Commission des affaires européennes

Réunion du 10 novembre 2021 à 13h35

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Mes chers collègues, nous débutons notre réunion par l'examen d'une proposition de résolution visant plusieurs textes présentés par la Commission européenne dans le but de renforcer l'Europe de la santé. Cette dernière propose notamment la création d'une nouvelle structure, l'HERA, sur le modèle de la BARDA aux États-Unis, qui avait été annoncée dès septembre 2020 dans le discours de Mme von der Leyen sur l'état de l'Union. L'objectif est de capitaliser sur l'expérience réussie de l'achat groupé de vaccins. Après des débuts laborieux, l'Union européenne peut en effet se targuer d'avoir remporté un succès en ce domaine, comme l'a fait valoir le commissaire Thierry Breton lors de sa récente audition devant notre commission il y a une dizaine de jours.

Pour la création de l'HERA, la Commission fait le choix de privilégier une structure interne, qui devra s'articuler avec les nouvelles dispositions du « paquet pour une union de la santé », présenté en novembre 2020 par la Commission. L'objectif que nous devons poursuivre est à la fois d'améliorer la résilience de l'Union en matière de santé et de respecter les prérogatives des États membres dans ce domaine.

Nous avons confié l'étude de ces textes à notre duo de rapporteurs sur la santé, Pascale Gruny et Laurence Harribey, qui nous avaient déjà présenté un rapport en juillet 2020 appelant à une mobilisation européenne au service de la santé. Elles s'étaient ensuite inquiétées en février dernier du respect du principe de subsidiarité par les textes du « paquet pour une union de la santé » : sur leur initiative, le Sénat avait adopté trois résolutions portant avis motivé dénonçant l'impact que ces textes pourraient avoir sur la fourniture de services de santé et de soins médicaux, qui relève de la compétence des États membres, et sur le risque que ces textes remettent en cause des lois et règlements nationaux. La Commission européenne a répondu depuis à notre interpellation : je laisse le soin à nos rapporteurs de s'en faire l'écho ainsi que de présenter leurs propositions de résolution européenne et d'avis politique et leur cède sans délai la parole.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Mes chers collègues, chère Laurence, en février dernier, notre commission avait en effet adopté trois propositions de résolution portant avis motivé sur les trois textes du « paquet pour une union de la santé » visant à renforcer l'action de l'Union et le rôle du centre européen de prévention et de contrôle des maladies face aux menaces transfrontières graves pour la santé, ainsi que les compétences de l'Agence européenne du médicament. Pour la Commission européenne, les craintes du Sénat n'étaient pas justifiées. Toutefois, les discussions sur deux de ces textes sont aujourd'hui compliquées car la plupart des États membres font la même analyse que notre commission et ce, bien que le Sénat ait été le seul à adresser des avis motivés à la Commission.

Comme l'a rappelé le Président, s'inspirant du modèle de la BARDA aux États-Unis, la Commission européenne a souhaité doter l'Union d'une Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire, l'HERA. La mission de l'HERA sera de garantir la disponibilité en temps utiles et en quantités suffisantes de contre-mesures médicales nécessaires en cas de crise sanitaire.

Selon la Commission, le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne contient pas d'article permettant de donner une base juridique propre à la mission de l'HERA. De plus, la création d'une agence autonome présenterait plusieurs inconvénients. Outre le fait qu'elle disposerait d'un poids politique moins important que celui de la Commission elle-même, elle serait plus longue à créer et ne serait dotée d'un budget qu'au terme d'une nouvelle procédure budgétaire.

Dès lors, la Commission a imaginé un dispositif particulièrement innovant et expérimental. Elle a décidé d'instituer l'HERA au sein de ses propres services mais avec un Conseil d'administration composé de représentants des États membres dont le rôle est, en droit, d'émettre un avis consultatif sur le programme de travail de l'HERA et ses décisions. Dans la pratique, la Commission assure que les décisions seront prises sur la base du consensus avec les États membres. Il s'agit là d'un dispositif inédit pour lequel la Commission prévoit une évaluation dès 2025.

Par ailleurs, la Commission a souhaité distinguer deux modes de fonctionnement de l'HERA, l'un en phase de préparation aux crises sanitaires, l'autre en phase de réaction d'urgence.

La décision C(2021) 6712 final de la Commission précise le statut, le mode de gouvernance et les missions de l'HERA, en phase dite de préparation à une crise sanitaire. Cette décision a été adoptée le 16 septembre dernier. L'HERA est donc d'ores et déjà opérationnelle.

Pour ce qui concerne les phases de réaction en cas d'urgence, c'est la proposition de règlement du Conseil établissant un cadre de mesures visant à garantir la fourniture de contre-mesures médicales nécessaires en cas d'urgence de santé publique au niveau de l'Union, COM(2021) 577 final, qui s'appliquera. Ce texte précise les mesures que la Commission pourra mettre en oeuvre, à la demande du Conseil, pour garantir l'approvisionnement en contre-mesures médicales. Même si c'est bien sur l'HERA que la Commission s'appuiera pour la mise en oeuvre de ces mesures, l'HERA n'est pas mentionnée dans la proposition de règlement car il s'agit d'un service interne à la Commission.

Ce texte COM(2021) 577 final a pour base juridique l'article 122 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Celui-ci prévoit que, sur proposition de la Commission, le Conseil peut, dans un esprit de solidarité entre les États membres, décider des mesures appropriées à la situation économique, en particulier si de graves difficultés surviennent dans l'approvisionnement en certains produits. Dès lors, le Parlement européen ne sera pas appelé à se prononcer sur ce texte et seule la Commission pourra proposer au Conseil d'activer le cadre d'urgence.

