aurons plus aucune excuse !

Quand on considère la manière dont se présente ce Conseil européen, on ne peut manquer de conclure qu’il était bel et bien nécessaire d’essayer de fonctionner autrement, car, une fois de plus, nous sommes, qu’on le veuille ou non, devant des perspectives très générales qui recueilleront probablement, sans trop de peine, un consensus, mais qui ne contiennent pas de lignes d’action très claires ni très fermes.

Prenons l’exemple du « programme de Stockholm », dont l’adoption sera sans doute un point fort de ce Conseil européen.

Voilà un domaine où les citoyens ont une grande attente à l’égard de l’Europe. C’est la question que l’on nous posait au moment du référendum sur le traité constitutionnel : mais que fait l’Europe, où est l’Europe ? Car tout le monde peut constater la nécessité d’agir en commun, que ce soit pour mettre en place un espace européen de justice, pour lutter contre la délinquance transfrontière ou encore pour maîtriser l’immigration.

La commission des affaires européennes du Sénat a examiné de près la préparation du nouveau programme ; un rapport d’information a été préparé conjointement par Annie David, Jean-Claude Peyronnet et Hugues Portelli. Or, à la lecture de ce rapport, qui ne peut être taxé de partialité, on sent que nos trois collègues, sans exception, ont eu quelque peine à discerner, dans les documents préparatoires, de véritables priorités politiques, clairement identifiables par les citoyens

De mois en mois, d’année en année même, dans ce domaine-là comme dans d’autres, on reste finalement dans des orientations générales qui ne constituent guère un projet fédérateur. Je sais bien que, sur cette base, la Commission doit proposer un « programme d’action » plus précis qui sera débattu sous présidence espagnole. Mais il serait d’autant plus utile que le Conseil européen adopte enfin, dans cette perspective, un message politique plus affirmé, une véritable feuille de route.

Si tel n’est pas le cas, monsieur le secrétaire d'État, il faudra bien que les États qui sont réellement décidés à avancer n’hésitent pas à dire qu’ils auront recours, chaque fois que nécessaire, aux « coopérations renforcées », puisque le traité de Lisbonne en donne la possibilité, ou aux « coopérations spécialisées », car l’expérience montre que c’est ainsi que l’on surmonte les blocages.

Prenons, par exemple, le cas du divorce transfrontalier, qui est à l’origine de contentieux longs et coûteux pour des personnes traversant déjà une épreuve sur le plan personnel. Comment accepter que la proposition Rome III soit toujours enlisée, alors que vingt-six États membres sur vingt-sept s’étaient mis d’accord sur une solution ? Mais voilà : la Commission européenne hésite à accepter une coopération renforcée, et puis, disons-le, c’est la Suède qui bloque, et nous sommes précisément sous présidence suédoise.

La solution se fera donc attendre encore un peu plus longtemps… Et les citoyens de l’Union européenne pourront à juste titre dire encore : « Mais que fait l’Europe ? »

Nous sommes ici très loin de l’« Europe des résultats » que le président de la Commission européenne appelait de ses vœux. Puisque nous avons soutenu ce dernier, il doit, lui aussi, faire ses preuves, notamment sur ce point précis du règlement Rome III, qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, n’est pas un point de détail. Nous devons absolument montrer ce que nous voulons.

Il est vrai que le traité de Lisbonne entre en vigueur : le prochain Conseil européen sera le dernier de l’ancienne formule. Il est impératif que la mise en œuvre du nouveau traité soit l’occasion de repartir sur de meilleures bases.

Pendant des années, nous avons répété qu’il fallait réformer les institutions – cela a duré quinze ans ! - pour que l’Union puisse enfin remplir ses missions. Maintenant que la réforme est accomplie, les citoyens ne comprendraient pas qu’il n’y ait pas de progrès tangible.

Le Conseil européen est, que cela plaise ou non à certains, la clé de voûte des institutions de l’Union. C’est pourquoi, lors des travaux de la Convention sur l’avenir de l’Europe, il est apparu nécessaire à la fois de le conforter et de le réformer. Un meilleur fonctionnement du Conseil européen était le moyen d’assurer la primauté du politique. Ce sera la tâche du premier président stable du Conseil européen que de faire entrer cette réforme dans la réalité.

Je sais que le choix des chefs d’État et de Gouvernement a été critiqué. Pour ce qui me concerne je ne partage pas du tout ces critiques. Il faut se souvenir que, au sein de la Convention, il a été difficile d’obtenir la création de la présidence stable. Les opposants étaient nombreux, et le compromis s’est fait en donnant à cette présidence stable des attributions bien plus réduites que celles qui étaient prévues au départ, en cela en dépit de la volonté du président de la Convention, Valéry Giscard d’Estaing.

Nous étions finalement tous d’accord sur un point : il fallait choisir une personnalité qui soit en mesure de tirer toutes les potentialités de cette nouvelle fonction, de lui donner toute la consistance possible. Je pense que, de ce point de vue, le choix d’Herman Van Rompuy est bien pesé.

Les médias auraient évidemment aimé que soit désigné quelqu’un de plus… médiatique. Mais une personnalité très connue aurait été rapidement ramenée à la réalité de sa fonction, qui ne ressemble en rien à celle du président des États-Unis. La tâche du président stable est d’abord de rapprocher les points de vue, de favoriser des compromis positifs, de garantir la continuité dans l’action. Ce n’est pas une tâche très médiatique ; on a même des chances de mieux la remplir si l’on ne se demande pas constamment où sont les caméras !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Hubert Haenel

Nous avons besoin non pas d’un rival des chefs d’État ou de Gouvernement, mais de quelqu’un qui sache au contraire les faire travailler ensemble et qui puisse faire valoir à l’extérieur les résultats de ce travail commun. Pour créer cette fonction, il faudra de la détermination, mais aussi de l’habileté et de la sagesse.

Nous verrons si l’homme qui a été choisi fera preuve de ces qualités. Mais laissons-le travailler ! Pour ma part, je me refuse à être déçu par avance. Après tout, ni Robert Schuman, ni Jean Monnet, ni Paul-Henri Spaak, ni Alcide De Gasperi, ni même Konrad Adenauer ne furent, en leur temps, des personnalités très médiatiques. Et pourtant, ils ont lancé la construction européenne. D’ailleurs, le président Sarkozy a bien dit, en parlant du nouveau président du Conseil européen : « Il vous étonnera. »

L’Europe d’aujourd’hui a besoin de résultats tangibles. Il nous faut sortir de la crise en veillant à ce que les excès de la sphère financière ne se reproduisent pas, ce qui n’est absolument pas acquis. Il nous faut obtenir une action mondiale efficace face au réchauffement climatique. Il nous faut répondre au besoin d’une coopération judiciaire et policière plus opérationnelle.

Pour que nous soyons en mesure de satisfaire à ces exigences, la période de transition institutionnelle que nous vivons doit se terminer au plus vite. Nous avons déjà parcouru une bonne partie du chemin avec les nominations du président stable et du Haut représentant. Il faut maintenant que la nouvelle Commission soit formée et opérationnelle le plus tôt possible.

Nous avons besoin d’une Europe en ordre de bataille, car elle a des combats majeurs à mener et ne peut pas se permettre de les perdre.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

La parole est à M. Jean François-Poncet, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean François-Poncet

Monsieur le secrétaire d’État, le Conseil européen des 10 et 11 décembre sera le premier depuis l’entrée en vigueur, le 1er décembre dernier, du traité de Lisbonne. C’est sur la portée de ce traité que j’aimerais interroger le spécialiste des affaires européennes que vous êtes depuis longtemps.

Le traité de Lisbonne est censé permettre à l’Europe de faire un grand pas vers son intégration. Et il est vrai qu’il réalise une triple percée.

Il s’agit d’abord d’une percée démocratique puisque le Parlement européen devient un véritable colégislateur : tous les textes doivent lui être soumis en vertu de la procédure de codécision ; il aura également le dernier mot en matière budgétaire, et ce n’est pas le moins important.

