Séance en hémicycle du 25 janvier 2022 à 14h30

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Nathalie Delattre.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur les agences de l’eau.

Mes chers collègues, je vous rappelle que le port du masque est obligatoire dans l’hémicycle, y compris à la tribune, conformément à la décision de la conférence des présidents réunie le 1er décembre dernier. J’invite par ailleurs chacune et chacun à respecter les gestes barrières.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Rémy Pointereau, pour le groupe auteur de la demande.

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’eau, c’est la vie ! Elle est une ressource essentielle et stratégique pour notre planète comme pour notre pays. Je me réjouis donc que notre groupe Les Républicains ait demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour.

Le législateur a souhaité, via la création des agences de l’eau, rappeler que cette ressource faisait partie du « patrimoine commun de la Nation ». Or ce patrimoine souffre parfois d’un trop-plein de concertation, d’un manque de visibilité. Pis, il est souvent employé à des fins idéologiques pour pointer du doigt les industriels, les agriculteurs, voire les collectivités gestionnaires de l’eau.

Avant d’aborder la partie « problèmes, attentes et recommandations », permettez-moi de revenir très brièvement sur la construction des agences de l’eau.

La loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution a consacré une nouvelle organisation de la politique publique de l’eau, fondée sur une gestion décentralisée en bassins versants, et sur de grands principes permettant, à la fois, de lutter contre la pollution – en vertu du principe du pollueur-payeur – et de concilier les besoins en eau pour les collectivités, l’agriculture et l’industrie.

L’objectif était de mettre en place une politique profondément décentralisée, respectant l’un des principes clés de la gestion environnementale : la subsidiarité.

Avons-nous atteint cet objectif ? Poser la question, c’est y répondre…

Un premier problème doit être mis en avant. Il concerne l’absence de visibilité, et surtout la complexité du fonctionnement de ces agences.

En effet, comme vous le savez, la loi de 1964 a créé trois institutions chargées de la politique de l’eau : les comités de bassin, auxquels s’ajoutent les schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE), les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) et les sous-bassins ; les agences de l’eau ; et le préfet coordonnateur de bassin qui représente l’État au niveau de ces instances pour surveiller et coordonner l’action des bassins.

Je rappelle également la création, au niveau national, du Comité national de l’eau (CNE), qui donne un avis consultatif sur les actions engagées.

Le problème est qu’il faut parcourir un véritable « labyrinthe crétois » pour trouver l’acteur qui prend réellement les décisions. L’organisation est en effet d’autant plus complexe et chronophage qu’elle mobilise beaucoup trop d’acteurs.

Aux côtés des acteurs présents parce qu’ils ont été élus, on trouve une palanquée d’acteurs nommés – experts, associations, bientôt conseil scientifique –, qui n’aident pas à la compréhension du fonctionnement des agences de l’eau mais qui, surtout – n’ayons pas peur de le dire ! – sèment le doute sur la capacité des élus, des collectivités, des chambres consulaires, des utilisateurs et des usagers à gérer la politique de l’eau, mettant en cause leur légitimité.

Une simplification du labyrinthe s’impose donc.

Le deuxième problème concerne le financement des agences de l’eau et l’étendue des leurs missions, un ensemble qui pousse au non-respect d’un principe fondateur selon lequel « l’eau paye l’eau ». Comment en sommes-nous arrivés à cette situation de non-respect dudit principe ?

Cela a commencé en 2010 par la politique de l’ancienne ministre de l’environnement, Dominique Voynet, qui avait mis en place tout un système visant à siphonner les excédents des agences de l’eau pour abonder le budget de l’État. De moins 400 millions d’euros par-ci en moins 200 millions par-là, nous sommes passés du principe « l’eau paye l’eau » au principe « l’eau paye l’État ».

S’est ensuivi, en 2018, l’abaissement du plafond de recettes des agences de l’eau, dit « plafond mordant », qui a également poussé les comités de bassin à réduire la fiscalité de l’eau et a entraîné une forte baisse des moyens alloués aux politiques des agences, notamment celles visant à venir en aide aux projets des collectivités territoriales.

Notons que ces ponctions se faisaient au moment où l’on demandait aux collectivités locales de se mettre aux normes pour leur assainissement collectif, et en outre d’élargir leur domaine d’action via la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi).

Enfin, comment ne pas évoquer l’étendue des prérogatives des agences de l’eau ?

Nous savons qu’elles sont passées de la gestion de ce que l’on appelle « le petit cycle de l’eau » – eau potable et assainissement – à celle des « grands cycle de l’eau », lesquels comprennent les milieux aquatiques, le littoral, l’agriculture et la biodiversité…

Le problème est survenu avec la création de l’Office français de la biodiversité (OFB).

Selon les dernières données, 80 % du financement de l’OFB sont assurés par les redevances gérées par les agences de l’eau, ou au titre du littoral. Comment, dans ces conditions, assurer le principe fondateur « l’eau paye l’eau » ?

Nous avions pourtant indiqué à maintes reprises, au Sénat, lors de la création de l’OFB, que cette instance allait poser des problèmes financiers aux agences. Comme c’est souvent le cas, nous avions tort d’avoir raison trop tôt !

Pour résumer, le message que l’État adresse aux agences est le suivant : « Faites plus avec beaucoup moins, et surtout débrouillez-vous ! »

Enfin, je veux évoquer un autre problème, qui n’est certainement pas le dernier : la péréquation, d’abord entre les agences de l’eau, ensuite au niveau des territoires ruraux.

En effet, comment expliquer la différence entre les annuels des agences de l’eau Seine-Normandie et Loire-Bretagne ? La première perçoit 685 millions d’euros, quand la seconde ne perçoit que 376 millions d’euros, soit un différentiel de 309 millions, et ce, alors que l’agence Loire-Bretagne regroupe deux fois plus de territoires.

J’en viens à la péréquation au bénéfice des territoires ruraux. Ces derniers sont producteurs de « services environnementaux » importants dans le domaine de l’eau et de la biodiversité. Si le dispositif actuel de péréquation permet une redistribution des villes vers les campagnes, de l’aval du bassin vers l’amont, du littoral vers l’intérieur, il faut réfléchir à une évolution plus large afin de véritablement rémunérer les services environnementaux rendus par les espaces ruraux.

Ces territoires sont particulièrement étendus dans certains bassins, comme celui de Loire-Bretagne, dont 55 % de la superficie est classée en zone de revitalisation rurale (ZRR).

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tous ces constats, remarques et recommandations m’amènent à penser que le dossier de l’eau est très largement devant nous. Nous croyions l’avoir réglé, mais le dérèglement climatique et l’arrivée massive dans les instances des adeptes du « frein à main » des projets viennent bouleverser nos certitudes.

Cela nous impose de revoir ou de diversifier nos outils, qu’il s’agisse : des modalités d’intervention, de planification, de gouvernance et de décomplexification ; de la sécurisation des quantités de l’eau, élément stratégique qui passe par la simplification des procédures de retenues collinaires ; de la diversification des ressources financières pour faire face à l’élargissement du périmètre d’intervention des agences de l’eau en matière de biodiversité et de milieu marin ; de la péréquation et de la répartition entre les bassins des moyens disponibles, en fonction des objectifs à atteindre et de la place des territoires ruraux.

J’espère que notre débat nourrira nos réflexions pour élaborer, dans un avenir proche, une grande loi relative à l’eau. Celle-ci semble s’imposer à nous. Je formulais cette recommandation, en 2016, dans un rapport sur la gestion de l’eau.

Une chose est sûre, la future gestion de l’eau dans notre pays devra se faire avec pragmatisme et discernement.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous donner l’occasion d’échanger sur les agences de l’eau, passées, présentes et à venir.

Les agences de l’eau sont au cœur de notre politique d’intervention pour l’eau et la biodiversité dans un contexte, que vous connaissez, de réchauffement climatique, de tension sur les ressources et de défis auxquels nous devons faire face en termes de qualité des masses d’eau et de structuration de nos territoires.

Ces agences sont des opérateurs stratégiques, mais insuffisamment connus, du ministère de la transition écologique. Elles sont pourtant au cœur de la refondation de notre politique de l’eau, laquelle a été débattue dès 2017 lors d’une première séquence des Assises de l’eau portant sur la rénovation de nos dispositifs d’assainissement et d’eau potable.

En 2019, une deuxième séquence des Assises de l’eau a été consacrée à l’adaptation au changement climatique et à la gestion globale de la ressource.

Une troisième séquence, que j’anime depuis plusieurs mois avec mon collègue Julien Denormandie, se concentre sur la gestion de l’eau pour les agriculteurs. Le choix cette thématique était une évidence car, comme vous le savez, on constate trop souvent dans nos territoires les tensions qu’entraîne la pression sur la ressource, qui s’amenuise. Il nous fallait donc avoir ce débat et construire un chemin commun entre les acteurs de l’eau et les agriculteurs, lesquels doivent réinterroger certaines pratiques.

L’anticipation des conséquences du changement climatique et les tensions sur le partage de la ressource nous exposent à des enjeux toujours plus forts, s’agissant notamment de la gestion quantitative.

Ce nouveau regard, nous le portons au travers du décret que je vous ai présenté cet été. Il vise à l’amélioration de la qualité de l’eau et à la lutte contre les micropolluants et les microplastiques.

Cette lutte, qu’il convient de renforcer, trouve un écho extrêmement fort au niveau communautaire et international. En effet, l’érosion de la biodiversité se poursuivant à un rythme effréné, il nous faut préserver et restaurer les écosystèmes naturels, développer de nouvelles aires protégées et sauvegarder les zones humides, ô combien essentielles. Aujourd’hui, toutes les collectivités le savent et s’y engagent.

Les six agences de l’eau, établissements publics de l’État présents sur le territoire métropolitain, jouent un rôle central d’animation de ces débats et d’accompagnement de ces transitions. Elles sont le reflet de la gestion intégrée de la ressource en eau par comités de bassin.

Instaurée depuis cinquante ans dans notre pays, celle-ci permet d’administrer chaque bassin hydrographique de manière décentralisée, au plus près des territoires, des enjeux et des décisions des élus.

Les agences perçoivent aujourd’hui, en termes de ressources, 2, 197 milliards d’euros de redevances tenant compte, d’une part, de l’eau consommée au robinet et, d’autre part, de certaines atteintes à l’environnement – prélèvements excessifs sur la ressource ; pollutions ponctuelles et diffuses dues aux rejets d’eaux usées domestiques et industrielles, ou encore aux rejets azotés ou phytosanitaires. Ces recettes permettent aux agences de l’eau de soutenir des projets d’investissement portés par les collectivités ou d’autres acteurs, économiques ou non, mais toujours extrêmement structurants pour nos territoires.

Ces mêmes acteurs décident des financements, de leur répartition et de leurs modalités d’attribution au sein des programmes d’intervention, qui sont d’une durée de six ans. Il s’agit, dans le respect des cadrages nationaux, d’un modèle tout à fait original et qui a su s’adapter avec le temps.

Chaque million d’euros investi par les agences de l’eau engendre ou préserve de 30 à 35 emplois, ce qui représente, pour un montant d’environ 2 milliards d’euros par an, entre 60 000 et 70 000 emplois créés ou préservés chaque année dans l’ensemble des bassins.

Cet accompagnement financier essentiel pour la vie des territoires et cette démarche de contractualisation avec les collectivités locales, qui s’accompagne de larges concertations, doivent être préservés.

Comme vous l’avez indiqué, monsieur le sénateur, les agences de l’eau ne sont plus aujourd’hui uniquement des agences de l’eau, car nous avons élargi leurs missions. La loi de n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dite loi Biodiversité, accompagne ainsi leur action en faveur de la préservation de la biodiversité et des milieux marins.

Conformément au souhait du Gouvernement, les agences de l’eau ont ainsi accentué l’accompagnement des projets en faveur de la gestion du grand cycle de l’eau, de la qualité des milieux aquatiques et de l’adaptation rendue nécessaire par le changement climatique. Au-delà de la puissance financière de leurs interventions, elles ne cessent d’innover, de proposer, de tester de nouvelles réponses à ces enjeux émergents.

Les enjeux auxquels nous devons faire face indiquent très clairement que cette action doit encore être renforcée – nous partageons ce diagnostic. Dans le contexte du premier anniversaire de la stratégie nationale pour les aires protégées, et de la publication prochaine de la troisième stratégie nationale pour la biodiversité, nous devons relever ces défis avec la plus grande ambition. En matière d’intervention comme de financement, des ressources importantes doivent en effet être trouvées pour accompagner cette montée en puissance des agences de l’eau et répondre à l’urgence.

Une part notable des investissements des agences de l’eau répond toujours au besoin persistant d’amélioration des infrastructures et des réseaux d’eau potable et d’assainissement. Malgré la diversification des missions des agences de l’eau, cette capacité d’intervention demeure : au niveau national, plus de 45 % des aides allouées au sein des onzièmes programmes d’intervention des agences de l’eau visent à l’amélioration des infrastructures et des réseaux d’eau potable et d’assainissement.

Je souhaite également insister sur la nécessaire solidarité entre l’urbain et le rural, à laquelle nous sommes particulièrement attachés. Dans le cadre des onzièmes programmes, le fléchage de crédits en faveur des zones de revitalisation rurale a été accentué.

De même que nous devons toujours affirmer le principe du pollueur-payeur, nous devons en effet valoriser les aménités rurales, car les territoires ruraux contribuent à la préservation de ressources et d’une qualité des milieux essentiels à tous les Français.

Je vous rejoins donc, monsieur le sénateur, sur la nécessité de flécher les crédits en direction des territoires les plus impliqués, qui sont également ceux qui connaissent la plus grande tension. Nous devons éviter un effet de « saupoudrage » des aides, et concentrer nos actions sur les territoires qui appellent le plus d’attention – définir ces priorités est le travail des agences, en concertation avec les territoires.

Nous sommes au rendez-vous, puisque le 30 juin 2021, les agences avaient déjà octroyé plus de 700 millions d’euros, depuis 2019, aux collectivités rurales pour les aider à renouveler leurs installations d’eau potable et d’assainissement.

Ces deux dernières années, les agences de l’eau ont par ailleurs démontré leur grande robustesse et leur adaptabilité. Saluons en particulier leur mobilisation et leur engagement lors de la crise sanitaire, leur réactivité afin d’assurer la continuité de leurs services, tout comme la rapidité record de l’instruction des dossiers portés dans le cadre de France Relance.

La totalité des 260 millions d’euros alloués aux agences de l’eau dans le cadre du plan France Relance a été engagée en moins de sept mois.

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Je détaillerai donc au fil de vos questions les interventions menées dans le cadre du plan France Relance.

Il y a également de bonnes nouvelles sur le front des effectifs : pour la première fois depuis 2008, il me semble, nous avons stoppé la baisse des effectifs dans les agences de l’eau. C’était une nécessité, car celles-ci ont largement participé à l’effort de maîtrise des effectifs parmi les opérateurs de l’État. Nous avons mis fin à ces baisses pour permettre aux agences de l’eau de répondre à l’élargissement de leurs missions et à leur montée en puissance.

M. Alain Richard applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique, en application du nouveau règlement sur les temps de parole.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente, et aura la faculté de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Frédéric Marchand.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédéric Marchand

Madame la secrétaire d’État, 8 000 kilomètres de cours d’eau, 80 rivières, 20 nappes phréatiques, 270 kilomètres de côtes, 4, 8 millions d’habitants. Voilà, très rapidement brossé, le portrait du bassin Artois-Picardie, qui requiert toute l’attention du sénateur du Nord que je suis.

Sa gestion durable doit faire l’objet d’une nouvelle feuille de route pour les six prochaines années. La réévaluation et l’adoption du Sdage pour la période 2022-2027 sont prévues en mars prochain.

Enjeux, témoignages et pratiques durables ont été au cœur des débats préparatoires, qui ont permis de mesurer à quel point il est nécessaire que nos concitoyens s’approprient pleinement ce sujet, car l’eau n’est pas une ressource inépuisable.

En effet, nous savons tous que le changement climatique est l’un des enjeux majeurs de la politique de l’eau, et que les agences de l’eau ont un rôle prépondérant à jouer pour réduire les pollutions de l’eau de toutes origines, protéger les ressources en eau et lutter contre l’érosion de la biodiversité.

À ce titre, l’ambitieux onzième programme d’intervention 2019-2024 de l’agence de l’eau Artois-Picardie est à la hauteur des enjeux climatiques de notre époque. Il apporte des moyens importants pour financer l’ensemble des projets territoriaux.

