Intervention de Robert Hue

Réunion du 16 octobre 2010 à 15h15
Réforme des retraites — Article 25

Photo de Robert HueRobert Hue :

Monsieur le ministre, lors des débats qui se sont déroulés à l’Assemblée nationale, vous avez orchestré, avec le Gouvernement, un véritable coup de force, en déposant l’amendement surprise n° 730 rectifié, qui visait à porter un mauvais coup à la médecine du travail. On nous avait effectivement annoncé une réforme du secteur, mais vous avez scandaleusement introduit ce sujet en catimini au cours de l’examen de ce texte par l’Assemblée nationale.

Depuis lors, on a assisté à une véritable levée de boucliers, et ce à juste titre. On vous a même taxé de commettre un hold-up sur la santé au travail : voyez si les conséquences sont outrageusement graves ! Dans un texte aussi controversé que celui qui porte réforme des retraites, pensiez-vous que votre manœuvre passerait inaperçue ? Si vous n’écoutez pas le peuple, celui-ci et ses élus vous écoutent.

Le professeur Desoille, fondateur de la chaire de médecine du travail, annonçait déjà, en 1949, dans sa leçon inaugurale, que certains redouteraient qu’un médecin à l’œil trop critique ne circule dans l’entreprise, ne relève les fautes d’hygiène et n’en avertisse les intéressés.

Vous souhaitez que les médecins du travail, placés sous l’autorité d’un chef de service de santé au travail, soient les médecins de l’entreprise, asservis à elle, et non pas ceux des salariés en souffrance. Sous prétexte d’une adaptation du rôle des services de santé au travail au volet « pénibilité » de cette réforme, vous abandonnez en fait au patronat le système de santé au travail. C’est tout à fait inadmissible !

Dans une interview au quotidien Le Monde datée du 19 septembre dernier, le Dr Salengro, médecin du travail, rappelait déjà que « la tentative du MEDEF sur les députés UMP et sur Éric Woerth, le ministre du travail, a réussi, puisqu’ils présentent textuellement la demande du MEDEF qui avait été présentée voilà deux ans aux organisations syndicales et que toutes avaient refusée à l’unanimité. »

Créée en 1946, la médecine du travail est exclusivement préventive : elle a pour objet d’éviter toute altération de la santé des salariés du fait de leur travail.

Le médecin du travail est lié à l’employeur ou au président du service de santé au travail interentreprises par un contrat de travail qui en fait un salarié, mais au statut particulier. Il ne doit agir, dans le cadre de l’entreprise, que dans l’intérêt exclusif de la santé et de la sécurité des travailleurs, son rôle principal restant l’amélioration des conditions de travail, ce qui ne peut être garanti que par la préservation de l’indépendance du médecin au regard des objectifs de ses missions.

Au contraire, le texte vise à instituer un transfert de pouvoir et de mission du médecin du travail vers l’employeur via le directeur du service de santé au travail. De nouveaux professionnels de la santé au travail – infirmiers et intervenants en prévention des risques professionnels – sont mis en place sans protection légale ni indépendance statutaire. Le statut des médecins du travail est remis en cause, puisqu’ils deviennent dépendants de l’employeur par le biais du directeur du service de santé au travail.

Si l’on ajoute à ce dispositif l’absence complète de propositions pour remédier à la pénurie croissante de médecins du travail – la majorité des 6 000 praticiens ont actuellement plus de 55 ans et l’on ne forme plus que très peu d’étudiants –, on voit bien que nous assistons à une démédicalisation programmée de la santé au travail.

Si ces dispositions sont votées, comment le rôle spécifique des médecins du travail pourra-t-il être assumé ? Ces professionnels seront écartelés entre un rôle spécifique, pour lequel ils ne disposeront d’aucun moyen, et les injonctions de leurs employeurs à agir dans le cadre contractualisé des missions du service de santé au travail, lesquelles concernent plus la gestion des risques et de leurs effets que la façon de les éviter.

À une époque où les collectifs de travail se morcellent, où la grande majorité des entreprises ne dispose pas d’un comité d’hygiène et de sécurité ni même d’un délégué du personnel, le médecin doit rester un acteur indépendant, pour assurer non seulement sa mission de préservation de la santé de l’individu au travail, mais aussi son rôle de veille et d’alerte sanitaire devant les risques persistants ou émergents.

En somme, que devient le droit à la protection de la santé garanti par la Constitution ? L’Ordre des médecins proteste ; les syndicats protestent ; les associations et différents collectifs protestent. Écoutez-les, monsieur le ministre !

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