Dans ce dispositif imaginé par la Commission, nous estimons que la question du rôle des États membres doit être posée.

Concernant la phase de préparation, certaines des missions confiées à l'HERA sont, en effet, particulièrement stratégiques et nécessiteraient une plus grande coordination avec les États membres. C'est notamment le cas pour le choix des menaces prioritaires, l'établissement de l'agenda stratégique commun de recherche, la négociation des contrats FabEU qui doivent permettre la mise à disposition de l'Union de capacités de production en cas de crise, et la constitution de stocks. Or, la décision de la Commission prévoit d'accorder aux États membres un rôle purement consultatif. En effet, ceux-ci disposeront d'un représentant au sein du Conseil d'administration de l'HERA qui pourra seulement fournir des avis non contraignants sur le programme de travail de l'HERA, la cohérence de ses activités, son budget et l'évaluation de son action. Ce Conseil d'administration sera assisté par un Comité d'experts nommés par les États membres, parmi les experts des autorités nationales compétentes. Ceci semble bien insuffisant même si la Commission affirme qu'en pratique, les États membres seront impliqués dans toutes les décisions et que celles-ci feront l'objet d'un consensus.

De même, dans le cadre de la phase d'urgence, la proposition de règlement COM(2021) 577 final ne précise pas suffisamment le rôle du Conseil de gestion des crises sanitaires où sont représentés les États membres. Celui-ci est institué à la demande du Conseil. Or, la proposition de règlement prévoit qu'il est consulté pour la mise en oeuvre de certaines mesures. Il en ressort qu'il devrait dès lors être institué automatiquement lorsque le cadre d'urgence est activé.

Les règles de procédure concernant la prise de décision au sein de ce Conseil doivent être définies. En effet, le Conseil de gestion des crises sanitaires doit préciser les termes du mandat de négociation pour l'achat de contre-mesures médicales, établi au nom des États membres, mandat de négociation qui peut notamment concerner les technologies utilisées ou les capacités de production sur le territoire de l'Union. Un Conseil de ce type a déjà été institué pour l'achat anticipé de vaccins contre le virus de la COVID-19. Selon le Secrétariat général aux affaires européennes, son fonctionnement avait donné satisfaction : la Commission avait bien associé les États membres à ses travaux.

Enfin, lorsqu'ils décident de l'achat de contre-mesures médicales, la proposition de règlement prévoit que les États membres doivent consulter le Conseil de gestion des crises sanitaires. Or, la fourniture de services de santé relève de la compétence des États membres : ils n'ont donc pas à consulter le Conseil de gestion des crises sanitaires. Ceux-ci pourraient néanmoins informer le Conseil de gestion des crises sanitaires.

Concernant le mécanisme pour le suivi des contre-mesures médicales nécessaires en cas de crise, il faudrait selon nous que la Commission précise les critères selon lesquels serait établie la liste des contre-mesures médicales critiques et comment elle compte prendre en compte l'avis du Conseil de gestion des crises sanitaires.

Voilà ce que nous tenions à pointer s'agissant du rôle dévolu aux États membres. Je passe la parole à Laurence Harribey qui va vous présenter les autres points sur lesquels nous souhaitons attirer l'attention du Gouvernement. Je vous remercie.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

Pascale Gruny a précisé le montage juridique visant à la création de l'HERA et a montré son ambigüité. Le Président nous interrogeait tout à l'heure sur la pertinence du dispositif « HERA ». Notre réponse est nuancée : oui, il s'agit d'un bon dispositif mais il faut rester vigilant concernant un certain nombre de sujets. Je développerai deux points qui me semblent être importants : d'une part, il faut s'assurer que l'HERA ne doublonnera pas des missions déjà assumées ailleurs et d'autre part qu'elle disposera de financements suffisants.

Tout d'abord, la Commission européenne s'est engagée auprès des États membres à fournir une cartographie - que nous avons déjà commencée et qui se trouve dans l'exposé des motifs de notre PPRE - des missions de chaque institution, comité et agence impliqués dans la lutte contre les menaces transfrontières graves pour la santé. En effet, il existe un risque que certaines missions se recoupent. L'évaluation des menaces fait partie des missions attribuées à l'HERA en phase de préparation, alors que c'est le rôle du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies. De même, la proposition de règlement COM(2020) 726 prévoit qu'une task-force au sein de l'Agence européenne des médicaments (EMA) sera chargée de faciliter la réalisation des essais cliniques, alors que cette mission figure également dans les tâches confiées à l'HERA.

Dès lors, la Commission doit veiller à clarifier les rôles de chacun. De même, il ne faudrait pas que les mêmes informations soient collectées auprès des entreprises et des États membres plusieurs fois. La Commission doit veiller à répartir la collecte des données entre les différentes institutions et agences.

Enfin, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies et l'Agence européenne des médicaments ne doivent pas rendre leurs avis en fonction de considérations liées à l'approvisionnement. Les missions de ces deux agences doivent donc être bien distinctes de celles de l'HERA pour garantir leur indépendance.

J'en viens à la question du financement qui est fondamentale. Selon la Commission, l'HERA disposera d'un budget de 6 milliards d'euros pour la période 2022-2027 dont 1,7 milliard financé sur le programme « Horizon Europe », 2,8 milliards sur le programme « l'Union pour la santé » et 1,3 milliard sur les fonds dédiés au mécanisme de protection civile de l'Union. Ce budget est légèrement inférieur à celui de la BARDA aux États-Unis qui est de 1,4 milliard d'euros par an hors période de crise.