Parmi les objectifs de ce programme, la lutte contre les phénomènes de sécheresse et d’étiage de nos cours d’eau rend nécessaire d’être davantage attentifs aux fuites dans les réseaux d’eau potable et au bon fonctionnement de nos systèmes d’assainissement, pour éviter les pollutions des milieux naturels.

Madame la secrétaire d’État, la gestion de l’eau dans le bassin Artois-Picardie emporte plusieurs enjeux : prévenir les périodes de sécheresse, réguler les risques d’inondations et veiller à la qualité de l’eau. Le 16 novembre dernier, vous avez déclaré à Lille que 88 % des bassins de Corse sont en bon état, contre 22 % en Artois-Picardie.

Les agences de l’eau sont résolument engagées dans le cadre du plan de relance. Sur les 250 millions d’euros d’aides allouées à des projets portant notamment sur la mise aux normes des stations de traitement des eaux usées et la rénovation des réseaux d’assainissement, plus de 16 millions d’euros concernent directement l’agence de l’eau Artois-Picardie.

Madame la secrétaire d’État, si je me réjouis moi aussi bien évidemment que les effectifs des agences soient maintenus cette année, après des années de baisse historique, je souhaiterais que vous nous confirmiez que les engagements pris lors de l’annonce du plan national de gestion durable des eaux pluviales permettront réellement à l’agence Artois-Picardie de mener ses missions dans le département du Nord, lequel a connu, ces derniers mois, des phénomènes aux conséquences dramatiques.

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur Marchand.

La gestion des eaux de pluie à la source est en effet liée au bon fonctionnement des systèmes d’épuration et à l’adaptation au changement climatique. Elle constitue également un réel levier de prévention des phénomènes d’inondation que, malheureusement, le Nord n’a que trop connus – des projets exemplaires ont d’ailleurs été mis en œuvre dans ce département.

J’ai effectivement annoncé à Lille en novembre dernier un plan national de gestion durable des eaux pluviales, question qui touche particulièrement le bassin Artois-Picardie.

Une lutte innovante contre l’érosion des sols est menée en milieu rural, pour recharger les nappes phréatiques.

En zone urbaine, les jours de fortes pluies, les réseaux débordent, rejetant directement des eaux usées dans les milieux. Une intervention est évidemment nécessaire.

L’infiltration des eaux de pluie à la source permet d’ailleurs la création d’îlots de fraîcheur en ville, ce qui, compte tenu de la fréquence des épisodes de chaleur que nous connaissons, devient indispensable.

En tout état de cause, la gestion des eaux de pluie est un sujet très important des onzièmes programmes des agences de l’eau.

Dans le bassin Artois-Picardie, sur six ans, le budget prévu pour accompagner les projets des collectivités s’élève à 60 millions d’euros, avec des taux d’aides très incitatifs, de l’ordre de 70 %, pour la réalisation d’études préalables et pour l’investissement dans des solutions fondées sur la nature, comme les noues d’infiltration.

Le budget alloué aux projets de lutte contre l’érosion des sols a quant à lui été complété par un redéploiement, car à mi-programme, il a déjà été consommé à 200 %. C’est dire la maturité de ces projets, dont les acteurs se saisissent pour répondre aux enjeux auxquels nous faisons face.

L’agence de l’eau Artois-Picardie finance également depuis 1997 l’association Adopta, qui fait émerger des projets, anime un réseau d’acteurs et constitue un observatoire public valorisant les nouvelles réalisations, ce qui est essentiel pour que les bonnes pratiques soient partagées.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Jean Verzelen

Madame la secrétaire d’État, je souhaite appeler votre attention sur le sujet des inondations qui surviennent, non pas seulement à l’occasion de phénomènes climatiques extrêmes, mais de manière régulière dans de très nombreux territoires, comme dans mon département de l’Aisne il y a quelques semaines. La situation est telle qu’il suffit parfois de 50 millimètres de précipitations par mètre carré en une journée pour que les champs soient transformés en plans d’eau, que les routes soient barrées et des foyers touchés.

Les explications sont nombreuses : les conditions météorologiques font qu’il pleut plus vite, de manière plus localisée, mais l’écoulement de l’eau pose également de réelles difficultés, car depuis quelque temps, les cours d’eau et les fossés sont moins bien entretenus. En fin de compte, des millions de litres d’eau ne peuvent plus s’écouler dans la nature.

Si les propriétaires, les agriculteurs ou les communes ne les entretiennent plus, c’est parce que plus personne n’y comprend rien. Quelle est la différence entre un ru, un cours d’eau et un fossé ? Quels travaux a-t-on le droit d’y faire ? Sur quelle largeur peut-on retirer de la terre, et que faire de la terre que l’on extrait ? On a du mal à répondre à toutes ces questions, ce qui inquiète beaucoup les différents propriétaires, qui redoutent le contrôle de la police de l’eau.

Il me semble que les agences de l’eau, qui ont une réelle expertise sur ces sujets, devraient travailler main dans la main avec les directions départementales des territoires (DDT) afin de proposer, pour chaque territoire, un cahier des charges présentant de manière didactique les opérations possibles. Chacun pourrait ainsi en tirer profit, et nous retrouverions enfin des fossés et des cours d’eau entretenus, ce qui permettrait de limiter les débordements quand il y a des précipitations de l’ordre de celles que j’évoquais tout à l’heure.

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Monsieur le sénateur, je vous rejoins totalement sur la nécessité de partager les bonnes pratiques, au moyen de guides ou de fiches qui, du reste, dans les méandres de nos différentes plateformes d’information, existent déjà sûrement. Ces bonnes pratiques doivent être largement diffusées, pour servir de repères à ceux qui sont amenés à entretenir ces cours d’eau.

Les agences de l’eau peuvent également offrir un support financier lorsque les projets sont suffisamment aboutis, ou en amont pour soutenir l’ingénierie et discuter des interventions à venir en partenariat avec les acteurs. Les programmes des agences de l’eau incluent d’ailleurs cet objectif, que nous partageons.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Madame la secrétaire d’État, la situation des agences de l’eau continue de nous interpeller. Alors que leurs missions n’ont cessé de se diversifier et de s’étoffer, notamment sous l’impulsion de la loi Biodiversité de 2016, leurs effectifs ont connu une chute de 21 % entre 2010 et 2021.

Depuis 2018, les ponctions régulières sur leurs ressources et l’existence d’un plafond mordant ont limité leurs capacités opérationnelles.

Pour les années 2019-2024, le budget des onzièmes programmes pluriannuels d’intervention a enregistré un recul de près d’un milliard d’euros par rapport aux précédents programmes.

Parallèlement, la réforme sur les redevances perçues par les agences, qui devait être inscrite dans le projet de loi de finances pour 2022 et qui a suscité des inquiétudes l’été dernier, a été ajournée.

La question de la capacité des agences de l’eau à accompagner les collectivités territoriales et les acteurs locaux dans leurs projets en matière de gestion de l’eau se pose désormais.

Alors que ces agences jouent un rôle déterminant, tant dans la bonne mise en œuvre des politiques de préservation des ressources en eau et des milieux aquatiques que dans la performance des services et la maîtrise des coûts, il est urgent de trouver des stratégies de financement pertinentes et de tracer une orientation budgétaire à long terme.

Nous devons aussi nous prémunir contre toute remise en question de leurs missions historiques qui serait opérée selon des calculs purement comptables.

Je pense au dossier de l’assainissement non collectif, qui n’a pas été retenu parmi les priorités ministérielles en matière d’intervention des agences de l’eau pour la période 2019-2024. Dans les territoires, cela se traduit par des difficultés importantes, tandis que les aides sont de plus en plus rares pour la mise aux normes des installations et que les maires ou les présidents d’intercommunalités se retrouvent démunis face à leurs habitants.

Ma question est donc simple, madame la secrétaire d’État : pouvez-vous nous indiquer ce que contiendra la future réforme sur les redevances perçues par les agences et à quelle échéance elle sera mise en œuvre ? S’appuiera-t-elle sur une révision à mi-parcours, d’ici la fin de l’année, des onzièmes programmes ?

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Je suis persuadée que les agences de l’eau, pour monter en puissance et diversifier leurs missions face aux défis que nous devrons relever dans les prochaines décennies – restaurer le bon état des masses d’eau dans le contexte du réchauffement climatique tout en répondant à d’éventuels contentieux communautaires – doivent être soulagées de cet effort de réduction des effectifs auquel les opérateurs de l’État ont été soumis dans le contexte d’une nécessaire maîtrise de la dette publique, effort auquel les agences de l’eau ont déjà largement contribué.

Dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2022, les parlementaires ont bien voulu voter en faveur de notre proposition de gel des effectifs des agences de l’eau. Nous avons donc stoppé la baisse de leurs effectifs. Les personnels de ces agences espéraient cette mesure nécessaire, qui, me semble-t-il, est intervenue au bon moment.

S’agissant de la question de l’assainissement non collectif, sachez que le débat anime le cabinet ministériel depuis quelque temps.

L’effort des agences de l’eau en la matière a semblé trouver ses limites à un certain moment. Aujourd’hui, alors que les exécutifs ont changé et que certaines collectivités sont plus volontaristes, cette question doit être reconsidérée. L’assainissement non collectif représente en effet un budget important pour certains Français que nous laissons sans réponse.

Nous cherchons donc à élaborer un dispositif d’aide, mais les arbitrages étant en cours, je ne peux à ce stade vous en dévoiler la teneur.

Les agences de l’eau ont un temps contribué à cet effort, mais nous pouvons envisager un dispositif d’incitation fiscale, ou même, dans une perspective de plus long terme, un service unique de l’assainissement. Cette dernière option, qui avait été un temps évoquée, permettrait d’apporter une réponse à des situations parfois très disparates, mais elle relève du domaine législatif.

En urgence et en priorité, l’intervention des agences de l’eau doit être portée sur les milieux les plus à risque et dans les territoires les plus en tension. Il nous reviendra, dans le cadre d’un plus long débat, de dessiner ensemble le format de cette aide.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Les ponctions sur le budget des agences de l’eau ont été décidées sans aucune concertation. Aujourd’hui, ce sont nos territoires et nos concitoyens qui en sont les victimes. Ils sont abandonnés, alors qu’ils ont participé au financement des agences de l’eau.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

M. Ronan Dantec . Je rejoins totalement les propos tenus par mes collègues Rémy Pointereau et Daniel Gremillet. Plus généralement, je suis toujours d’accord avec la droite sénatoriale lorsqu’elle considère que les moyens alloués à l’action publique sont insuffisants, que les redevances sont trop faibles et que l’on manque d’agents de service public pour remplir les missions et favoriser les mutualisations entre les territoires.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Madame la secrétaire d’État, dans votre propos liminaire, vous avez indiqué qu’un million d’euros investi permettait de créer 35 emplois. Ma question est simple : pourquoi vous priver de la création de 35 000 emplois ? Entre les onzièmes et les dixièmes programmes, on observe en effet une baisse des crédits engagés d’environ un milliard d’euros.

Sur quelles analyses et quelles études l’État s’est-il fondé pour baisser ainsi d’un milliard d’euros les crédits des agences de l’eau, alors que les raisons d’intervention de ces agences ont augmenté, et que nous sommes tous d’accord pour considérer que les enjeux sont essentiels ?

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Monsieur le sénateur Dantec, nous partageons le même diagnostic : il est nécessaire de renforcer les moyens des agences de l’eau, qui sont au cœur des dispositifs d’adaptation au changement climatique et du combat que nous devons mener pour restaurer le bon état des masses d’eau.

L’abaissement du plafond des recettes en 2019 a tout de même permis une réduction de la fiscalité appliquée à l’eau potable d’environ 9 %, ce dont on ne peut que se féliciter.

Nous cherchons de nouvelles ressources, sans vouloir augmenter la pression fiscale pesant sur les Français – objectif que nous partageons, je le pense. Nous devons trouver de nouveaux dispositifs, sans doute en renforçant le principe du pollueur-payeur.

Cette fiscalité, ces redevances, ces ressources, ces recettes, quelle que soit leur forme, doivent augmenter, c’est un fait établi par le rapport remis par MM. Jerretie et Richard. Si nous souhaitons ne pas nous tromper, ni sur l’envergure de cette réforme ni sur le public amené à participer à ce nouvel effort, il me semble que nous devrons en débattre, en particulier au niveau parlementaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Madame la secrétaire d’État, merci de la franchise de votre réponse. L’État souhaitait donc clairement amoindrir la redevance des agences de l’eau, alors que celle-ci était largement acceptée par les Français. Et maintenant, il faut bien sûr trouver de nouvelles recettes !

Je peux d’ores et déjà vous indiquer où ces nouvelles recettes seront prélevées : au niveau de la compétence Gemapi ! Au fond, vous transférez vers les collectivités territoriales, à travers la compétence Gemapi, une partie de l’effort.

Vous considérez en effet qu’une augmentation des impôts est jugée plus acceptable par nos concitoyens quand elle est demandée par les collectivités locales plutôt que par l’État, ce qui est une très mauvaise analyse.

Par ailleurs, contrairement à ce que vous avez indiqué, une baisse des effectifs des agences de l’eau à hauteur de 40 équivalents temps plein (ETP) est bien inscrite dans la loi.

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Non, monsieur le sénateur. Reprenons le projet de loi de finances pour 2022 : les agences de l’eau n’ont pas connu de réduction d’effectifs cette année, ce qui, j’y insiste, n’avait pas été le cas depuis 2008. Les agences de l’eau connaissaient jusqu’alors en moyenne une baisse de plus de 2 % de leurs effectifs chaque année. Réjouissons-nous tout de même de ce geste fort.

Dans leur grande majorité, les opérateurs français continuent de travailler à la réduction de la dépense publique, au travers notamment de la baisse des ETP. La décision de cesser cette réduction des effectifs pour des opérateurs de l’eau et de la biodiversité tels que les agences de l’eau, les parcs nationaux, dont les effectifs ont même été renforcés, l’OFB ou le Conservatoire du littoral, mérite à ce titre d’être signalée.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Le schéma d’emploi prévoit une réduction de 40 ETP – je le lis dans les rapports. Si le nombre d’agents reste le même, ce n’est que parce qu’un correctif technique lié à la mise à disposition d’agents des agences de l’eau auprès de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema) a été apporté par la suite. Mais une baisse de 40 ETP est bien prévue, de même que la diminution du nombre d’agents de l’OFB.

Je pourrais également évoquer la police de l’eau, dont les missions relatives au respect des normes et des pratiques sont fondamentales. On ne dénombre pourtant qu’un agent de la police de l’eau pour 1 000 kilomètres de rivière ! Une réelle police de l’eau n’est pas possible avec aussi peu d’agents.

La création d’emplois reste un sujet essentiel. Si l’on baisse constamment les crédits, nous ne pourrons pas mener de politique cohérente. Les enjeux sont pourtant essentiels, nous en sommes tous d’accord, et sur ce point, je ne vous fais aucun procès d’intention, madame la secrétaire d’État.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Claude Varaillas

Madame la secrétaire d’État, les agences de l’eau remplissent des missions essentielles dans le contexte du dérèglement climatique et de la nécessaire adaptation des territoires.

Pour autant, ces agences font les frais d’une cure d’austérité drastique. Les chiffres sont terrifiants : dix années de baisses d’effectifs continues, soit une suppression de 21 % de leurs emplois !

Alors que les missions des agences ont été largement étendues au fil des évolutions législatives afin de prendre en compte les thématiques de la biodiversité et du changement climatique, leurs moyens financiers n’ont pas suivi cet accroissement de leurs responsabilités.

Pis, ces moyens ont été rabotés par l’instauration d’un plafond mordant.

Pourtant, le rythme de la reconquête des masses d’eau reste largement insuffisant. Il devrait tripler pour atteindre l’objectif de 70 % de masses d’eau remises en bon état d’ici à 2027. Sur les six prochaines années, le besoin de financement correspondant est estimé à plus de 3 milliards d’euros.

Comment comptez-vous assurer une capacité de financement permettant aux agences de faire face à ces enjeux, notamment dans les bassins très ruraux à faible potentiel fiscal ?

Comment faire jouer davantage la solidarité nationale et comment réviser le plafond des agences à la hausse afin de sécuriser leurs interventions face au changement climatique ?

Comptez-vous leur redonner les moyens humains nécessaires pour préserver leur capacité d’action et leur permettre de remplir leurs missions de service public et de proximité ?