C’est également une percée en termes d’efficacité puisque la majorité qualifiée s’appliquera à un nombre beaucoup plus considérable de sujets.

Le traité constitue enfin une percée en matière internationale. D’une part, il crée en effet une présidence stable du Conseil européen, en lieu et place de la présidence tournante, qui voyait les titulaires de la présidence changer tous les six mois. La rotation des présidents ne subsiste que pour les conseils spécialisés ; agriculture, industrie, etc. D’autre part, le traité accroît aussi de façon très significative l’autorité du Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui cumule désormais ses fonctions avec celle de vice-président de la Commission, qui disposera du nouveau service européen pour l’action extérieure et aura donc la main sur l’outil diplomatique de l’Union.

Ces changements devraient permettre à l’Union européenne de devenir un acteur international de premier plan. Avec une population de 500 millions d’habitants et un produit intérieur nettement supérieur à celui des États-Unis, il est évident que l’Europe est un des principaux poids lourds de la planète, face à la Chine et aux États-Unis.

Cependant, monsieur le secrétaire d’État, un double doute me taraude.

Premièrement, l’élaboration et la mise en œuvre de la politique étrangère de l’Union font désormais intervenir trois, voire quatre hauts responsables : le président de la Commission européenne, bien sûr, qui dispose de services étoffés, y compris à l’étranger, et de moyens considérables pour l’aide au tiers monde, avec toute l’influence que cela peut comporter ; le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, également devenu vice-président de la Commission ; le Président du Conseil européen, président « stable » puisqu’il est désormais désigné pour deux ans et demi renouvelables une fois ; s’y ajoutent, pris collectivement, les présidents des Conseils des ministres spécialisés, renouvelables tous les six mois, et qui à mon avis ne renonceront pas facilement à gérer les aspects extérieurs des problèmes intérieurs traités par ces Conseils spécialisés.

D’où ma question : ne court-on pas le risque de voir la diplomatie européenne paralysée par des conflits, ou simplement par une absence de coordination entre des personnalités entre lesquelles il n’existe aucune hiérarchie claire. Nous ne sommes, en définitive, pas très avancés pour répondre à la fameuse question de Kissinger : « l’Europe, quel numéro de téléphone ? »

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean François-Poncet

Voilà ! Il y en a effectivement trois ou quatre, et celui qui s’aviserait d’en ignorer un pourrait s’en repentir.

Deuxièmement, monsieur le ministre, comment ne pas s’étonner de ce que, pour ces postes éminents – « éminentissimes », même ! - de président stable du Conseil européen et de Haut représentant, le choix des Vingt-sept se soit porté sur des personnalités inconnues de l’opinion européenne.

J’ai entendu les compliments que le président de la commission des affaires européennes a faits sur ces deux personnalités, dont je ne mets pas en doute les qualités. Je dis simplement que, pour la plupart des Français et des autres Européens – à l’exception des Belges, évidemment -, Van Rompuy est un illustre inconnu, et qu’il en va de même pour Mme Catherine Ashton, qui, en sa qualité de Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, va de surcroît faire ses premiers pas sur la scène internationale, dont elle ignorait tout jusqu’à présent.

Herman Van Rompuy et Catherine Ashton : ces noms retentissent très probablement aujourd'hui pour la première fois dans cet hémicycle.

Je ne conclus rien de définitif de ces deux interrogations, mais elles m’amènent, au terme de cette brève intervention, à me tourner vers vous, monsieur le secrétaire d’État, source de toute lumière !

Sourires

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes

Bien sûr, monsieur le président !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean François-Poncet

M. Jean François-Poncet. Que faut-il, en définitive, attendre de la mise en œuvre du traité de Lisbonne? S’agit-il d’une véritable avancée européenne – ce que je veux croire -, ou simplement d’un décor d’opéra où le chœur chante «Marchons ! Marchons ! » et où, sur la scène, personne ne bouge ?

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – M. Richard Yung applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Nous allons maintenant entendre les orateurs des groupes.

La parole est à Mme Annie David.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, d’autres orateurs l’ont dit avant moi, le Conseil européen des 10 et 11 décembre sera le premier à se tenir après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

Si vous vous félicitez, monsieur le secrétaire d’État, du franchissement de cette étape pour la construction européenne, parlant même de « révolution » pour l’Europe, vous ne pouvez néanmoins cacher que son adoption s’apparente à un long périple qui aura duré plus de cinq années. Je me dois donc de rappeler quelques faits.

Le premier d’entre eux sonne comme un désaveu de la construction libérale incarnée par ce traité : la Constitution européenne, version initiale du traité de Lisbonne, rédigée dans le secret des institutions européennes par la « commission Giscard d’Estaing » a été majoritairement rejetée par le peuple français le 29 mai 2005. Les partisans du « non » apparaissaient alors comme les liquidateurs de l’Europe. Pourtant, il n’aura pas fallu longtemps aux tenants de cette Constitution pour mettre en musique un plan B, sous l’égide d’une conférence intergouvernementale.

Ce plan B, ou traité de Lisbonne, version « simplifiée » mais conforme de la Constitution européenne, a ainsi été de nouveau soumis aux États. De peur de voir une nouvelle fois ce texte rejeté, vous l’avez fait adopter, le 7 février 2008, par les seuls parlementaires nationaux, faisant ainsi le choix de nier le vote du peuple !

Ce déni de démocratie n’étant pas suffisant, le procédé choisi en Irlande est venu confirmer la rupture qui s’est instaurée entre les peuples et l’Europe : après que les Irlandais eurent repoussé le traité, à la suite d’une consultation imposée par la Constitution irlandaise, celui-ci a été de nouveau soumis à référendum. Au final, au prix d’arguments outranciers insistant sur les difficultés insurmontables que rencontrerait l’Irlande si elle n’adoptait pas ce texte, ce traité, pourtant caduc dès 2004, est entré en vigueur. Comment ne pas souligner les efforts considérables qui vous ont permis d’accomplir cette prouesse absolument inédite !

Nous estimons que ce processus de ratification donne un éclairage particulièrement négatif sur la possibilité d’une démocratisation de l’Union européenne.

Pour ce qui est du contenu même du traité, nous sommes particulièrement inquiets sur sa capacité à sortir l’Union de la crise qu’elle traverse aujourd’hui.

En effet, si le dogme de la concurrence libre et non faussée n’apparaît plus dans le corps du traité, il est repris dans un protocole annexe possédant la même valeur juridique.

En prônant la libre circulation des capitaux, la liquidation des services publics et l’indépendance de la Banque centrale européenne à l’égard des États, vous soumettez la construction européenne aux principes ultralibéraux qui ont pourtant conduit à la crise financière, économique et sociale que nous traversons actuellement et qui touche très durement les citoyennes et citoyens européens.

Pourtant, cette Europe de la finance que vous construisez depuis l’adoption du traité de Rome a fait la démonstration de son incapacité profonde à répondre aux attentes et aux besoins des peuples.

Ce traité pose donc les bases non d’un grand pas pour l’Europe, mais de la poursuite des politiques européennes ultralibérales qui ont conduit à la crise.

De plus, les grands changements institutionnels prévus dans le traité de Lisbonne s’avèrent limités. Si le Parlement européen voit les domaines de codécision renforcés, il ne dispose toujours pas du pouvoir d’initiative parlementaire. C’est tout de même un comble pour l’organe censé disposer du pouvoir législatif !

Quant au processus de désignation ayant abouti à la nomination de Herman Van Rompuy à la présidence du Conseil et de Catherine Ashton à la tête de la diplomatie, il illustre une nouvelle fois le fonctionnement de cette Europe : c’est la prime au marchandage interétatique, en dehors de toute considération d’intérêt général.

Par ailleurs, nous estimons que la personnalisation et la concentration des pouvoirs au sommet constituent un poison pour la démocratie. Selon mon ami Francis Wurtz, fin connaisseur des institutions européennes, « à l’échelle de l’Union européenne, ce serait même un défi mortel à la souveraineté ». Il note également très justement que « ce qui manque le plus à l’Europe, ce n’est pas un président du Conseil, mais bien plus un projet politique dans lequel les peuples puissent se reconnaître et s’investir ». Je partage pleinement cette analyse.