Cependant, la décision de la Commission C(2021) 6712 final instituant l'HERA prévoit que la gouvernance de ces différents programmes européens serait respectée, ce qui implique que des comités constitués pour gérer ces différents fonds et auxquels participent la Commission et les États membres devraient avoir à se prononcer sur ces budgets. Dès lors, rien ne garantit l'attribution à l'HERA des montants annoncés. C'est un vrai problème. Cependant, si ce montage n'avait pas été conçu comme tel, on aurait été dans l'obligation de créer une agence indépendante et donc, de recourir à une procédure budgétaire plus longue pour pouvoir doter l'HERA d'un budget, alors même que la mise en place de cette agence est nécessaire à court terme.

Par ailleurs, le Parlement européen s'est d'ores et déjà inquiété du fait que plus de la moitié du budget du programme « l'Union pour la santé » serve à financer l'HERA, et ce, au risque que ce soit au détriment d'autres priorités de ce programme et notamment du plan cancer. Il est effectivement nécessaire que les budgets prévus pour d'autres missions du programme « l'Union pour la santé » puissent être maintenus, notamment le budget du plan cancer. Certes, il faut aller vite mais il faut aussi être vigilant et s'assurer notamment que les moyens de l'HERA soient pérennes, au-delà du cadre financier pluriannuel 2021-2027.

Pour finir, nous ne pouvions pas aborder la création de l'HERA sans parler de la nécessité de repenser la stratégie industrielle de l'Union européenne pour favoriser, autant que possible, l'autonomie stratégique de l'Union en matière sanitaire.

L'Union ne pourra mobiliser des capacités de production que si celles-ci sont sur son territoire. On se souvient que, durant la pandémie de Covid-19, certains États tiers avaient limité les exportations de technologies de santé. C'est le cas de l'Inde, des États-Unis ou du Royaume-Uni.

S'il n'est évidemment pas possible de relocaliser l'ensemble de la production, il apparaît nécessaire de créer un environnement favorable au développement de l'industrie pharmaceutique et des dispositifs médicaux.

Pour cela, les marchés publics doivent comporter des critères qualitatifs permettant de garantir la sécurité des approvisionnements en cas de restrictions à l'exportation. Des mesures d'incitations financières conformes aux règles en matière d'aides d'État devront également être instaurées pour favoriser l'implantation en Europe de chaînes de production. Cela devrait s'accompagner, d'une part, d'un soutien appuyé à la recherche et au développement, et d'autre part, de la création, par les pouvoirs publics, d'un environnement réglementaire favorable.

Lors de nos auditions, le SNITEM, Syndicat national de l'industrie des technologies médicales, a expliqué que la mise en oeuvre du règlement (UE) 2017/745, entré en application depuis mai dernier, risque de créer de nombreuses difficultés d'approvisionnement dans les trois années à venir. En effet, ce règlement oblige à la certification d'un plus grand nombre de dispositifs médicaux, parmi lesquels figurent ceux qui sont déjà sur le marché. Or, le nombre d'organismes capables d'assurer la certification de ces dispositifs médicaux reste limité, rendant difficile cette certification dans les délais impartis. Il est donc nécessaire de réfléchir à accorder un délai de mise en conformité pour les industriels, comme cela a été proposé pour les dispositifs médicaux in vitro. On a posé la question lors à la Commission et cette dernière n'était pas fermée sur cette question.

Pour faire face à une crise sanitaire, il est par ailleurs important d'identifier en amont les technologies que l'on considère comme critiques et de s'engager de manière pérenne à développer leur production sur le territoire de l'Union, en ayant conscience que cela peut engendrer un coût supplémentaire. Ce sera bien sûr le rôle de l'HERA.

Enfin, une plateforme de dialogue permanent avec les industriels doit être établie au sein de l'HERA, lui permettant d'échanger avec des interlocuteurs capables de comprendre les enjeux liés à l'industrie pharmaceutique, d'une part, et à l'industrie des dispositifs médicaux, d'autre part, dans le respect naturellement de règles de déontologie. La situation des deux industries est en effet fort différente : l'industrie pharmaceutique est une industrie largement mondialisée, dotée d'une stratégie internationale et pour qui l'Europe n'est qu'un « marché parmi d'autres » alors que dans le domaine des dispositifs médicaux on trouve beaucoup plus de PME, plus fragiles mais aussi plus facilement mobilisables sur le territoire européen.

C'est dans ces conditions que l'HERA sera en mesure de remplir pleinement sa mission et c'est l'objectif de la proposition de résolution que nous vous proposons d'adopter aujourd'hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Merci à nos deux rapporteurs. Je voudrais revenir sur la question budgétaire. Nous étions satisfaits de voir une augmentation très importante des crédits consacrés à la santé dans le cadre financier pluriannuel (CFP). Or, si je comprends bien, un peu moins de la moitié des crédits du programme « l'Union pour la santé » seront consacrés à l'HERA. S'agit-il de crédits ajoutés dans le cadre de la lutte contre la Covid-19 ou des crédits prévus d'emblée pour être attribués au programme « l'Union pour la santé » dans le cadre du CFP, ce qui impliquerait d'amputer les politiques de prévention pour lesquelles le programme « l'Union pour la santé » a été abondé ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

Oui, c'est bien cette amputation prévisible que nous déplorons.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Il faut donc insister sur ce point auprès de la Commission européenne. J'en ferai également part dans le cadre du groupe de travail « santé » de la conférence sur l'avenir de l'Europe auquel j'appartiens.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

J'ajouterais un élément. La création de l'HERA préserve les compétences des États membres.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Nous étions hier au Sénat italien. Un représentant d'un des groupes politique évoquait la « tergiversation » des États membres sur la vaccination. Selon lui, il valait mieux harmoniser les stratégies vaccinales des États membres. J'ai réagi à son intervention en rappelant que les exigences des États membres en matière de santé ne sont pas les mêmes d'un État à l'autre. Il faut en effet respecter les compétences des États membres en la matière. En France, par exemple, le vaccin Moderna n'est plus administré aux moins de trente ans, ce qui n'est pas le cas dans les autres pays de l'Union.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Considérant le fonctionnement de notre espace de libre circulation européen, on ne peut se satisfaire de l'élaboration des politiques de santé au niveau national.

