Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où nous abordons ce point si important de la pénibilité, je souhaitais vous rappeler quelques réflexions de Noëlle Lasne, qui est médecin du travail :
« Est-ce pénible de travailler quarante ans sur la voie publique en étant soumis aux vibrations d’un marteau-piqueur ? Est-ce pénible de soulever des bornes de 200 kilos ? Est-ce pénible de ramper dans un vide-sanitaire, ou de réparer une carrosserie ? Un enfant de cinq ans saurait répondre à cette question. Il saurait montrer du doigt, sur les pages d’un abécédaire, les métiers difficiles : il reconnaîtrait le maçon, le déménageur, le couvreur, le plombier, l’aide-soignante, le pompier, l’égoutier, la femme de ménage. Il remarquerait que ces corps-là, au travail, ne sont pas assis sur un siège, mais sont accroupis à genoux sur la voie publique, pliés sous un chauffe-eau, perchés en haut d’une échelle, courbés en avant sur un évier.
« Ces gestes du travail qui définissent la pénibilité de certains métiers sont parfaitement décrits par les chercheurs, les ergonomes, les médecins du travail, les médecins-conseils, les ingénieurs en prévention, les médecins généralistes, et figurent dans toutes les publications professionnelles. Même le législateur les connaît, qui les a répertoriés et décrits en détail dans les tableaux de maladies professionnelles.
« Le projet de loi de réforme des retraites ignore ce savoir. Pour juger de la pénibilité d’un métier, il est prévu, en bout de chaîne, de mesurer l’usure professionnelle d’un travailleur. On crée, pour ce faire, une commission d’“usurologues”.
« Peu importent les gestes devenus impossibles, les mouvements limités par la douleur, le manque de souplesse, le vieillissement forcé du corps. Seuls comptent la lésion et son score. L’amputation des gestes reste invisible. L’incapacité permanente partielle ne mesure que les séquelles d’une blessure au travail.
« Peu importent aussi les effets retards, liés à certaines expositions : cancers professionnels liés aux goudrons, benzène, solvants, amiante. Ces expositions qui distinguent radicalement certaines catégories de travailleurs, qui sont à l’origine d’une inégalité repérée devant la santé, le vieillissement, la maladie et la mort, sont ignorées.
« On renverra donc au travail, et le plus souvent au chômage, des personnes usées par les gestes du travail, mais aussi des personnes multi-exposées, dont on sait de façon scientifique et statistique qu’elles développeront des pathologies qui raccourcissent leur espérance de vie. »
Ces oubliés de votre réforme, monsieur le ministre, on les redécouvre dans la rue à l’occasion des manifestations contre la réforme des retraites, avec un écriteau laconique comme celui-ci : « Je vieillis plus vite que mon âge » !
Dans le texte actuel, ce n’est pas la pénibilité du métier qui donne droit à la retraite à 60 ans, c’est l’infirmité du salarié.