Merci de m'accueillir pour évoquer les travaux de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe lors de sa quatrième et dernière partie de session 2021, qui s'est tenue du 27 au 30 septembre.
Pour ne pas être trop long, je ne développerai pas les travaux que l'APCE avait menés au mois de juin, si ce n'est pour dire que la convention d'Istanbul avait occupé une place importante dans les débats, à l'occasion du dixième anniversaire de l'ouverture de ce texte aux signatures des États. C'était le 11 mai 2011.
En revanche, si vous le voulez bien, j'évoquerai également un sujet qui a fait polémique la semaine dernière, à savoir la campagne de communication anti-discrimination désormais connue comme « la liberté dans le hijab », retirée à la suite des protestations françaises.
Je veux tout d'abord signaler qu'à l'occasion de cette partie de session, marquée par une forte participation des sénateurs membres de la délégation, notre collègue Claude Kern s'est vu confier un rapport sur la situation politique en Tunisie et qu'il a été désigné membre suppléant du Conseil des élections démocratiques auprès de la Commission de Venise.
Lors de cette partie de session, qui s'est à nouveau déroulée en format hybride, plusieurs séquences « traditionnelles » ont eu lieu.
La Secrétaire générale du Conseil de l'Europe et le Président hongrois du Comité des Ministres se sont exprimés et ont été interrogés par les parlementaires. Le ministre hongrois s'est à nouveau illustré par des propos très tranchants. Évoquant notamment la pression migratoire résultant du retrait américain d'Afghanistan, il a invité à ne pas répéter les erreurs commises en 2015, considérant, je le cite, qu'« après les invitations faites sous la forme de déclarations irresponsables par certains de nos collègues en Europe, une pression migratoire illégale massive a frappé le continent, constituant un risque sérieux pour la culture et la sécurité. Nous avons compris que dans de nombreux endroits en Europe, les modèles d'intégration sociale ont échoué, des sociétés parallèles ont été créées ».
Nous avons également pu dialoguer avec Nikola Dimitrov, vice-premier ministre chargé des affaires européennes de la Macédoine du Nord, ainsi qu'avec Stella Kyriakides, commissaire européenne à la santé et à la sécurité sanitaire.
Je l'ai interrogée sur la fourniture par l'Union européenne de doses de vaccin contre la Covid-19 dans le cadre de l'initiative COVAX de l'OMS, dont l'Union est l'un des principaux bailleurs.
L'Assemblée a élu trois juges à la Cour européenne des droits de l'Homme, au titre de la République tchèque, de la Moldavie et de la Russie. En revanche, la liste de candidats présentée par l'Ukraine a été rejetée.
J'en profite pour vous signaler qu'au moment où se tenait la session, a eu lieu une audience très importante pour la France concernant le rapatriement de familles françaises de djihadistes partis combattre en Syrie. La grande chambre de la Cour a en effet examiné deux requêtes déposées par les parents de Françaises, aujourd'hui retenues dans des camps de réfugiés du nord-est syrien, parties avec leurs compagnons en Syrie où elles ont eu des enfants.
Signe de l'importance de l'affaire, sept États membres du Conseil de l'Europe sont intervenus dans la procédure, ainsi que la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, de même que plusieurs rapporteurs spéciaux des Nations unies et ONG. L'arrêt ne sera rendu que dans quelques mois mais il aura sans nul doute un impact important.
L'APCE a adopté plusieurs résolutions sur les conséquences humanitaires du conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, le rétablissement de la confiance sociale en renforçant les droits sociaux, ou encore la lutte contre les crimes dits d'« honneur ».
Elle a tenu des débats d'urgence sur la situation en Afghanistan et sur l'intensification de la pression migratoire aux frontières de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne avec la Biélorussie, ainsi qu'un débat d'actualité sur « Les Balkans occidentaux entre défis démocratiques et aspirations européennes », qui fait écho à vos débats récents.
Je ne développe pas ces différents thèmes et vous renvoie pour plus de précisions au rapport rendant compte de la partie de session.
Je voudrais insister sur trois points qui méritent à mon sens d'être particulièrement soulignés.
Le premier point concerne le fonctionnement de l'Assemblée parlementaire.
D'une part, l'APCE a adopté un texte précisant la portée des immunités parlementaires dont bénéficient ses membres, à un moment où il a fallu les rappeler, en particulier à la Fédération de Russie, qui avait déclaré notre collègue député Jacques Maire persona non grata.