Des efforts ont été réalisés en France pour convaincre les populations de se faire vacciner et l'on constate que ces mêmes efforts ne se sont pas fournis de manière égale par tous les Etats membres de l'Union européenne. La Roumanie, notamment, n'est pas exemplaire en la matière. La conséquence de cette situation est sans appel : notre espace de libre circulation européen conduit à une reprise de l'épidémie. Penser que des mesures relevant des politiques de santé doivent être adoptées au niveau national n'est donc pas pertinent.

Même concernant le passe sanitaire numérique de l'Union européenne, les conditions de sa délivrance sont régies par des dispositions nationales, non harmonisées entre les États membres. J'avais déjà souligné en juillet, que sur le territoire hongrois, des certificats Covid numériques avaient été délivrés alors même que la personne bénéficiaire du certificat avait reçu le vaccin Spoutnik, non reconnu par l'Agence Européenne du Médicament. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.

La manière dont on fait évoluer les mesures en matière de troisième dose et d'évaluation des vaccins au sein des pays de l'Union est très problématique. Un certificat Covid numérique européen a été institué l'année dernière, et pourtant il semble qu'un an après, au lieu de converger vers des mesures communes, les Etats membres appliquent des mesures de plus en plus différentes.

Globalement, la politique européenne d'harmonisation n'est pas très efficace : les pays membres de l'Union européenne prennent collectivement des risques. L'image de l'Europe en pâtit.

L'HERA est une bonne initiative et je ne suis pas certain qu'il faille revendiquer que le bon niveau de réaction sur ces sujets soit systématiquement le niveau national, sans se préoccuper d'harmoniser ou de faire converger les politiques des États membres en la matière.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Il y a en effet des besoins de convergence. Mais, il y a aussi des exigences scientifiques et des exigences de la part de la population qui justifient des différences entre les États membres. Dans le contexte de pandémie, je peux comprendre que l'on recherche davantage de coordination à l'échelle européenne, mais il faut rester attentif aux exigences sanitaires de chaque pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Je voulais rebondir sur ce qu'a dit Pascale Gruny concernant la liberté des États membres en matière de politique de santé.

Les décisions prises par l'Agence européenne des médicaments (EMA) s'imposent de plus en plus aux agences nationales. En effet, les décisions de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ne sont prises qu'après décision de l'EMA ; l'ANSM demeure toujours attentive à garantir la conformité de ses décisions avec celles de l'EMA.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Quels seront les liens de cette nouvelle entité avec l'OMS ? L'articulation entre les compétences de ces deux organes peut être intéressante.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

Oui, nous l'évoquons. Cependant, l'HERA vise surtout la capacité de l'Europe à répondre à une pandémie en termes d'approvisionnement, tandis que l'OMS se concentre davantage sur des considérations scientifiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Je trouvais important en effet de mentionner l'OMS. Nous voyons que cet organe exclut par exemple Taiwan, alors même que des enseignements sont à tirer de sa gestion de la crise sanitaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

J'avais quant à moi une interrogation sur la question industrielle. La relocalisation industrielle apparaît comme une nécessité. Vous citez d'ailleurs à ce titre l'extrait du rapport du Parlement européen. Le basculement en trente ans vers des délocalisations y apparaît massif. Or, les politiques européennes oublient le monde industriel. Ce basculement a été construit par les groupes européens eux-mêmes. Sanofi en est un bon exemple. J'ai d'ailleurs évoqué ce sujet au moment de l'audition du commissaire Thierry Breton : quand ce dernier a tiré un bilan très positif de la manière dont l'Europe avait fait face industriellement à la production du médicament, je lui ai demandaé où se situait Sanofi sur cette question. Sanofi est le parfait exemple d'une grande entreprise française qui a oeuvré massivement pour la délocalisation de ses productions. Avec l'HERA, les industriels seront-ils amenés à changer leurs politiques ? Des choix ont été faits au fil des décennies, et il m'apparaît difficile de les changer sans impliquer les industriels. Je ne vois pas poindre pour le moment d'éléments susceptibles d'inciter véritablement les industriels à repenser leurs stratégies à la hauteur de la situation. On est passé en 30 ans de 20 % de principes chimiques actifs produits hors d'Europe à plus de 60 % aujourd'hui. Il faut des changements de trajectoire massifs !

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Je reconnais que cette transition n'est pas simple : de nombreux enjeux financiers sont à l'oeuvre. Une chose est sûre : il faudra accepter de payer plus cher. Les entreprises sont délocalisées pour des considérations avant tout de productivité et de coût. Il faut donc mettre en place des incitations financières, ainsi que des accompagnements, et réexaminer nos règles en matière de marchés publics, pour prendre en considération le prix mais aussi des critères comme la garantie d'approvisionnement.

L'HERA est tout de même instituée pour obtenir une réponse rapide en cas de crise. Ainsi, pour répondre à cet objectif, on sait très bien qu'il est indispensable d'avoir à disposition une capacité de production, mobilisable y compris pour faire autre chose que ce que les entreprises font habituellement. Les relocalisations sont donc nécessaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

Pour compléter les propos de Pascale Gruny, j'insiste sur le fait que les marchés publics sont de véritables leviers, à condition que la logique-même du marché public évolue. Le marché public doit passer d'une philosophie du moins-disant au mieux-disant et, donc, intégrer des critères qualitatifs.

