Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’eau, c’est la vie ! Elle est une ressource essentielle et stratégique pour notre planète comme pour notre pays. Je me réjouis donc que notre groupe Les Républicains ait demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour.
Le législateur a souhaité, via la création des agences de l’eau, rappeler que cette ressource faisait partie du « patrimoine commun de la Nation ». Or ce patrimoine souffre parfois d’un trop-plein de concertation, d’un manque de visibilité. Pis, il est souvent employé à des fins idéologiques pour pointer du doigt les industriels, les agriculteurs, voire les collectivités gestionnaires de l’eau.
Avant d’aborder la partie « problèmes, attentes et recommandations », permettez-moi de revenir très brièvement sur la construction des agences de l’eau.
La loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution a consacré une nouvelle organisation de la politique publique de l’eau, fondée sur une gestion décentralisée en bassins versants, et sur de grands principes permettant, à la fois, de lutter contre la pollution – en vertu du principe du pollueur-payeur – et de concilier les besoins en eau pour les collectivités, l’agriculture et l’industrie.
L’objectif était de mettre en place une politique profondément décentralisée, respectant l’un des principes clés de la gestion environnementale : la subsidiarité.
Avons-nous atteint cet objectif ? Poser la question, c’est y répondre…
Un premier problème doit être mis en avant. Il concerne l’absence de visibilité, et surtout la complexité du fonctionnement de ces agences.
En effet, comme vous le savez, la loi de 1964 a créé trois institutions chargées de la politique de l’eau : les comités de bassin, auxquels s’ajoutent les schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE), les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) et les sous-bassins ; les agences de l’eau ; et le préfet coordonnateur de bassin qui représente l’État au niveau de ces instances pour surveiller et coordonner l’action des bassins.
Je rappelle également la création, au niveau national, du Comité national de l’eau (CNE), qui donne un avis consultatif sur les actions engagées.
Le problème est qu’il faut parcourir un véritable « labyrinthe crétois » pour trouver l’acteur qui prend réellement les décisions. L’organisation est en effet d’autant plus complexe et chronophage qu’elle mobilise beaucoup trop d’acteurs.
Aux côtés des acteurs présents parce qu’ils ont été élus, on trouve une palanquée d’acteurs nommés – experts, associations, bientôt conseil scientifique –, qui n’aident pas à la compréhension du fonctionnement des agences de l’eau mais qui, surtout – n’ayons pas peur de le dire ! – sèment le doute sur la capacité des élus, des collectivités, des chambres consulaires, des utilisateurs et des usagers à gérer la politique de l’eau, mettant en cause leur légitimité.
Une simplification du labyrinthe s’impose donc.
Le deuxième problème concerne le financement des agences de l’eau et l’étendue des leurs missions, un ensemble qui pousse au non-respect d’un principe fondateur selon lequel « l’eau paye l’eau ». Comment en sommes-nous arrivés à cette situation de non-respect dudit principe ?
Cela a commencé en 2010 par la politique de l’ancienne ministre de l’environnement, Dominique Voynet, qui avait mis en place tout un système visant à siphonner les excédents des agences de l’eau pour abonder le budget de l’État. De moins 400 millions d’euros par-ci en moins 200 millions par-là, nous sommes passés du principe « l’eau paye l’eau » au principe « l’eau paye l’État ».
S’est ensuivi, en 2018, l’abaissement du plafond de recettes des agences de l’eau, dit « plafond mordant », qui a également poussé les comités de bassin à réduire la fiscalité de l’eau et a entraîné une forte baisse des moyens alloués aux politiques des agences, notamment celles visant à venir en aide aux projets des collectivités territoriales.
Notons que ces ponctions se faisaient au moment où l’on demandait aux collectivités locales de se mettre aux normes pour leur assainissement collectif, et en outre d’élargir leur domaine d’action via la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi).
Enfin, comment ne pas évoquer l’étendue des prérogatives des agences de l’eau ?
Nous savons qu’elles sont passées de la gestion de ce que l’on appelle « le petit cycle de l’eau » – eau potable et assainissement – à celle des « grands cycle de l’eau », lesquels comprennent les milieux aquatiques, le littoral, l’agriculture et la biodiversité…
Le problème est survenu avec la création de l’Office français de la biodiversité (OFB).
Selon les dernières données, 80 % du financement de l’OFB sont assurés par les redevances gérées par les agences de l’eau, ou au titre du littoral. Comment, dans ces conditions, assurer le principe fondateur « l’eau paye l’eau » ?
Nous avions pourtant indiqué à maintes reprises, au Sénat, lors de la création de l’OFB, que cette instance allait poser des problèmes financiers aux agences. Comme c’est souvent le cas, nous avions tort d’avoir raison trop tôt !
Pour résumer, le message que l’État adresse aux agences est le suivant : « Faites plus avec beaucoup moins, et surtout débrouillez-vous ! »
Enfin, je veux évoquer un autre problème, qui n’est certainement pas le dernier : la péréquation, d’abord entre les agences de l’eau, ensuite au niveau des territoires ruraux.
En effet, comment expliquer la différence entre les annuels des agences de l’eau Seine-Normandie et Loire-Bretagne ? La première perçoit 685 millions d’euros, quand la seconde ne perçoit que 376 millions d’euros, soit un différentiel de 309 millions, et ce, alors que l’agence Loire-Bretagne regroupe deux fois plus de territoires.
J’en viens à la péréquation au bénéfice des territoires ruraux. Ces derniers sont producteurs de « services environnementaux » importants dans le domaine de l’eau et de la biodiversité. Si le dispositif actuel de péréquation permet une redistribution des villes vers les campagnes, de l’aval du bassin vers l’amont, du littoral vers l’intérieur, il faut réfléchir à une évolution plus large afin de véritablement rémunérer les services environnementaux rendus par les espaces ruraux.
Ces territoires sont particulièrement étendus dans certains bassins, comme celui de Loire-Bretagne, dont 55 % de la superficie est classée en zone de revitalisation rurale (ZRR).
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tous ces constats, remarques et recommandations m’amènent à penser que le dossier de l’eau est très largement devant nous. Nous croyions l’avoir réglé, mais le dérèglement climatique et l’arrivée massive dans les instances des adeptes du « frein à main » des projets viennent bouleverser nos certitudes.
Cela nous impose de revoir ou de diversifier nos outils, qu’il s’agisse : des modalités d’intervention, de planification, de gouvernance et de décomplexification ; de la sécurisation des quantités de l’eau, élément stratégique qui passe par la simplification des procédures de retenues collinaires ; de la diversification des ressources financières pour faire face à l’élargissement du périmètre d’intervention des agences de l’eau en matière de biodiversité et de milieu marin ; de la péréquation et de la répartition entre les bassins des moyens disponibles, en fonction des objectifs à atteindre et de la place des territoires ruraux.
J’espère que notre débat nourrira nos réflexions pour élaborer, dans un avenir proche, une grande loi relative à l’eau. Celle-ci semble s’imposer à nous. Je formulais cette recommandation, en 2016, dans un rapport sur la gestion de l’eau.
Une chose est sûre, la future gestion de l’eau dans notre pays devra se faire avec pragmatisme et discernement.