Intervention de Bernard Jomier

Commission d'enquête Hôpital — Réunion du 16 décembre 2021 à 10h30
Audition de responsables de services d'urgence- professeur louis soulat centre hospitalier universitaire de rennes docteur benoît doumenc hôpital cochin paris docteur caroline brémaud centre hospitalier de laval docteur tarik boubia centre hospitalier de clamecy et docteur françois escat médecin urgentiste libéral à muret

Photo de Bernard JomierBernard Jomier, président :

Preuve que l'approche bureaucratique n'est pas le propre de l'État !

Docteur Benoît Doumenc. - Mes propos seront quelque peu à contre-courant de ceux de mes collègues. La spécialité de médecine d'urgence est à mes yeux la meilleure chose qui nous soit arrivée. Auparavant, les urgentistes n'étaient pas considérés. Quand j'étais externe, les services d'urgence étaient soient sous la responsabilité du réanimateur médical, soit sous celle de la médecine interne. On y envoyait les médecins qui n'avaient aucun avenir hospitalier, qui n'avaient pas de place en spécialité ou en chirurgie. Beaucoup sont donc venus à contrecoeur, et on a également recruté des médecins étrangers. Avec cette capacité, nous avons enfin une reconnaissance administrative, qui nous place au même rang que les autres spécialités. Naturellement, il faut prévoir des passerelles, mais nous sommes enfin une spécialité à part entière. C'est fondamental dans nos discussions avec nos collègues de l'hôpital.

Mon confrère a fait référence aux démissions de professeurs des universités de l'AP-HP ; pour ma part, j'en ai assez que des médecins qui n'exercent pas dans notre spécialité prennent la parole pour dire ce qui ne va pas aux urgences. Cela nous dessert.

L'ennemi n'est pas l'administration en tant que telle, mais, parfois, les personnes qui la représentent, comme ce président de conseil départemental de l'ordre qui demande au docteur Escat de faire un stage. Ce n'est pas une question administrative, mais de confraternité.

Pour ma part, je suis peut-être né sous une bonne étoile, mais j'ai la chance d'avoir au sein de l'AP-HP une administration qui m'écoute, qui est capable, lorsqu'elle me dit non, d'en expliquer les raisons. Nous n'obtenons pas tout, mais la discussion est possible. Cessons de stigmatiser des hôpitaux entiers sur la foi d'une mauvaise expérience avec un individu ; arrêtons aussi de stigmatiser au sein de l'hôpital en opposant le professeur à l'administration, ou le praticien hospitalier au professeur : cela nous fait beaucoup de mal.

Cela fait des années que les urgences vont mal - depuis que je suis externe. Elles ont été un avant-coureur de ce qu'est devenu l'hôpital. Vous, les politiques, en êtes responsables, parce que vous n'avez pas entendu les messages. On a laissé la situation se dégrader, et les urgences ont eu un effet domino sur l'hôpital.

Monsieur Boubia, l'urgentiste doit être capable de dire : « non ». Nous avons des missions sur le plan réglementaire ; nous n'avons pas vocation à pallier tous les dysfonctionnements de l'hôpital. Dire non, ce n'est pas laisser les autres services se débrouiller, mais leur demander de s'organiser. Il faut une discussion générale : si nous n'abordons le problème que sous l'angle des difficultés aux urgences, nous obtiendrons ici un brancard, là 100 euros de plus pour la journée, mais les choses ne changeront pas. Il faut considérer les difficultés de l'hôpital dans leur ensemble.

Dans mon hôpital, le plan Zéro brancard a été mis en oeuvre pour réduire le nombre de brancards ; il ne concerne pas exclusivement l'activité des urgences. Une assistante sociale a également été embauchée, le tout dans un dialogue avec l'administration et avec des collègues de l'hôpital.