Par ailleurs, derrière les politiques de santé, il y a aussi des régimes de protection sociale. Tout est imbriqué.

Enfin, la Commission voudrait instaurer avec les industriels un dialogue et un partenariat de long terme sur ces questions. Lorsque nous avons auditionné les industries pharmaceutiques, ces dernières s'inscrivaient dans une logique de « monde internationalisé » et ne voulaient pas véritablement modifier cet équilibre. Toutefois, la crise n'a laissé personne indemne. Certains de nos interlocuteurs ont pointé des incohérences : certains États ont relancé la production de masques sur leur territoire puis ont abandonné les industriels européens puisqu'on recommence à commander des masques provenant de Chine car ceux-ci sont moins chers. Des entreprises européennes sont donc aujourd'hui en difficulté alors même qu'elles avaient adapté leur production. Il s'agit d'une politique industrielle qu'il conviendrait de mener, avec pour levier les marchés publics, sans pour autant entrer dans une économie administrée !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Les marchés publics européens offrent la possibilité d'introduire, lors de leur passation, des exigences techniques précises. Il faut toutefois faire attention à ne pas casser la concurrence. Le recours aux médicaments génériques est un sujet encore plus compliqué. Ces derniers ont été élaborés il y a quelques années pour baisser les coûts et, in fine, équilibrer les comptes de la sécurité sociale. Doit-on demander à ceux en charge des politiques sociales de payer pour des politiques industrielles ? C'est un véritable sujet. La réponse à cette interrogation varie d'un pays à l'autre au sein de l'Union européenne. Dans les pays où les médicaments sont à la charge des malades, les médicaments les moins chers seront nécessairement plébiscités. Cette question touche au domaine de la politique industrielle et met en jeu la place des innovations dans ces politiques. Elle ne saurait être simplement réglée par l'application des règles de marché public.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

On ne peut pas vouloir relocaliser sur le territoire européen la production de paracétamol, d'aspirine et d'antibiotiques. Ce sont des productions mineures, à des prix mineurs. En revanche, il faut développer en Europe des dispositifs médicaux de troisième ou de quatrième génération, la recherche sur la génétique et les différentes médications innovantes. Il existe en Europe, en particulier en Allemagne, en France et au Royaume-Uni, un nombre de startups suffisant pour trouver des médicaments innovants pouvant traiter des maladies « rares », qui ne le sont certes plus tellement aujourd'hui eu égard au vieillissement de la population. Il faut favoriser l'installation des entreprises qui produisent ce type de dispositifs médicaux plutôt que celles produisant du paracétamol à un prix plus élevé pour les consommateurs.

Il a été discuté de la possibilité de mettre en place une sorte d'Airbus de l'ARN messager : c'est une bonne idée. Dans de nombreuses maladies graves- cancers, Alzheimer, maladies du cerveau -, l'ARN messager peut servir pour guérir les patients. Cependant, le danger serait que ce dispositif soit détourné au profit du dopage. L'ARN messager peut en effet entrainer une augmentation de l'EPO, et donc des performances. Il faut donc rester vigilants.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Si on a ces capacités de production sur des médicaments innovants, ces dernières pourront être mobilisables pour faire d'autres médicaments indispensables au moment d'une pandémie. Toutefois, une relocalisation ne pourra jamais être réalisée à 100 % : nous dépendrons donc toujours, dans une certaine mesure, des pays n'appartenant pas à l'Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Je le constate dans le domaine automobile : à partir du moment où l'on ne produit plus les produits de base en Europe, des problématiques relatives aux filières et aux compétences se développent. Il y a quinze ans, la délocalisation de la production automobile en Chine n'inquiétaient pas les autorités européennes, persuadées de conserver leur « savoir-faire » au niveau national. Or, cela n'est pas le cas : c'est l'industrie elle-même qui produit la compétence. Ainsi, il n'est pas opportun de délocaliser entièrement un champ entier de production car consécutivement, on perd un domaine de compétences. L'innovation seule n'est pas suffisante.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Il y a deux ans, la commission des affaires sociales du Sénat est allée visiter Genopole. À l'occasion de cette visite, le directeur de Genopole nous a livré une anecdote assez édifiante : Genopole avait permis la découverte d'une molécule guérissant certains types génétiques de mucoviscidose qui concernent une centaine d'enfants par an au niveau national. Pour la développer, Genepole avait besoin de 500 000 euros, qu'elle n'a jamais obtenus. La molécule a donc été revendue à une startup américaine pour un million d'euros. À la suite de cela, la startup américaine a mis en place un processus industriel, et c'est Novartis qui a racheté ce dernier pour un milliard d'euros.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Merci à tous. Sont soumis à votre vote la proposition de résolution européenne et l'avis politique présentés par nos collègues.

La commission des affaires européennes adopte à l'unanimité la proposition de résolution européenne disponible en ligne sur le site du Sénat, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Nous allons maintenant écouter Alain Milon, en sa qualité de premier vice-président de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, nous rendre compte des troisième et quatrième parties de session de l'APCE qui se sont tenues en juin et septembre 2021. Cette assemblée se trouve aujourd'hui sous les feux de l'actualité, à la fois en raison d'une récente campagne promotionnelle autour du voile qui a fait polémique et à laquelle elle se trouve mêlée, et en raison de l'épineuse situation aux frontières orientales de l'Union européenne, où la Biélorussie envoie en masse des migrants pour déstabiliser l'Union. Encore ce matin l'actualité défraie la chronique sur ce sujet. La Biélorussie n'est pas membre du Conseil de l'Europe, mais la Russie, qui n'est pas étrangère à la situation, en est membre, aussi le dialogue au sein de cette enceinte est-il précieux pour traiter de ce sujet brûlant.