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Permettez-moi tout d’abord, en réponse à la question précédente de M. Dantec, de revenir sur les schémas d’emplois : il est exact que le projet de loi de finances pour 2021, qui a été débattu à la fin de 2020, prévoyait une diminution des effectifs de 41 ETP précisément. En revanche, dans le projet de loi de finances pour 2022 débattu fin 2021, le nombre d’ETP est bien stable.

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Merci de le reconnaître, monsieur le sénateur.

J’en viens aux besoins de financement et aux effectifs des agences. Nous avons pour objectif de stabiliser les ressources de ces opérateurs afin de leur donner davantage de visibilité dans le cadre de leurs nouvelles missions.

Depuis 2013, nous avons connu une baisse de 350 ETP, soit près de 20 % des effectifs des agences. Il devient difficile, alors même qu’un effort a été réalisé sur les fonctions support et sur les mutualisations, d’imaginer que les agences de l’eau puissent remplir leurs missions sans que ces effectifs soient au moins stabilisés. Nous avons fait un premier pas en ce sens dans le projet de loi de finances pour 2022.

Parallèlement, nous menons une réflexion – vous y participez d’ailleurs, madame la sénatrice – sur le financement global de la biodiversité.

Du programme 113, « Paysages, eau et biodiversité », à la fiscalité affectée aux agences de l’eau en passant par les fonds redistribués entre l’Office français de la biodiversité et les parcs nationaux, le financement de la biodiversité est aujourd’hui un véritable « Beaubourg ». Nous devons tout remettre à plat.

Depuis maintenant plusieurs mois, nous nous y employons, en nous appuyant notamment différents travaux parlementaires. Le rapport Jerretie-Richard concernant le financement des agences de l’eau est à cet égard très éclairant.

Nous nous y employons également, au travers de la réécriture de la stratégie nationale pour la biodiversité. Dans ce cadre, une mission d’inspection relative au financement des aires protégées et au financement global de la biodiversité a été confiée au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et à l’Inspection générale des finances (IGF).

En tout état de cause, il nous faut clarifier le financement de la biodiversité. Le principe d’une fiscalité affectée à ce domaine est un bon moyen de faire comprendre aux Français que ces moyens sont nécessaires et que cet effort collectif doit être accepté. Mais cela appelle une plus grande transparence concernant l’affectation de ces crédits.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Claude Varaillas

Alors que le principe de la décentralisation prévaut pour l’eau, nous pouvons aujourd’hui légitimement craindre que des politiques nationales échouent à s’adapter aux réalités territoriales.

C’est la notion même de « bassin » qui est mise à mal, alors qu’elle a pourtant été au cœur de la création de ces agences, qui sont des outils stratégiques et des lieux de dialogue entre l’État et les collectivités. Il faut maintenir le caractère décentralisé du pilotage des agences et l’implication des collectivités en leur sein.

Nous savons qu’il faut aussi préserver leur capacité à mettre en œuvre une solidarité entre l’urbain et le rural, l’amont et l’aval, comme entre les générations, par le biais des redevances qu’elles perçoivent.

Comment vous comptez leur permettre d’assurer ces missions ?

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Il faut évidemment maintenir la gouvernance locale des comités de bassin. Ce modèle exceptionnel est d’ailleurs le pendant de la nécessaire transparence en matière de fiscalité et de financement de la biodiversité.

Le besoin de prise en compte de l’ancrage territorial et des réalités de terrain est indiscutable. De fait, les comités de bassin gèrent leur plafond en fonction du contexte local.

Ce modèle de gouvernance est tout à fait pertinent, et j’estime que nous devons collectivement le défendre.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Claude Varaillas

Madame la secrétaire d’État, les élus sont inquiets de cette réforme des redevances, qui risque de mettre à mal le modèle même des agences.

Si l’on transfère aux collectivités territoriales le soin de lever la redevance, de supporter les impayés dans le budget annexe de l’assainissement et de prendre en charge toutes les procédures y afférentes – je pense notamment à la facturation et au recouvrement –, une augmentation des redevances des usagers, destinée à équilibrer les budgets, est à craindre. Or le signal envoyé par l’assujettissement des stations d’épuration entre en contradiction avec le principe pollueur-payeur, fondement de la politique de gestion de l’eau en France.

Le système des redevances des agences de l’eau mérite certes d’être revu en profondeur ; mais le but doit être de renforcer sa vocation environnementale et d’en faire un véritable outil de progrès, non de lui conférer une simple fonction fiscale.

Enfin, il convient de garantir le principe fondateur selon lequel l’eau paie l’eau et la biodiversité paie la biodiversité.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Louault

Madame la secrétaire d’État, j’appelle votre attention sur la loi du 30 décembre 2017 relative à l’exercice des compétences des collectivités territoriales dans le domaine de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations, dite Gemapi.

Ce texte avait plusieurs objectifs et il est efficace pour la protection des petits milieux naturels, notamment des petits cours d’eau. Néanmoins, dans le territoire dont je suis élu, pour la partie basse de la vallée de la Loire, nous devons également assurer la protection contre les inondations, qui relève désormais de la compétence des intercommunalités.

Prenons un exemple. La petite communauté de communes d’Azay-le-Rideau est traversée non seulement par la Loire – elle totalise, à ce titre, quinze kilomètres de digues –, mais aussi par les affluents de l’Indre, du Cher et de la Vienne. Tous ces cours d’eau prennent leur source dans le Massif central.

La loi Gemapi confie aux intercommunalités la responsabilité d’entretenir, à leurs frais, toutes les digues. C’est une profonde injustice, parce qu’il est tout simplement impossible de relever un défi national à l’aide d’un financement local, même si les acteurs concernés essaient de se regrouper en syndicats mixtes.

De plus, une agence de l’eau couvre l’ensemble du bassin concerné : je ne vois pas pourquoi on n’a pas décidé, au moment de l’élaboration de la loi, que les agences de l’eau s’investiraient dans la protection contre les crues majeures, notamment celles de la Loire et de ses affluents.

Cette compétence sera très bientôt transférée aux collectivités locales, alors que, pendant de nombreuses années, l’État a fait l’impasse sur l’entretien de ces digues. Il faut bel et bien renforcer les digues et les entretenir au quotidien, afin qu’elles ne soient pas fragilisées par la végétation, mais c’est une mission quasi impossible pour de petites communautés de communes.

Ne pourrait-on donc imaginer de recentraliser les missions et le financement des agences de l’eau afin de définir une véritable politique de l’eau ?

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Monsieur le sénateur, vous le savez : les aides liées à l’aménagement du territoire, au remembrement et, de manière générale, à toutes ces actions essentielles et potentiellement assez budgétivores, sont très largement prises en charge par les agences de l’eau. En revanche, les interventions sur les digues et les barrages relèvent effectivement du fonds Barnier.

Vous souhaiteriez plus de facilité, de fluidité ou de simplicité dans l’accès à ces aides ; je puis l’entendre, mais il me semble nécessaire de maintenir ce schéma, qui est somme toute assez lisible et qui permet une montée en puissance des capacités financières.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Louault

L’intervention du fonds Barnier représente effectivement une amélioration, mais le reste à financer outrepasse réellement les capacités des petites collectivités locales.

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

La capacité d’intervention du fonds Barnier est de l’ordre de 40 % ; j’entends donc votre difficulté à boucler le tour de table pour financer des travaux importants.

Aussi, n’hésitez pas à nous faire part des projets précis pour lesquels vous rencontreriez ce type de difficultés. §D’expérience, quand cette question se pose, on trouve toujours des montages permettant de boucler le tour de table, si les travaux ou interventions envisagés se révèlent nécessaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Louault

Pour renforcer un kilomètre de digue en bord de Loire, il faut 1 million d’euros. Cela vous donne une idée de l’ampleur du besoin…

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Gold

L’adaptation au changement climatique préoccupe l’ensemble des usagers de l’eau. Le débit moyen annuel des rivières devrait baisser de 10 % à 40 % au cours des prochaines décennies, ce qui conduira inévitablement à des conflits d’usage. La question du partage d’une ressource dont la quantité et la qualité sont menacées implique donc de définir des orientations fortes à l’échelle nationale.

En dépit de cet objectif commun, nous constatons des divergences d’application des politiques publiques menées par les agences de l’eau, selon les bassins versants. Ainsi, au sujet des retenues – enjeu particulièrement sensible dans nos territoires –, les usagers se voient opposer des réponses différentes selon les agences.

Ainsi, la création de retenues collinaires, qui permettent de récupérer les excédents d’eau en période hivernale ou en période de crue pour les restituer en période de stress hydrique, ne fait pas l’objet d’une même doctrine et ne bénéficie donc pas des mêmes financements ici ou là, ce qui accentue les tensions locales.

Après les assises de l’eau de 2018 et 2019, l’initiative du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique était bienvenue : elle doit permettre, grâce au dialogue et à la concertation, de construire des solutions pour l’avenir dans un cadre apaisé, l’agriculture étant particulièrement vulnérable. Malheureusement, plusieurs des parties prenantes n’ont pas souhaité y participer.

Madame la secrétaire d’État, comment le Gouvernement entend-il améliorer la coordination de l’action des agences de l’eau face au changement climatique qui est devant nous ?

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Monsieur le sénateur, l’urgence climatique exige effectivement notre mobilisation, notamment auprès des agriculteurs, qui sont non seulement les premiers témoins des tensions sur la ressource en eau, mais encore les premiers touchés, au travers de leurs pratiques et de leurs activités, alors que leur modèle économique est déjà extrêmement fragile.

Le ministre de l’agriculture, Julien Denormandie, et moi-même devions donc élaborer en urgence des réponses communes en respectant une nouvelle vision de la ressource en eau : qu’est-il possible de faire face à une ressource mobilisable qui s’amenuise, et non de quoi a-t-on besoin ?

C’est ce que nous avons fait avec la quasi-totalité des parties prenantes : seule une association n’a pas souhaité participer. Elle craignait que la politique de l’eau, qui relève du ministère de la transition écologique, ne soit menacée par les intérêts économiques du monde agricole. Néanmoins, elle a porté ensuite un regard très attentif sur nos travaux.

Nos échanges se poursuivent : le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique devrait se conclure, si je ne m’abuse, le 1er février prochain. Ce sera l’occasion de montrer que nous avons su trouver des équilibres.

Il s’agissait d’abord de s’entendre sur une vision commune de cette ressource, des possibles et des volumes prélevables ; c’était l’objet du décret du 23 juin 2021 relatif à la gestion quantitative de la ressource en eau et à la gestion des situations de crise liées à la sécheresse. En effet, pour sécuriser l’activité des agriculteurs, la clef consiste à partager avec eux une vision des volumes prélevables, car, tant qu’ils connaissent ces volumes, ils sont prêts à adapter leurs pratiques.

Ensuite, nous devions montrer que nous pouvions nous améliorer en simplifiant le montage des projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE), qui s’inscrivent dans le cadre des assises de l’eau et qui s’appuient sur une vision globale.

Nous devons sans doute accélérer la mise en œuvre des « projets sans regret » et la réalisation des premiers pas, en réponse aux besoins locaux et aux urgences de la sphère agricole. Sans menacer les équilibres de la ressource mobilisable en eau, il faut également enclencher des projets plus globaux et des dynamiques de territoire, en particulier au titre des infrastructures.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Gold

Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État.

Vous avez mentionné les changements de pratiques agricoles, sujet sur lequel vous vous penchez avec M. Denormandie. Toutefois, s’il faut effectivement engager une réflexion sur la ressource en eau, il ne faut pas pour autant se refuser à imaginer des systèmes de retenue d’eau captant des excédents pendant la période hivernale et les restituant en période de stress hydrique.

Les événements climatiques des dernières années doivent orienter les agences de l’eau vers des décisions innovantes et pragmatiques, libres de tout raisonnement dogmatique.

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Nous ne nous interdisons rien, dès lors que l’on ne met pas en péril nos ressources en eau et que l’on priorise les usages.

L’été dernier, certains départements français, comme le Lot, ont connu des ruptures d’eau potable : ce sont des situations que l’on ne souhaite évidemment pas voir se reproduire et s’installer dans la durée.

Nous avons donc besoin de projets respectant l’équilibre de la ressource et recourant à tous les moyens mobilisables, qu’il s’agisse d’économies en eau, de réutilisation des eaux usées ou de stockage, lorsque c’est possible. La question des excédents hivernaux s’inscrit dans ce cadre. C’est vrai, le décret dit « gestion quantitative » est plutôt fondé sur la notion d’étiage lors de situations de tensions.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Madame le secrétaire d’État, le principe de base est que le pollueur doit être le payeur.

Or, depuis des décennies, nous sommes confrontés au problème de la pollution de la Moselle par les rejets de chlorures nocifs des soudières de la vallée de la Meurthe.

À ce titre, les gouvernements successifs n’ont strictement rien fait. Ils ont même cautionné ces pollueurs scandaleux, puisque, chaque fois que de l’argent public a été investi pour écrêter les pics de pollution en période d’étiage, c’est-à-dire en été, les soudières en ont profité pour augmenter leur pollution.

Actuellement, ces entreprises rejettent deux fois plus de chlorures nocifs dans la Moselle qu’il y a quarante ans et l’attitude des pouvoirs publics est plus scandaleuse que jamais : ces derniers persistent à cautionner la situation au lieu de réagir. Il serait peut-être temps que les pouvoirs publics, quels qu’ils soient, se décident à réagir fermement et à sanctionner les pollueurs !

Comme pour les rejets de bauxite en Méditerranée, on nous dit : « Tant pis, on n’y peut rien… » Il est particulièrement urgent que vous fassiez quelque chose. Vous ne pouvez pas laisser perdurer cette situation, qui est devenue intenable.

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Il s’agit donc d’une réflexion technique et d’un engagement financier permettant de donner un début de réponse à cette situation : une telle pollution directe est bien sûr inacceptable.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Quand j’étais député, un ministre m’avait répondu à peu près la même chose que vous : il était difficile de ne pas rejeter des chlorures dans la Moselle, parce que, si on les rejetait en mer du Nord, cela polluerait la mer. Votre réponse est à peu près aussi dense que celle de ce ministre giscardien…

Je suis scandalisé. On nous dit qu’on ne peut rien faire : évidemment, puisqu’on ne fait rien, et cela fait quarante ans que cela dure !

On en a par-dessus la tête : il serait temps de se réveiller, madame le secrétaire d’État ! C’est à vous que je le dis, mais vos prédécesseurs n’étaient pas mieux…

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Monsieur le sénateur, si j’avais été sollicitée par un simple courrier de votre part m’alertant sur ce dossier, j’aurais préparé une réponse un peu plus étayée…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Cela fait vingt ans que je pose cette question par écrit !

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

En tout état de cause, je viens d’apprendre qu’un contrat a été conclu entre la région…

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Mon cher collègue, attendez que Mme la secrétaire d’État ait fini de s’exprimer pour lui répondre.

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

… et les différents acteurs pour avancer vers la résolution du problème que vous soulevez. La réflexion avance et une solution se dessine, avec des moyens dédiés.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

C’est un dialogue de sourds !

Ces procédés ne règlent rien du tout et la pollution continue comme avant ! Cela et rien, c’est la même chose…

Debut de section - PermalienPhoto de Angèle Préville

Chaque été, le bassin Adour-Garonne connaît des étiages préoccupants, qui seront probablement réduits de moitié à l’horizon de 2050. La température de l’eau frise alors les 30 degrés.

Aux sécheresses de plus en plus fréquentes et sévères s’ajoute l’augmentation de la distribution d’eau à Toulouse et à Bordeaux, métropoles très attractives qui accueillent chacune quelque 15 000 habitants de plus chaque année.

Nous sommes ainsi confrontés à une équation bien difficile à résoudre et les enjeux, déjà nombreux, ne cessent de se multiplier. Si le réchauffement climatique s’installe petit à petit dans ce qui s’apparente à un voyage sans retour, nous devons aussi faire face au constat alarmant d’une accumulation de micropolluants dans les eaux de nos rivières : microplastiques et même nanoplastiques, résidus de médicaments, pesticides et autres substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS). Malheureusement, les conséquences sur la santé sont certaines…

Voilà donc des enjeux d’avenir primordiaux, car l’eau, c’est la vie.

Ces défis immenses qui nous attendent représentent des coûts considérables et il est à craindre que l’augmentation des moyens nécessaires ne pèse sur nos concitoyens, comme c’est le cas aujourd’hui. En effet, plus de 70 % des revenus perçus par les agences de l’eau viennent des particuliers. La reconquête et le bon état de nos masses d’eau exigent non seulement une organisation locale simplifiée, mais aussi, bien entendu, des moyens financiers et humains à la hauteur des enjeux.

