Intervention de Marie Mercier

Commission d'enquête Hôpital — Réunion du 16 décembre 2021 à 10h30
Audition de responsables de services d'urgence- professeur louis soulat centre hospitalier universitaire de rennes docteur benoît doumenc hôpital cochin paris docteur caroline brémaud centre hospitalier de laval docteur tarik boubia centre hospitalier de clamecy et docteur françois escat médecin urgentiste libéral à muret

Photo de Marie MercierMarie Mercier :

Exercer à Cochin, à Clamecy ou à Laval implique un rapport de forces différent avec l'ARS. Dans mon département, l'hôpital de Chalon-sur-Saône, qui est de taille importante, n'a pas les mêmes facilités que les hôpitaux parisiens pour s'adresser à son agence régionale.

Les nouveaux praticiens ont déjà assimilé la culture administrative. Ils veulent faire ce métier, mais dans des horaires encadrés. Désormais, il n'est pas rare de voir des internes arrêter le travail pour partir déjeuner, ce qui n'était pas imaginable lorsque j'étais étudiante. Ce n'est pas critiquable : n'offrons pas un visage triste de la médecine si nous voulons la rendre attractive.

On voit maintenant, dans les couloirs des hôpitaux, des gens courir d'une réunion à l'autre avec des dossiers sous le bras. La maltraitance administrative est une réalité, et elle fait beaucoup de dégâts. Nous avons perdu le contact avec la réalité.

Le covid a replacé les médecins au coeur des décisions. Votre voix porte, même si elle ne porte pas partout. J'estime néanmoins que l'idée que l'hôpital devrait être rentable et la tarification à l'activité ont fait du tort. Il n'est pas tolérable, en 2021, qu'une personne souffrant d'une fracture du col du fémur attende quatre jours d'être opérée, ou que des patients puissent laisser des avis sur Google. Cela donne une mauvaise image de notre métier, le plus beau du monde. Nous avons un potentiel humain, mais il est dégradé par une suradministration pathologique.

Docteur François Escat. - Je suis membre de deux CPTS, et je ne comprends pas à quoi elles servent. Elles sont supposées nous faire travailler ensemble, mais c'est ce que nous faisons tous les jours. Nous avons déjà des correspondants que nous appelons en cas de besoin, pour placer un patient par exemple.

Docteur Benoît Doumenc. - Les couloirs d'hôpitaux que je parcours ne sont pas différents de ceux de mes confrères... Stigmatiser Pierre, Paul ou Jacques ne fera pas avancer les choses. Je ne suis jamais invité aux réunions de l'ARS, ce qui ne me dérange pas outre mesure... Quand je parle de l'administration, je fais avant tout référence à l'administration locale.

J'ai entendu dire que l'on ne pouvait pas gérer un hôpital comme une entreprise - comme si le mot « entreprise » était synonyme de maltraitance. Beaucoup d'entreprises traitent très bien leurs salariés et les personnes qu'elles accueillent. Nous pouvons nous inspirer de ce monde.

Pendant très longtemps, pour être nommé chef de service aux urgences, il fallait être professeur. Médecin généraliste, praticien hospitalier, j'ai été placé à la tête d'un service avec un adjoint professeur des universités. J'ose espérer que nous le devons à nos compétences... Il faut, à la tête des services d'urgences, des personnes capables de manager, de discuter avec l'administration.

Professeur Louis Soulat. - Par rapport au temps de travail, le changement générationnel n'est pas propre aux professions de santé. Je suis l'un de ceux qui font le plus d'heures postées dans mon service, mais je constate que cela ne constitue plus un exemple. Il faut faire avec ce changement. Je suis fils de boulanger ; eux non plus n'ont pas les mêmes conditions de travail qu'il y a cinquante ans, et c'est heureux.

Pour ma part, je crois aux CPTS, qui fédèrent les métiers de la santé à l'extérieur de l'hôpital. C'est une dynamique très intéressante. Nous avons quatre CPTS constituées, quatre autres en projet en Ille-et-Vilaine. Le SAS ne fonctionnera que si la CPTS fonctionne, en regroupant des réseaux en partie existants de médecins, de soignants, de pharmaciens, de cabinets de radiologie. Les CPTS mutualisent une offre de soins et la mettent à disposition des patients, notamment ceux qui n'ont pas de médecin traitant. Cela permet un dialogue, même si pour les hospitaliers, il faut se contraindre à aller au-devant des collègues en charge de la permanence des soins. Il est trop tôt pour faire un bilan, d'autant que la dynamique des SAS n'est pas encore généralisée.