J'accueille aussi avec plaisir notre collègue Christian Klinger, membre de l'APCE.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Merci de m'accueillir pour évoquer les travaux de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe lors de sa quatrième et dernière partie de session 2021, qui s'est tenue du 27 au 30 septembre.

Pour ne pas être trop long, je ne développerai pas les travaux que l'APCE avait menés au mois de juin, si ce n'est pour dire que la convention d'Istanbul avait occupé une place importante dans les débats, à l'occasion du dixième anniversaire de l'ouverture de ce texte aux signatures des États. C'était le 11 mai 2011.

En revanche, si vous le voulez bien, j'évoquerai également un sujet qui a fait polémique la semaine dernière, à savoir la campagne de communication anti-discrimination désormais connue comme « la liberté dans le hijab », retirée à la suite des protestations françaises.

Je veux tout d'abord signaler qu'à l'occasion de cette partie de session, marquée par une forte participation des sénateurs membres de la délégation, notre collègue Claude Kern s'est vu confier un rapport sur la situation politique en Tunisie et qu'il a été désigné membre suppléant du Conseil des élections démocratiques auprès de la Commission de Venise.

Lors de cette partie de session, qui s'est à nouveau déroulée en format hybride, plusieurs séquences « traditionnelles » ont eu lieu.

La Secrétaire générale du Conseil de l'Europe et le Président hongrois du Comité des Ministres se sont exprimés et ont été interrogés par les parlementaires. Le ministre hongrois s'est à nouveau illustré par des propos très tranchants. Évoquant notamment la pression migratoire résultant du retrait américain d'Afghanistan, il a invité à ne pas répéter les erreurs commises en 2015, considérant, je le cite, qu'« après les invitations faites sous la forme de déclarations irresponsables par certains de nos collègues en Europe, une pression migratoire illégale massive a frappé le continent, constituant un risque sérieux pour la culture et la sécurité. Nous avons compris que dans de nombreux endroits en Europe, les modèles d'intégration sociale ont échoué, des sociétés parallèles ont été créées ».

Nous avons également pu dialoguer avec Nikola Dimitrov, vice-premier ministre chargé des affaires européennes de la Macédoine du Nord, ainsi qu'avec Stella Kyriakides, commissaire européenne à la santé et à la sécurité sanitaire.

Je l'ai interrogée sur la fourniture par l'Union européenne de doses de vaccin contre la Covid-19 dans le cadre de l'initiative COVAX de l'OMS, dont l'Union est l'un des principaux bailleurs.

L'Assemblée a élu trois juges à la Cour européenne des droits de l'Homme, au titre de la République tchèque, de la Moldavie et de la Russie. En revanche, la liste de candidats présentée par l'Ukraine a été rejetée.

J'en profite pour vous signaler qu'au moment où se tenait la session, a eu lieu une audience très importante pour la France concernant le rapatriement de familles françaises de djihadistes partis combattre en Syrie. La grande chambre de la Cour a en effet examiné deux requêtes déposées par les parents de Françaises, aujourd'hui retenues dans des camps de réfugiés du nord-est syrien, parties avec leurs compagnons en Syrie où elles ont eu des enfants.

Signe de l'importance de l'affaire, sept États membres du Conseil de l'Europe sont intervenus dans la procédure, ainsi que la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, de même que plusieurs rapporteurs spéciaux des Nations unies et ONG. L'arrêt ne sera rendu que dans quelques mois mais il aura sans nul doute un impact important.

L'APCE a adopté plusieurs résolutions sur les conséquences humanitaires du conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, le rétablissement de la confiance sociale en renforçant les droits sociaux, ou encore la lutte contre les crimes dits d'« honneur ».

Elle a tenu des débats d'urgence sur la situation en Afghanistan et sur l'intensification de la pression migratoire aux frontières de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne avec la Biélorussie, ainsi qu'un débat d'actualité sur « Les Balkans occidentaux entre défis démocratiques et aspirations européennes », qui fait écho à vos débats récents.

Je ne développe pas ces différents thèmes et vous renvoie pour plus de précisions au rapport rendant compte de la partie de session.

Je voudrais insister sur trois points qui méritent à mon sens d'être particulièrement soulignés.

Le premier point concerne le fonctionnement de l'Assemblée parlementaire.

D'une part, l'APCE a adopté un texte précisant la portée des immunités parlementaires dont bénéficient ses membres, à un moment où il a fallu les rappeler, en particulier à la Fédération de Russie, qui avait déclaré notre collègue député Jacques Maire persona non grata.

D'autre part, elle a également adopté un texte initié par notre collègue députée Nicole Trisse, présidente de la délégation française, visant à renforcer la place des femmes au sein de l'Assemblée parlementaire, et ce à compter de janvier 2023.

À cette date, chaque délégation nationale devra inclure un pourcentage de femmes au moins égal à celui que compte son parlement ou, si cela est plus favorable à la représentation des femmes, comprendre, pour une délégation comme celle de la France, un minimum de douze femmes sur les 36 membres, dont au moins 6 titulaires. La délégation française dans son ensemble répond aujourd'hui à ces critères, puisqu'elle comprend 16 femmes : 6 titulaires, dont la présidente de la délégation, et 10 suppléantes.

Il faudra toutefois être attentif à l'évolution de la composition de la délégation à l'issue des élections législatives et prendre en compte cette donnée nouvelle lors du renouvellement d'ensemble de la délégation sénatoriale, ce qui impliquera, de fait, une certaine coordination entre les groupes politiques.

Par ailleurs, la résolution adoptée à l'initiative de Nicole Trisse impose une prise en compte du genre dans le fonctionnement même de l'Assemblée. Une délégation ne pourra ainsi présenter la candidature d'un homme à la vice-présidence de l'APCE que si elle comprend au moins 40 % de femmes. Un tiers des rapporteurs des commissions devront être des femmes.