D'autre part, elle a également adopté un texte initié par notre collègue députée Nicole Trisse, présidente de la délégation française, visant à renforcer la place des femmes au sein de l'Assemblée parlementaire, et ce à compter de janvier 2023.
À cette date, chaque délégation nationale devra inclure un pourcentage de femmes au moins égal à celui que compte son parlement ou, si cela est plus favorable à la représentation des femmes, comprendre, pour une délégation comme celle de la France, un minimum de douze femmes sur les 36 membres, dont au moins 6 titulaires. La délégation française dans son ensemble répond aujourd'hui à ces critères, puisqu'elle comprend 16 femmes : 6 titulaires, dont la présidente de la délégation, et 10 suppléantes.
Il faudra toutefois être attentif à l'évolution de la composition de la délégation à l'issue des élections législatives et prendre en compte cette donnée nouvelle lors du renouvellement d'ensemble de la délégation sénatoriale, ce qui impliquera, de fait, une certaine coordination entre les groupes politiques.
Par ailleurs, la résolution adoptée à l'initiative de Nicole Trisse impose une prise en compte du genre dans le fonctionnement même de l'Assemblée. Une délégation ne pourra ainsi présenter la candidature d'un homme à la vice-présidence de l'APCE que si elle comprend au moins 40 % de femmes. Un tiers des rapporteurs des commissions devront être des femmes.
Les commissions dont les membres sont désignés par les groupes politiques devront également comprendre au moins un tiers de femmes et, de manière générale, les groupes politiques sont incités à réexaminer leur mode de fonctionnement afin d'attribuer davantage de responsabilités aux femmes.
Le deuxième point concerne l'avis rendu par l'Assemblée parlementaire, à la demande du Comité des Ministres, sur le projet de deuxième protocole additionnel à la Convention de Budapest sur la cybercriminalité, relatif au renforcement de la coopération et de la divulgation de preuves électroniques.
Je le signale car la Convention de Budapest est une convention ouverte, qui n'est donc pas limitée aux seuls membres du Conseil de l'Europe : 66 États l'ont ratifiée, dont 21 n'appartenant pas au Conseil de l'Europe.
Tous les États membres du Conseil de l'Europe l'ont ratifiée, à deux exceptions près : l'Irlande, qui s'est engagée à le faire, et la Fédération de Russie, qui ne l'a même pas signée. La Russie est en effet opposée à la démarche de cette convention.
Je veux également souligner que cette convention a au départ été négociée par les États « en direct ». Puis l'Union européenne a pris le relais et a mené les négociations pour le compte de l'ensemble des États membres, afin de garantir une bonne cohérence par rapport aux législations communautaires.
Le troisième point que je souhaite mettre en avant concerne le lien entre l'environnement et les droits de l'Homme. Ce thème, cher au Président de l'APCE, a été central lors de la dernière partie de session puisqu'une journée entière y a été consacrée. Il a également été au programme de la Conférence européenne des Présidents de Parlement organisée à Athènes, où notre collègue Pascale Gruny a représenté le Président du Sénat.
Les débats ont couvert de nombreux sujets, comme la nécessité d'une démocratie plus participative face au changement climatique ; les liens entre la crise climatique et l'État de droit ; les questions de responsabilité civile et pénale dans le contexte du changement climatique ; la lutte contre les inégalités en matière de droit à un environnement sûr, sain et propre ; la dimension migratoire des dérèglements climatiques ou encore l'enjeu des politiques de recherche et développement pour la protection de l'environnement.
Mais surtout, l'Assemblée a appelé de ses voeux une action renforcée du Conseil de l'Europe, en demandant au Comité des Ministres d'élaborer un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme sur le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable.
Alors que nous sommes en pleine COP 26, on voit bien que les questions climatiques deviennent de plus en plus prégnantes. Derrière la prise de position de l'APCE se cache en réalité un débat plus vaste sur le leadership normatif en matière d'environnement et de lien avec les droits de l'Homme.
Je voudrais terminer cette communication en évoquant un point dont il n'a pas été question lors de la partie de session de l'APCE mais qui a eu un bien plus grand retentissement : je veux évidemment parler de la campagne de communication anti-discrimination désormais connue comme « la liberté dans le hijab ».
Le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, s'est exprimé à ce sujet en répondant à notre collègue Valérie Boyer la semaine dernière. Je me contenterai d'apporter quelques précisions.