Le numerus clausus a diminué de manière catastrophique depuis des années, mais notre spécialité n'est pas la seule que cela plonge dans les difficultés. Ainsi la psychiatrie est dans un état catastrophique : à Cochin, la demi-garde va être arrêtée, par manque d'effectifs de psychiatrie dans l'ensemble du groupement hospitalier. Il n'y aura pas de solution miracle, le temps que les nouveaux étudiants soient formés.

Pour retrouver de l'attractivité, il faut s'organiser différemment au sein de l'hôpital, en mettant tous les services autour de la table.

La rapporteure vous a interrogés sur les textes récemment adoptés. Vous avez interpellé le monde politique, en soulignant que la situation n'est pas récente.

Depuis quatre ans que je suis parlementaire, nous avons voté quatre dispositions principales touchant les urgences : le forfait réorientation, le forfait patient urgences, une modification du financement qui introduit une dotation populationnelle et des critères de qualité, et le 85SAS. Quel est votre avis sur ces dispositions ?

Docteur François Escat. - Pour réorienter quelqu'un, il faut l'examiner. Auparavant, l'examen et le diagnostic ou l'ordonnance étaient faits par la même personne. Avec le nouveau système du forfait réorientation, il faut deux, voire trois personnes pour gérer le problème. Cela suscite, en plus, l'incompréhension des généralistes : l'hôpital touchera 60 euros pour examiner le patient - il y a les coûts de structure, mais le généraliste ne les perçoit pas - et l'orienter vers le médecin de ville, qui ne recevra que 25 euros. Cela ne passe pas.

Ce forfait n'entrera en vigueur qu'au 1er janvier 2022.

Docteur Benoît Doumenc. - Je ne partage pas cet avis. La réorientation est effectuée par l'infirmier d'accueil et d'orientation (IAO). Pour ma part, je trouvais aberrant que nous perdions de l'argent sur cet acte, alors qu'il impliquait une prise de constantes et une décision d'un personnel de santé.

Il y a aussi un enjeu de valorisation de l'acte infirmier. L'infirmier d'accueil et d'orientation est un poste clé dans les services d'urgences, car il opère un tri. Il est inadmissible qu'on ne le trouve pas dans toutes les urgences, car son absence induit une perte de chances pour les malades. L'administration locale a un rôle fondamental dans ce domaine.

La réorientation aux urgences ne me pose pas de problème. En deux minutes, on peut établir un diagnostic et faire sortir le patient. Tout le monde s'y retrouve, en particulier les structures de médecine d'urgence ou de soins non programmés qui s'installent à côté des hôpitaux. Ces structures sont prêtes à recevoir les patients. Encore faut-il trouver vers qui réorienter les patients.

Une seule chose me gêne : le fait que la tarification va à l'encontre de ce que l'on nous apprend dans la médecine d'urgence, à savoir faire le bon examen pour le bon patient. La réforme va nous inciter à réaliser davantage d'examens complémentaires, qui feront rester nos patients plus longtemps. Or nos ressources de biologie et d'imagerie s'épuisent.

Professeur Louis Soulat. - Je suis un fervent défenseur de la réorientation, même s'il y a des difficultés à trouver un médecin effecteur. On ne peut pas la rejeter tout en se plaignant de ne pas pouvoir maîtriser l'amont ni limiter l'accès aux urgences. Cette question est liée à celle du SAS. L'objectif est d'éduquer la population à appeler un numéro santé avant de se rendre aux urgences. Il y a une certaine logique à ce dispositif, qui est analogue à celui du SAMU.

Je rappelle que l'examen par les infirmiers est validé par un médecin référent. Certes, c'est peut-être aussi lourd que de voir directement le patient. Mais depuis 2002, avec l'extension de l'activité des 15 et des SAMU, il nous a été reproché de capter des patients de médecine générale, avec l'incitation que représentait la tarification à l'activité. Cette réforme est donc bienvenue.