Les fermetures de lits par manque de soignants sont un problème grave. Nous payons les réorganisations de lits au profit de l'hôpital de jour, alors que nous sommes confrontés au vieillissement de la population. On manque de souplesse sur l'ouverture des lits. Les organisations sont rigides, avec des ratios de soignants. Elles devraient être beaucoup plus agiles pour répondre aux pics saisonniers d'hospitalisation. Ce sont surtout des lits de médecine polyvalente qu'il faut créer, et non dans des services hyperspécialisés, peut-être en revoyant notre organisation : aux États-Unis, les lits ne sont pas affectés à un service, mais attribués aux spécialités en fonction des besoins.

Quant aux fractures du col du fémur à plus de quatre-vingt-dix ans, il faut surtout se demander pourquoi le patient ne peut plus rester à son domicile dans les mêmes conditions qu'avant sa chute. Le manque de personnel est un cercle vicieux : faute de lits, les patients restent aux urgences, les personnels s'épuisent et s'en vont et il faut essayer de les faire revenir.

Il n'est pas normal qu'il soit aussi compliqué de stagiairiser une infirmière qui donne satisfaction. À Vitré, trois infirmières vont changer d'orientation pour cette raison. Le système est trop rigide. J'ai, dans mon hôpital, un médecin dont le dossier est présenté pour la deuxième année consécutive au Centre national de gestion des praticiens hospitaliers (CNG) pour la procédure d'autorisation d'exercice (PAE) : on lui demande de faire six mois de médecine polyvalente, alors qu'il exerce depuis trois ans dans ce domaine...

Il faut favoriser les promotions internes. Je tiens particulièrement à la reconnaissance des ambulanciers SMUR. Il y a trop de grilles salariales, qui conduisent à opposer les catégories les unes aux autres.

Docteur Tarik Boubia. - Sur le principe des CPTS, je suis tout à fait d'accord. Cela permettrait de fluidifier les relations avec la médecine de ville. Le problème, c'est que les médecins sont concentrés à Clamecy et éparpillés en nombre insuffisant sur tout le territoire. Il faudra réévaluer ce dispositif pour les zones rurales. On ne réévalue pas suffisamment en France. Pourquoi s'entêter dans un système qui ne marche pas ? Quand un traitement ne fonctionne pas, un médecin passe à un autre. Pourquoi en va-t-il autrement pour les projets ?

La CPTS de Clamecy, qui couvre le nord de la Nièvre, touche un territoire très vaste, rural. On y trouve aucun établissement avec de la chirurgie ou des spécialités. Il faut donc établir des relations allant au-delà du territoire de la CPTS, ce qui complique encore les choses. À Cochin, par exemple, vous n'avez pas de difficulté à trouver des spécialistes, même s'ils sont débordés. Nous, nous n'en avons pas ! Et les délais sont incommensurables. Mes collègues qui ont toujours vécu dans le système hospitalo-universitaire ont beaucoup de mal à le comprendre. Je sais que M. Soulat a fait l'essentiel de sa carrière dans un hôpital pivot, où il a développé de très belles choses, notamment en cardiologie.

Je suis pour le décloisonnement et les pratiques partagées. Ce n'est pas un combat d'arrière-garde. J'y insiste, la formation du certificat d'aptitude à la médecine d'urgence dure deux ans, mais les gens sont opérationnels avec une obligation de formation continue. Un médecin ayant une capacité de médecine d'urgence, une capacité de médecine de catastrophe et qui a l'obligation d'avoir un diplôme universitaire (DU) en échographie ou en polytraumatologie a l'expérience nécessaire pour prendre en charge les urgences dans des territoires dont les zones périphériques ne seront pas pourvues en jeunes médecins.

Docteur Caroline Brémaud. - En ce qui concerne l'organisation des lits et la formation, je partage entièrement les propos de Louis Soulat.

Sans communication, les dispositifs ne servent à rien. Il faut travailler sur la communication en interne, sur la lourdeur administrative et communiquer vers l'extérieur, entre soignants, vers la population et vers le médico-social.

On ne nous apprend pas, à l'école de médecine, à communiquer. Je suis cette année un diplôme d'établissement de médecin manager à l'École des hautes études de santé publique. J'y apprends le langage des administratifs, qui est différent du nôtre. Il faut rentrer dans leurs locaux et il faut qu'ils viennent nous voir pour que nous apprenions à nous comprendre. J'ai rencontré des directeurs formidables, qui maîtrisaient le langage médical. Ces interactions sont essentielles.

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