La première stratégie des agences de l’eau est de réussir à préserver ce bien commun essentiel. Les comités de bassin sont des lieux de dialogue et d’équilibre entre personnes qualifiées, collectivités territoriales et associations. Cet esprit de concertation et le caractère décentralisé de cette gouvernance sont les mieux à même de répondre aux situations locales.

Madame la secrétaire d’État, dans cette perspective, entendez-vous poursuivre le gel de la baisse des effectifs de ces agences au-delà de 2022 ? Comment comptez-vous assurer une adaptation responsable au dérèglement climatique et aux pollutions diffuses ?

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Madame la sénatrice Préville, avant tout, je tiens à vous remercier de votre implication sur ces sujets, notamment sur celui des micropolluants. J’espère que le colloque que vous prévoyez d’organiser pourra avoir lieu.

Nous élaborons actuellement le prochain plan sur ce sujet : la question des micropolluants véhiculés par les eaux pluviales – les microplastiques, les cosmétiques – sera au cœur de ce nouveau plan de lutte, auquel vos travaux et vos réflexions contribuent grandement.

Le bassin Adour-Garonne connaît effectivement une tension particulière sur cette ressource. §Nos plans d’adaptation au changement climatique identifient cette vulnérabilité et doivent nous permettre d’identifier les leviers d’adaptation. Les schémas directeurs d’aménagement et de la gestion des eaux (Sdage), en cours de révision, doivent également proposer une vision commune et une perspective pour la gestion et la maîtrise de cette ressource.

Vous évoquez les comités de bassin. Je le répète : je défends résolument ce modèle et son ancrage à l’échelle du bassin, qui lui permet de répondre aux enjeux locaux. Cette forme de gouvernance me semble la mieux à même d’assurer une vision commune assumée par tous.

Les comités de bassin doivent représenter les élus des territoires : nous devons préserver ce modèle et exercer notre vigilance sur les besoins majeurs afin de renforcer nos ressources face à ces défis.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylviane Noël

L’article L. 210-1 du code de l’environnement définit l’eau comme faisant « partie du patrimoine commun de la Nation ».

Les agences de l’eau ont été créées en 1964 pour favoriser la solidarité territoriale et financer non seulement le petit cycle de l’eau, mais encore la prévention, en amont.

Le bassin Rhône-Méditerranée-Corse, auquel le département de la Haute-Savoie est rattaché, est le plus concerné par les événements climatiques en France. De 1982 à 2018, 6 750 communes, soit 92 % des communes du bassin, ont été touchées au moins une fois par une inondation déclarée catastrophe naturelle.

La multiplication de ces catastrophes climatiques justifie la mobilisation de crédits exceptionnels pour permettre des reconstructions dans les départements sinistrés, mais le budget de l’agence de l’eau chargée de ce comité de bassin s’en trouve très sollicité, alors même que le contexte général est déjà défavorable : les capacités totales annuelles d’intervention de l’agence ont reculé de plus de 15 % par rapport à la période 2013-2018.

Cette agence regroupe une très grande part des territoires de montagne de notre pays. Ces derniers constituent – je le rappelle – les principaux châteaux d’eau de notre Nation, mais ils se révèlent particulièrement vulnérables, car ils sont soumis à des aléas climatiques plus forts : cette agence, qui fait face à de très grands enjeux environnementaux, devrait donc bénéficier d’une solidarité financière nationale.

Madame la secrétaire d’État, que pensez-vous de cette proposition ?

Par ailleurs, face aux défis climatiques qui seront, demain, plus importants et plus nombreux qu’hier pour les agences de l’eau, le principe de plafond mordant, introduit par la loi de finances pour 2018, a-t-il encore du sens ?

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Madame la sénatrice Noël, vous êtes bien placée pour connaître les impacts terribles et la violence de certains épisodes liés au dérèglement climatique, auxquels nous avons dû nous adapter en faisant preuve de résilience.

Très concrètement, nous devons aussi trouver les moyens de faire face à ces terribles catastrophes naturelles.

Le régime d’indemnisation fait déjà appel à la solidarité nationale, qui se manifeste également dans la prévention, au travers d’études et de travaux, voire de délocalisations lorsque c’est nécessaire.

C’est principalement au travers du fonds de prévention des risques naturels majeurs, mieux connu sous le nom de fonds Barnier, que l’on intervient. En deux ans, les crédits de ce fonds ont augmenté de plus de 70 %, passant de 131 à 235 millions d’euros en 2022, avec une enveloppe supplémentaire spécifique post-tempête Alex d’un montant de 30 millions d’euros en 2022.

Dans le bassin Rhône-Méditerranée-Corse, l’agence de l’eau a largement contribué au financement des travaux de réparation des systèmes d’assainissement, des réseaux d’eau potable et des réseaux collectifs d’irrigation, ou encore à la restauration des cours d’eau. Elle apporte ainsi un concours important au travers d’une enveloppe de 25 millions d’euros destinée aux travaux faisant suite à la tempête Alex.

Pour ce qui concerne la solidarité nationale dans le cadre des interventions des agences de l’eau, un rééquilibrage des recettes entre les différentes agences a eu lieu lors de la préparation des onzièmes programmes des agences de l’eau, en fonction de notre expérience dans les différents bassins, et des mutualisations entre agences ont eu lieu.

Pour la définition des douzièmes programmes, nous portons une attention toute particulière au maintien de cet équilibre et de la solidarité nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylviane Noël

Madame la secrétaire d’État, il me semble que vous ne m’avez pas répondu au sujet des plafonds mordants.

Pour revenir à ma première question, je n’ignore pas l’existence de mécanismes de péréquation ; mais ils se révèlent gravement insuffisants pour l’agence de l’eau dont il s’agit, chargée d’intérêts stratégiques allant bien au-delà de son territoire et concernant l’ensemble de la Nation.

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Je l’ai déjà dit à de nombreuses reprises : nous devons à la fois maîtriser la pression fiscale pesant sur les ménages français et assurer la montée en puissance des financements. Un rapport du sénateur Richard et du député Jerretie, dont je salue la teneur, éclaire d’ailleurs ces réflexions.

Celles-ci doivent être mises en regard d’autres questions, je pense notamment à celle du sénateur Guené. Nous ne pouvons envisager ces réflexions sur la fiscalité que dans le cadre d’une réflexion plus large, incluant la fiscalité des collectivités territoriales. Ce problème ne peut pas être vu que par le prisme des agences de l’eau : notre réflexion doit être beaucoup plus large.

Je n’ai pas souhaité apporter à ces questions une solution clefs en main, que j’aurais conçue seule au sein de mon ministère sans avoir une vision globale avec les différentes collectivités. Cette réflexion sur la fiscalité, nous l’aurons beaucoup plus largement à l’échelle nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylviane Noël

Je ne propose pas de réévaluer les redevances demandées aux particuliers ; je pense plutôt aux crédits que l’État a pris aux agences de l’eau pour financer l’Office français de la biodiversité (OFB).

Cette situation n’est pas normale, et c’est sur ce point qu’il faut intervenir : l’eau doit payer pour l’eau et l’OFB n’est pas concerné par les cotisations des agences de l’eau.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Le stress hydrique est déjà une réalité pour nombre de nos départements. Demain, le réchauffement climatique imposera de mettre en œuvre des solutions novatrices pour y répondre.

Parmi celles qui sont envisagées figure le projet Jourdain, mené par le syndicat départemental Vendée Eau.

Ce projet ambitieux, de 17 millions d’euros sur dix ans, est un programme global de production indirecte d’eau potable à partir d’eaux usées. Après traitement, il serait question non plus de les rejeter à la mer, mais de les réinjecter dans le circuit de l’eau potable à l’issue d’un processus comprenant une unité d’affinage et une zone de transition végétalisée.

Cette expérimentation est une première en Europe. Elle pourrait dégager des ressources en eau considérables. Reproductible, elle peut constituer une réponse pertinente pour de nombreux territoires, en particulier littoraux.

L’agence de l’eau accompagne Vendée Eau pour la première phase du projet, à hauteur de 4 millions d’euros sur les 9 millions engagés à ce jour, mais elle refuse d’envisager un soutien à l’intégralité du projet. Ainsi, la canalisation, la zone végétalisée et les études d’impact indispensables à la réalisation de ce projet ne seraient pas éligibles à une aide, ce qui risque de compromettre l’expérimentation de la démonstration qui doit faire avancer la réglementation, sauf à s’orienter vers un financement privé.

Madame la secrétaire d’État, pouvons-nous raisonnablement confier à des sociétés privées le soin d’offrir une réponse à la ressource en eau, alors qu’un organisme d’État est censé s’y consacrer ? Pouvez-vous enfin vous engager à financer ce projet ?

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Le projet Jourdain, défendu par le syndicat départemental d’eau potable de Vendée, est effectivement très innovant. Nous y accordons le plus grand intérêt.

En effet, avec un tel démonstrateur expérimental permettant de tester et d’évaluer in situ une solution de recyclage indirect des eaux usées traitées, qui offre des perspectives de réutilisation des eaux usées après affinage pour compléter la ressource en eau, nous avons un dispositif permettant de renforcer l’alimentation en eau potable de la population du littoral vendéen. Ce levier est donc extrêmement intéressant.

Ce projet, engagé depuis 2018, a bénéficié d’un accompagnement de l’agence de l’eau Loire-Bretagne, avec un financement de 4, 18 millions d’euros d’aide pour une dépense totale de 8, 69 millions d’euros à ce jour.

La région des Pays de la Loire y a contribué, avec un montant de 1 million d’euros issus du Fonds européen de développement régional (Feder). Le département de Vendée apporte, quant à lui, 1, 7 million d’euros. Ce budget important témoigne de l’ambition que nous avons pour ce projet.

Les prochaines phases, qui concernent la canalisation et les ouvrages associés, la zone de transition et les études et bilans, sont estimées à 13 millions d’euros par le syndicat départemental. Nous sommes donc à la recherche de financements complémentaires dans le cadre d’un tour de table. La vision globale des prochaines étapes du projet doit inclure la démonstration de son caractère reconductible.

L’ensemble de ces priorités justifient bel et bien un financement exceptionnel : l’agence de l’eau étudiera ce projet afin d’évaluer le soutien qui peut encore y être apporté, en complément des partenaires financeurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Madame la secrétaire d’État, ce que je veux, aujourd’hui, c’est une réponse sur la deuxième phase du projet.

Le ministère dit que c’est un bon projet et l’agence de l’eau a participé à sa première phase, mais on ne sait toujours pas comment financer sa deuxième phase.

C’est bien de manifester de l’intérêt, mais il faut désormais apporter des réponses claires au syndicat Vendée Eau. Hier encore, l’agence de l’eau rencontrait le président de ce syndicat, Jacky Dallet, qui n’a toujours pas de réponse à ce stade.

Vous devez donner une réponse claire sur la deuxième phase de travaux. Sinon, le projet ne pourra pas aboutir.

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Je vous confirme l’accord de principe, l’intérêt et le soutien de l’État et du Gouvernement pour ce projet. Toutefois – vous le savez –, la décision appartient au conseil d’administration et à la commission d’intervention de l’agence de l’eau, entre les mains desquels se trouve ce dossier.

Cela étant, le tour de table semble bien parti : de forts investissements ont déjà été consentis et tous les partenaires semblent décidés à soutenir ce projet jusqu’au bout.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de cette réponse. Il semble qu’il y ait tout de même des problèmes de gouvernance, vu le temps que l’on aura mis à aboutir à ce résultat.

Le projet est lancé depuis 2017 ; l’agence de l’eau accepte peut-être de participer à la deuxième phase, mais demande à sectionner les différents travaux, ce qui est impossible.

Essayons d’avoir une gouvernance et des projections claires. Il s’agit d’investissements extrêmement lourds, qui ne doivent pas être supportés par les seuls Vendéens.

M. Yves Détraigne opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Gillé

Madame la secrétaire d’État, les politiques de l’eau ne sont pas toujours visibles et leur mise en œuvre est trop complexe. Peut-on envisager de réformer la gouvernance de l’eau pour la simplifier et l’asseoir sur la confiance avec les collectivités ?

Ce chantier suppose nécessairement de renforcer les partenariats entre les régions et les agences de l’eau, notamment en développant les contrats de plan interrégionaux État-régions (CPIER), un peu en souffrance aujourd’hui.

Surtout, il faut travailler de concert avec les collectivités territoriales, lesquelles doivent pouvoir maîtriser l’organisation des projets de territoire. En vertu de ses pouvoirs régaliens, l’État devra assurer la cohérence des actions menées aux échelles nationale et européenne.

Les comités de bassin et les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) doivent également affirmer leurs prérogatives en matière d’expertise, en y intégrant l’appui aux politiques de prévention et de gestion des inondations.

Dans cette perspective, il serait souhaitable de rapprocher les documents relatifs aux plans de gestion des risques d’inondation (PGRI) et aux schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) pour une cohérence d’action autour d’un cycle global de l’eau.

Enfin, il faut clarifier et affirmer le modèle financier pour accompagner l’ensemble des plans d’action et faciliter les contractualisations.

L’ensemble de ces éléments devraient participer à la mise en œuvre d’une nouvelle loi-cadre sur l’eau visant à simplifier les organisations et à renforcer le rôle des collectivités territoriales, tout particulièrement celui des régions.

Quelle est votre position sur ces différents sujets ?

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Monsieur le sénateur, je vous confirme l’intérêt de cette proposition très technique : le rapprochement des PGRI et des Sdage semble cohérent et pertinent.

Une telle disposition me semble d’ordre législatif. Elle devra donc être soumise au débat parlementaire. La réflexion doit encore être prolongée ; mais elle a du sens, qu’il s’agisse de l’efficacité, de la lisibilité ou de la cohérence de nos dispositifs. Elle mérite de s’inscrire dans la discussion du prochain programme sur six ans.

Je ne vous le cache pas : la gouvernance des agences de l’eau que vous appelez de vos vœux m’a un peu déroutée. En effet, elle me semble correspondre parfaitement à la gouvernance actuelle, ce dont je me félicite.

Votre question invite peut-être à faire preuve d’une plus grande clarté encore au sujet de ce mode de fonctionnement. Les comités de bassin décisionnaires, sur lesquels repose cette gouvernance et auxquels participent tous les élus locaux, à quelque échelon que ce soit, participent de ce modèle tout à fait exceptionnel qu’il nous faut préserver.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Gillé

Madame la secrétaire d’État, je vais préciser ma pensée : je souhaite surtout un approfondissement de la décentralisation.

En effet, l’État est parfois un peu trop présent sur des projets territoriaux et devrait rester dans son rôle régalien. Il faut affirmer le poids des collectivités territoriales, notamment celui des régions, et renforcer le dialogue interrégions. Les CPIER sont encore relativement creux sur ces sujets. Or certains comités de bassin, comme celui de l’Adour-Garonne, s’étendent sur deux régions.

Pourriez-vous nous donner plus de précisions ?

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Ces bassins hydrographiques, qui s’affranchissent des frontières administratives, demandent effectivement un travail particulier de concertation et de décloisonnement des politiques.

Toutefois, ce défi est déjà connu. Nous y faisons face pour certaines aires protégées, comme les parcs nationaux par exemple, qui peuvent être à cheval sur différents départements ou différentes régions.

Ces cas de figure appellent un certain nombre d’innovations. Ils exigent une véritable intelligence des situations locales. Toutefois, les actions mises en œuvre doivent rester à la main des élus des collectivités et donc des territoires.

En parallèle, la vision globale de la politique de l’eau doit demeurer du ressort de l’État. Si le cadre national dans lequel s’inscrivent les PTGE, les Sdage et cette vision même de la ressource doit être conservé, l’adaptation des dispositifs, des besoins et des interventions doit être menée à l’échelle des bassins.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Gillé

Aujourd’hui, les questions ont essentiellement porté sur le financement de la Gemapi et les risques d’inondation.

Vous avez évoqué le fonds Barnier, mais il reste un solde à payer relativement important. Or la contractualisation n’est pas claire aujourd’hui : le manque de lisibilité entre les régions, les départements et les différentes parties prenantes prive les collectivités locales qui se sont emparées de la compétence Gemapi de visibilité financière.

La marge d’incertitude reste forte, parce que les plans de financement ne sont pas suffisamment consolidés à la fois dans le cadre du dialogue interrégional et à l’échelle des collectivités territoriales.