Les commissions dont les membres sont désignés par les groupes politiques devront également comprendre au moins un tiers de femmes et, de manière générale, les groupes politiques sont incités à réexaminer leur mode de fonctionnement afin d'attribuer davantage de responsabilités aux femmes.

Le deuxième point concerne l'avis rendu par l'Assemblée parlementaire, à la demande du Comité des Ministres, sur le projet de deuxième protocole additionnel à la Convention de Budapest sur la cybercriminalité, relatif au renforcement de la coopération et de la divulgation de preuves électroniques.

Je le signale car la Convention de Budapest est une convention ouverte, qui n'est donc pas limitée aux seuls membres du Conseil de l'Europe : 66 États l'ont ratifiée, dont 21 n'appartenant pas au Conseil de l'Europe.

Tous les États membres du Conseil de l'Europe l'ont ratifiée, à deux exceptions près : l'Irlande, qui s'est engagée à le faire, et la Fédération de Russie, qui ne l'a même pas signée. La Russie est en effet opposée à la démarche de cette convention.

Je veux également souligner que cette convention a au départ été négociée par les États « en direct ». Puis l'Union européenne a pris le relais et a mené les négociations pour le compte de l'ensemble des États membres, afin de garantir une bonne cohérence par rapport aux législations communautaires.

Le troisième point que je souhaite mettre en avant concerne le lien entre l'environnement et les droits de l'Homme. Ce thème, cher au Président de l'APCE, a été central lors de la dernière partie de session puisqu'une journée entière y a été consacrée. Il a également été au programme de la Conférence européenne des Présidents de Parlement organisée à Athènes, où notre collègue Pascale Gruny a représenté le Président du Sénat.

Les débats ont couvert de nombreux sujets, comme la nécessité d'une démocratie plus participative face au changement climatique ; les liens entre la crise climatique et l'État de droit ; les questions de responsabilité civile et pénale dans le contexte du changement climatique ; la lutte contre les inégalités en matière de droit à un environnement sûr, sain et propre ; la dimension migratoire des dérèglements climatiques ou encore l'enjeu des politiques de recherche et développement pour la protection de l'environnement.

Mais surtout, l'Assemblée a appelé de ses voeux une action renforcée du Conseil de l'Europe, en demandant au Comité des Ministres d'élaborer un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme sur le droit à un environnement sûr, propre, sain et durable.

Alors que nous sommes en pleine COP 26, on voit bien que les questions climatiques deviennent de plus en plus prégnantes. Derrière la prise de position de l'APCE se cache en réalité un débat plus vaste sur le leadership normatif en matière d'environnement et de lien avec les droits de l'Homme.

Je voudrais terminer cette communication en évoquant un point dont il n'a pas été question lors de la partie de session de l'APCE mais qui a eu un bien plus grand retentissement : je veux évidemment parler de la campagne de communication anti-discrimination désormais connue comme « la liberté dans le hijab ».

Le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, s'est exprimé à ce sujet en répondant à notre collègue Valérie Boyer la semaine dernière. Je me contenterai d'apporter quelques précisions.

Ces messages sont le résultat d'un atelier intitulé « Construire des récits fondés sur les droits de l'homme pour contrer les discours de haine antimusulmans », mené dans le cadre d'un programme intitulé « WE CAN for human rights speech », co-financé par l'Union européenne et le Conseil de l'Europe.

Trois personnes intervenaient au cours de cet atelier, coorganisé avec le Forum des Organisations Européennes Musulmanes de Jeunes et d'Étudiants (FEMYSO) :

- Hajar el Jahidi, chercheuse et experte indépendante, présentée par France Inter en 2018 comme travaillant à Bruxelles « pour un lobby pour la juste représentation des femmes musulmanes en Europe » ;

- un membre du bureau de la FEMYSO, structure présentée par certaines sources comme proche des Frères musulmans, même si cette organisation s'en défend. Il faut savoir qu'elle a pignon sur rue à Bruxelles et qu'elle a notamment participé en octobre, dans l'hémicycle du Parlement européen, au grand rassemblement de jeunesse EYE2021 ;

- et enfin un expert et porte-parole du Conseil de l'Europe, Daniel Höltgen.

Les objectifs du projet « WE CAN for human rights speech » sont clairement affichés sur le site Internet qui lui est consacré. Il vise :

- d'une part, à aider les organisations et les jeunes activistes qui luttent contre le discours de haine à être plus efficaces en leur fournissant des outils conviviaux et des formations ;

- d'autre part, à renforcer la coopération entre ces organisations et les activistes au niveau Européen afin qu'ils développent de nouveaux partenariats avec les médias sociaux, d'autres réseaux d'ONG et des autorités nationales.

Il ne traite pas uniquement des discriminations contre les musulmans : un atelier a été consacré, mi-octobre, à la construction de récits pour contrer les discours de haine antisémite ; un autre atelier à vocation générale est en cours en ce moment.

L'ambiguïté, naturellement, c'est que tout le monde est convaincu en voyant les visuels que les institutions, qu'il s'agisse de l'Union européenne ou du Conseil de l'Europe, endossent les messages véhiculés, alors qu'il est indiqué, en tout petit, sur leurs pages Internet qu'elles ne sont pas responsables de l'utilisation qui en est faite.

Le porte-parole du Conseil de l'Europe relevait à cet égard que les tweets relayant les messages n'avaient pas été validés par le Conseil de l'Europe et qu'ils « reflétaient les déclarations faites de manière individuelle par des participants dans l'un des ateliers du projet et ne représentent pas la position du Conseil de l'Europe ni de sa secrétaire générale », tout en affirmant par ailleurs la doctrine générale du Conseil de l'Europe : « les femmes doivent pouvoir porter ce qu'elles veulent, selon les lois du pays où elles vivent ».

