Des incertitudes demeurent notamment sur la catégorisation des activités permettant la production d'énergie nucléaire. Plusieurs déclarations - je pense à celle du commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, devant notre commission, le 28 octobre dernier - laissent envisager qu'une position de compromis pourrait être retenue, afin de satisfaire les positions française et allemande, qui inscrirait le nucléaire et le gaz en tant qu'activités transitoires dans la taxonomie. Or une telle approche ne peut nous satisfaire.
La déclaration de la présidente de la Commission, à l'issue de la dernière réunion du Conseil européen, distingue pourtant bien le nucléaire du gaz, ce dernier étant considéré comme une activité transitoire. Quant au vice-président Valdis Dombrovskis, il déclarait en octobre en marge d'une réunion de l'Eurogroupe : « Il est important que nous reconnaissions le rôle de l'énergie nucléaire en tant qu'énergie à faible émission de carbone dans le mix énergétique global et dans notre effort de décarbonation ».
Pour être inclus dans la taxonomie, le nucléaire doit - je le rappelle - contribuer à l'un des six objectifs environnementaux et ne pas contredire le principe d'innocuité, le « do no significant harm » en anglais. Il contribue d'ailleurs à ce que notre pays dispose du mix énergétique le plus décarboné d'Europe.
Les émissions moyennes de gaz à effet de serre pour la production d'électricité à partir d'énergies nucléaires sont comparables à celles de l'hydroélectricité et de l'éolien. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), qui a publié des données sur l'impact carbone de la filière nucléaire, l'estime en moyenne à 12 g de CO2/kWh au plan international, les données de l'Agence de la transition écologique (ADEME) pour la France l'évaluent à 6g de CO2/kWh. L'hydroélectricité et l'éolien se situent à 10g, contre 443g pour le gaz naturel. Le nucléaire contribue, par conséquent, aux objectifs d'atténuation du changement climatique. Cette conclusion est d'ailleurs partagée par les détracteurs du nucléaire, comme l'ont reconnu les représentants de l'ONG Greenpeace lors de leur audition.
C'est sur les impacts liés à la gestion des déchets radioactifs et aux risques associés à des dysfonctionnements graves des centrales nucléaires, que se cristallisent les oppositions à l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie. Le nucléaire est-il compatible avec le critère « ne pas nuire de manière significative » ? Le rapport du Centre commun de recherche, sur lequel doit s'appuyer la réflexion de la Commission européenne, note l'existence d'un large consensus scientifique et technique sur le stockage des déchets radioactifs dans des formations géologiques profondes. Il constitue, en l'état actuel des connaissances, un moyen approprié et sûr de les isoler de la biosphère sur le temps long. Les recherches sur le traitement des déchets nucléaires, en particulier sur les procédés de multi-recyclage du combustible usé, sont aussi prometteuses.
Il faut également rappeler que la protection de la population et de l'environnement dans les pays dotés d'installations nucléaires repose sur l'existence d'un cadre communautaire solide, qui contribue au renforcement de la sûreté nucléaire au sein de l'Union européenne et impose à chaque État membre de se doter d'un cadre législatif et réglementaire visant à mettre en place des programmes nationaux de gestion des déchets radioactifs et du combustible usé. Comme l'a fait remarquer Jacques Percebois, expert sur ces questions, lors de son audition, la mise en oeuvre de mesures spécifiques par l'industrie nucléaire, sous le contrôle des régulateurs et des autorités gouvernementales, permet de garantir que ces impacts restent dans les limites établies.
Cette controverse autour de l'impact environnemental du nucléaire ne doit pas faire oublier le coût environnemental dissimulé de la plupart des énergies renouvelables, promues par la transition écologique. En effet, ces technologies vertes sont souvent tributaires de l'extraction et de l'importation de métaux rares, nécessaires au processus de fabrication.
Le règlement sur la taxonomie ne saurait par ailleurs porter atteinte au droit des États membres de décider de leur bouquet énergétique, et au principe de neutralité technologique, qui est d'ailleurs mentionné dans ce texte. Le Conseil européen des 10 et 11 décembre 2019 a aussi acté le droit pour les États membres de « choisir les technologies les plus appropriées pour atteindre collectivement l'objectif climatique 2030, y compris les technologies de transition telles que le gaz ».
Si le nucléaire n'était pas inscrit dans la taxonomie, cela contribuerait à renchérir les coûts de financement ou à détourner les investissements de ces projets. Concernant le financement public, cela dégraderait aussi la position concurrentielle d'EDF sur les marchés internationaux, par rapport à ses grands concurrents. Pour les États, l'enjeu de cette taxonomie est aussi budgétaire, notamment si les finances publiques devaient à terme être plus en phase avec le cadre de cette taxonomie.
Force est de rappeler également que l'atteinte de l'objectif de neutralité climatique d'ici à 2050 implique une transformation des systèmes de production énergétique des États membres. L'Union européenne devra en effet accroître considérablement sa production d'électricité décarbonée pour répondre à une demande d'électricité croissante. La hausse des prix de l'énergie a montré, avec encore plus d'acuité, l'urgence de sortir de la dépendance aux énergies d'origine fossile.
L'inscription de la production nucléaire d'électricité dans la taxonomie de l'investissement durable est défendue par la France ainsi que par des pays situés surtout à l'est de l'Europe. En octobre dernier, les ministres de dix États membres ont publié une tribune pour soutenir l'énergie nucléaire, considérant comme « absolument indispensable » son inclusion dans la taxonomie européenne avant la fin de l'année. Outre la France, ce texte a été signé par la Roumanie, la République tchèque, la Finlande, la Slovaquie, la Croatie, la Slovénie, la Bulgarie, la Pologne et la Hongrie. Depuis, d'autres pays, notamment les Pays-Bas, ont rejoint cette position.
À l'opposé, un groupe de six pays, conduit par l'Allemagne et l'Autriche, s'oppose à toute inclusion du nucléaire dans la taxonomie, considérant que cela porterait atteinte à son intégrité, à sa crédibilité et, par conséquent, à son utilité.
Tels sont les éléments que nous souhaitions porter à votre connaissance pour soutenir l'inclusion des activités permettant la production d'énergie nucléaire dans le règlement sur la taxonomie, dans le cadre des négociations en cours. Cette décision est très attendue, non seulement par les acteurs de la filière nucléaire, mais aussi par les États membres pour l'avenir de leur bouquet énergétique. Elle contribuerait en outre à la valorisation de l'hydrogène issu de l'énergie nucléaire et au développement de cette technologie bas-carbone très prometteuse.
C'est pourquoi nous vous proposons d'adopter la proposition de résolution européenne qui vous a été communiquée ainsi qu'un avis politique reprenant les mêmes termes qui sera adressé directement à la Commission européenne.