Il faut aller vers un renforcement des compétences des collectivités territoriales, vers une meilleure visibilité pour améliorer l’accompagnement de projets qui peuvent être lourds de conséquences sur le plan financier.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Belrhiti

Madame la secrétaire d’État, j’attire votre attention sur l’une des préoccupations des communes rurales, qui sont nombreuses dans mon département de la Moselle.

Depuis le début de mon mandat, je suis régulièrement interpellée par les maires de petites communes qui éprouvent de plus en plus de difficultés dans leurs rapports avec l’agence de l’eau de notre bassin.

Pour ces collectivités territoriales, la mise aux normes de l’assainissement, imposée par les mêmes agences de l’eau ou par les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), représente des coûts importants.

Vous le savez : les budgets de ces communes sont contraints et la rénovation des réseaux, collectifs ou non collectifs, est particulièrement onéreuse. L’État, à l’instar des départements et des régions, ne les subventionne quasiment pas.

Le programme des agences de 2014 abandonnait le financement du collectif au profit du non-collectif. De nombreuses communes ont alors commandé des études dans l’espoir de bénéficier des subventions des agences. Mais le onzième programme, entré en vigueur en 2019, ne subventionne plus le non-collectif.

Compte tenu du temps nécessaire à la réalisation des études, des délais d’instruction et des fréquents changements des zonages déterminés par les agences, les communes n’ont tout simplement pas pu bénéficier des subventions du dixième programme. Elles sont aujourd’hui confrontées à de graves difficultés et ne trouvent pas de solution.

La rénovation de l’assainissement non collectif représente un véritable casse-tête, car la collectivité n’a souvent pas d’autre choix que d’avancer les sommes pour que les particuliers mettent aux normes leurs systèmes individuels.

Madame la secrétaire d’État, alors que les fonds du plan de relance sont censés favoriser les travaux de mise aux normes environnementales de l’assainissement, les communes rurales ont besoin de savoir si le non-collectif fait partie des priorités de l’État. Dans l’affirmative, comment mobiliser enfin des subventions à leur profit ?

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Mme Bérangère Abba, secrétaire d ’ État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice, je vous rejoins : il est aujourd’hui nécessaire d’apporter une réponse aux exécutifs locaux, qui ont été largement renouvelés et qui font désormais preuve de volontarisme en la matière

Mme Catherine Belrhiti acquiesce .

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Nous devons aider ces communes en grande difficulté à mener à bien des projets locaux d’assainissement qui supposent des budgets tout à fait considérables.

Sur la forme, le Gouvernement n’a pas souhaité poursuivre ces interventions, longtemps financées. Il a fallu faire des choix et nous avons redirigé les capacités d’intervention des agences de l’eau dans le cadre du onzième programme.

À nous d’imaginer d’autres dispositifs. Encore une fois, je n’ai pas de réponse toute faite. Les situations peuvent être très diverses, selon qu’il s’agit d’un projet strictement individuel ou élaboré par un EPCI. Dans ce dernier cas, il faut trouver un montage financier à même de répondre, de manière opérationnelle, à des enjeux un peu plus globaux.

Nous pouvons imaginer des réponses immédiates, via des incitations fiscales par exemple. À moyen terme, la mise en œuvre d’un service unique d’assainissement pourrait offrir une entrée globale, notamment avec un accompagnement en termes d’ingénierie financière.

Le débat est ouvert. Comme vous, j’estime qu’il est grand temps d’apporter des réponses aux collectivités.

M. François Bonhomme s ’ exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Belrhiti

Madame la secrétaire d’État, je vous le confirme, il faut absolument trouver des solutions.

Au fil des années, les prescriptions des agences de l’eau ont connu un certain nombre de revirements, si bien que les communes ne savent plus à quoi s’en tenir. Certaines d’entre elles voudraient aider les particuliers, mais elles ne peuvent pas s’endetter.

Face à ces situations bloquées, un certain nombre de maires reviennent régulièrement vers moi. J’y insiste, il faut rapidement apporter une solution à ces communes.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Cozic

Madame la secrétaire d’État, depuis 2017, les sept agences de l’eau sont devenues, de fait, le bras armé des comités de bassin, qui financent une part de plus en plus importante des politiques environnementales, bien au-delà de leurs compétences propres : Agence française pour la biodiversité (AFB), parcs nationaux et j’en passe.

Plutôt que d’accorder à ces opérateurs des crédits propres, le Gouvernement puise dans le budget des agences de l’eau, lui-même constitué de redevances payées par tous les usagers. Ainsi, les agences de l’eau financent actuellement près de la moitié des politiques de la biodiversité.

Mais cela ne s’arrête pas là : vous avez institué un plafond mordant, autrement dit un seuil, fixé à 2, 1 milliards d’euros en 2019, au-delà duquel les recettes perçues par les agences sont directement reversées au budget de l’État. Or un rapport parlementaire émanant de votre propre majorité dispose que les agences de l’eau ont besoin de 400 millions d’euros supplémentaires par an pour mener à bien leurs missions.

Ledit rapport rappelle que les agences sont des acteurs essentiels de la préservation de l’eau : elles mènent ou financent des actions de dépollution, d’entretien des réseaux et de restauration des rivières. Ce plafond mordant vient donc imposer une règle budgétaire totalement anachronique, qui ne prend pas la mesure des problématiques de notre temps, d’autant que ces dernières ne manquent pas : multiplication des inondations et des sécheresses, raréfaction des ressources en eau, élévation du niveau de la mer en raison du dérèglement climatique, etc.

Ce sont là autant de sujets qui vont nécessiter des actions de grande ampleur.

D’ici à la fin du siècle, les agences de l’eau prévoient une baisse de 10 % à 50 % du débit d’étiage des grands fleuves et de 10 % à 30 % des nappes phréatiques, ce qui entraînera une plus grande concentration des polluants dans les rivières.

En organisant, par le biais du plafond mordant, l’attrition des finances des agences de l’eau, ne nous éloignons-nous pas du modèle décentralisé de gestion de l’eau par les agences et les comités de bassin et, de fait, du principe selon lequel l’eau paye l’eau ?

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Mme Bérangère Abba, secrétaire d ’ État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur, pour moi, l’eau et la biodiversité relèvent d’une seule et même problématique. La gestion de l’eau est l’un des principaux piliers de la biodiversité, dans tous ses aspects.

M. Alain Richard acquiesce .

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Nous devons nous affranchir de ces limites et nous efforcer d’aborder les problèmes de manière globale. Il en va de même des financements : l’effort national, l’effort de tous les Français pour participer au financement de la préservation de l’eau et de la biodiversité doit s’inscrire dans le même esprit de décloisonnement et de solidarité.

En revanche, nous devons donner aux projets locaux la meilleure visibilité possible sur les interventions et les partenariats, notamment au regard des attentes de certaines collectivités. Il faut préciser qui fait quoi, quelles missions sont attribuées aux différents opérateurs, quels financements peuvent être mobilisés et auprès de qui. Nous devons mener ce travail de clarification.

Les recettes qui reviennent au budget de l’État au titre du plafond mordant ne se volatilisent pas : elles ne disparaissent pas dans les poches du Gouvernement. Elles financent d’autres services publics, comme l’hôpital ou l’école, en vertu du principe de solidarité. Les recettes du budget de l’État ne sont pas affectées.

J’y insiste, ces ressources financent d’autres dépenses nécessaires au fonctionnement de notre société. Ce choix n’est pas un coup de rabot : il permet de garantir un équilibre entre les différentes missions régaliennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Sabine Drexler

Madame la secrétaire d’État, la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam) a créé une compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, la Gemapi, attribuée exclusivement aux communes. Le but est d’assurer une approche plus globale, à l’échelle d’un bassin versant, de la qualité de l’eau et de la préservation des zones humides.

La Gemapi a fait apparaître de nouveaux et importants acteurs locaux dans le domaine de l’eau avec la création des syndicats dits « gémapiens » et des établissements publics d’aménagement et de gestion de l’eau (Épage).

Après plusieurs années de mise en œuvre, nous constatons aujourd’hui les limites de la Gemapi, notamment en raison des positionnements ambigus des agences de l’eau à l’égard desdits syndicats et Épage.

Ainsi, l’agence de l’eau Rhin-Meuse continue de subventionner des études et des travaux pour des collectivités non seulement en dehors de leur champ de compétence, mais surtout en contradiction avec les priorités fixées par les syndicats mixtes compétents, ce qui suscite des tensions et fait peser des contraintes sur les autres membres du syndicat.

Après trois années de mise en œuvre de la Gemapi, les acteurs de l’eau estiment qu’il serait temps que ces agences respectent la loi.

Il serait temps aussi que des contrôles soient mis en place, comme l’a préconisé la Cour des comptes en 2015, afin de lutter contre les conflits d’intérêts qui perdurent et de mieux suivre les financements publics et les subventions allouées.

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Madame la sénatrice Drexler, il s’agit d’un cas bien particulier, et j’espère que le différend entre la communauté de communes du pays de Rhin-Brisach et le syndicat mixte des canaux et cours d’eau de la plaine du Rhin demeurera une exception.

L’agence de l’eau a attribué une aide à cette communauté de communes, qui avait candidaté en 2017 à un appel à manifestation d’intérêt pour « renaturer » les anciens bassins de mine de potasse d’Alsace sur une île du Rhin, avant de transférer, en 2019, la compétence Gemapi au syndicat mixte précité, alors même que la communauté de communes ne prétendait pas renoncer totalement à sa maîtrise d’ouvrage sur le projet des îles du Rhin.

Il n’appartient sans doute pas à l’agence de l’eau de trancher un différend entre deux collectivités. L’agence a sollicité des éléments complémentaires auprès de la communauté de communes et du syndicat pour acter du devenir de cette aide, sans suite à ce stade.

Évidemment, l’agence de l’eau ne méconnaît pas la compétence Gemapi exclusive du syndicat mixte sur la plaine du Rhin : à preuve, elle a apporté des aides à son délégataire.

La situation de conflit d’intérêts n’est pas établie, d’autant qu’aucun élu de la communauté de communes n’est membre des instances de l’eau. En tout état de cause, les personnes susceptibles d’être en situation de conflit d’intérêts ne participent ni aux débats ni aux votes.

Le ministère a été particulièrement vigilant au respect des règles de déontologie dans l’attribution de ces aides publiques. À ce titre, les administrateurs des agences de l’eau sont soumis au respect d’une charte de déontologie dont les exigences sont définies par un arrêté ministériel du 5 février 2021.

Debut de section - PermalienPhoto de Sabine Drexler

L’objectif du législateur était de parvenir à une meilleure structuration de l’action publique pour la gestion des milieux aquatiques. Las, par endroits, ce n’est pas encore une réalité.

Afin d’organiser le plus efficacement possible la compétence Gemapi en sécurisant les structures existantes, il vous faudrait lever certaines imprécisions, notamment quant aux limites de compétences et aux responsabilités liées des agences de l’eau.

Il faut qu’enfin les synergies voulues deviennent une réalité dans nos territoires et non une source de blocages et de tensions supplémentaires, comme l’appelle également de ses vœux l’Assemblée des communautés de France.

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Madame la sénatrice, je le répète, nous espérons que cette situation très locale ne se reproduira pas ailleurs.

Toutes vos propositions sont d’ordre législatif : ce débat appartient donc au Parlement. Toutefois, j’observe que, quand le cadre de la Gemapi est respecté, il s’applique relativement bien.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Saury

Pierre angulaire de notre politique nationale de l’eau, la loi de 1964 a institué les six agences que nous connaissons.

Le principe fondateur du financement de ce service public était alors clairement défini : l’eau paye l’eau. Or les élus locaux constatent aujourd’hui que ce principe est plus que jamais menacé. J’en donnerai deux exemples.

Le plus criant concerne les financements nécessaires au renouvellement des réseaux : beaucoup de petites et moyennes communes ne parviennent pas à obtenir les aides suffisantes pour restaurer les réseaux, malgré leur état de vétusté et un rendement alarmant. Doit-on comprendre que ces rénovations indispensables, urgentes, ne sont plus prioritaires pour les agences de l’eau en dépit des nécessités du service public ? Que doivent faire les élus des communes, sans moyens financiers suffisants, confrontés à cette problématique vitale pour leurs administrés ?

Le plus saugrenu tient à la politique de subventions au sein d’un même territoire. Ainsi, deux agences sont opérantes dans le Loiret ; elles correspondent à deux bassins différents et n’ont pas les mêmes priorités : la cohérence de leur soutien est souvent obscure pour les maires, notamment ceux dont les communes sont limitrophes d’un autre bassin.

Madame la secrétaire d’État, comment expliquer au maire d’une petite commune de Beauce que l’agence Loire-Bretagne concentre ses financements sur la prévention et non sur la réduction de la teneur en nitrate de l’eau potable, alors que la France est mise en demeure par la Commission européenne sur ce sujet ? De même, comment expliquer au maire d’une commune du Gâtinais que la gestion des eaux pluviales n’est plus une priorité de l’agence Seine-Normandie ?

Ces situations confinant à l’absurde sont bien connues des maires du Loiret, qui bien entendu les déplorent.

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Monsieur le sénateur, il s’agit à nouveau d’un cas particulier, propre à votre département.

Cela étant, on ne peut exiger une définition des enjeux au plus près des besoins des différents bassins tout en déplorant que les dispositifs déployés ne soient pas homogènes sur tout le territoire.

Les priorités doivent se définir à la fois aux échelles nationale et communautaire, au regard de nos objectifs de bon état de nos eaux, et au plus près du terrain.

Vous regrettez une certaine forme de priorisation de ces aides, ce que je puis entendre. Toutefois, je pense que ces dossiers sont traités au cas par cas et le plus finement possible par les agences de l’eau de votre territoire.

Depuis la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, dite loi Biodiversité, une continuité des différentes politiques de biodiversité est assurée, de la terre à la mer. Nous devons toujours porter un regard global sur nos interventions.

Nous devons aussi savoir prioriser certaines urgences, certains enjeux spécifiques à différents territoires et à différents bassins. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait dans le cadre du plan France Relance : au total, 250 millions d’euros d’investissements ont été déployés par les agences de l’eau. C’est dire l’importance des besoins ; c’est dire aussi la maturité des acteurs locaux pour mettre en œuvre ces solutions.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Saury

Madame la secrétaire d’État, je refuse de croire que l’urgence écologique, par ailleurs évidente, est le véritable motif de l’abandon des priorités initiales.

Tout au contraire, cette urgence nous oblige à revenir au plus vite au principe fondateur de notre politique de contribution : tout l’argent qui provient de l’eau, via les redevances, bénéficie à l’eau par le financement et l’entretien des équipements. Aujourd’hui, pouvez-vous encore affirmer que l’eau paye l’eau ?

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Je l’ai déjà souligné au cours de ce débat : pour moi, l’eau et la biodiversité ne sont qu’un seul et même problème.

On pourrait porter un regard plus général, mais je ne voudrais pas défrayer la chronique en annonçant qu’il me semblerait nécessaire de fusionner, à terme, l’Ademe, l’Office français de la biodiversité et les agences de l’eau – c’est ambitieux !

Cela étant, les politiques de biodiversité incluent clairement les politiques de l’eau. Le changement climatique et l’érosion de la biodiversité sont des problématiques intimement liées. De même, du fait du continuum terre-mer, les petits et grands cycles ne sont pas si indépendants que cela : nous devons développer une vision globale de toutes ces questions.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Saury

Madame la secrétaire d’État, j’ai soulevé deux points qui me semblent majeurs.

Le premier a trait à la nécessité d’aider davantage les communes, notamment via les agences de l’eau, pour la rénovation de leurs réseaux d’eau potable, qui sont parfois vétustes.

Le second est relatif à la disparité des politiques d’aide, alors même que certains départements relèvent de plusieurs bassins et donc de plusieurs agences. Cette situation rend à la fois illisible et inéquitable l’action des agences et, plus généralement, la politique de l’eau.

Je vous interpelle, car il s’agit d’un enjeu majeur pour nos élus locaux. Je ne suis pas certain que vous ayez pris la pleine mesure de l’urgence et de la difficulté de leur situation. Garantir l’usage économe d’une eau potable de bonne qualité, à un coût raisonnable, est peut-être le premier des combats écologiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Duplomb

Madame la secrétaire d’État, le projet de Sdage de l’agence Loire-Bretagne 2022-2027 est en cours d’élaboration dans un contexte de tensions plus que palpables.

