Cet article 25, premier du titre IV, ouvre deux débats d’importance, l’un fort opportun sur la pénibilité au travail – ce d’autant plus que ce projet de loi contourne et dénature la question pour éviter d’avoir à la traiter –, l’autre sur les services de santé au travail ; apparemment intempestif, ce dernier a été introduit in extremis par voie d’amendement.
Pourquoi avoir ajouté le second au premier ? Parce la pénibilité existe, qu’elle est établie et que vous n’avez plus la possibilité de l’ignorer. Il vous fallait donc, tout en la reconnaissant, trouver le moyen d’en circonvenir les conséquences. Il vous a suffi pour cela de recopier mot à mot le texte rédigé par le MEDEF.
Le projet de loi que vous présentez confirme que ce gouvernement n’a simplement jamais eu, et n’a nullement l’intention de prendre réellement en considération la pénibilité au travail.
Votre peu de considération à l’égard de la réalité du monde du travail est d’ailleurs étrangement similaire à la manière dont vous traitez – ou plutôt maltraitez – le budget de l’État. La question de la pénibilité, comme celle du bouclier fiscal, échappe bizarrement à votre frénésie réformiste. Il faut tout changer, mais surtout pas cela ! Et lorsque la position devient intenable, vous sortez la carte de l’ISF pour l’une et celle de la médecine du travail pour l’autre.
Un simple regard rétrospectif prouve que vous n’avez jamais eu l’intention de prendre en compte la pénibilité dans le recul des bornes d’âge de la retraite, puisque vous n’avez jamais tenu les engagements que vous aviez pris en 2003, sauf à vous cacher derrière l’alibi facile des dissensions entre partenaires sociaux.
Vous n’en aviez tellement pas l’intention que, si les négociations, auxquelles vous avez aisément renvoyé, n’ont en effet pas abouti sur les volets de la compensation et de la réparation, un accord a été trouvé sur la définition des critères de la pénibilité et sur le volet de la prévention.
Or, si ces critères – contraintes physiques ou psychiques, environnement agressif et rythmes contraignants – figureront bien dans le dossier de santé du travailleur, ils ne serviront pas à son examen, qui se limitera simplement à l’appréciation de son état de santé tel qu’il est au moment où il consulte le médecin.
La différence d’espérance de vie à 35 ans entre un cadre et un ouvrier est de 7 ans, et même de 10 ans pour ce qui est de l’espérance de vie sans incapacité. Cette inégalité, qui résulte des conditions de travail, est un fait, une donnée établie et une injustice avérée.
Ce sont celles et ceux qui travaillent dans les conditions les plus dures qui vivent le moins longtemps et dans les moins bonnes conditions. Là encore, nous sommes confrontés à des données établies, incontestables.
Peut-on, dans ces conditions, envisager d’allonger de deux années encore leur durée de travail ? C’est pourtant ce que vous aviez prévu, sans état d’âme, comme si ces personnes-là n’existaient pas pour vous, votre projet initial ne comportant aucune disposition à leur intention.
Vous avez franchi là une limite, celle de l’humiliation. La dignité est partie prenante de tout exercice professionnel. Reconnaître la pénibilité particulière de certaines professions, c’est faire preuve de considération à l’égard de celles et ceux qui la subissent. En leur refusant cette reconnaissance, vous leur déniez votre considération et portez atteinte à leur dignité.
Vous aviez, en revanche, le projet de casser la médecine du travail, les dispositions ajoutées au dernier moment à l’Assemblée nationale étant prêtes de longue date. Le 12 janvier 2009, votre prédécesseur, monsieur le ministre, me répondait ici même que le Gouvernement n’avait nullement ce projet. Et le voici brusquement sur la table ! Certes, « la maîtrise du temps est un impératif absolu dans la conduite de la guerre », et nous avons vu que vous en usiez et abusiez dans la manière dont ont été bousculés nos débats.
II est regrettable que cette politique « ne réponde pas aux attentes des salariés qui doivent bénéficier d’une prise en charge globale de leur santé, ni aux nécessités de l’exercice des médecins du travail dans le respect de leur indépendance technique ». Tel est l’avis on ne peut plus averti – vous ne le contesterez pas – du Conseil national de l’ordre des médecins.
Et ce projet organise en effet incontestablement la démédicalisation de la santé au travail : il détourne en partie des ressources devant permettre aux employeurs de répondre à leur obligation de résultat en matière de prévention, soumet l’action du médecin du travail à la contrainte économique de l’entreprise, en l’isolant dans un service, en diluant sa responsabilité et en subordonnant son indépendance, passant ainsi de la prévention à la gestion des risques, aboutit même à remettre en cause le mode de reconnaissance des accidents du travail et des maladies professionnelles alors qu’elles sont présumées dès lors que la pathologie est inscrite au tableau officiel des maladies professionnelles.
Une pensée me vient à l’esprit : « Ils n’en mourront certes pas tous, mais tous seront frappés… »