Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 16 octobre 2010 à 15h15
Réforme des retraites — Article 25

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

En dévoyant l'utilisation du dossier médical qui retrace de manière individuelle l'exposition des travailleurs aux facteurs de risques professionnels, qui était jusqu'à présent défini dans la partie réglementaire du code du travail, l’article 25 consacre l'individualisation de la pénibilité.

Au-delà du fait que ce dossier fonctionne mal, selon la Haute Autorité de santé, c’est l’approche que vous avez de la pénibilité qui est ici condamnable, car injuste.

En effet, messieurs les ministres, alors que deux approches de la pénibilité se sont affrontées durant les négociations avec les partenaires sociaux, négociations qui n’ont par ailleurs pas abouti, vous avez repris à votre compte la position portée par le patronat, comme vous l’avez également fait pour la médecine du travail, mais j’y reviendrai.

Ainsi, vous avez opté pour un modèle de réparation individualisée reposant sur un avis médical rendu par une commission ad hoc, contre celui qui était défendu par les organisations syndicales, le modèle de réparation collective et la prise en compte de la pénibilité différée.

Vous vous êtes ainsi vanté de prendre en considération la pénibilité, parlant « d’avancée sociale ». Or, d’une part, la reconnaissance de la pénibilité au travers des taux d’incapacité permanente va tuer dans l’œuf les mécanismes collectifs qui étaient en train de se développer au sein des entreprises et remettre en cause les tableaux de maladies professionnelles ; d’autre part, l’individualisation de la pénibilité constitue une injustice sociale majeure.

Ainsi, en objectivant l’effet de la pénibilité par la reconnaissance d’une incapacité sur la base de preuves, vous en avez considérablement réduit la définition et le champ, de même que vous mélangez ici la pénibilité et l’invalidité !

Il faudra donc que les effets de la pénibilité soient constatables au moment du départ à la retraite, mesurables par un médecin et qu’ils occasionnent un taux d’incapacité. Non seulement vous faites la confusion entre pénibilité et invalidité, mais, surtout, vous omettez manifestement de considérer la pénibilité différée et les disparités de santé sociale.

Vous le savez pourtant, à 35 ans, l’espérance de vie d’un ouvrier est de six ans inférieure à celle d’un cadre, et son espérance de vie sans incapacité est plus courte de dix ans.

Votre projet, messieurs les ministres, est donc injuste, car il fait totalement l’impasse sur l’atteinte à l’espérance de vie en bonne santé du fait des expositions professionnelles passées.

Il est injuste, encore, car il ne prend pas en compte les effets de la pénibilité constatés bien après la mise à la retraite du salarié.

S’agissant de ce dernier point, les dernières négociations interprofessionnelles avaient fixé trois facteurs de pénibilité : les contraintes physiques marquées – port de charges lourdes, postures pénibles, etc. –, pour lesquelles les effets de la pénibilité peuvent être constatés au moment du départ à la retraite ; l’environnement agressif et les rythmes de travail, pour lesquels, en revanche, les stigmates physiologiques et psychologiques, tels que les cancers, ne se manifestent souvent que quelques années après.

Nous vous avons déjà parlé du drame de l’amiante, messieurs les ministres, alors ne laissez pas survenir le drame des produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques !

Votre projet est injuste, enfin, car, en individualisant la pénibilité, vous excluez deux paramètres très importants de l’environnement du travail, qui, pourtant, contribuent grandement à la pénibilité des conditions de travail : l’organisation du travail et le mode de management des salariés.

D’ailleurs, avec mes collègues membres de la mission d’information sur le mal-être au travail, nous avons pu mesurer combien l’organisation du travail pouvait avoir des effets sur l’état de santé physique et psychologique des travailleurs.

Je le dis donc tranquillement : nier l’enjeu collectif de la pénibilité, c’est aussi nier la responsabilité de l’organisation de travail, c’est donc exonérer de toute responsabilité le patronat !

Afin de garantir à toute personne le droit à prendre une retraite en bonne santé, la question de la pénibilité doit être traitée de manière collective, via les branches et les métiers.

Monsieur le ministre, je vous renvoie à la lecture de John Rawls, célèbre philosophe démocrate américain, dont les travaux sur l’équité pourraient fort bien légitimer une différence de traitement des individus face à la retraite en avantageant les travailleurs dont le travail est reconnu pénible.

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