Pour cette raison, contrairement à vous, monsieur le secrétaire d’État, je déplore la volonté de M. Barroso de constituer une nouvelle Commission européenne plus libérale encore que la précédente puisqu’elle comptera treize conservateurs, huit libéraux et six socialistes. Dans ces conditions, comment pourra-t-elle esquisser les réponses nécessaires face à la crise ?

En effet, nous estimons que la mission première de cette nouvelle Commission, comme de l’ensemble des institutions européennes, devrait résider dans sa capacité à répondre à l’urgence sociale de l’Union européenne. Ainsi, la crise a entraîné la disparition de 4 millions d’emplois, ce chiffre devant, selon statistiques de cette même Commission, atteindre 7 millions l’année prochaine.

Nous déplorions, lors de l’examen de la contribution de la France au budget de l’Union européenne, la faible ampleur des crédits liés à l’agenda de la politique sociale. Nous confirmons ici que seule une détermination farouche de l’ensemble des institutions communautaires permettra d’endiguer la crise sociale, par des mesures concrètes en faveur de l’emploi, des salaires et du pouvoir d’achat.

La question est donc la suivante : les dirigeants européens trouveront-ils le moyen de lier l’idée de construction européenne avec celle d’un progrès social au bénéfice de tous ? Il s’agit de bâtir une Europe qui protège et non une Europe qui déshumanise face à un marché omnipotent et omniscient.

Alors que la crise financière reprend aux États-Unis, nous attendons des initiatives fortes en faveur de la régulation des marchés financiers. On peut, en particulier, s’inquiéter des tensions pesant sur les crédits immobiliers en Espagne et en Grande-Bretagne. Nous déplorons également que la valse des bonus exorbitants des traders ait repris partout dans le monde, aux États-Unis comme en Europe, notamment en France.

Nous serons également très attentifs à la stratégie qui succédera à la stratégie de Lisbonne, dont les défaillances sont patentes. Au lieu de faire de l’économie européenne la plus compétitive du monde, cette stratégie l’a conduite dans une crise dramatique, en appelant à toujours à plus de réductions de la dépense publique et en confiant au secteur privé la responsabilité d’organiser les services publics. Cette politique s’inscrit dans le droit fil de l’Accord général sur le commerce des services, qui considère l’ensemble des activités humaines comme des marchandises. C’est une impasse sociale, économique et environnementale.

Le programme de Stockholm sera également au menu du Conseil européen. Loin de permettre la construction d’une Europe de justice, d’égalité, de fraternité, de coopération et de solidarité, il renforce le caractère sécuritaire des politiques relatives aux migrations, faisant craindre à terme des atteintes aux droits fondamentaux des migrants, considérés uniquement sous l’angle de leur valeur marchande. Alors que le principe de libre circulation est à l’honneur concernant les capitaux, il en est tout autrement quand il s’agit des hommes. J’ai fait part de mes craintes le 17 novembre dernier à Bruxelles, en évoquant une « Europe forteresse ».

Ce dernier point confirme notre analyse sur la vocation de l’Europe aux yeux de ses dirigeants : ils souhaitent une Europe de la finance et des marchés et non une Europe des peuples.

Dans ce cadre, et alors que se tient en ce moment même la conférence de Copenhague, nous estimons que la proposition des Européens reste en deçà des enjeux.

En effet, quelle que soit l’issue de ces discussions, qui portent pour l’essentiel sur la répartition de l’effort entre États membres, la contribution européenne s’annonce déjà insuffisante au regard de l’objectif mondial de contenir le réchauffement de la température moyenne du globe dans la limite de 2 degrés. Dans le « paquet énergie-climat » adopté au printemps, l’Union européenne s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 20 % d’ici à 2020 par rapport à 1990, alors que, selon les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, cet effort devrait être de l’ordre de 25 % à 30 % pour que soit atteint l’objectif mondial de diminution de 50 % de ces émissions d’ici à 2050 par rapport à 1990.

Pour autant, rien n’assure que l’engagement européen sera respecté : les mécanismes prévus dans la directive du 23 avril 2009 s’avèrent peu contraignants et le marché carbone, qui crée de véritables « droits à polluer », sera étendu en 2013. Il s’imbrique dans un système de spéculation sur la pollution, ce que dénonce très justement notre collègue Fabienne Keller dans sa proposition de résolution. Elle déplore l’absence de contraintes liées à ce marché, estimant qu’il « souffre en particulier d’une absence de régulation et d’un cadre normatif très léger ». Elle estime que ce marché de quotas ne doit pas être, une fois créé, « abandonné à la logique ordinaire des marchés financiers. ». C’est pourtant ce qu’organise cette directive. Nous avons en effet des doutes sur la capacité du marché à réguler les émissions de gaz à effet de serre quand c’est le marché lui-même qui est à l’origine de leur explosion.

La Commission européenne a, de plus, établi une liste de 164 secteurs industriels qui seront exemptés de tout effort : la sidérurgie, la cimenterie, mais aussi une bonne partie de l’industrie manufacturière, notamment l’armement et les laboratoires pharmaceutiques. Si l’Union européenne se refuse à contraindre ses industriels à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre à la hauteur de leurs responsabilités, elle refuse tout autant de remettre en cause sa politique économique, malgré l’échec de celle-ci en matière environnementale. En témoigne notamment la fuite en avant que constitue l’ouverture à la concurrence du secteur des transports et de l’énergie, associée au refus d’établir un bilan.

Pourtant, dans le secteur des transports, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 26 % entre 1990 et 2006. Au final, l’essentiel de l’effort climatique européen sera une nouvelle fois supporté par les consommateurs, ce que nous déplorons.

Tels sont les sujets sur lesquels les sénateurs du groupe CRC-SPG souhaitaient, monsieur le secrétaire d’État, attirer votre attention.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Pozzo di Borgo

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordre du jour du Conseil européen des 10 et 11 décembre reflète la transition européenne, profonde et positive, à laquelle nous assistons.

Tout d’abord, il s’agit d’une transition institutionnelle réussie, avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne à compter du 1er décembre dernier. C’est un immense progrès pour l’Union européenne, la logique de la fuite en avant par un élargissement sans approfondissement ne pouvant, nous n’avons jamais cessé de le répéter, se poursuivre indéfiniment. Désormais, l’Europe des Vingt-sept aura les moyens institutionnels de ses ambitions, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. À cet égard, je ne rejoins donc pas le pessimisme de notre collègue Jean François-Poncet.

La transition est également environnementale. Elle se poursuit à l’heure actuelle, avec les négociations du sommet de Copenhague. Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, il faut parvenir, le plus vite possible, à un accord juridiquement contraignant. Or, pas plus qu’en matière institutionnelle, l’Europe n’a à rougir dans ce domaine. Unie et incitative, elle a même été exemplaire, en particulier sous l’égide de la présidence française, qui, rappelons-le, a fait adopter le « paquet énergie-climat ».

Nous ne pouvons que nous féliciter de l’engagement, sous l’autorité du Président de la République, de l’« équipe France », composée de personnalités telles que vous-même, monsieur le secrétaire d’État, ou Jean-Louis Borloo. Si nous obtenons un accord ambitieux à Copenhague, nous le devrons en grande partie à cette équipe.

Enfin, la transition devrait être économique, et c’est à ce point que je consacrerai l’essentiel de mon intervention.

Tirer les leçons de la profonde crise que nous traversons implique de nous interroger sur les fondamentaux de l’économie européenne, afin de sauvegarder le modèle de croissance sociale auquel nous sommes tant attachés.

En matière économique, la nécessité pour l’immense majorité des États membres de l’Union de rééquilibrer leurs finances publiques est criante. Aujourd’hui, vingt États sur vingt-sept sont « hors des clous » de Maastricht.

Mais un tel redressement ne sera possible que si l’Union parvient à mettre en place une véritable stratégie commune de sortie de crise.