Ces messages sont le résultat d'un atelier intitulé « Construire des récits fondés sur les droits de l'homme pour contrer les discours de haine antimusulmans », mené dans le cadre d'un programme intitulé « WE CAN for human rights speech », co-financé par l'Union européenne et le Conseil de l'Europe.
Trois personnes intervenaient au cours de cet atelier, coorganisé avec le Forum des Organisations Européennes Musulmanes de Jeunes et d'Étudiants (FEMYSO) :
- Hajar el Jahidi, chercheuse et experte indépendante, présentée par France Inter en 2018 comme travaillant à Bruxelles « pour un lobby pour la juste représentation des femmes musulmanes en Europe » ;
- un membre du bureau de la FEMYSO, structure présentée par certaines sources comme proche des Frères musulmans, même si cette organisation s'en défend. Il faut savoir qu'elle a pignon sur rue à Bruxelles et qu'elle a notamment participé en octobre, dans l'hémicycle du Parlement européen, au grand rassemblement de jeunesse EYE2021 ;
- et enfin un expert et porte-parole du Conseil de l'Europe, Daniel Höltgen.
Les objectifs du projet « WE CAN for human rights speech » sont clairement affichés sur le site Internet qui lui est consacré. Il vise :
- d'une part, à aider les organisations et les jeunes activistes qui luttent contre le discours de haine à être plus efficaces en leur fournissant des outils conviviaux et des formations ;
- d'autre part, à renforcer la coopération entre ces organisations et les activistes au niveau Européen afin qu'ils développent de nouveaux partenariats avec les médias sociaux, d'autres réseaux d'ONG et des autorités nationales.
Il ne traite pas uniquement des discriminations contre les musulmans : un atelier a été consacré, mi-octobre, à la construction de récits pour contrer les discours de haine antisémite ; un autre atelier à vocation générale est en cours en ce moment.
L'ambiguïté, naturellement, c'est que tout le monde est convaincu en voyant les visuels que les institutions, qu'il s'agisse de l'Union européenne ou du Conseil de l'Europe, endossent les messages véhiculés, alors qu'il est indiqué, en tout petit, sur leurs pages Internet qu'elles ne sont pas responsables de l'utilisation qui en est faite.
Le porte-parole du Conseil de l'Europe relevait à cet égard que les tweets relayant les messages n'avaient pas été validés par le Conseil de l'Europe et qu'ils « reflétaient les déclarations faites de manière individuelle par des participants dans l'un des ateliers du projet et ne représentent pas la position du Conseil de l'Europe ni de sa secrétaire générale », tout en affirmant par ailleurs la doctrine générale du Conseil de l'Europe : « les femmes doivent pouvoir porter ce qu'elles veulent, selon les lois du pays où elles vivent ».
Je retire trois enseignements de cet épisode.
Le premier, c'est évidemment celui d'un problème méthodologique grave du Conseil de l'Europe, qui mérite que la délégation française s'y intéresse particulièrement : j'ai proposé à Nicole Trisse que la délégation française auditionne les responsables de ce programme pour clarifier les choses.
Le deuxième, c'est, une fois de plus, l'extrême sensibilité de la question du voile. Même si nous ne sommes pas isolés en l'espèce, la vision française de la laïcité est loin d'être partagée par tous et nous le voyons clairement lors des débats à l'APCE.
Le dernier point, justement en partant de ce constat, c'est la nécessité de s'investir davantage pour les français dans ce type d'instances, de manière continue, afin de défendre la vision française. C'est un travail d'influence de longue haleine mais il est indispensable de le mener.
Je voudrais terminer sur un autre point important. Nous avons constaté avec Pascale Gruny, lors du dernier jour de notre séjour à Athènes, un fait singulier. Lors d'une matinée organisée à cet effet, chaque pays devait évoquer l'action qu'il menait pour la protection de sa population. L'Angleterre, l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne ont essentiellement parlé de la protection de la population face à l'épidémie de la Covid. En revanche, la Biélorussie, la Lituanie, la Pologne et les pays des Balkans, parlaient de guerre. Ils parlaient essentiellement de la guerre en Afghanistan. D'autres, à l'instar des Arméniens, parlaient de leur propre territoire national : les Arméniens notamment évoquaient l'idée d'une « guerre à faire vite-fait ». L'Europe est une poudrière. Même l'intervenant bosnien a estimé que leur État entrerait en guerre dans les mois qui viennent. Je vous remercie.