Lors d’un premier scrutin, en octobre 2021, 49 % des voix y étaient favorables, malgré 32 % de votes blancs. Ce résultat, selon moi, ne confère pas au projet une légitimité suffisante pour entrer en application. À titre de comparaison, le Sdage d’Adour-Garonne a été adopté à 72 %.

Le collège des industriels du comité de bassin m’a fait part des différents points de blocage, dont la préfète de bassin a été informée et que je vous ai moi-même indiqués par courrier.

Ces industriels pointent du doigt un manque de concertation, dont je m’étais ouvert dans la lettre que je vous ai adressée le 4 février 2021 : les règles de démocratie n’ont pas été véritablement appliquées au sein de l’agence.

Ils dénoncent également le caractère excessivement prescriptif du Sdage, qui introduit un rapport de conformité et non de compatibilité, les nombreux biais méthodologiques dont souffre la rédaction de ce projet – la méthodologie utilisée est contestable et entachée de plusieurs erreurs substantielles –, la non-prise en compte des enjeux socio-économiques du territoire, le manque de cohérence et de lisibilité du projet, la vision dogmatique du changement climatique, sous le seul angle de la pénurie d’eau, et l’absence de possibilités de stockage ou de création de ressources.

L’agence Loire-Bretagne intervient sur le bassin hydrographique de l’Allier, qui est l’un des principaux affluents de la Loire. Le barrage de Naussac permet de stocker 360 millions de litres d’eau, mais l’étiage de l’Allier est souvent arrêté de manière arbitraire, si bien que l’on n’utilise pas plus de la moitié de ces capacités.

Au regard des éléments que m’ont transmis les industriels et du manque de cohérence et de concertation, je vous demande, comme je l’ai déjà fait par courrier, de reporter l’élaboration du Sdage Loire-Bretagne d’au moins six mois : il faut revoir la copie et permettre à tout le monde d’être entendu pour parvenir enfin à une vraie solution concertée et mettre en place ce Sdage dans les meilleures conditions.

Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Bérangère Abba

Monsieur le sénateur Duplomb, cette situation particulière de tension ne nous a évidemment pas échappé.

Les rapports entre l’amont et l’aval entraînent beaucoup de crispations au titre de la redéfinition du Sdage du bassin Loire-Bretagne. La préfète de bassin est pleinement impliquée dans cette concertation, qui est à l’œuvre et doit durer encore deux mois. En effet, les nouveaux contours du Sdage doivent être arrêtés d’ici au mois de mars prochain.

Ces questions trouvent un écho dans les réflexions que nous menons dans le cadre du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, dans la mesure où la tension sur les ressources concerne particulièrement les agriculteurs du bassin Loire-Bretagne.

Par ailleurs, je vous confirme le lancement d’une mission, que j’ai souhaitée, dédiée à la mobilisation des barrages hydroélectriques pour un soutien à l’étiage. Cette mission a été confiée au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et au Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER). Elle devra nous éclairer sur l’intuition que vous partagez avec d’autres, à savoir qu’il serait possible d’affiner ces volumes pour répondre ponctuellement aux situations de tension.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

En conclusion du débat, la parole est à M. Mathieu Darnaud, pour le groupe auteur de la demande.

Debut de section - PermalienPhoto de Mathieu Darnaud

Madame la secrétaire d’État, permettez-moi de résumer en quelques mots les messages que vous ont adressés l’ensemble de nos collègues.

Aujourd’hui, l’on ponctionne toujours davantage les recettes des agences de l’eau, notamment au titre des plafonds mordants, alors que leurs missions ne cessent de s’étendre et de se diversifier.

Certains orateurs vous ont d’ailleurs fait remarquer qu’au-delà des enjeux abordés certains sujets ne sont pas pris en compte. Je pense notamment à l’assainissement collectif et au ruissellement, question qui, en tant qu’élu ardéchois, me soucie tout particulièrement.

Si nous sommes ravis que le Gouvernement comprenne nos inquiétudes, nous aurions aimé qu’il se saisisse plus avant de ces problèmes, qui préoccupent nombre d’élus ruraux.

Pour toutes ces raisons – vous le comprendrez –, nous ne sommes pas pleinement rassurés.

Surtout, ce qui nous inquiète, c’est l’une des conclusions de l’excellent rapport de notre collègue Rémy Pointereau. En effet, un constat s’impose : l’eau ne paye plus l’eau. Or c’était là un point d’équilibre essentiel. Pis – M. Pointereau le souligne dans ce même rapport –, l’eau paye l’État.

Notre inquiétude va donc grandissant, à mesure que les nuages s’amoncellent devant nous. Je pense en particulier au changement climatique, auquel de nombreux orateurs ont fait référence, et à la gestion, de plus en plus problématique, de la ressource en eau dans nos territoires.

Selon moi, il est temps d’envoyer un véritable signal d’alerte quant aux pistes de financement – sur ce point non plus vous ne nous avez pas complètement rassurés.

Tôt ou tard, il faudra bien entrer dans le vif du sujet ! Disons-le très clairement : nous restons sur notre faim. Non seulement les ressources des agences de l’eau se tarissent – sans mauvais jeu de mots –, mais l’État, notamment via la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), ne cesse d’aggraver cette situation budgétaire et donc le défaut d’accompagnement desdites agences.

Enfin, à quelques heures de la commission mixte paritaire dédiée au projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, ou projet de loi 3DS, nous aurions été en droit d’attendre une prise en compte de la nécessaire agilité revendiquée par l’ensemble des élus locaux du territoire. Or il n’en est rien !

À cet égard, permettez-moi de revenir sur un sujet qui préoccupe le Sénat et sur lequel nous nous sommes particulièrement investis. Je veux parler de la compétence « eau et assainissement ». J’y insiste, nous espérions qu’une grande agilité serait offerte aux élus des territoires.

M. Laurent Burgoa acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Mathieu Darnaud

La vérité, c’est que les bassins hydrographiques commandent aux hommes. Nous avons donc besoin de disposer de l’agilité permettant de préfigurer les futures gouvernances de l’eau dans nos territoires.

Nul besoin de tout voir au prisme des intercommunalités : faisons également confiance aux syndicats, qui ont souvent une gouvernance un peu plus souple.

Au-delà du travail des agences de l’eau, des ressources complémentaires dont nous avons besoin et que nous appelons de nos vœux, il faudra bien que les collectivités prennent à bras-le-corps les problématiques des ressources en eau. Pour ce faire, il faut s’organiser à l’échelle des bassins versants en laissant aux acteurs la plus grande souplesse pour être au rendez-vous des enjeux qui sont devant nous.

Je le dis avec insistance, car nous avons parfois le sentiment d’être enfermés dans une logique trop technocratique. La question de la gouvernance, évoquée par plusieurs de mes collègues, n’a reçu aucune réponse à ce jour. Dans les territoires, les élus attendent plus de réactivité.

Madame la secrétaire d’État, vous l’aurez compris : nous espérons des réponses très concrètes, qu’il s’agisse de l’évolution de la gouvernance ou des ressources nécessaires face au changement climatique.

Comme le disait mon collègue Rémy Pointereau en préambule, l’eau, c’est la vie, et il y va de l’avenir de nos territoires !

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Nous en avons terminé avec le débat sur les agences de l’eau.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures vingt-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de leurs conditions d’accueil sur le territoire français (projet n° 178, texte de la commission n° 341, rapport n° 340).

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Je vous informe que les candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions de ce projet de loi restant en discussion ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Debut de section - Permalien
Geneviève Darrieussecq

Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l’histoire des harkis, c’est l’histoire de France. L’histoire des harkis, c’est l’histoire d’une loyauté française et d’une fidélité déçue.

Cette histoire, nous la regardons en face, avec ses ombres et ses lumières, avec la vérité comme exigence et la clarté comme guide.

Tel est l’objet et le sens du discours du Président de la République prononcé le 20 septembre dernier. À cette occasion, le chef de l’État a prolongé le chemin de la reconnaissance ouvert par Jacques Chirac et suivi par tous ses successeurs depuis lors. Il a renouvelé la reconnaissance des manquements de la France et a rappelé la singularité de cette tragédie française.

Il a souhaité aller plus loin – plus loin dans la reconnaissance, plus loin dans la réparation, plus loin dans la transmission mémorielle –, en annonçant l’inscription dans le marbre de nos lois de la reconnaissance et de la réparation à l’égard des harkis.

Ce projet de loi en est la traduction et l’expression. Il est à la fois important et grave, pour les harkis et leurs enfants, pour toutes les générations d’hommes et de femmes ayant subi la guerre d’Algérie, pour la mémoire nationale.

C’est peu dire que nos discussions de ce jour sont attendues par les harkis, leurs associations, leurs enfants et leurs ayants droit. Nous savons, nous entendons les espérances et la soif de reconnaissance. L’examen en commission l’a très justement rappelé ; à ce titre, je tiens à saluer le travail mené par Mme la rapporteure et les membres de la commission.

Ces attentes, nous les avons entendues tout au long du mandat. Je les ai entendues dans les instances de consultation du monde combattant, lors de l’élaboration du rapport Ceaux, que j’ai demandé dès l’automne 2017, au cours de mes déplacements et lors de chaque cérémonie.

Ce projet de loi s’inscrit dans le temps du pardon, ouvert par le chef de l’État. Il est celui de la reconnaissance par la Nation d’une profonde déchirure et d’une tragédie française, d’une page sombre de notre histoire.

La France a tourné le dos à des combattants valeureux

M. Yves Détraigne acquiesce .

Debut de section - Permalien
Geneviève Darrieussecq

Par ce texte, la France leur renouvelle sa gratitude ; car l’histoire des harkis est avant tout une histoire de soldats, d’hommes et de femmes servant sous le drapeau français.

L’histoire des harkis, c’est aussi celle d’une tragédie : celle de femmes, d’hommes et d’enfants abandonnés sur leur terre natale ; celle de femmes, d’hommes et d’enfants rapatriés en métropole, déracinés et, pour certains, relégués. Pour toutes et tous, le 19 mars 1962, les accords d’Évian et l’application du cessez-le-feu ont été un tournant.

Nous le savons : la vérité est cruelle. La France a tergiversé pour ouvrir ses portes aux harkis et à leurs familles. Pour ceux qui parvinrent à atteindre les rives du sud de la France, ce fut le début du déchirement et d’un douloureux exil, d’un temps d’incompréhension et d’incertitude. Ils attendaient l’hospitalité et la fraternité : ils ont souvent trouvé l’hostilité, voire l’arbitraire. Pour beaucoup, l’arrivée sur le sol métropolitain marqua le début des meurtrissures et de la marginalisation.

Environ 90 000 harkis, avec leurs proches, leurs enfants, ainsi qu’un certain nombre de veuves, sont arrivés en France après le 19 mars 1962. Près de la moitié d’entre eux a été reléguée, parfois durant des années, dans des camps et des hameaux de forestage. Vous le savez : ils y ont vécu dans des conditions de vie indignes.

C’était en France ; c’était hier. Dans ces lieux, les harkis et leurs familles ont connu l’arbitraire, les barbelés, l’enfermement, le froid, les carences alimentaires, la promiscuité et l’absence d’intimité. Ils ont subi les brimades, les humiliations, les abus et les détournements de prestations ; autant de maux, autant de traumatismes.

Je le rappelle, plusieurs milliers d’enfants ont été déscolarisés, mal accueillis et mal instruits. La France n’a pas été au rendez-vous de la plus belle des promesses républicaines, celle de l’école et de l’instruction.

Ces lieux de bannissement ont meurtri, traumatisé et, parfois, tué. Cette situation, qui a duré, a été à juste titre ressentie et vécue comme une trahison.

Conscient de ces souffrances et de leurs conséquences, notre pays, depuis plusieurs décennies et sous plusieurs gouvernements, a été aux côtés des harkis sur la voie de la justice et de la réparation. À cette fin, l’État a mis en place des dispositifs spécifiques. Il continue à les actualiser et poursuit le travail de mémoire.

Toutes ces actions de mémoire, toutes ces mesures de réparation, nous les avons intensifiées depuis 2017.

Conformément aux conclusions du rapport Ceaux, nous avons créé un dispositif de soutien pour la deuxième génération, pour les enfants de harkis ayant vécu dans les camps et hameaux de forestage. Nous aidons un nombre sans cesse croissant d’enfants de harkis à faire face à des dépenses d’insertion, de santé ou de logement.

Pour les harkis combattants, nous avons mis en œuvre, ces dernières années, la plus forte augmentation jamais décidée des allocations de reconnaissance et des allocations viagères. Le 1er janvier dernier, nous avons encore franchi une nouvelle étape avec le doublement de ces allocations, qui sont passées de 4 200 euros à près de 8 400 euros annuels par combattant ou par veuve. C’est un message clair ; c’est la preuve tangible de la reconnaissance de la Nation envers ces combattants.

Mesdames, messieurs les sénateurs, par ce projet de loi, la République renouvelle la reconnaissance de ses manquements et couronne l’édifice de réparation.

L’article 1er réaffirme la gratitude de la Nation à l’égard de tous les combattants qui ont servi la France entre 1954 et 1962. De plus, pour la première fois, la nation française reconnaît sa responsabilité dans les conditions indignes, précaires et attentatoires aux libertés pour l’accueil sur notre territoire de certains harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives, accompagnés de leurs familles.

Nous ancrons dans la loi la journée nationale du 25 septembre et nous l’enrichissons d’un hommage aux compatriotes, aux officiers, aux particuliers et aux maires qui ont accompagné des harkis dans leur nouvelle vie sur les plans moral et matériel, pour les accueillir et les aider à s’intégrer. Ces femmes et ces hommes ont fait honneur à la France. Je me réjouis que nous trouvions les moyens de leur témoigner l’estime et la reconnaissance de la Nation.

Ensuite, ce projet de loi précise le périmètre de la réparation des préjudices subis. Sont éligibles au dispositif les harkis et leurs familles ayant séjourné dans des lieux, principalement des camps et hameaux de forestage, qui, du fait de la précarité, de l’enfermement, de la privation de liberté et de l’isolement, contrevenaient à nos principes républicains fondamentaux.

La réparation prend la forme d’une indemnisation forfaitaire et individualisée selon la durée du séjour dans les structures concernées. Les mesures de réparation accordées bénéficieront de règles d’exonération fiscale.

Le texte instaure une commission nationale de reconnaissance et de réparation. Cette instance sera chargée de statuer sur les demandes de réparation après instruction par les services de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG). Parce que le travail de mémoire est essentiel, la commission mènera également une mission mémorielle pour recueillir, conserver et transmettre la mémoire des harkis.

Enfin, ce projet de loi actualise les dispositifs préexistants et les renforce pour davantage d’équité. Il rend plus favorable le régime d’allocations viagères en supprimant les forclusions. Une telle disposition permet de rouvrir l’octroi de cette allocation aux conjoints survivants qui n’avaient pas présenté de demande dans le délai légal.

Parallèlement, l’accès à l’allocation viagère est étendu aux personnes dont les conjoints décédés ont fixé leur domicile dans un pays de l’Union européenne et par la loi aux veuves des personnes « assimilées » aux membres des formations supplétives.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il n’est pas de meilleure reconnaissance que la connaissance. La transmission est donc essentielle et même prioritaire.

L’histoire des harkis est trop méconnue des Français. Nous devons la faire connaître et favoriser son enseignement ; nous devons renforcer le travail mémoriel.

Le souvenir des harkis est désormais rappelé sur les sites où ils ont vécu. Nous avons œuvré pour reconnaître les mémoires les plus douloureuses ; je pense particulièrement au travail accompli autour des cimetières. La maison d’histoire et de mémoire d’Ongles, seul lieu de mémoire uniquement dédié à l’histoire des harkis, est soutenue par le ministère des armées.

De même, un important travail d’archives et de collecte des témoignages a été déployé. Les expositions réalisées par l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre sont à la disposition de tous. Elles sont au cœur des actions menées dans les établissements scolaires. Bien sûr, les recueils mémoriels de la commission seront déterminants pour amplifier la transmission.

Je connais l’attachement de la Haute Assemblée au monde combattant et son intérêt fort pour les enjeux de transmission, de reconnaissance et de réparation. Ainsi, ce projet de loi vous offre toute latitude pour renouveler l’hommage aux harkis, acter la reconnaissance de l’accueil indigne, ouvrir un nouveau chemin de la réparation et déterminer les conditions y ouvrant droit. Nous sommes ensemble sur ce chemin.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre Richer

« Aux combattants, à ces hommes, à ces femmes, j’exprime la reconnaissance de la Nation. C’est pour la France une question de dignité et de fidélité. La République ne laissera pas l’injure raviver les douleurs du passé. Elle ne laissera pas l’abandon s’ajouter au sacrifice. Elle ne laissera pas l’oubli recouvrir la mort et la souffrance. » Par ces mots prononcés le 25 septembre 2001, le Président Jacques Chirac reconnaissait la responsabilité de la Nation dans l’abandon des harkis et des autres supplétifs qui avaient fait le choix de la France, au péril de leur vie.