Je retire trois enseignements de cet épisode.

Le premier, c'est évidemment celui d'un problème méthodologique grave du Conseil de l'Europe, qui mérite que la délégation française s'y intéresse particulièrement : j'ai proposé à Nicole Trisse que la délégation française auditionne les responsables de ce programme pour clarifier les choses.

Le deuxième, c'est, une fois de plus, l'extrême sensibilité de la question du voile. Même si nous ne sommes pas isolés en l'espèce, la vision française de la laïcité est loin d'être partagée par tous et nous le voyons clairement lors des débats à l'APCE.

Le dernier point, justement en partant de ce constat, c'est la nécessité de s'investir davantage pour les français dans ce type d'instances, de manière continue, afin de défendre la vision française. C'est un travail d'influence de longue haleine mais il est indispensable de le mener.

Je voudrais terminer sur un autre point important. Nous avons constaté avec Pascale Gruny, lors du dernier jour de notre séjour à Athènes, un fait singulier. Lors d'une matinée organisée à cet effet, chaque pays devait évoquer l'action qu'il menait pour la protection de sa population. L'Angleterre, l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne ont essentiellement parlé de la protection de la population face à l'épidémie de la Covid. En revanche, la Biélorussie, la Lituanie, la Pologne et les pays des Balkans, parlaient de guerre. Ils parlaient essentiellement de la guerre en Afghanistan. D'autres, à l'instar des Arméniens, parlaient de leur propre territoire national : les Arméniens notamment évoquaient l'idée d'une « guerre à faire vite-fait ». L'Europe est une poudrière. Même l'intervenant bosnien a estimé que leur État entrerait en guerre dans les mois qui viennent. Je vous remercie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Nous avons auditionné hier soir, à l'ambassade de France en Italie, l'ancien ministre de l'intérieur italien, Marco Minniti, très inquiet notamment de la manière dont la question migratoire était gérée.

Une chose est claire : on assiste aujourd'hui davantage à des guerres politiques plutôt qu'à des guerres de religion.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Je souhaiterais compléter ce qui a été développé par mes collègues en insistant sur la fragilité de la paix au sein du territoire couvert par le Conseil de l'Europe. Rappelons-nous d'une chose en cette veille de 11 novembre : la guerre avait démarré à Sarajevo. Aujourd'hui, les tensions en Biélorussie, en Afghanistan, en Arménie, en Grèce ainsi qu'en Turquie sont inquiétantes. Cette dernière était d'ailleurs absente de la conférence.

Sur la question des pourcentages de femmes au sein des instances du Conseil de l'Europe, je voudrais souligner qu'il sera compliqué d'y parvenir dans la mesure où il faut aussi garantir la représentation politique des parlementaires. Le scrutin proportionnel complique également la donne. En effet, les élections sénatoriales sont en grande partie « à la proportionnelle », et les femmes sont bien souvent reléguées en seconde position des listes.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Très honnêtement, je ne m'attendais pas à ce que la situation soit aussi compliquée, ne serait-ce qu'au sein de la commission des affaires sociales de l'APCE. Les Russes avaient proposé d'organiser la prochaine réunion de la commission des affaires sociales à Moscou. La Lituanie, l'Estonie, l'Ukraine, l'Azerbaïdjan, tous ont refusé. Les seuls ayant voté pour sont l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie et la France. La tenue de la commission à Moscou n'a donc pas pu se faire.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Marie

Je siège à l'APCE depuis le dernier renouvellement. Dans un premier temps, nous réalisions les réunions en visioconférence, il était ainsi plus difficile d'appréhender les tensions politiques.

Celles que l'on ressent aujourd'hui au sein de l'APCE, se ressentent également au sein de l'Union interparlementaire, qui est pourtant un cadre beaucoup plus large. On observe notamment des tensions à la fois à l'échelle européenne entre la Russie et ses alliés, et les membres de l'Union européenne, mais aussi à une plus grande échelle entre la Chine et le reste du monde ou encore entre les pays du Proche-Orient et les pays occidentaux.

Pour autant des points d'équilibre se créent : cela souligne toute l'importance de la diplomatie parlementaire. En effet, dans ces instances-là, nous parvenons encore à nous parler, et à faire dialoguer des pays dont les pouvoirs exécutifs ont rompu tout lien. Il est extrêmement important d'y être présents, de manière permanente. On retrouve cela à l'échelle du Parlement européen. Si aujourd'hui, les parlementaires français pèsent moins au sein du Parlement européen que les parlementaires allemands, c'est lié au « turn-over » important que connaît la délégation française, du fait de nos tergiversations politiques. La question de la pérennité de la présence doit être prise en considération, notamment pour nouer des liens avec les autres parlementaires et faire valoir nos valeurs et les positions de la France, le cas échant.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Je partage tout ce qui a été dit par mes collègues, qui me semble tout autant valable à l'AP-OSCE.

Je suis surpris de constater qu'il existe, in fine, deux types de délégations nationales : celles qui sont supplétives de leur exécutif et celles qui sont de vraies délégations parlementaires, avec un point de vue différent.

Prenons l'exemple de la délégation ukrainienne : ses membres n'hésitent pas à se montrer critiques envers leur propre gouvernement. En réalité, c'est aussi ce genre d'attitudes qui permettent de rendre utiles ces forums. Ils favorisent à la fois la diplomatie parlementaire, la compréhension des politiques portées par les autres délégations mais également la possibilité de faire passer des messages aux délégations qui ne sont pas véritablement parlementaires.

La réunion est close à 14h45.