Intervention de Julia Cagé

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 30 novembre 2021 à 15h00
Audition des experts des médias — Audition de Mme Nathalie Sonnac professeur des universités paris ii - panthéon-sorbonne-assas ancienne membre du collège du conseil supérieur de l'audiovisuel M. Olivier Bomsel professeur à mines paristech directeur de la chaire sur l'économie des médias et des marques et Mme Julia Cagé « associate professor » d'économie à sciences po-paris

Julia Cagé :

Je précise que je suis présidente de la société des lecteurs du Monde, à titre non lucratif. Ce titre est un exemple intéressant. Pourquoi l'investissement de Pierre Bergé, Xavier Niel et Mathieu Pigasse a-t-il sauvé le journal en 2010 tout en préservant son indépendance ? Parce que des règles ont été introduites. Le pôle d'indépendance a été constitué, en partie parce que Pierre Bergé le souhaitait. Il disposait de 33 % du capital jusqu'en 2017. Il est alors tombé à 25 %, mais avec une golden share. Quand M. Kretinsky a souhaité entrer massivement au capital, le pôle d'indépendance a obtenu un droit d'agrément pour l'entrée d'un nouvel actionnaire majoritaire au capital. Enfin, le choix du directeur ou de la directrice de la rédaction doit être validé par une majorité d'au moins 60 % des journalistes. Cela a fonctionné grâce à la bonne volonté des actionnaires, mais ce n'est pas le cas partout ailleurs. C'est la raison pour laquelle il me semble que ce droit d'agrément doit être mieux inscrit dans la loi ; il faut le remettre au goût du jour. Les aides à la presse ne s'accompagnent aujourd'hui d'aucune contrepartie ; la validation du choix de la direction de la rédaction par au moins la moitié des journalistes pourrait en être une. Il ne faut pas laisser ces éléments dépendre de la seule bonne volonté des actionnaires ou du rapport de force.

S'agissant du modèle économique entre presse écrite, télévision et radio, l'équilibre de certains titres de presse écrite s'explique par l'abandon de la gratuité totale en ligne et du « tout publicitaire ». Le choix de ce modèle fut une erreur historique ; on a bien vu que, durant la crise du covid, les titres qui dépendaient le moins de la publicité s'en sortaient le mieux. L'audiovisuel privé, en revanche, dépend pour l'essentiel des recettes publicitaires, et on y retrouve l'influence des GAFA, qui contrôlent une grande partie de ce marché. Cela dit, le marché de la publicité audiovisuelle se porte plutôt bien, après celui de la publicité numérique. La réponse se trouve, à mon sens, du côté de la taxation des recettes des GAFA et de leur déconcentration, plutôt que du renforcement de la concentration du marché audiovisuel en France. En tout état de cause, en concentrant l'ensemble du secteur, le groupe obtenu resterait un nain comparé à Netflix. Il me semble donc inutile de sacrifier le pluralisme.

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