L’Europe est en mal de relance parce qu’elle est aujourd’hui privée d’impulsion. Or le moteur européen est bien connu : c’est, depuis toujours, le couple franco-allemand.

La France et l’Allemagne, les deux grandes puissances de l’Union, ne sont toujours pas parvenues à mettre en place une impulsion économique commune. Aucune ligne économique générale ne se dégage de leurs dynamiques, ce qui pose une fois de plus, mais avec une acuité nouvelle, la question de la politique budgétaire de l’Union.

Or, dans cette affaire, la responsabilité de notre pays pourrait être aujourd’hui déterminante. La France est en retard par rapport à son voisin d’outre-Rhin. L’Allemagne a initié bien avant nous son ajustement économique. Dans les années quatre-vingt-dix, le chancelier Kohl mettait en place la retraite à soixante-sept ans, avec l’appui des socialistes. Le socialiste Gerhard Schröder fit de même en matière de protection sociale, avec l’agenda 2000. Le résultat est frappant : le taux de dépenses par rapport au PIB est de sept points inférieur en Allemagne.

Non seulement l’Allemagne a su mener ces réformes, mais elle dispose également d’au moins deux atouts économiques maîtres par rapport à la France.

Le premier est une base industrielle beaucoup plus puissante que la nôtre, ce qui lui permet de supporter sans trop souffrir un euro à 1, 5 ou 1, 6 dollar. Le différentiel de compétitivité entre nos deux pays est de quinze points.

Le second atout est d’ordre démographique. La démographie allemande est bien moins dynamique que la nôtre. Paradoxalement, les 650 000 ou 700 000 naissances par an, rapportées à 82 millions d’habitants, que notre voisin allemand enregistre depuis dix ans – à comparer aux 800 000 naissances françaises pour 62 millions d’habitants – constitueront pour lui un atout, car il n’aura pas à supporter le poids d’un trop grand nombre de jeunes à former. Cet avantage perdurera jusqu’en 2015 ; la démographie deviendra alors un handicap pour l’Allemagne. Mais, d’ici là, il faudra bien tenir et s’adapter.

Tous ces facteurs structurels expliquent le différentiel de trois points de déficit qui subsiste entre nos deux pays. En 2008, l’Allemagne avait un déficit budgétaire égal à zéro, quand celui de la France était de 3 % du PIB.

En raison de la crise, ces deux pays ont vu leur déficit structurel augmenter de 5 %, pour s’établir à 8 % du PIB pour la France, contre 5 % pour l’Allemagne. Tous ces facteurs structurels nous placent face à nos responsabilités.

Faute pour notre pays de procéder aux ajustements structurels qui s’imposent, le couple franco-allemand demeurera un « attelage bancal », pour reprendre l’expression de Christian Saint-Etienne. Le couple franco-allemand est aujourd’hui bien trop déséquilibré, ce qui nous affaiblit et nous décrédibilise vis-à-vis de l’Allemagne.

Le Président de la République semble en avoir pleinement conscience, comme en témoigne, pour ne prendre qu’un exemple, le fameux rendez-vous annoncé du printemps 2010 sur les retraites.

C’est la France que le couple franco-allemand attend pour repartir ! Ce sont des réformes de la France que l’Europe attend pour retrouver son moteur économique, et pour rebondir !

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP. - M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes, applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

M. Richard Yung. Monsieur le président, mes chers collègues, je partage le sentiment de M. le secrétaire d’État : nous avons des difficultés à organiser ces débats, y compris sur des sujets importants comme la préparation du Conseil européen. Il y a bien sûr des raisons contingentes – nous venons d’achever l’examen du projet de loi de finances –, mais ce n’est pas la première fois que nous avons du mal à intéresser nos collègues, quelle que soit leur appartenance politique. La méthode est-elle insuffisamment pédagogique ? Le débat, par trop formel, donne-t-il l’impression que l’on ne peut pas agir sur les choses ? Nous devrons en tout cas y réfléchir.

M. le président de la commission des affaires européennes opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

J’en viens maintenant au fond de mon intervention.

Les 10 et 11 décembre prochains se tiendra le premier Conseil européen depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Nous avons de nouvelles institutions. Ce n’est sans doute pas fracassant, mais on note quelques progrès et, surtout, on sort de toutes ces années de « patinage » autour des questions institutionnelles. C’est quand même une page qui se tourne.

Un président du Conseil européen et un Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères ont été nommés. Je pense qu’il faut leur faire confiance. §Ils ne sont pas connus, mais ils ne sont pas les premiers dans l’histoire, et peut-être montreront-ils des qualités importantes.

Reste que la méthode de désignation a tout de même été un peu désagréable : ces deux noms subitement sortis du chapeau masquent difficilement les marchandages. La nomination par le Conseil des chefs d’État et de gouvernement n’est pas en cause, mais, si on veut rétablir le lien entre l’opinion publique, les citoyens d’Europe et les institutions européennes, il faut s’y prendre autrement. Il faudrait créer un mouvement, susciter l’intérêt, permettre aux gens de s’identifier un tant soit peu à leurs dirigeants.

Sur le plan du fonctionnement, je m’interroge sur le rôle du président du Conseil européen. Il va présider le Conseil, soit ! Donc, il aura un petit marteau et tiendra l’agenda. Mais fera-t-il plus que cela ? Pourra-t-il orienter l’ordre du jour, fixer certaines priorités et user de son influence ? Jouera-t-il un rôle politique ou sera-t-il simplement un distributeur de parole ? Il est sans doute impossible de répondre aujourd’hui à ces questions, mais nous serons attentifs.

Je m’interroge également sur le lien qu’entretiendra ce président permanent, désigné pour deux ans et demi, avec les présidences tournantes, qui subsistent. L’articulation entre ces deux institutions est difficile à comprendre. Le président du Conseil sera-t-il représenté dans tous les conseils ministériels spécialisés ?

Je suis certes satisfait qu’il y ait une représentation de l’Union européenne au plan international, mais elle est presque pléthorique : désormais, il y a trois numéros de téléphone ! Surtout, comment tout cela va-t-il s’organiser ? Qui va être le mâle alpha ?

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

La mise en place du futur service européen pour l’action extérieure est une affaire importante que l’on n’a pas encore parfaitement assimilée. Comment la France voit-elle les choses dans ce domaine ? A-t-elle fait des propositions ? Et comment ce service va-t-il s’articuler avec nos ambassades ? J’imagine que les frictions seront nombreuses… Les ambassadeurs de France, comme les autres d’ailleurs, ne vont pas être particulièrement ravis de voir arriver d’autres ambassadeurs, avec leurs bicornes, qui prétendront représenter l’Union européenne. Il y aura un problème de définition des compétences et de fonctionnement. Je sais que Mme d’Achon devait rendre un rapport sur le sujet au sein du ministère des affaires étrangères. Vous a-t-elle déjà rendu ses conclusions et, si oui, pourriez-vous nous en présenter les grandes lignes, monsieur le secrétaire d’État ?

Je me réjouis de la nomination d’un commissaire chargé des droits fondamentaux. Cela va dans le bon sens. On mesure l’importance de ces questions quand on voit ce qu’il est advenu de l’accord SWIFT, qui a finalement été signé au nom de la lutte contre le terrorisme, et pas au nom des droits fondamentaux des citoyens européens.

Quant à la désignation de deux députés européens supplémentaires, qui ne présente pas de lien direct avec ce Conseil européen, il me semble que la France n’a pas choisi la bonne méthode et a fait preuve d’imprévision. Nous aurions pu anticiper. Au lieu de cela, nos représentants auront la qualité de simples observateurs, ce qui revient à nous faire perdre deux sièges. Ce n’est pas très démocratique… Mais nous aurons l’occasion de revenir sur cette question, et de vous dire tout le mal que nous pensons de la solution retenue.

Sur le réchauffement climatique, tout le monde sent bien que l’Union européenne doit jouer un rôle moteur dans les négociations qui se déroulent actuellement. Des grandes zones développées du monde, l’Europe est la plus en avance dans ce domaine et, compte tenu des positions américaines, c’est par l’intermédiaire de l’Union européenne que des décisions ambitieuses pourront être formalisées.

