Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’association des termes « urbanisme » et « commercial » depuis presque un demi-siècle a catalysé les problèmes et souvent les conflits. Ces derniers découlent tant de l’extension des territoires urbains que des profondes mutations du commerce et de ses différentes formes de distribution, mutations qui sont toujours en cours et qui s’accélèrent même avec Internet et le e-commerce.
Pas d’hypocrisie ! Les enjeux financiers sont considérables et expliquent largement la situation actuelle déplorable. La loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, dite LME, en a été l’illustration malgré les quelques effets qu’elle a pu avoir sur les prix. Monsieur le secrétaire d’État, la bonne méthode sera aussi de recourir – il me semble d’ailleurs que vous y pensez – à des dispositifs fiscaux, en particulier avec la taxe sur les surfaces commerciales, la TASCOM.
Durant ces décennies, nous avons constaté que notre législation, loin d’anticiper ces mouvements, a le plus souvent répondu avec retard, généralement en fonction des pesanteurs sociologiques et de la variation du poids à l’égard des pouvoirs publics tant des corporatismes que des grands groupes de distribution. Dans cette équation, les intérêts des producteurs et des consommateurs ont souvent été malmenés.
L’agitation développée au début des années soixante-dix, notamment par le CIDUNATI, la Confédération intersyndicale de défense et d’union nationale des travailleurs indépendants, et son leader Gérard Nicoud, n’a pas été étrangère à la loi Royer du 27 décembre 1973, dont le but affiché était de protéger le petit commerce en limitant la croissance des grandes surfaces, en instituant une procédure d’autorisation préalable auprès des commissions spécialisées locales puis nationales en complément du permis de construire. Le remède a-t-il été pis que le mal ? On peut le penser.
Il est inutile de revenir sur les affaires qui éclaboussèrent nombre de partis politiques : le corporatisme a toujours été nocif ; j’ai d’ailleurs beaucoup de sympathie pour la loi Le Chapelier du 14 juin 1791.
La gestion directe des permis de construire par les élus locaux sous contrôle du juge administratif était certainement moins sulfureuse.
Quant à en arriver à intégrer dans ces commissions, directement ou indirectement, souvent par le canal des chambres consulaires, les concurrents des demandeurs d’autorisation, quelle singulière idée ! Le lobbying a trouvé là un secteur d’activité remarquable !
Le résultat, après plusieurs décennies, justifie une profonde remise en cause : les centres-villes ont souvent beaucoup souffert et les nouvelles zones d’activité ont fréquemment été réalisées sans cohérence urbanistique ni vision d’aménagement du territoire.
Des territoires, en particulier dans les agglomérations moyennes, sont confrontés à des grandes surfaces en situation de monopole qui utilisent les procédures de recours contre les décisions tant des CDAC, ou commissions départementales d’aménagement commercial, anciennement dénommées CDEC, ou commissions départementales d’équipement commercial, que de la commission nationale pour bloquer en réalité toute concurrence pendant de longues années, au détriment de l’intérêt du consommateur et, souvent, des politiques d’aménagement du territoire définies par les collectivités locales.
Aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État, un seul groupe national représente à lui seul, du fait d’une politique de recours systématique, pratiquement 30 % de l’ensemble des recours ; je ne citerai pas son nom, vous le connaissez comme moi.
Nous sommes face à des problématiques diverses, en partie contradictoires, qu’il faut faire évoluer si possible de manière complémentaire avec pour fil rouge l’aménagement du territoire.
Tout d’abord, il convient de fixer des règles compatibles avec la jurisprudence et les directives européennes sur la liberté d’établissement et la libre concurrence, et donc l’abandon des critères économiques. Il convient aussi, par le refus des situations de monopole, de défendre le consommateur s’agissant tant des prix que de la qualité.
