Le Gouvernement a décidé d'inclure dans cette réforme des retraites, par de simples amendements, une modification profonde des orientations de la médecine du travail.
La procédure est inacceptable et représente une manœuvre pour éviter un débat de fond sur la médecine du travail, sur le bilan des échecs que nous avons connus et sur les réformes nécessaires pour améliorer l'efficacité de la protection de la santé des salariés.
Un tel enjeu mériterait un véritable débat démocratique et un projet de loi dont on explicite au grand jour les tenants et les aboutissants. En l'occurrence, c’est au désir de céder en urgence et le plus discrètement possible au lobbying du patronat que nous devons ce déni de démocratie.
Le cœur du problème de la médecine du travail est la dépendance du médecin du travail à l’égard de l'employeur, qui limite considérablement son rôle de protection de la santé des salariés.
Le système a montré ses limites, voire sa faillite, avec le scandale de l’amiante. On se doutait de sa toxicité au tout début du XXe siècle ; on en était sûr dès le milieu du siècle ; elle était expertisée en 1972 et l'on pouvait alors prévoir les milliers de morts à venir. Pourtant, l'amiante n’a été interdit qu’en 1997. Un siècle pour décider de protéger les salariés et la société ! Il y a eu faillite de tout principe de précaution, mais aussi de la protection de la santé des travailleurs devant un danger certain.
La seule façon efficace d’éviter que cela ne se reproduise est de renforcer l'indépendance du médecin du travail, dont la mission est de dépister les maladies mais aussi de prévenir les risques professionnels et de proposer, sans possibilité de censure, les mesures de protection de la santé des travailleurs.
La tendance gouvernementale ne va pas dans ce sens. Aujourd'hui domine le stress au travail et la déshumanisation organisée dans le but de faire « craquer » les salariés pour diminuer les effectifs par les démissions, qui coûtent moins cher que les licenciements. On aboutit ainsi à la montée des dépressions et des suicides au travail.
Rappelons que le médecin du travail doit statutairement consacrer un tiers de son temps à l’étude des conditions de travail, directement sur le terrain, et proposer des mesures de protection des salariés. Cette mission et ce temps sont bien sûr à préserver voire à rendre effectifs, et les mesures proposées ne devraient pas dépendre du bon vouloir du chef d'entreprise.
Pour cela, il faut que le médecin du travail ait un statut protégé, indépendant de l'employeur, et qu'il présente obligatoirement et en toute indépendance ses propositions devant une structure comprenant des représentants des salariés. Or, l'article 25 et ceux qui suivent vont à l'encontre de ces mesures de bon sens.
Il est à noter que, de son côté, le conseil de l'Ordre des médecins a réagi à ce texte en demandant au législateur de garantir l'indépendance du médecin du travail. Il souhaite en outre que ce dernier soit désigné comme le coordinateur de l'équipe pluridisciplinaire. Il demande enfin que le secret médical soit renforcé à l’égard de l'employeur, que l'accès au dossier médical informatisé du salarié ne puisse se faire qu'avec l'autorisation de celui-ci et que le médecin du travail puisse communiquer au médecin traitant les informations sur les risques professionnels.
Au final, ces articles n'ont pas de rapport direct avec l'objet de la loi mais ils prévoient un renforcement du pouvoir des chefs d'entreprise, un renforcement de l'autorité des employeurs sur les actions de santé au travail, et une diminution de l'indépendance et du rôle du médecin du travail.