Intervention de Guy Fischer

Réunion du 27 novembre 2008 à 9h45
Revenu de solidarité active — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission mixe paritaire

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

Je l’indiquais en conclusion de nos débats le 24 octobre dernier : c’est à regret que les sénatrices et sénateurs de notre groupe voteront contre ce projet de loi.

Notre regret ne porte pas sur le projet de loi lui-même, mais plutôt sur ce qu’il aurait pu être. En effet, aujourd’hui, appuyé par la majorité, vous allez mettre fin à ce que vous aviez développé en 2005, avec l’aide et le soutien des associations et des syndicats.

Certes, nous considérions qu’il était nécessaire de réformer le système en vigueur, afin de le rendre, disons-le clairement, plus efficace et plus solidaire. Il reste que le RSA signe la fin de deux minima sociaux, le RMI et l’API. Au moment où l’on annonce entre 200 000, 300 000, 400 000 chômeurs de plus en 2009, où le chômage partiel se développe, ce texte devrait décidément nous interpeller.

Monsieur le haut-commissaire, voici peut-être ce qui nous oppose. Vous dites vouloir faire du RSA un outil d’insertion. À nos yeux, il risque, au contraire, de n’être qu’un nouveau mode de traitement social du chômage, permettant à quelques départements de pratiquer ce qui peut s’apparenter à une stigmatisation des pauvres, à l’État de conditionner plus encore le versement des aides sociales et au patronat de disposer d’une main-d’œuvre à bon marché.

Tout le monde y trouvera-t-il son compte ? Les bénéficiaires du RSA ne seront-ils pas réduits à disposer, en tout et pour tout, d’une somme comprise entre 500 et 800 euros ?

Vous avez construit votre projet autour de l’idée selon laquelle une aide sociale ne peut être accordée sans contrepartie, à savoir la reprise d’une activité professionnelle ou l’engagement dans un parcours d’insertion. Certes, votre intention n’est pas de cautionner le discours culpabilisant à l’égard des salariés privés d’emploi et des bénéficiaires de l’aide sociale en général, discours aux termes duquel ces chômeurs, ces pauvres, ces précaires seraient opposés à toute reprise d’activité ! Pour penser ainsi, il faut d’abord imaginer que la reprise d’une activité professionnelle ne dépend que de la seule volonté des salariés. Mais pour que cela contienne une once de vérité, encore faudrait-il que tous nos concitoyens puissent réellement exercer leur droit au travail, qui est aujourd'hui l’un des droits fondamentaux !

Monsieur le haut-commissaire, en ces temps de crise, votre texte est déjà décalé. La commission des affaires sociales, notamment Mme le rapporteur, se devra d’être vigilante, pendant le premier semestre de 2009, quant à la mise en place du dispositif dans les départements. Nous devrons en particulier être attentifs à l’attitude qu’adopteront les patrons : accepteront-ils de jouer le jeu ou resteront-ils engagés, malgré la crise, dans la course aux dividendes, aux profits ? Vous le savez, si l’on en juge par les résultats du premier semestre, l’ensemble de l’année 2008 a des chances d’être finalement très bénéfique pour les entreprises du CAC 40…

En instaurant ce revenu de solidarité active, n’allez-vous pas encourager les trappes à bas salaires ? Vous nous avez assuré que cela ne serait pas le cas. Les personnes les plus déshéritées sont censées être les premières concernées par votre dispositif. On évoque généralement le chiffre de 7 millions de pauvres, mais j’estime qu’il y a plutôt 15 millions de personnes – plus du double ! – qui sont « cabossées » par les difficultés de la vie et les problèmes de travail.

Plus généralement, il ne faudrait pas que la flexibilité du travail, c'est-à-dire le recours au temps partiel et à l’intérim, qui devrait rester exceptionnel, devienne le mode de gestion principal de la politique de l’emploi, au risque de conduire à un véritable émiettement du travail dans notre pays.

Il faudra éviter les dérives de ce que l’on pourrait appeler la « subvention à la précarité », dénoncée par certains membres de la commission des affaires sociales. Le RSA est-il véritablement cette mesure sociale tant attendue ou s’agit-il simplement d’une subvention déguisée à l’emploi précaire ?

Monsieur le haut-commissaire, de nombreux économistes vous ont alerté. Le RSA, tel qu’il est conçu, sans encadrement précis – ce à quoi le Parlement, en particulier le Sénat, s’est efforcé de remédier –, n’aura pour effet que de morceler le travail. Les salariés se verront contraints d’accepter des « miettes » d’emplois, sous peine de se voir retirer une allocation qui n’a même pas pour ambition de les faire sortir de la pauvreté. De plus, ils se verront soumis à des contraintes et à des contrôles que je considère comme inacceptables.

Un article paru aujourd'hui dans Libération montre quels peuvent être les excès du dispositif et comment la « mise sous fiche » peut avoir des conséquences importantes.

Nous redoutons que l’instauration de ce RSA ne soit le prétexte de revenir sur les droits connexes, notamment ceux qui sont servis par l’État, mais également ceux qui le sont par les départements. Nous verrons sur quoi débouchera la mission confiée à Mme Desmarescaux !

Je voudrais également revenir sur les dispositions des articles 13 bis et 13 ter. Nous avons été unanimes sur cette question, et c’est heureux car, si on les avait laissés faire, certains patrons auraient pu, en ayant recours à des stagiaires handicapés, s’exempter partiellement de leur obligation d’emploi de personnes en situation de handicap. Au demeurant, même si nous connaissons la sensibilité de Mme le rapporteur sur les problèmes du handicap, nous continuons à nous interroger, car nous savons que les employeurs n’hésitent pas à utiliser toutes les ficelles pour se dédouaner.

Nous avons reçu de nombreux courriers, à commencer par celui de l’Association des paralysés de France : elle dénonce « une mesure inacceptable », qui va faire « remonter mathématiquement mais artificiellement, le taux d’emploi des personnes en situation de handicap ».

Avant de conclure, je voudrais vous remercier, monsieur le haut-commissaire, de votre invitation à participer prochainement à l’anniversaire de la création du RMI, allocation que nous enterrons aujourd’hui. Nous ne pourrons nous rendre à cette invitation, mais je tiens à vous dire que, avec ce projet de loi, nous nous sommes considérablement éloignés de ce que fut le RMI.

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