Ce sujet de la médecine du travail, sans doute l’un des plus importants que nous ayons eu à aborder à l’occasion de ce débat sur les retraites, mérite que la sérénité regagne nos travées, monsieur le président.
Je ne vous cache pas notre surprise de le voir ainsi surgir au détour de ce texte. En effet, comme tous les experts, et comme les médecins du travail eux-mêmes, nous nous attendions, à la suite des discussions qui se sont engagées depuis deux ans, à ce qu’un grand texte soit préparé sur cette question. Cela explique en partie le malaise qui entoure ce dossier. Toutefois, maintenant qu’il est ouvert, nous devons en parler.
Nous ne pouvons pas limiter la réflexion sur la médecine du travail à une question de dossiers qui touchent les travailleurs dans les entreprises. L’inquiétude globale qui s’exprime est révélatrice de ce que de nombreux experts appellent la grande misère de la médecine du travail. Nous l’avons rappelé : les médecins du travail ne sont pas suffisamment nombreux ; ils forment un corps vieillissant, ce qui nous laisse entrevoir des lendemains extrêmement difficiles ; enfin, leur perception dans la société n’est pas à la hauteur de ce qu’elle devrait être compte tenu de la place qu’ils occupent ou qu’ils devraient occuper dans les entreprises. Ce constat relève sans doute du lieu commun, mais, en dépit de la complexité et de la difficulté de leur tâche, les médecins du travail sont loin de se situer au faîte des professions médicales. Ce ne sont pas les plus privilégiés en termes d’émoluments, ils ne bénéficient pas d’une très grande reconnaissance sociale, sont peu nombreux et travaillent dans des conditions difficiles, alors même qu’ils jouent un rôle déterminant dans l’entreprise.
Leur rôle de suivi des travailleurs, s’il est important, n’est pas exclusif. Ils doivent aussi savoir très précisément comment sont aménagés les lieux de travail et pouvoir détecter dans les process de production ce qui risque de créer des difficultés pour les travailleurs et donc, par ricochet, pour l’entreprise. Ces missions, parfois considérées comme « annexes », sont extrêmement importantes, pour les travailleurs comme pour l’entreprise.
Pour la productivité de leurs sociétés, les chefs d’entreprise ont tout intérêt à avoir un personnel en bonne santé et des conditions de travail optimales. Dans le cas contraire, le retour financier ne sera pas satisfaisant. Chacun dans cet hémicycle qui, à un moment ou à un autre de sa vie, a eu à diriger des entreprises publiques ou privées, ne peut qu’être d’accord avec ce constat.
Or, lorsqu’on discute des process et de l’organisation du travail, on entre dans une sphère de haute conflictualité entre les chefs d’entreprise et les représentants du monde du travail, notamment ceux qui siègent dans les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT. Dans ces conditions, le médecin du travail est le seul qui puisse obtenir un consensus.
Encore faut-il, pour cela, que l’indépendance de ce dernier soit strictement garantie. J’ai rencontré nombre de médecins du travail au cours de ma carrière, j’ai discuté avec certains d’entre eux encore très récemment, et je peux vous affirmer que, plus que de l’argent, ils veulent, bien évidemment, être reconnus socialement, mais, surtout, pouvoir poser des actes de vérité quand ils découvrent une situation préjudiciable aux travailleurs et à l’entreprise.
Pour qu’ils remplissent au mieux cette mission, ils doivent avoir une garantie totale d’indépendance, ce qui est difficile à assurer. Nous avons eu l’occasion d’en parler, monsieur le ministre, devant la commission des affaires sociales : ce texte, comme les autres qui suivront nécessairement – je pense notamment à la promesse d’une grande loi de santé publique –, doit offrir un maximum de garanties. Il y va de l’intérêt de nos concitoyens comme de celui des entreprises et du monde du travail.