Mais l’Union est-elle désormais capable de parler d’une seule et même voix sur ces questions ? Je ne sais pas, mais sans doute nous le direz-vous, monsieur le secrétaire d’État…

L’Union européenne s’est engagée à réduire d’ici à 2020 ses émissions de gaz à effet de serre de 20 % par rapport aux niveaux de 1990. Cet objectif est-il suffisant ? Je n’en suis pas si certain, car il ne représente qu’une réduction de 10 % par rapport à la situation actuelle.

L’Union a certes déclaré être prête à porter cet objectif à 30 %. Cependant, cet engagement est conditionné aux efforts des autres pays industrialisés et des pays émergents. On risque donc d’entrer dans la mécanique du « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette »…

Nous regrettons aussi l’absence d’objectifs intermédiaires contraignants pour voir, pays par pays, quels progrès ont été réalisés. En l’absence de tels bilans d’étape, rien ne se passera jusqu’en 2019. Puis ce sera la panique générale, on multipliera les grandes déclarations, et l’objectif ne sera pas atteint.

Sur la question du financement de l’aide pour les pays les plus pauvres, la France a pris une initiative heureuse, le plan « justice climat », qui serait financé par la création d’une taxe sur les transactions financières. Permettez-moi au passage de me réjouir que l’abominable taxe Tobin, qui suscita hier tant de sarcasmes, soit aujourd’hui parée de toutes les vertus. Il n’y a pas de copyright sur les bonnes idées, et je me réjouis que celle-ci soit reprise. Nous souhaiterions toutefois obtenir des précisions sur le mécanisme de cette taxe.

Enfin, qu’en est-il des discussions sur l’harmonisation des taxes carbone, ou plutôt des taxes destinées à lutter contre l’émission de gaz à effet de serre ? La France a pris l’initiative d’en créer une.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Il en existe dans d’autres pays. Il convient de les harmoniser. Ce point figure-t-il à votre programme de négociations, monsieur le secrétaire d’État ?

Concernant le programme Espace de liberté, de sécurité et de justice, le texte proposé n’est pas très satisfaisant ; il ne fait que reprendre, sans les enrichir ni les formaliser, les programmes précédents. Il faudrait au contraire profiter de cette occasion pour renforcer les droits fondamentaux, notamment dans le domaine de l’immigration, par exemple en interdisant la rétention des mineurs ou en levant les obstacles à l’exercice du droit au regroupement familial.

Nous regrettons que les droits liés à la citoyenneté européenne ne soient pas développés, en particulier qu’aucune initiative ne soit prise en matière de coopération consulaire communautaire. Nous avons déjà évoqué ce sujet avec M. Kouchner lors du débat budgétaire : il ne se passe quasiment rien dans ce domaine. Ce vide ne peut qu’étonner, car, de toute évidence, à l’heure du rétrécissement de toutes les représentations consulaires, c’est un formidable terrain d’application. Mais pour l’heure, il n’est question que d’ouvrir des bureaux communs de délivrance des visas Schengen.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Je vais conclure, monsieur le président.

J’aurais eu des choses à dire sur l’aspect financier et sur les autorités de supervision. Nous aurions préféré une seule autorité de supervision pour les trois domaines. Ce n’est pas le choix qui a été fait.

Nous jugeons également le plan de relance économique bien timoré. Vous avez d’ailleurs reconnu que la Commission doit prendre toute sa place dans le dispositif, mais jusqu’à présent cette dernière n’a pas fait preuve de beaucoup d’enthousiasme !

Telles sont les quelques observations que je souhaitais faire sur les trois grands sujets de la réunion d’après-demain.

M. le président de la commission des affaires européennes applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la Suède préside cette semaine le dernier Conseil à présidence tournante de l’Union européenne.

« Relevons le défi », le thème de la présidence suédoise de l’Union européenne ne pouvait être mieux choisi : institutions, économie, climat… Désormais, avec le traité de Lisbonne, l’Europe peut mieux décider de son destin.

En effet, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre, une nouvelle figure apparaît : un président stable et à plein temps du Conseil européen.

Le Belge Herman Van Rompuy a été désigné pour occuper cette nouvelle fonction. Peu connu du grand public, qualifié d’« horloger des compromis impossibles », il a peut-être sauvé la Belgique de l’éclatement, et donc de la disparition.

Pour lui, le président du Conseil européen n’a « qu’un profil possible, celui du dialogue, de l’unité et de l’action ».

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Depuis l’interrogation ironique de Kissinger, « l’Europe, quel numéro de téléphone ? », on mesure le chemin parcouru.

Désormais, la représentation de l’Union sur la scène internationale sera assurée par M. Van Rompuy et par Mme Catherine Ashton, désignée concomitamment Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Deux nouveaux postes pour, espérons-le, une véritable diplomatie européenne !

Dès qu’elle aura passé avec succès l’oral devant le Parlement européen, Mme Ashton cumulera en fait deux fonctions existantes : celle de Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune et celle de commissaire aux relations extérieures.

En supprimant la concurrence entre ces deux fonctions, le traité donne une plus grande cohérence à l’action extérieure de l’Union, cohérence qui sera accrue par le fait que Mme Ashton présidera le Conseil des ministres des affaires étrangères et qu’elle s’appuiera sur un service européen d’action extérieure.

Ce nouveau service doit regrouper à la fois les services extérieurs de la Commission, ceux du secrétariat du Conseil et des diplomates détachés par les États membres. J’imagine que vous travaillez d’ores et déjà à définir son périmètre et ses missions.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Tout à fait !

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Pouvez-vous nous en dire plus ? Quand sera-t-il mis en place ? Disposera-t-il d’une section distincte dans le budget de l’Union ?

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Pour autant, l’Union va-t-elle s’exprimer d’une seule voix grâce au traité de Lisbonne ? Je l’espère, mais on peut craindre des frictions internes dans le triangle composé par le président du Conseil européen, le président de la Commission et le Haut représentant.

De même, la présidence tournante ne disparaît pas complètement. Sera-t-elle présente dans les sommets avec les pays tiers lorsque ceux-ci ne portent pas seulement sur des sujets de politique étrangère, mais concernent également les politiques communautaires comme le commerce, l’énergie ou les initiatives régionales ? Le format « troïka » subsistera-t-il ? Qui représentera l’Union au G8 et au G20 ?

Il est difficile d’imaginer l’articulation de ce nouveau meccano institutionnel. Les risques de cacophonie, et donc de confusion, sont réels.

Quoi qu’il en soit, la création de ces deux postes, président du Conseil européen et Haut représentant, ne suffira pas à définir et à défendre les intérêts communs aux Européens, et à créer une communauté de vision et d’action à l’égard du monde extérieur, autrement dit une véritable politique étrangère commune.

M. Van Rompuy et Mme Ashton auront, certes, une partition à jouer, mais ils resteront au mieux des modérateurs si les grands pays, notamment l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France aux traditions diplomatiques et aux intérêts différents, ne sont pas enclins à se concerter et n’ont pas la volonté de faire preuve d’unité pour décider une dynamique capable d’entraîner la machine institutionnelle. C’est la condition du succès de la diplomatie européenne.

L’autre condition est d’avancer dans la construction de l’Europe de la défense, car, aujourd’hui, la diplomatie est encore amputée d’une partie de sa crédibilité.

Je suis convaincu que seule une Europe politique dotée de tous les attributs de la puissance, et en premier lieu d’une politique européenne de sécurité et de défense crédible, peut permettre à notre continent de commencer à peser sur les affaires du monde et de contribuer aux grands équilibres.

Or soyons lucides : depuis Saint-Malo, nous n’avons guère avancé sur ce plan. La tentation est grande de voir dans la politique européenne de sécurité et de défense au mieux une intention, au pire une incantation rituelle.

