Intervention de Marie-Agnès Labarre

Réunion du 16 octobre 2010 à 15h15
Réforme des retraites — Article 25

Photo de Marie-Agnès LabarreMarie-Agnès Labarre :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à quand la privatisation de la sécurité sociale dissimulée dans une loi sur la cueillette des pommes en Basse-Normandie ?

C’est à peine une boutade. Car c’est au détour du présent projet de loi sur les retraites, et sous prétexte de légiférer sur la pénibilité, que vous faites entrer par la fenêtre votre projet de démantèlement de la médecine du travail. Un projet que tous les partenaires sociaux, à l’exception de votre assistante, Mme Parisot, ont rejeté en bloc.

Vous avez de la suite dans les idées, il faut bien le reconnaître. Et vous ne manquez ni d’astuce ni d’audace pour tenter de nous imposer la liquidation des acquis du Conseil national de la Résistance. Jusqu’où irez-vous ?

Quelques secondes ont suffi à la commission des lois de l’Assemblée nationale pour adopter vos amendements, alors qu’en 2009 des mois de négociation entre les partenaires sociaux n’avaient pas permis d’aboutir à un accord. Bravo ! Voilà une conception de la démocratie qui nous rappelle ce qu’était notre pays… avant la démocratie.

Votre projet de réforme de la médecine du travail vous a valu cette appréciation : « un texte qui consacre la mainmise totale des employeurs sur la santé au travail ». Rien que ça ! De qui émane ce jugement ? Des bolchéviques ? Pire, du Parti de Gauche ? Non, de la CFE-CGC ! Et ce syndicat de cadres de préciser : « Le remplacement de médecins du travail, qui sont des salariés protégés, par d’autres salariés sans protection vis-à-vis des pressions des employeurs, ne peut entraîner notre adhésion ».

Le syndicat national des professionnels de la santé au travail, le SNPST, refuse également une gestion patronale des services de santé au travail, souhaite que l’indépendance de tous les professionnels de santé soit assurée, comme l’égalité de traitement de tous les salariés sur le territoire national.

Vous ne voulez pas entendre ce refus unanime. Nous allons manquer de médecins du travail, les trois quarts d’entre eux ayant aujourd’hui plus de 50 ans. Vous pourriez rendre le métier plus attractif. Au lieu de cela, vous préférez le supprimer.

Nous manquons d’inspecteurs du travail ! Gageons que le MEDEF vous a déjà suggéré de supprimer l’inspection du travail… Il vous reste quelques mois !

C’est la frénésie de la réforme à sens unique : toujours plus de liberté accordée au loup dans la bergerie. Quelle surprise : d’un coup de patte, vous faites tout simplement disparaître le principe d’indépendance des médecins du travail par rapport à l’employeur.

Avec cette réforme, il ne s’agit plus d’« éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail », selon les termes de la loi de 1946, votée à l’unanimité, qui conférait aux médecins du travail la tâche de définir et de mettre en œuvre la prévention médicale des risques professionnels, les employeurs étant contraints d’en fournir les moyens matériels et d’en permettre l’organisation.

Il s’agit de confier aux employeurs eux-mêmes le soin de « diminuer les risques professionnels ». Les leurs, sans aucun doute ! En clair, dorénavant les chefs d’entreprise décideront des risques qu’ils feront courir à leurs salariés, en même temps qu’ils seront chargés de leur prévention. Le rêve du patronat devient réalité.

Ces mêmes employeurs ne seront plus tracassés inutilement par les représentants du personnel : ils nommeront eux-mêmes, à leur convenance, un ou plusieurs salariés chargés de la prévention et du suivi des conditions de travail. Qui peut croire que ces salariés, sans protection, sans moyens, auront l’indépendance nécessaire pour tenir tête à leur employeur ? À la vitesse de la lumière, votre majorité a allégé le code du travail, éjecté les salariés protégés et remisé les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT, au rayon des antiquités.

Elle a si bien manié le rabot que des milliers de salariés seront dispensés de tout rendez-vous avec le médecin du travail : leur généraliste, qui ignorera tout des conditions de travail de ses patients, fera l’affaire : leur sort sera réglé par décret !

Les autres salariés ne seront plus certains non plus de rencontrer un médecin du travail : un interne, une infirmière feront le boulot !

La spécificité du médecin du travail se dissout ainsi dans la notion bien commode et si moderne d’« équipe pluridisciplinaire » ! Là encore, un décret procédera au bricolage nécessaire lorsque les projecteurs qui éclairent le travail parlementaire seront éteints.

Monsieur le ministre, vous vouliez « articuler » les textes sur la retraite et ceux qui portaient sur la médecine du travail. C’était une fameuse idée ! Soyez persuadé que la lutte contre la pénibilité sera renforcée par la disparition des médecins du travail et par l’attribution de leurs prérogatives aux employeurs !

Chers collègues centristes, si vous voulez bien vous tromper une nouvelle fois de bulletins de vote, c’est le moment !

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