« Nous avons choisi de renvoyer cette question aux partenaires sociaux non parce que nous refusons de l’aborder, mais parce que nous estimons qu’ils sont les mieux placés pour la traiter.
« D’abord, pas un seul pays européen n’a légiféré sur la notion de pénibilité. Aucun pays ayant engagé une réforme globale de son système de retraite n’a traité la pénibilité par la loi, et ce pour une raison simple : si nous ouvrons maintenant ce débat, ici au Sénat, et que nous passons en revue l’ensemble des métiers, nous conclurons qu’ils sont tous pénibles, mesdames, messieurs les sénateurs.
« Ensuite, si nous figeons dans la loi la définition de la pénibilité, cela signifie que nous nous interdisons de prendre en compte l’évolution des technologies et des métiers et que nous mettons en place un système incapable de s’adapter en permanence, avec le risque de constater bien vite ce que nous déplorons aujourd’hui, c’est-à-dire que des métiers qui étaient considérés comme pénibles au début du siècle dernier le sont toujours, alors que les conditions ont changé.
« Il est une dernière raison à laquelle vous devriez être sensible […], c’est que définir la pénibilité dans la loi et faire financer le coût de cette pénibilité par l’ensemble des cotisants aux régimes de retraite, c’est-à-dire par la solidarité nationale, c’est pérenniser la situation des métiers pénibles. Alors que, dans le régime que nous proposons, et qui a, je dois le dire, reçu l’accord de l’ensemble des organisations syndicales, les entreprises qui ont des postes de travail pénibles seraient poussées à réduire la pénibilité de ces postes-là, au risque, sinon, d’être, d’une certaine manière, pénalisées.
« Une négociation dans la branche où un système de mutualisation du coût de cette pénibilité sera mis en place est, de notre point de vue, le système le plus intelligent, le plus souple, le plus réactif et celui qui permet de peser sur les entreprises pour que, progressivement, elles aient intérêt à réduire le nombre des emplois pénibles. »
Ce discours, mes chers collègues, a-t-il pris un coup de vieux ? C’est en tout cas la question que l’on peut se poser à le réentendre, et il importe de se demander quelles sont aujourd’hui les intentions réelles du Gouvernement.
Ce discours date de juillet 2003 et fut prononcé lors du débat sur la réforme des retraites par le ministre chargé de soutenir le projet, c’est-à-dire François Fillon. Il nous permet de mettre en perspective les données du débat qui va nous occuper, le temps de quelques articles, sur cette question de la pénibilité du travail.
En fait, la vérité oblige à dire que ce n’est pas sur la pénibilité que nous allons légiférer, pas plus qu’en 2003. Non, les articles que nous abordons désormais ont trois objets : en premier lieu, individualiser la pénibilité au point de la réduire à la seule incapacité à travailler, c’est-à-dire l’invalidité reconnue ; en second lieu, mettre en question le rôle des instances représentatives des personnels en matière d’hygiène et de sécurité ; en troisième lieu, mettre en œuvre une réforme de la médecine du travail dont il ne semble pas qu’elle ait toute sa place dans ce texte, sauf à penser que, tout simplement, le Gouvernement entend clairement l’instrumentaliser et la placer sous la coupe du patronat pour qu’elle devienne l’outil producteur de la justification scientifique ou présumée telle de la logique même de la réforme. Ce serait une sorte de détournement de sens pour la médecine du travail, qui deviendrait alors la gardienne fidèle et attentive de l’exploitation du travail.
C’est pour l’ensemble de ces motifs que, décemment, nous ne pouvons accepter les termes de cet article 25.