La réforme du financement repose sur un critère populationnel, avec deux types de patients pris en charge, et un critère de qualité. Il y aura des gagnants et des perdants, mais cela reflètera plus honnêtement ce qui est réellement fait dans les urgences. Cette réforme nous semble nécessaire et cohérente. Au niveau de la région Bretagne, nous pourrions espérer 2,6 millions d'euros en plus.

Il y a des services d'urgences de l'Est parisien où les hospitalisations après passage aux urgences ne dépassent pas 15 %, alors qu'elles atteignent 30 à 40 % à Laval et Rennes. La modulation de tarification est intéressante pour répondre à ces différences.

Le SAS, c'est ce qui doit nous permettre de contrôler l'accès aux soins des urgences. Il s'agit de replacer le médecin traitant au coeur du parcours du patient, et pas, pour l'hôpital, de récupérer des appels à travers son SAMU.

Il ne faut pas confondre formation des urgentistes et organisation des services d'urgence. La médecine d'urgence est désormais une spécialité reconnue et choisie par les jeunes médecins, parce qu'elle est devenue très complète : on fait des échographies aux urgences. Cela réclame un certain niveau.

Mais dans la pratique, le premier principe incontournable à respecter est celui de la proximité. Les patients les plus graves que nous voyons aux urgences, les consultations cardiologiques d'urgence (CCU) sont les mêmes sur tout le territoire, mais la périodicité est différente : on voit davantage d'infarctus à Laval qu'à Clamecy. Il faut donc la même technicité partout, et par conséquent un niveau de formation élevé. Évitons les combats d'arrière-garde : nous avons tous été formés sur le terrain, mais cette époque est terminée.

En revanche, l'organisation des services doit être intelligente : un service d'urgence peut tout à fait associer des généralistes, des urgentistes et des gériatres.

Pour répondre au besoin de proximité, il faut s'interroger sur le nombre de services d'urgence qui seront ouverts en permanence. C'est l'objet de la réforme du régime des autorisations. Peut-être faudrait-il organiser les soins d'urgence de proximité en maintenant en priorité les SMUR. Deux lignes de garde ne se justifient pas pour une activité limitée. On a aujourd'hui vraiment intérêt à partager la pénibilité des services et à maintenir un bon niveau de technicité. Il faut que les urgentistes tournent sur les sites, en priorisant les choses. À titre personnel, je ne suis pas sûr qu'il faille s'évertuer à maintenir ouvertes toutes les structures d'urgence, même si cela pose des problèmes de transport. J'ai audité l'hôpital de Laval : on ferme les urgences dans le chef-lieu alors qu'il y a deux lignes de gardes complètes dans chacune des deux structures d'urgence périphériques. Pourquoi en est-on là ? La pénibilité n'est certainement pas la même ; nous n'avons pas réussi à mettre en place l'uniformité de prise en charge sur un territoire.

Docteur Caroline Brémaud. - Je partage le propos mais il faut rester vigilant. L'hôpital qui reste ouvert doit être dimensionné pour accueillir la population. Les deux services d'urgence voisins de Laval enregistrent 24 000 passages par an. Ce n'est pas négligeable. C'est pourquoi il faut bien prendre en compte les partenariats possibles et la complexité d'un territoire sur lequel il y a déjà beaucoup de médecins partageant leur temps sur plusieurs établissements. Il y a une question de distance, s'il s'agit d'aller la nuit dans un autre service lorsque le leur est fermé, et donc de qualité de vie et d'attractivité. Le changement sera complexe et politiquement très difficile ; il nécessiterait du temps et de la préparation sur le terrain. Il paraît certes assez incompréhensible qu'un chef-lieu de département ferme les urgences alors qu'elles restent ouvertes dans de plus petits hôpitaux. Pour autant, le centre hospitalier de Mayenne draine beaucoup de passages. C'est une zone en désertification médicale et les urgences ont fermé à Vitré et Fougères. En outre, il se trouve au carrefour de trois régions : Bretagne, Normandie et pays de la Loire. Ne simplifions pas trop la cartographie médicale.

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