Par ailleurs, l’urbanisme commercial doit permettre un développement équilibré intégrant à la fois la revitalisation du centre-ville et la reconversion progressive de certaines zones d’activité périphériques, les nouvelles zones périphériques devant être intégrées dans une perspective d’aménagement des territoires et de développement durable au cœur des extensions urbaines en devenir.
Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien entendu hier vos propos sur Châlons-en-Champagne et Reims. Nous sommes nombreux, dans les agglomérations moyennes, à avoir le même problème.
Les objectifs que je viens de rappeler sont, il faut le reconnaître, en partie divergents ; aussi faut-il essayer de parvenir à un équilibre raisonnable. Il ne suffit pas de dire que la grande distribution – et demain le commerce sur Internet –fragilise le centre-ville. Ce qui manque à nos centres-villes, c’est du foncier utilisable ainsi que la capacité juridique et financière à regrouper des mètres carrés de surface commerciale et à faciliter l’intermodalité des transports.
Les collectivités savent depuis longtemps utiliser les OPAH, ou opérations programmées d’amélioration de d’habitat ; elles manquent aujourd’hui incontestablement d’un dispositif juridique fort et des outils d’accompagnement financier pour le foncier commercial, malgré le progrès découlant du droit de préemption sur les fonds de commerce. Faciliter davantage les procédures d’expropriation en centre-ville nous paraît indispensable. À situation de crise, nouveaux outils d’intervention publics !
Par rapport à de tels objectifs, la proposition de loi pose correctement, à notre avis, un certain nombre de problématiques, même si nous ne partageons pas toutes les préconisations techniques de ses auteurs.
Le premier point positif tient à l’évolution vers une autorisation administrative unique – le permis de construire – qui permettra une simplification et une accélération de la procédure d’autorisation ; pour nous, c’est fondamental.
Le fait de mettre au cœur des dispositifs le SCOT, le schéma de cohérence territoriale, incluant un document d’aménagement commercial, recueille également notre plein assentiment. Nous approuvons en outre la possibilité pour l’intercommunalité, en l’absence de SCOT et de plan local d’urbanisme intercommunal, d’élaborer un document d’aménagement commercial ou DAC s’imposant au plan local d’urbanisme des communes : l’intercommunalité est évidemment l’échelon pertinent de l’aménagement du territoire.
De la même manière, nous soutenons la création de commissions régionales d’aménagement commercial, ou CRAC, pendant la période transitoire avec une majorité d’élus. Nous souhaitons toutefois que les recours contre leurs décisions relèvent du Conseil d’État, afin d’éviter des années de procédure dilatoire.
Il est pour nous important de redonner aux élus locaux, avec les garanties du contrôle de légalité et du tribunal administratif, le pouvoir d’aménager le territoire de leurs collectivités et d’en contrôler le développement ; ils sont élus pour cela ! Restera au préfet le devoir de veiller à ce que les SCOT des intercommunalités aient une certaine cohérence.
Nous avons compris l’objectif du rapporteur dans sa rédaction du IV de l’article 1er – c’est l’alinéa 11 – relatif à l’identification possible, et donc non obligatoire, dans le DAC de la destination des équipements commerciaux, mais nous sommes réservés sur la mise en application de cette disposition, même avec la possibilité d’évolution du DAC : se posent en effet les problèmes de revente et d’harmonisation avec le statut des baux commerciaux. Nous préférerions la rédaction de notre amendement de repli n° 94 rectifié bis, qui vise à permettre au DAC d’ « exclure certaines activités commerciales dans des zones ou secteurs délimités ».
En conclusion, nous pourrions approuver l’esprit général du texte. Nous considérons cependant qu’il faut aller plus loin pour élaborer des outils permettant à nos collectivités de lutter contre les monopoles sur les territoires, pour éviter aux agglomérations moyennes de voir leur zone de chalandise siphonnée par les métropoles et, surtout, pour créer de nouveaux instruments juridiques et financiers permettant la réelle restructuration de nos centres-villes.