Mise en place en 1946, la médecine du travail a marqué l’aboutissement de la prise en compte des maladies professionnelles en tant que telles. Il s’agit d’une médecine exclusivement préventive qui a pour objet d’éviter toute altération de la santé des salariés du fait de leur travail, notamment en surveillant leur état de santé, les conditions d’hygiène au travail et les risques de contagion.
Les auditions auxquelles a procédé la mission d’information sur le mal-être au travail ont montré que les médecins du travail s’interrogent sur l’avenir de leur profession, laquelle a évolué, sous l’effet notamment de l’émergence de nouveaux risques professionnels : aux problèmes classiques liés au bruit, à la poussière ou au port de charges lourdes s’ajoutent aujourd’hui les problèmes d’épuisement ou de détresse psychologique.
Lors de son audition par la mission d’information, Éric Woerth avait présenté les grandes orientations de la réforme en préparation de la médecine du travail. La mission avait alors pris acte de la volonté du ministre, tout en faisant observer que la réforme de la médecine du travail avait déjà été annoncée, puis reportée. Au mois de janvier dernier, son prédécesseur, Xavier Darcos, avait en effet affirmé qu’un texte serait examiné par le Parlement avant l’été.
La mission a constaté que le contenu de la réforme des retraites a été dévoilé au mois de juin, mais qu’il ne s’est accompagné d’aucune annonce concernant la médecine du travail. La mission a également rappelé que les partenaires sociaux, qui avaient négocié, de janvier à septembre 2009, sur la réforme de la médecine du travail, avaient échoué à trouver un accord.
Le Gouvernement s’était engagé à proposer une grande réforme des services de santé au travail, nécessaire de l’avis de tous, pour renforcer la médecine du travail. Pourtant, le 15 septembre dernier, il a préféré, avec un mépris total de la démocratie et une absence incompréhensible de concertation avec les organisations syndicales, faire passer en catimini et en force un projet du MEDEF, refusé en 2009 à l’unanimité par les syndicats de salariés, qui assure la mainmise de l’employeur sur la médecine du travail.
C’est au détour d’un amendement sans rapport avec la réforme des retraites, déposé à la dernière minute sur un projet de loi lui-même examiné après engagement de la procédure accélérée, que le Gouvernement a mis à bas l’indépendance de la médecine du travail, principe essentiel garantissant l’effectivité de la protection de la santé de plus de 15 millions de salariés.
Les services de santé au travail, les SST, seront désormais placés sous l’autorité de l’employeur. L’organisation de la médecine du travail et les missions de prévention seront confiées non plus directement aux médecins du travail, mais aux directeurs des organismes de santé au travail, qui ne seront ni élus ni choisis par les organisations syndicales ou, directement, par les salariés, mais désignés arbitrairement par l’employeur.
Alors que nous assistons à la montée des troubles musculo-squelettiques et à l’explosion des risques psychosociaux, alors que les travaux de nombreux groupes politiques arrivent aux mêmes conclusions que ceux des socialistes sur le nécessaire renforcement du rôle de la médecine du travail, le Gouvernement et la majorité préfèrent sacrifier la santé et le bien-être au travail de nombreux salariés.
À l’issue du vote du 15 septembre dernier à l’Assemblée nationale, l’Ordre des médecins a, quant à lui, marqué son opposition au texte, estimant qu’il ne répondait ni « aux attentes des salariés, qui doivent bénéficier d’une prise en charge globale de leur santé », ni « aux nécessités de l’exercice des médecins du travail dans le respect de leur indépendance technique ».
L’article 25 du projet de loi tend à instaurer un carnet de santé au travail, qui sera constitué par le médecin du travail. Une telle possibilité ne sera toutefois opérationnelle qu’en cas de nombre suffisant de médecins du travail et d’une information suffisante de ceux-ci sur les entreprises. Ce carnet ne sera éventuellement communiqué qu'à un autre médecin du travail.
Il prévoit aussi la mise en place d’une « fiche d'exposition » à des contraintes physiques, à un environnement agressif ou à des rythmes de travail « susceptibles de laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé ». Cette fiche sera établie par l'employeur puis communiquée au SST, et non au médecin du travail, qui en a été explicitement écarté.
Il est prévu que ladite fiche complète le carnet de santé de chaque travailleur, ce qui impliquerait des visites périodiques pour tous les travailleurs.
Ce dispositif ne fait que copier l'existant en matière de risques chimiques ou d'exposition à l'amiante. Comme aujourd'hui, on peut craindre qu’une fiche rédigée par l'employeur ne reflète pas la totalité des facteurs de pénibilité auxquels le travailleur aura été exposé. Elle ne fait l'objet d'aucune confidentialité, ce qui implique qu'elle pourrait être communiquée à des tiers, voire à d’éventuels futurs employeurs, puisque rien ne l’interdit explicitement.