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’engagement des harkis, leur abandon, les traumatismes et les difficultés qu’ils ont subis, j’en ai reçu le témoignage en entendant, pour l’examen de ce projet de loi, des harkis et des membres de leurs familles. Leur parole est poignante, bouleversante, et leur histoire est celle de la France.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre Richer

Aux côtés de l’armée, la France a pu compter sur l’engagement de milliers de supplétifs d’origine algérienne : harkis, moghaznis, auxiliaires de la gendarmerie, groupes d’autodéfense, groupes mobiles de police rurale. S’y ajoutent plusieurs catégories de personnes assimilées aux membres des formations supplétives, à l’instar des agents de renseignements, des gardes champêtres ou des auxiliaires médico-sociaux des armées.

À la fin de la guerre, le plan général de rapatriement du Gouvernement ne permet de rapatrier qu’une partie des anciens supplétifs, accompagnés de leur famille, dont la sécurité était menacée en Algérie. Nombre de ceux qui sont restés en Algérie, abandonnés, livrés à leur sort, considérés comme des traîtres, sont alors victimes d’exactions indescriptibles et assassinés malgré les engagements du Front de libération nationale (FLN).

Sur les 82 000 rapatriés d’origine algérienne qui sont arrivés en France, 42 000 anciens supplétifs et membres de leurs familles ont été accueillis dans des camps de transit et de reclassement, ainsi que dans des hameaux de forestage, où ils ont été engagés sur des chantiers d’aménagement de zones forestières.

Les résidents de ces structures administrées par l’État ont subi des conditions de vie indignes et précaires : promiscuité, difficultés d’accès à la nourriture, brimades, humiliations, privations, déscolarisation des enfants, restrictions de circulation.

Dans ces camps, le quotidien des harkis et de leurs familles est fait de souffrances et de traumatismes durables. Sous la responsabilité de l’État, ces structures, auxquelles il est difficile d’accoler le mot d’accueil, imposent des conditions de vie contraires aux lois et aux valeurs de la République.

Après une révolte menée par les enfants de harkis, la fermeture administrative des derniers camps est décidée en conseil des ministres le 6 août 1975. Toutefois, nombre de familles de harkis y sont demeurées pendant plusieurs décennies, parfois jusqu’à aujourd’hui, notamment au camp de Bias.

Mme la ministre déléguée manifeste son désaccord.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre Richer

On ne peut le nier : depuis lors, de nombreuses mesures d’aide, de reconnaissance et d’indemnisation ont été déployées pour les anciens supplétifs et leurs ayants droit. Aides sociales à la réinstallation, indemnisation des biens perdus en Algérie, mesures de désendettement, aides au logement, possibilité de rachat de trimestres de retraite pour les enfants ayant séjourné dans les camps, emplois réservés dans l’administration : tous ces dispositifs ont bénéficié à des milliers d’anciens harkis et à leurs familles, en complément de l’aide sociale de droit commun.

En parallèle, le devoir de reconnaissance et de mémoire envers les harkis s’est traduit depuis 2001 dans la parole présidentielle. Les Présidents Chirac, Sarkozy et Hollande ont successivement rendu hommage à l’engagement des harkis et reconnu que la République les avait abandonnés. Le 20 septembre dernier, le Président Macron a réaffirmé cette reconnaissance envers les harkis, en leur présentant, au nom de la Nation, une demande de pardon et en annonçant des mesures de reconnaissance et de réparation qui trouvent leur traduction dans le projet de loi que nous examinons aujourd’hui.

La reconnaissance de la Nation, exprimée à l’article 1er, recouvre deux aspects.

D’une part, cet article réaffirme la reconnaissance de la Nation envers l’ensemble des supplétifs qui ont servi la France en Algérie et qu’elle a abandonnés. Cette reconnaissance avait déjà été exprimée par la loi en 1994 et en 2005. Elle est complétée à l’article 1er bis par l’inscription dans la loi de la journée nationale d’hommage aux harkis, fixée au 25 septembre.

D’autre part, l’article 1er reconnaît la responsabilité de l’État du fait de l’indignité des conditions d’accueil et de vie sur son territoire qui ont été réservées aux anciens supplétifs et à leurs familles hébergés dans des structures fermées où ils ont subi des conditions de vie précaires et des atteintes aux libertés individuelles, à savoir les camps de transit et les hameaux de forestage.

Tirant la conséquence de cette responsabilité de l’État, l’article 2 institue un mécanisme de réparation financière en faveur des rapatriés ayant transité par un camp ou un hameau entre la publication des accords d’Évian, le 20 mars 1962, et la fin de l’année de la fermeture administrative des camps et des hameaux, le 31 décembre 1975. Pourront bénéficier de cette réparation les anciens supplétifs et les membres de leurs familles ayant séjourné dans l’une de ces structures entre 1962 et 1975. Seule la preuve du séjour sera à apporter par les demandeurs, le préjudice qu’ils ont subi dans ces structures étant présumé.

Une somme forfaitaire, versée selon un barème fixé par décret, tiendra lieu de réparation. Le montant maximal devrait ainsi s’élever à 15 000 euros pour un séjour de 1962 à 1975, soit la somme au paiement de laquelle l’État a été condamné par le Conseil d’État en 2018 pour un séjour d’une durée comparable.

La liste des structures concernées, fixée par décret, devrait être identique à celle des camps et hameaux retenus dans le cadre du fonds de solidarité envers les enfants de harkis créé à la fin de l’année 2018. La commission a précisé à l’article 1er qu’étaient concernées des structures de toute nature, afin que certaines prisons reconverties en lieux d’accueil pour rapatriés puissent également être comprises dans la liste des structures retenues.

Le champ de la réparation prévue par le texte n’inclut pas les 40 000 rapatriés d’origine algérienne n’ayant pas séjourné dans ces structures, mais dans des cités urbaines, où les conditions de vie étaient également précaires, mais moins attentatoires aux libertés et droits fondamentaux. En effet, ces cités n’étaient pas soumises à un régime administratif dérogatoire du droit commun, contrairement aux structures fermées. On ne peut donc pas imputer à l’État la même responsabilité que celle qui est reconnue pour son administration des camps. Une telle extension créerait en outre une rupture d’égalité envers les autres personnes ayant séjourné dans ces cités au cours de la même période.

Pour autant, une part importante des rapatriés ayant séjourné dans ces cités y ont été orientés après un passage en camp et pourront, à ce titre, bénéficier du droit à réparation.

Les demandes de réparation seront soumises à une commission de reconnaissance et de réparation, créée par l’article 3, qui aura également la charge de recueillir et de transmettre la mémoire des harkis. L’histoire de ces citoyens français, la tragédie qu’ils ont vécue, la souffrance de leurs enfants et la douleur de leurs petits-enfants doivent être connues de tous.

S’appuyant sur les services de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre pour l’instruction des dossiers, cette commission aura un rôle majeur, ce qui explique aussi la méfiance, voire les suspicions, qu’elle suscite. Sa création montre également que rien n’est figé. C’est la raison pour laquelle la commission des affaires sociales a souhaité renforcer les garanties de son indépendance.

Enfin, l’article 7, très attendu par la population harkie, lève plusieurs délais de forclusion applicables à l’allocation viagère, servie depuis 2016 aux conjoints et ex-conjoints survivants d’anciens supplétifs ayant fixé leur domicile en France. La commission vous proposera, en accord avec le Gouvernement, d’étendre de quatre ans à six ans la période au titre de laquelle les veuves des anciens harkis pourront solliciter le bénéfice des arrérages de l’allocation viagère. §Je remercie Mme la ministre d’avoir accepté notre demande, qui permettra la récupération des montants de l’allocation depuis sa date de création.

Au total, si le texte qui nous est soumis comporte des avancées importantes pour améliorer la reconnaissance et la réparation envers les anciens supplétifs et les membres de leurs familles, ce projet de loi garde un goût d’inachevé.

D’une part, je comprends parfaitement ceux qui considèrent qu’une somme de 15 000 euros n’est pas à la hauteur des souffrances endurées. Aucun montant ne permettrait de réparer intégralement un tel préjudice.

D’autre part, le texte porte à titre principal sur un préjudice bien spécifique, subi par une partie des harkis et de leurs familles. Dès lors, il donne à certains le sentiment que la reconnaissance ainsi proclamée n’est pas la reconnaissance due à l’ensemble des harkis. Le texte ne parvient donc pas pleinement à apaiser et à réunir la communauté harkie. « La douleur est énorme et si irrépressible qu’il est impossible de la combler » : tels sont les mots de l’historien Gilles Manceron, que j’ai auditionné ; je souscris pleinement à ces propos.

C’est la raison pour laquelle la commission a considéré que, s’il contenait des avancées, ce projet de loi ne pouvait en aucun cas constituer un « solde de tout compte ». Notre discussion permettra – je le crois – de préciser que la réflexion doit se poursuivre sur l’opportunité d’instaurer de nouvelles mesures de reconnaissance et de réparation envers les harkis.

La commission estime donc qu’adopter ce projet de loi permet de réaffirmer la reconnaissance de la Nation envers les harkis et de prévoir la réparation du préjudice subi par bon nombre d’entre eux. Sur ce long chemin de mémoire et de réconciliation, il porte reconnaissance d’une partie – je dis bien une partie – de la dette d’honneur que la France doit à ces citoyens français.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et RDPI. – Mmes Colette Mélot et Émilienne Poumirol ainsi que M. Jean-Pierre Sueur applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Je tiens à rappeler aux personnes présentes en tribune qu’elles ne doivent pas émettre d’observations pendant les débats.

La parole est à M. Daniel Chasseing.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Chasseing

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il y a bientôt soixante ans, après huit années d’affrontement, la guerre d’Algérie prenait fin. Ce conflit terrible a fait des centaines de milliers de morts, dont 25 000 soldats français.

La présence française en Algérie remontait à plus d’un siècle et les destins de nos populations s’étaient mêlés. La lutte qui a conduit à l’indépendance de notre ancienne colonie a revêtu une dimension de guerre civile, charriant les atrocités inhérentes à ces conflits particulièrement cruels.

Des Algériens avaient pris fait et cause pour la France : les harkis, les moghaznis et autres supplétifs. Au péril de leur vie, tout comme les soldats de métropole, mais sans bénéficier du même statut que ces forces régulières, ils ont servi notre pays.

Pour eux, la souffrance, ne s’est, hélas ! pas arrêtée avec la fin des combats. Une fois le cessez-le-feu signé le 19 mars 1962, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont été torturées et assassinées en Algérie. Je veux rendre hommage à la mémoire de ceux qui ont servi la France et qui ont payé cet engagement de leur vie et de celles des membres de leur famille. Nous ne devons pas les oublier.

Parmi les 82 000 personnes qui ont pu être rapatriées, certaines ont connu un sort douloureux. Elles ont été accueillies dans des conditions indignes. Mme la ministre et Mme la rapporteure l’ont rappelé : on les a envoyées dans des camps d’internement, des hameaux de forestage ou encore des prisons reconverties pour la circonstance.

La France les a abandonnées. Elle n’a pas traité ceux qui se sont battus pour elle comme ses enfants. Ainsi a-t-elle manqué à son devoir.

Le Gouvernement soumet aujourd’hui à notre examen un projet de loi dont l’objet est double.

Il s’agit tout d’abord d’inscrire dans la loi la reconnaissance de la Nation envers ceux qui ont servi la France et d’admettre que les personnes accueillies dans des conditions indignes ont subi un préjudice.

Cette reconnaissance s’inscrit dans la lignée des déclarations que les Présidents de la République successifs ont pu faire. Elle n’en est pas moins importante, qu’il s’agisse des personnes concernées ou de notre travail de mémoire.

Il s’agit, ensuite, d’entreprendre la réparation du préjudice subi par ces populations, tâche délicate s’il en est, car la douleur et le temps perdu se convertissent mal en sommes d’argent. Les réparations sont par essence imparfaites : elles n’ont pas le pouvoir d’effacer la souffrance.

Les montants prévus ne satisferont bien sûr pas tout le monde. Ils ont néanmoins le mérite d’exister. Non seulement ils ne nous semblent pas dérisoires, mais ils seront exonérés d’impôts et de contributions sociales.

Le dispositif prévu par le Gouvernement présente en outre l’avantage de la simplicité. L’indemnisation sera fonction du temps passé dans l’une des structures indignes qui furent destinées à les accueillir, et le préjudice sera présumé. Cette dernière disposition dispensera les quelque 50 000 bénéficiaires potentiels de démontrer la réalité et l’étendue d’un dommage subi voilà maintenant un demi-siècle.

Ce projet de loi modifie également les modalités d’attribution de l’allocation viagère afin que les quelque 200 personnes qui doivent encore en bénéficier soient en mesure d’y prétendre.

Il s’agit là de mesures de justice dont nous nous réjouissons.

Par ailleurs, nous nous félicitons qu’une commission nationale indépendante soit constituée au sein de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre. Elle aura pour mission spécifique de s’assurer que les démarches engagées sur le fondement de ce texte aboutissent. Elle aura aussi pour mission de contribuer à faire évoluer, le cas échéant, la liste des structures d’accueil au sein desquelles un séjour ouvre droit à indemnisation.

Il est important de regarder le passé en face. C’est la grandeur de la République française que de reconnaître les erreurs qu’elle a pu commettre et de tenter de les réparer. Tous les États ne font pas preuve de la même hauteur de vue.

Nous tenons à saluer notre rapporteure, Marie-Pierre Richer, qui a accompli un excellent travail. Les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront ce projet de loi, tel qu’il a été modifié en commission des affaires sociales.

Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat.

Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Bonfanti-Dossat

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier notre collègue Marie-Pierre Richer, rapporteure de ce texte, pour le travail appliqué et consciencieux qu’elle a mené.

Comment ne pas penser, en cet instant, à ces hommes et à ces femmes qui, nous écoutant, attendent et espèrent ? Ils n’ont rien oublié de ces heures où l’indépendance de l’Algérie a soudain fait basculer plus d’un siècle d’histoire.

S’agissant de moments troubles à propos desquels aucun manichéisme n’est de mise et d’une mémoire officielle et collective qu’aucun oubli ne doit entacher, il faut dire la responsabilité de la France dans ce qui fut un drame français.

Ne rien oublier, c’est se souvenir que les harkis ont toujours cru en la France, s’acquittant de leur devoir envers elle dans les crises et les guerres. Des bords de la Marne au Mont-Cassin, le sang versé par les Algériens a souvent contribué à la destinée de notre pays.

Ne rien oublier, c’est rappeler le courage qu’il fallut aux harkis pour faire ce choix au moment de l’indépendance de l’Algérie : le choix de la France.

Ne rien oublier, enfin et surtout, c’est prendre conscience des conditions difficiles et même dramatiques dans lesquelles arrivèrent un million de femmes, d’enfants et d’hommes, contraints à un exil forcé, douloureux et sans retour. Loin d’un accueil heureux sur le sol métropolitain, c’est bel et bien, malheureusement, d’un exil long et triste de la terre d’Algérie qu’il fut avant tout question.

La France, alors, aurait pu aider les arrivants en soulageant les vicissitudes d’une installation déjà difficile. En tant que parlementaire de Lot-et-Garonne, département au cœur duquel se trouve le camp de Bias, je peux aisément vous dire combien ces lieux d’infortune furent précaires, honteux et misérables. Quel contraste terrible entre ce confinement au long cours et le prétendu confort moderne des Trente Glorieuses !

Dans les deux chambres, l’examen de ce projet de loi a donné lieu à nombre de travaux, débats, auditions et échanges, et aujourd’hui nous nous accordons sur un point : il s’agit là pour la France d’une question d’honneur.

Malgré le temps passé, réparons les erreurs commises ; les harkis ont longtemps attendu une politique publique à la hauteur de ce qu’exigeait, notamment, leur insertion dans notre société métropolitaine.

Certes, la France a mis en place des régimes d’indemnisation ; elle a aidé les veuves des anciens combattants et contribué à l’essor professionnel des enfants de harkis. Mais que l’on considère la force du symbole ou que l’on évalue de façon réaliste le montant de la juste rétribution financière, le compte n’y est pas. La République ne peut s’en satisfaire !