Certes, vingt-trois opérations souvent modestes ont été ou sont actuellement menées par l’Union au titre de la politique européenne de sécurité et de défense, la PESD, et celle-ci a démontré sa réactivité dans la crise en Géorgie. Cependant, dans la réalité, ces opérations sont la plupart du temps à dominante civile et de faible ampleur au regard du discours et des ambitions affichées. On est loin de la force de projection de 60 000 hommes annoncée à Helsinki !

Pourtant, les risques et les menaces auxquels nous sommes confrontés collectivement le long de cet arc de crise qui s’étend désormais de la Mauritanie à l’Afghanistan appellent des réponses à l’échelle européenne.

La crise doit aussi encourager les Européens à dépenser mieux et, donc, à mettre davantage leurs moyens en commun. C’est bien sûr indispensable sur le plan financier, mais la défense européenne doit aussi traduire une volonté diplomatique commune.

On le sait, la PESD a été longtemps hypothéquée par la méfiance des Américains, qui nous suspectaient de vouloir fragiliser le lien transatlantique. Avec le retour de la France au sein de l’OTAN et la nouvelle administration américaine, ce débat est désormais derrière nous.

J’ai été de ceux qui ont soutenu la décision du Président de la République parce qu’elle devait permettre au projet européen d’avancer.

Pendant la présidence française, les membres de l’Union se sont engagés à renforcer leurs capacités militaires. Où en est-on ? Quelles initiatives ont été prises pour donner un nouvel élan à cette politique et pour faire en sorte que l’Europe ne soit pas une immense Croix-Rouge ?

Il nous faut progresser sur un juste partage du coût des opérations et sur leur mise en œuvre plus rapide, et nous devons développer une industrie européenne d’armement autonome, puissante et compétitive. C’est une nécessité stratégique et une assurance de crédibilité.

Au-delà de la diplomatie et de la défense, comment redonner un sens politique à une construction européenne qui en a fortement besoin pour prospérer ? Pour être légitime, une communauté doit être porteuse d’un message, d’une histoire, d’un projet que ses membres puissent partager, présenter et offrir au reste du monde.

On le sait, le message de réconciliation ne fait plus recette et l’intégration économique ne suscite guère d’enthousiasme en dépit de ses résultats.

C’est en donnant corps à l’idée qu’elle incarne un modèle de développement juste et durable que l’Union européenne pourra trouver une légitimité nouvelle auprès de ses citoyens.

Les États membres partagent nombre de valeurs et de principes économiques et sociaux qui les distinguent des autres pays ou régions du monde, notamment des États-Unis, de la Chine et des autres pays émergents.

L’Union doit démontrer sans cesse qu’elle met en œuvre des décisions et des politiques conformes à ces valeurs, qu’il s’agisse de la définition de principes de régulation d’un monde globalisé où la multipolarité agressive et anarchique semble se profiler, des négociations qu’elle conduit dans le cadre de l’OMC, des politiques d’ajustement mises en œuvre pour prendre en charge les effets négatifs de la crise financière, des politiques d’aide au développement qui font, d’ores et déjà, l’objet d’importants financements communs, ou encore des politiques environnementales sur lesquelles, nous le voyons aujourd’hui à Copenhague, l’Europe est pionnière, résolue et unie.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

M. Aymeri de Montesquiou. Nous comptons sur vous, monsieur le secrétaire d'État, pour faire en sorte que le cadre institutionnel stable et durable fourni par le traité de Lisbonne ne reste pas sans réelle plus-value décisionnelle ; notre place dans le monde est en cause. Il doit aussi être l’occasion d’indiquer aux Européens un « horizon de sens » capable de les réunir autour d’un projet commun. Saisissons cette opportunité pour dire, avec Winston Churchill, que « l’histoire [nous] sera indulgente car [nous avons] l’intention de l’écrire ».

Applaudissements sur les travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, il est dommage qu’un débat de cette nature ait lieu à une heure aussi avancée. Il faudra, monsieur le président Haenel, que vous vous battiez, et nous vous soutiendrons, pour que les débats européens prennent toute leur place dans notre calendrier.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

C’est un débat intéressant qui nous occupe aujourd'hui. Certains disent qu’il s’agit du Conseil de la nouvelle Europe. Ce n’est pas encore tout à fait le cas. Certes, le traité de Lisbonne s’applique depuis le 1er décembre, mais le Conseil sera présidé par la présidence tournante suédoise. Il sera intéressant de voir comment se positionneront le président stable, qui a été nommé, et le Haut représentant, qui participera au Conseil sans en être membre directement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Il y a là, je pense, une observation intéressante à faire pour voir comment la situation va évoluer.

Je veux dire à Jean François-Poncet, pour qui j’ai une grande admiration, qu’il a été un peu dur. S’il s’était agi de mettre en place un opéra ou une comédie, ce ne sont pas M. Van Rompuy et Mme Ashton qui auraient été nommés ! Ces deux personnalités de qualité ne sont ni des stars ni des vedettes. Elles démontreront sans doute leur efficacité et donneront un contenu réel aux fonctions qui ont été créées et qui sont susceptibles de donner une nouvelle dimension politique à l’Europe.

C’est vrai, tout ne repose pas sur une seule personne, mais l’Europe, ce n’est pas les États-Unis ! Le choix qui a été fait est un choix différent. J’espère, pour ma part, que ces personnalités politiques feront leurs preuves…

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

… et démontreront que le traité de Lisbonne apporte bien une réponse à l’attente politique que nous avions exprimée. Ne commençons pas à détruire ce que ce traité peut apporter.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez fait le point sur les institutions.

La Commission sera également dans une position un peu particulière, car elle est composée d’un président, qui s’affirme, et de commissaires. Je me réjouis, d’ailleurs, qu’un portefeuille important ait été confié au commissaire français, M. Barnier. Je me félicite également que le commissaire roumain soit chargé de la politique agricole, car nous avons besoin de soutien et de perspectives dans ce domaine. Je ne sais pas qui sera chargé de la politique de voisinage, mais c’est un sujet important pour l’avenir sous la présidence espagnole.

L’Espagne va-t-elle présenter son programme ? Ce programme prévoit-il de donner l’élan nouveau indispensable à l’Union pour la Méditerranée, que le Président de la République française a lancée, mais qui a connu un blocage à la suite du drame de Gaza. Le secrétariat général de l’Union pour la Méditerranée n’est pas encore totalement en place, mais les perspectives d’action de l’Espagne peuvent nous permettre d’espérer un regain d’activité des conseils ministériels.

Parallèlement à l’action des États, – c’est le message que je vous délivrais ce matin, monsieur le secrétaire d’État – se développent des actions sous-étatiques. Je me réjouis, en particulier, de pouvoir assurer la liaison entre la commission des affaires européennes du Sénat et le Comité des régions de l’Union européenne, monsieur le président Haenel. Ce comité va mettre en place le 21 septembre prochain à Barcelone l’Assemblée régionale et locale euro-méditerranéenne, l’ARLEM, qui doit favoriser la prise de conscience des acteurs régionaux et locaux, ainsi que des acteurs économiques, pour créer des dynamiques nouvelles et stimuler des projets susceptibles de donner corps à cette Union pour la Méditerranée. Je ne sais pas si cette question sera abordée lors du prochain Conseil européen, mais j’espère que le fait qu’un pays méditerranéen assure cette présidence tournante de l’Union européenne permettra de relancer l’Union pour la Méditerranée.

En ce qui concerne la conférence de Copenhague, nous ne devons pas oublier que c’est sous l’impulsion de la présidence française de l’Union que le « paquet climat » européen a été adopté. Monsieur le secrétaire d’État, les actions que le Président de la République a développées dans ce domaine avec le Brésil ont-elles vocation à devenir européennes ? Par ailleurs, l’Europe pourra-t-elle parler davantage d’une seule voix à Copenhague, même si ce n’est pas encore une voix unique, mais nous sommes en droit d’espérer que s’installe une meilleure coordination. Parallèlement, un de nos collègues a posé la question de la généralisation, au niveau européen, de la nouvelle contribution carbone. Il est évident que cette contribution ne prend son sens que si elle peut se développer, d’abord dans les pays européens, et demain – pourquoi pas ? – dans le monde.

