Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 23 juin dernier, le Comité européen des droits sociaux a rappelé une fois de plus que la loi française concernant le forfait annuel en jours ainsi que le régime des astreintes n’était pas, en plusieurs points, conforme à la Charte sociale européenne révisée que nous avons ratifiée en 1973.
Cette situation n’est pas nouvelle puisque la dernière décision du Comité européen des droits sociaux ne fait que rappeler celle qu’il avait rendue en 2000 à l’occasion de la réclamation n°9/2000 introduite par la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres, la CFE-CGC.
Cette situation a perduré après l’adoption de la loi dite « Fillon 2 » du 17 janvier 2003, qui a étendu le forfait annuel en jours à une nouvelle catégorie de cadres, les cadres dits « intégrés ». Vous saviez pourtant que l’application du forfait annuel en jours n’était pas conforme à l’article 2 de la Charte. Elle n’est pas non plus conforme à son article 4, qui concerne le droit à une rémunération équitable.
Pour ce qui est des astreintes, la situation n’est guère plus glorieuse. En effet, le Comité européen des droits sociaux a, dans sa décision sur leur bien-fondé, remise le 23 juin dernier, considéré qu’il s’agissait d’une violation de l’alinéa 1 de l’article 2 de la Charte. Là encore, mes chers collègues, ce n’est pas nouveau !
En 2003, déjà, la CGT avait engagé une procédure de réclamation contre la France, précisément sur le régime des astreintes. Le Comité européen des droits sociaux avait conclu à une violation par la France de la Charte sociale révisée.
Certes, la loi du 17 janvier 2003 a ajouté que, exception faite de la période d’intervention, l’astreinte est décomptée sur le temps de repos. Mais cela ne suffit pas à empêcher que notre code du travail soit en contradiction avec les principes contenus dans la Charte.
La question que soulève cette proposition de résolution va au-delà du débat sur les 35 heures ou sur le bien-fondé du régime des astreintes. Elle nous conduit à nous interroger sur la place que nous entendons donner au seul traité actuellement en vigueur dans l’Union européenne protégeant les salariés : la Charte sociale européenne révisée.
Néanmoins, c’est une protection bien faible au regard de la logique qui préside à la construction européenne, celle de la libre concurrence entre les États, au détriment des peuples qui les composent. Chacun se souvient de la manière dont vous avez imposé un traité constitutionnel européen, contre l’avis de nos concitoyennes et concitoyens qui l’avaient repoussé, le considérant, à raison, comme trop libéral.
Chacun mesure également aujourd’hui les effets désastreux de cette politique sur les services publics, que vous démantelez un à un, précisément pour satisfaire, dites-vous, les exigences de la Commission européenne et les théoriciens de la loi du marché.
Ce sont d’ailleurs les seuls cas où les principes européens ont une force contraignante. Il n’en est pas de même pour les décisions rendues par le Comité européen des droits sociaux : les États membres, ceux qui ont ratifié la Charte sociale européenne révisée, et qui ont donc accepté de se soumettre au contrôle du CEDS, peuvent continuer, décision après décision, à s’affranchir des règles qu’elle a posées !
Pourtant, lorsqu’il s’agit de transposer une directive européenne, même si celle-ci contient des mesures rétrogrades pour les salariés, Mme Nora Berra le dit elle-même : « Il est de notre devoir de mettre notre droit national en conformité avec les obligations résultant du droit de l’Union européenne. »
Autrement dit, il est impératif que le Parlement soit saisi en urgence, même s’il travaille dans des conditions déplorables et dénoncées comme telles sur toutes les travées de notre assemblée, dès lors qu’il s’agit de transposer la directive Services !
En revanche, le fait que notre pays compte onze ans de retard pour la mise en conformité de notre droit national avec des principes protégeant les salariés et que, durant ces onze ans, notre législation ait évolué dans un sens aggravant l’ignorance de ces principes semble, chers collègues de la majorité, ne vous émouvoir que modérément !
Ne trouvez-vous pas curieux que des sanctions existent pour punir les États membres empêchant la libre concurrence, génératrice de bien des souffrances, alors que, dans le même temps, ces mêmes pays peuvent tranquillement bafouer les droits des salariés censément garantis par la Charte ?
Cela en dit long sur la conception que se font certains de la construction européenne, voyant l’Union comme un espace dédié d’abord et avant tout à l’économie. Pour notre part, nous ne souscrivons pas à cette logique.
On ne saurait laisser demeurer les dispositions contenues dans notre droit interne et qui ignorent la Charte sociale européenne révisée. En effet, elles contribuent indirectement à affaiblir les droits sociaux des salariés, qui, avec le forfait annuel en jours, peuvent être exposés à des durées de travail déraisonnables, dangereuses pour leur état de santé, à les priver de la rémunération des heures supplémentaires qu’ils effectuent et, pour ce qui est des astreintes, à limiter leur liberté concernant leurs déplacements ou leurs activités alors que la loi considère qu’ils ne travaillent pas.
Cette situation, mes chers collègues, est insupportable à double titre : tout d’abord parce que l’on voit bien que les dispositions concernées ont en commun de faire primer les besoins des entreprises et des employeurs sur les droits légitimes des salariés, mais aussi parce qu’elle dure depuis des années sans que vous décidiez jamais de respecter la Charte.
Le fait qu’il n’existe pas aujourd’hui de mécanisme de sanction en cas de non-respect de la Charte ou des décisions du CEDS ne doit pas, ne peut pas justifier que le Gouvernement reste inactif.
Nos concitoyens, qui subissent au quotidien les effets négatifs d’une Europe dont la seule loi est le libéralisme, qui supportent un amoindrissement progressif des droits et des protections sociales ne comprennent pas, et ils ont raison, que la France opère une sélection quant aux mesures européennes qui leur sont applicables en fonction du contenu de celle-ci.
En ratifiant la Charte sociale européenne révisée, notre pays a pris un engagement moral à l’égard d’autres pays, mais surtout vis-à-vis des salariés : celui de leur garantir que les principes, les droits inscrits dans la Charte – aussi insuffisants soient-ils – seraient respectés. C’est cette parole donnée que la présente proposition de résolution entend rappeler au Gouvernement.
C’est pourquoi les sénatrices et sénateurs du groupe CRC-SPG voteront cette proposition de résolution dont notre collègue Annie David a pris l’initiative.