Outre les problèmes posés par le climat, la préservation de l’environnement et la gestion de l’eau sont des enjeux majeurs, dans l’Union méditerranéenne en particulier. Je ne pense pas que ce point soit abordé à Copenhague, mais je me permets d’insister sur cette dimension.

Sur un plan économique, l’Union européenne a démontré, pendant la crise, qu’elle comptait : elle a été en mesure de provoquer une réunion du G20, sur l’initiative de la présidence française. Vous avez abordé le problème tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État : le Président de la République ose parler de préférence communautaire, moi aussi ! Dans le jeu de la concurrence mondiale, la préférence communautaire ne remet pas en cause les échanges, qui sont importants pour le développement général de nos pays, mais peut se révéler un atout, notamment en imposant des contraintes pour anticiper les dégâts éventuels dans l’alimentation ou d’autres domaines.

Enfin, je ne sais pas si cette question sera abordée, la politique régionale et de cohésion a fait une nouvelle fois l’objet de débats et la commission des affaires européennes a failli se réunir le 24 novembre pour discuter de ce sujet, pour nous capital.

Le traité de Lisbonne a consacré l’objectif de cohésion territoriale. Comment pourrions-nous comprendre qu’en même temps l’objectif 2, ou la priorité 2, de ces politiques de cohésion soit remis en cause ? Le prochain Conseil européen abordera-t-il le problème de la mise en place des instruments et des moyens financiers de la politique de cohésion territoriale ? C’est une des deux dimensions essentielles pour notre pays de la politique de l’Union, avec le maintien d’une nouvelle politique agricole commune, qui doit, me semble-t-il, faire l’objet d’une longue négociation.

Pour conclure, n’abandonnons pas l’espérance, que le traité de Lisbonne a pu susciter ! L’Europe est sortie de faux débats : il est extraordinaire que vingt-sept pays aussi différents aient pu tomber d’accord et signer ce traité ! Utilisons-le au maximum pour faire renaître la flamme de cette espérance européenne dont nous avons tant besoin ! Finissons-en avec l’auto-flagellation, et créons une dynamique pour que vive l’Europe et que vive l’Euro-Méditerranée !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d’État

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt, comme toujours, chacun des intervenants enrichir ce débat de la justesse de ses analyses, développées parfois avec fougue, comme le fait si bien M. Jacques Blanc.

Monsieur le président Haenel, permettez-moi de vous remercier, au nom du Gouvernement, du soutien sans faille, à la fois vigilant mais constant, dont vous faites preuve. Comme tous les orateurs, vous avez exprimé à la fois beaucoup d’attentes et d’interrogations. Aucun d’entre nous ne sait lire dans le marc de café, nous ne savons donc pas si, après tant d’années de négociations, le « paquet institutionnel » va donner ce que nous espérons tous, en tout cas l’espoir est grand.

J’ai tendance à résumer modestement ma tâche par l’image suivante : nous pourrions nous contenter de dire « Yes we can ! », mais les attentes des peuples ne portent plus sur les institutions, mais sur les politiques communes ; j’aurais donc tendance à dire : « Just do it ! »

Le paquet institutionnel existe, il n’est pas parfait, j’en conviens – on peut toujours rêver d’une construction parfaite à vingt-sept États, mais ce n’est pas simple ! Sa réalisation a donc pris du temps, mais il devrait nous permettre d’avancer dans de nombreux domaines, à condition de faire preuve de volonté.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d’État

J’essaie donc de fonctionner, tous les jours, avec cette formule : « Just do it ! »

Monsieur le président Haenel, vous avez soulevé la question des affaires intérieures et de la justice. Sur ce point, je vous rejoins complètement : le traité prévoit le mécanisme des coopérations renforcées. De notre côté, depuis la présidence française de l’Union européenne, avec Brice Hortefeux, nous avons annoncé la couleur : nous voulons une véritable Europe de la justice et nous avons même utilisé l’expression d’« architecture commune de sécurité ». Il y a une dizaine de jours, j’étais à La Haye où j’ai assisté aux premiers exercices en commun d’une unité commune de lutte anti-drogue réunissant des policiers et gendarmes français et des policiers des trois pays du Benelux, qui travaillent ensemble sur l’autoroute reliant la France à Rotterdam : cet embryon d’une police commune anti-drogue réalise un travail passionnant ! Je me suis également rendu aux sièges d’Eurojust et d’Europol, et je recommande à tous les parlementaires d’y faire un tour…

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d’État

Là aussi, nous avons le début d’un parquet européen, le début d’une centrale de renseignements communs, avec une capacité d’enquête en commun. Ce ne sont que des débuts, mais ils sont très encourageants ! La France participe pleinement à ces agences, les Vingt-Sept sont tous présents, mais avec des degrés d’intensité variable. Quant à nous, nous voulons que cela fonctionne, et nous allons prendre des mesures pour que ces activités se développent, y compris dans un domaine où le Gouvernement aura des propositions à présenter – je vais y travailler avec mon collègue Brice Hortefeux –, à savoir la lutte anti-drogue. Nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir.

Le président François-Poncet, M. Yung, M. de Montesquiou et d’autres orateurs sont revenus sur l’équilibre entre ces fameux quatre numéros de téléphone, en demandant comment le dispositif fonctionnerait et en s’interrogeant sur un risque éventuel de paralysie. Il y a évidemment une inconnue dans la mise en pratique progressive – j’y insiste – de ce système. Hier soir, un dîner des ministres des affaires étrangères a eu lieu, en présence de Catherine Ashton, qui en était à son sixième jour de travail : tout est donc à inventer !

Mme Ashton nous a d’ailleurs fort justement fait remarquer qu’après tant d’années de réflexion on aurait pu penser que tout serait prêt aujourd’hui : les locaux, les plans, etc. or rien n’est prêt ! Le mouvement se prouve donc en marchant ! Nous connaissons à peu près les principes de fonctionnement : le service d’action extérieure sera composé de trois piliers, un tiers de services de la Commission, un tiers de services du Conseil et un tiers des États membres. Du côté français, M. Yung m’a interrogé sur la mission confiée Mme d’Achon, que j’ai reçue : nous travaillons d’arrache-pied, avec le secrétaire général du Quai d’Orsay et ses services, à identifier les personnes susceptibles d’être affectées à ce service, en fonction des différents niveaux atteints dans le déroulement de leur carrière. Tous les services diplomatiques, les grands comme les petits, se posent les mêmes questions : quel sera le statut de ces personnels ? Comment pourront-ils réintégrer leur administration d’origine ? Auront-ils vocation à le faire ?

Comment Mme Ashton va-t-elle coordonner l’action des différents services extérieurs de l’Union ? En effet, l’Union européenne intervient au titre de l’aide au développement, de l’énergie, du commerce. Peut-on imaginer une forme de coordination ? Toutes ces questions sont en cours de discussion, entre elle, le président de la Commission et les États. Il est encore un peu tôt pour répondre à toutes ces questions. Y aura-t-il quatre numéros de téléphone ? J’espère que non. Dans mon esprit, trois pôles demeureront : les États, le président du Conseil et le Haut représentant.

Plusieurs intervenants ont demandé si la présidence tournante allait continuer à peser dans ce domaine. La réponse est négative. Ainsi, le premier Conseil qui se tiendra jeudi 10 décembre réunira les chefs d’État et de gouvernement seuls – ce qui ne fait pas plaisir à tous les ministres des affaires étrangères ! Le prochain Conseil Affaires générales, auquel je participe, en tant que ministre des affaires européennes, sera présidé par la présidence espagnole, qui est une présidence tournante. Mais le Conseil des ministres des affaires étrangères, qui s’occupe des relations extérieures et traite, par exemple, du dossier iranien, sera présidé par Mme Ashton.

Nous entrons donc dans un nouveau système, ce qui suppose naturellement une phase d’ajustement, car tout ne va pas se faire du jour au lendemain, en tournant un bouton : nous avons affaire à de la pâte humaine, à des organisations complexes. Mais nous y travaillons et, croyez-moi, cela nous occupe !

La question a été posée de savoir si tout cela relève du décor d’opéra, ou si une réelle avancée a été réalisée : je laisserai au président François-Poncet le soin de décider si l’on jouera plutôt Le vaisseau fantôme ou La flûte enchantée… je pourrais continuer sur cette lancée, mais je préfère m’arrêter, vu l’heure !

Madame David, j’ai écouté avec beaucoup de respect votre analyse, mais pardonnez-moi de vous reprendre sur deux ou trois points.

Le plan B, ce n’est pas le traité de Lisbonne, c’est le plan qui avait été annoncé par M. Fabius, et que l’on attend d’ailleurs toujours !

En ce qui concerne le caractère non démocratique, je ne veux pas, à nouveau, polémiquer, surtout à cette heure. Mais je me permets de vous rappeler l’impasse totale dans laquelle nous nous trouvions en 2005 : la France, pays fondateur de l’Union, encalminée dans le non, avec les autres pays de l’Union qui se réunissaient à Madrid en son absence !

Je me souviens, pour avoir un peu participé à la campagne de Nicolas Sarkozy, que, alors qu’il était candidat à l’élection présidentielle, il retravaillait un traité – on l’appelait à l’époque le « mini-traité » ou le traité simplifié.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

C’est ce traité que nous avons ensuite mis en place avec l’aide de Mme Merkel, qui, elle, était déjà au pouvoir.

Permettez-moi, madame David, de vous rappeler un point qui est tout de même important. Pendant cette campagne, le candidat Nicolas Sarkozy est allé devant les Français en leur disant qu’il voulait que ce traité soit ratifié par le Parlement et il leur a demandé de lui donner le mandat pour le faire, ce qu’ils ont fait. Face à lui, les deux candidats principaux répétaient : Référendum ! Référendum ! Pardonnez-moi, madame David, mais, si un de ces deux candidats avait été élu, nous en serions toujours au même point ! Et je préfère ne pas penser à ce qui se serait passé ensuite, pendant la crise et la guerre de Géorgie, mais il s’agit d’un autre débat.

Mme Annie David s’exclame.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

Vous avez vu dans mes propos une description d’une Europe ultralibérale. Or je n’ai cessé de vous donner une tout autre lecture : nous sommes en train de mettre en place une régulation financière ; notre vision du plan de relance n’est pas franchement très ultralibérale, puisque les plus libéraux des Européens ont renationalisé leurs banques ! Les plans de relance, la politique de supervision, la politique industrielle à laquelle nous tenons : cet ultralibéralisme me paraît tout de même relativement tempéré.

M. Yves Pozzo di Borgo a parlé avec beaucoup de justesse de la situation européenne, mais, à mon avis, il a tapé un tout petit peu fort sur le couple franco-allemand, le considérant comme un « attelage bancal ». Peut-être est-ce le cas, monsieur Pozzo di Borgo, mais tout attelage est-il toujours parfait ?

Il est certain que nos pays sont divers et structurés différemment. Mais je peux vous assurer que la volonté, l’ambition commune est là et que nous travaillons ensemble ! On peut toujours critiquer et faire des formules. En vérité, je ne connais pas d’autres pays, en Europe ou ailleurs dans le monde, qui aient atteint un degré d’intimité politique aussi élevé que celui qui existe entre la France et l’Allemagne.

J’accueille, dans mon propre cabinet, une diplomate allemande, avec qui nous travaillons quotidiennement. Je travaille très étroitement avec mon homologue allemand Werner Hoyer, que j’ai vu hier et que je revois la semaine prochaine. Nous élaborons ensemble une lettre aux deux chefs d’État, comprenant toute une série de propositions communes, dont ils pourront extraire celles qu’ils choisiront de faire progresser en janvier et en février. Je sais peu de relations aussi confiantes que celle qui existe entre la Chancelière et le Président de la République, et je puis vous assurer que les équipes qui sont derrière eux suivent le mouvement.

Évidemment, les structures du secteur privé, les structures bureaucratiques, les partis politiques ne sont pas les mêmes et c’est normal. Mais, tout en étant deux nations aux histoires différentes, l’une fédérale et l’autre centralisée, nous avançons.

Monsieur Yung, je vous ai répondu sur le service d’action extérieure. Vous avez également soulevé la question des observateurs au Parlement européen. Je me permets de vous signaler que cette formule n’est pas le fait du gouvernement français, c’est le souhait du Parlement européen.

En attendant que la décision du Conseil européen quant à une désignation la plus rapide possible des députés européens supplémentaires prévus par le traité de Lisbonne – quatre pour l’Espagne, deux pour la France, etc. – soit traduite en droit européen, puis en droit national dans les vingt-sept États membres, le Parlement européen a proposé que des observateurs puissent siéger, avec tous les droits des parlementaires européens, à l’exception du droit de vote, avant leur pleine reconnaissance comme députés.

C’est ce que nous essayons de faire. Sans doute y a-t-il eu imprévision, mais ce n’est franchement pas ma faute. Je crois comprendre que, à l’époque – c’était avant ma nomination au secrétariat d’État –, des discussions juridiques très compliquées ont porté sur le point de savoir comment prévoir cette éventualité dans le cadre des élections. Pouvait-on le faire ? Le gouvernement espagnol, lui, l’a fait et s’en est bien trouvé, puisque les quatre députés supplémentaires ont été élus.

Il n’empêche que, dans le débat complexe qui a eu lieu en France, le Premier ministre a pris la bonne décision sur le plan juridique. Cette décision consiste à trouver une solution transitoire, en attendant d’authentiques mandats de députés européens. Cela nous amènera sans doute à 2011 ou 2012, mais je ne peux pas être catégorique sur ce point.

La notion d’observateur est donc non pas une invention du gouvernement français, mais un souhait du Parlement européen, auquel nous avons essayé de répondre au mieux.

M. de Montesquiou est notamment revenu sur la question de la défense dite « européenne ». Il est un peu tard, ce soir, pour ouvrir un débat sur ce sujet, qui n’est d’ailleurs pas à l’ordre du jour du prochain Conseil européen. Je pense néanmoins que nous aurons l’occasion d’y revenir.

Au cours de ce Conseil, nous allons parler de l’Afghanistan. Nous allons également évoquer, et il est important que nous en parlions entre Européens, des crises. En la matière, je dirai un mot du « plus » de l’Union. Évidemment, les budgets de défense européens sont loin d’être équivalant à ceux du Pentagone. Néanmoins, dans les crises internationales actuelles, il ne suffit pas d’aligner des troupes et des bombardiers. L’analyse du contexte civil et militaire est souvent plus importante que l’emploi de la force brute…

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'État

… et, de ce point de vue, l’Europe n’est pas sans moyens, si on veut bien y regarder de plus près.

Enfin, je termine avec l’excellente contribution de M. Jacques Blanc et je réitère les propos que je lui ai tenus ce matin. D’une part, nous entendons poursuivre notre travail très étroit avec l’Union pour la Méditerranée, que nous voulons voir avancer. D’autre part, nous souhaitons que l’Assemblée régionale et locale euro-méditerranéenne se constitue et, surtout, qu’elle fasse avancer une idée qui lui est chère, ainsi qu’à moi, celle des parcs régionaux euro-méditerranéens. Cette idée, qui me paraît très intéressante et importante pour l’avenir, mérite d’être soutenue des deux côtés de la Méditerranée.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Nous en avons terminé avec le débat préalable au Conseil européen des 10 et 11 décembre 2009.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 9 décembre 2009, à quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :

1. Nomination des membres de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au Grand Paris (123, 2009-2010).

2. Proposition de loi tendant à renforcer les droits des personnes liées par un pacte civil de solidarité, présentée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche (461 rect., 2008-2009).

Rapport de Mme Catherine Troendle, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (114, 2009 2010).

3. Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur la proposition du Gouvernement au Président de la République, tendant à l’organisation d’une consultation des électeurs de la Guyane et de la Martinique sur le changement de statut de ces collectivités (application de l’article 72-4 de la Constitution).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée le mercredi 9 décembre 2009, à zéro heure quarante.