Au fond, mes chers collègues, donner plus à ceux qui ont moins pour compenser le déterminisme social et économique, n’est-ce pas, précisément, être fidèle à l’idéal républicain ?

C’est la raison pour laquelle j’estime que ce texte a le mérite d’exister : il constitue une pièce importante de cette œuvre de réparation. Je regrette néanmoins qu’il s’adresse aux seuls occupants des camps, comme celui de Bias, ou des hameaux de forestage, et non à toutes les victimes – je pense à celles qui arrivèrent ici, sur le sol métropolitain, par leurs propres moyens. Tel est d’ailleurs le sens d’un des amendements que j’ai déposés : il ne faut pas créer une injustice pour en réparer une autre.

Madame la ministre, je salue l’intention du Gouvernement, ainsi que le travail accompli pour rouvrir un chapitre douloureux de notre histoire, dans le cadre d’un projet de loi qui ne saurait en aucun cas en constituer l’épilogue. Le Président de la République a demandé pardon aux combattants abandonnés. Mais que signifie cette demande de pardon si l’on n’est pas capable d’aller jusqu’au bout de ce que nous impose la vérité ?

À la lumière de cette mise en contexte historique et culturelle, je dois vous avouer ma perplexité à deux égards.

D’une part, je pense au calendrier. Il est bien tard pour exprimer aux harkis un intérêt réel, sincère et dénué de tout électoralisme – nous sommes à la fois au crépuscule du quinquennat présidentiel et à l’aube d’une campagne enfin « officielle ». Un tel projet de loi doit se construire en amont, de manière approfondie et avec sérieux, afin de ne rien oublier ; il doit se construire, autrement dit, en début de législature.

D’autre part, je pense au caractère prétendument définitif de ce texte. Les nombreuses auditions conduites ici même, au Sénat, comme les discussions passionnées et passionnantes que j’ai eues et que je continue d’avoir avec les harkis de Lot-et-Garonne, prouvent plutôt que nous avons un devoir à poursuivre !

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.

Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

« Aux combattants, je veux dire notre reconnaissance. Nous n’oublierons pas. Aux combattants abandonnés […], je demande pardon. Nous n’oublierons pas. […] La France a manqué à ses devoirs envers les harkis, leurs femmes, leurs enfants. »

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, tels furent les mots du Président de la République en septembre dernier. En 2016, François Hollande avait engagé cette reconnaissance de la responsabilité de la France dans le sort réservé aux harkis ; et en 2018 le Conseil d’État avait reconnu la responsabilité de l’État, condamné à indemniser un fils de harki en réparation du préjudice subi par celui-ci.

Les derniers débats, au sein de notre assemblée, sur la reconnaissance du massacre d’octobre 1961 ont montré combien les blessures de la guerre d’Algérie restaient vives.

Pourtant, à l’approche des soixante ans des accords d’Évian, les conditions inacceptables dans lesquelles les harkis furent accueillis en métropole exigeaient, de toute évidence, une reconnaissance et une réparation.

Ce projet de loi était demandé par les associations représentant les harkis et leurs descendants ; mais il ne répond pas vraiment à leur attente.

Grand espoir soulevé par les paroles que j’ai citées à l’instant, déception presque aussi grande suscitée par le texte initial : oserai-je dire que j’ai reconnu là la patte du Président de la République et de son gouvernement ?

Tout d’abord, sur la forme, de nombreuses associations, dont je salue la présence aujourd’hui en tribune, regrettent le manque de concertation dans la rédaction de ce projet de loi. Critiquant une écriture bâclée, beaucoup, le jugeant restrictif, discriminant et injuste, demandaient qu’il ne soit pas étudié en l’état, mais réécrit avec leur participation.

La première incompréhension a trait aux restrictions à la fois géographiques et temporelles qui limiteront le champ des bénéficiaires.

Comment le Gouvernement justifie-t-il de ne pas étendre cette reconnaissance et cette réparation à l’ensemble des harkis, y compris à celles et à ceux qui sont parvenus en métropole par leurs propres moyens après 1975 ? Pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas entendu la revendication d’une extension de cette reconnaissance et de cette réparation à l’ensemble des harkis, qu’ils aient vécu dans des camps, dans des hameaux ou ailleurs ?

L’indignité des conditions de leur accueil dans les camps et autres structures particulières comme les hameaux de forestage était bien sûr un point essentiel, mais on ne saurait limiter la question de cet accueil indigne à ces seules structures. Comme l’indique notre rapporteure, « le champ de la reconnaissance n’inclut pas les 40 000 rapatriés d’origine algérienne n’ayant pas séjourné dans ces structures, mais dans des cités urbaines, où les conditions de vie ne se sont pas toujours avérées plus confortables, mais où ils n’étaient pas privés de la liberté de circulation ».

Si les réparations proposées constituent une avancée majeure, ce n’est pas par leur montant. Les sommes prévues doivent absolument être à la mesure des pertes de chance qu’elles sont censées compenser, celles de toute une génération ; il faut tenir compte, entre autres, de la déscolarisation et des atteintes aux libertés individuelles endurées par toutes ces familles.

Ces réparations constituent bel et bien une avancée, malgré tout, car elles diffèrent des systèmes d’allocations qui, tout utiles qu’ils aient pu être, ne se fondaient que sur le principe d’une solidarité sociale, non sur celui de la compensation des défaillances de l’État.

À cet égard, nous avons entendu les craintes des associations quant au risque d’une certaine fongibilité entre des allocations relevant de l’exercice de la solidarité nationale, d’une part, et la réparation d’un préjudice subi, de l’autre.

C’est pourquoi, une nouvelle fois, je salue la position de notre commission, dont la rapporteure a précisé que les réparations prévues dans ce projet de loi ne sauraient constituer un « solde de tout compte ».

Il est essentiel que l’évaluation des préjudices subis puisse être menée de la manière la moins restrictive possible ; mais comment améliorer ce texte ? Qu’il s’agisse des périodes ouvrant droit à réparation, des critères d’instruction des demandes, de l’inclusion dans la détermination de la somme des années passées dans les prisons algériennes, de la réparation due aux veuves ou même de la création d’une fondation mémorielle, nos amendements ont été jugés irrecevables pour raison financière.

Nous demandons donc au Gouvernement d’assumer ses responsabilités en reprenant ces amendements à son compte. Puisqu’il le peut, il le doit ! Dans le même esprit, nous défendons la création d’une commission indépendante et diverse dans sa composition.

Ce texte de loi pourrait aussi être l’occasion de réparer certains préjudices spécifiques subis, certes à la marge, par quelques dizaines de harkis ; ces situations méritent l’attention du Gouvernement. Nous avons déposé deux amendements à cette fin, mais eux aussi ont été déclarés irrecevables.

Oui, ce texte est incomplet et doit faire l’objet de modifications. Nous l’améliorerons donc ensemble ; je demande au Gouvernement de nous y aider. C’est notre travail d’œuvrer en ce sens. Nous le devons bien aux harkis, à leurs enfants, à leurs petits-enfants.

Ainsi ce texte viendrait-il couronner une réflexion longue sur la place que notre pays n’a pas su leur octroyer. Mais il doit être bien plus que cela : il doit montrer notre volonté de nous confronter à notre histoire, si difficile soit-elle.

En des temps où la réécriture du passé entache la démarche de vérité que nous nous devons à nous-mêmes, où les révisionnismes en tout genre tentent de gommer le travail de nos historiens, il m’apparaît judicieux de soutenir ce texte.

Les harkis ont souffert des décisions de notre État. Leur abandon, péché originel, n’a pas été la dernière humiliation que la France leur a fait subir. Ils ont aussi été maltraités et oubliés, sans que tous ces préjudices soient reconnus ni réparés. Ce projet de loi doit permettre d’y pourvoir enfin, non un peu ou à contrecœur, mais clairement, complètement et avec conviction !

Aussi voterons-nous ce texte enrichi des amendements de la commission, à condition qu’il le soit aussi de ceux qui vont être présentés par notre groupe et par de nombreux autres sénateurs.

Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Gréaume

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 19 mars 1962 à midi, la guerre d’Algérie a pris fin avec l’entrée en vigueur des accords d’Évian.

À la veille des célébrations du soixantième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, le Président de la République a souhaité avancer vers la reconnaissance de la responsabilité de la France dans la colonisation de l’Algérie et dans la guerre qui y mit fin.

Ce projet de loi proclame la reconnaissance de la Nation envers les harkis et les personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie.

En prenant la décision d’abandonner à leur sort les harkis et leurs familles en Algérie, le gouvernement français de l’époque a trahi la parole donnée, condamnant ces femmes et ces hommes à des représailles sanglantes.

Selon l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, 80 000 à 90 000 anciens supplétifs, épouses et enfants se sont réfugiés en France à compter du mois de mars 1962.

Ce texte reconnaît officiellement la responsabilité de la Nation pour les conditions dans lesquelles ils ont été accueillis, relégués dans des camps et des hameaux de forestage. Il reconnaît l’inhumanité des conditions de vie auxquelles ils ont été soumis et les atteintes aux libertés individuelles qu’ils ont subies.

Aux privations de liberté et à la précarité des conditions de vie dans les camps et les hameaux de forestage se sont ajoutés les violences, les humiliations et le racisme.

Ce projet de loi, qui prévoit d’accorder une réparation des préjudices subis au titre de l’indignité des conditions d’accueil sur le territoire français, constitue un progrès. Nous restons toutefois au milieu du gué en raison des critères d’indemnisation retenus.

En effet, le processus de réparation se limite aux 42 000 harkis et membres de leurs familles qui sont passés par des structures comme les camps de transit et de reclassement. De fait, il exclut des réparations les personnes et les familles placées dans des cités urbaines et celles qui sont arrivées et ont séjourné sur le territoire français par leurs propres moyens.

Par ailleurs, en limitant la réparation aux harkis ayant vécu dans des structures d’accueil entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975, le texte ne tient pas compte des familles qui y sont demeurées pendant de nombreuses années.

Aussi avons-nous déposé un amendement visant à supprimer cette barrière du 31 décembre 1975, afin d’étendre le bénéfice du dispositif à toute personne ayant résidé dans une de ces structures après le 20 mars 1962.

Enfin, le choix de verser une somme forfaitaire en fonction de la seule durée passée dans les camps pose question : il ne tient compte ni des circonstances ni des préjudices personnels endurés, parfois très lourds. Je pense notamment aux conjoints de personnes décédées, pour lesquelles la réparation devrait être plus importante, à rebours des critères envisagés dans l’étude d’impact.

Au total, entre 40 000 et 50 000 harkis et membres de leurs familles sont exclus de toute réparation. Il y a là un véritable problème à l’heure où nous parlons de reconnaissance et de réconciliation, quand bien même ce texte constitue – je le répète – une étape supplémentaire de la reconnaissance que la Nation doit aux harkis et aux oubliés d’Algérie.

Néanmoins, en matière de mémoire, la reconnaissance ne saurait se réduire à la simple repentance et dépasse les dédommagements financiers ; elle exige de travailler sur les questions mémorielles dans un climat d’apaisement, de chaque côté, en Algérie comme en France.

En effet, « si la mémoire divise, l’histoire peut rassembler », comme l’écrit l’historien Pierre Nora. Le rapport de Benjamin Stora préconise par exemple la constitution d’une commission « Mémoires et vérité » chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie.

Pour ce faire, la France doit reconnaître sa responsabilité dans le massacre de Sétif, le 8 mai 1945, celle de l’armée française dans l’assassinat de Maurice Audin, en 1957, et celle de l’État dans les assassinats parisiens du 17 octobre 1961.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Gréaume

La réconciliation de la France et de l’Algérie a été trop longtemps entravée par l’impossibilité de construire une mémoire commune entre nos deux pays. La France et les pays du Maghreb ont pourtant un rôle irremplaçable à jouer dans l’écriture de l’avenir du bassin méditerranéen.

Pour l’ensemble de ces raisons, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste voteront ce texte.

Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – MM. Éric Jeansannetas et Jean-Pierre Sueur, ainsi que Mmes Esther Benbassa et Raymonde Poncet Monge, applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jocelyne Guidez

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer la qualité du travail de notre collègue rapporteure Marie-Pierre Richer sur un sujet certes passionnant, mais ô combien complexe.

Le présent texte porte reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local ayant transité par un camp ou un hameau de forestage entre 1962 et 1975.

Cette page d’histoire est particulièrement tragique : plusieurs dizaines de milliers de harkis, considérés comme des traîtres, furent sauvagement assassinés sur le sol algérien. Militaires, civils, femmes, enfants ont été les victimes de ces terribles massacres.

Parmi les 82 000 rapatriés d’origine algérienne ayant réussi à gagner la France, 42 000 personnes ont connu des conditions de vie indignes dans des camps de transit et des hameaux de forestage, où les anciens supplétifs étaient engagés pour travailler sur des chantiers d’aménagement de zones forestières.

La souffrance, les atteintes aux libertés individuelles, la précarité, les humiliations, les privations et la déscolarisation des enfants ont marqué la vie de ces structures. Ce projet de loi s’inscrit donc dans une démarche de réparation des préjudices subis par ces personnes du fait de leurs conditions d’accueil sur le territoire français.

Aux yeux des sénateurs du groupe Union Centriste, il est primordial de reconnaître la dette de la Nation à l’égard des harkis et de reconnaître la faute de la France dans la privation de liberté qu’elle leur a fait subir au sein de camps bien particuliers.

Il est essentiel de rendre hommage à l’engagement des harkis durant la guerre d’Algérie. Il est indispensable d’intensifier le soutien que la Nation leur apporte, ainsi qu’à leurs familles, afin d’améliorer leurs conditions de vie.

Le principe d’une responsabilité de l’État envers les harkis a pris corps au fil des dernières décennies. Comme l’a rappelé notre collègue rapporteure, en complément de l’aide sociale de droit commun, des milliers d’anciens harkis et leurs familles ont pu bénéficier d’un grand nombre de mesures d’aide et de reconnaissance : aides sociales à la réinstallation, indemnisation des biens perdus en Algérie, mesures de désendettement, aides au logement, etc.

Par ailleurs, plusieurs mesures financières ont été prises depuis le 1er janvier 2017, par exemple la revalorisation de l’allocation de reconnaissance et de l’allocation viagère prévue en faveur des conjoints survivants de harkis.

Ce texte instaure de nouvelles mesures de reconnaissance et de réparation. Il pose le principe de la responsabilité de la France dans l’indignité des conditions de vie qui ont été réservées à ces personnes sur son territoire.

Le Gouvernement estime le nombre de bénéficiaires potentiels du dispositif à 50 000, pour un coût global de 302 millions d’euros.

L’indemnité de réparation ne serait assujettie ni à l’impôt sur le revenu ni à la contribution sociale sur les revenus d’activité et de remplacement. Les mesures d’aides sociales élargissent les conditions dans lesquelles peut être versée l’allocation viagère.

Je salue la création d’une commission nationale de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis et par les autres personnes rapatriées d’Algérie. Cette commission assurera la mission de recueil et de transmission de la mémoire ; elle aura un rôle décisionnel et de pilotage dans la procédure de demande de réparation.

Aucun mot ne peut décrire le comportement de l’État à l’égard des harkis au lendemain de la guerre d’Algérie. Un sentiment d’abandon pèse toujours sur le cœur des survivants et sur celui de leurs descendants.

Nous considérons que ces mesures ne peuvent en aucun cas constituer un « solde de tout compte » dans la reconnaissance due par la Nation aux harkis, qui ont participé au conflit au service de la France. Nous reconnaissons leurs souffrances et leurs sacrifices et tenons à rendre hommage à leurs familles.

Nous ne saurions pourtant laisser penser que rien n’a jamais été fait : diverses lois et mesures prouvent le contraire. De Jacques Chirac à Emmanuel Macron, la parole présidentielle a exprimé la reconnaissance de la République envers les harkis et autres supplétifs pour leur engagement.

Évidemment, la réalité est loin d’être satisfaisante.

Évidemment, aucune mesure ne suffira jamais pour réparer toutes les violences, la souffrance, les atrocités subies par les harkis et par leurs familles.

Évidemment, aucune indemnité financière ne peut aider à refermer les plaies.

Certaines erreurs n’auraient tout simplement pas dû être commises par la France. Après plus de soixante ans, est-il encore possible de réparer l’irréparable ?

Malgré le retard accumulé, ce texte représente une avancée et s’inscrit dans une trajectoire de réparation des blessures d’un passé toujours proche et vivant.

Nous devons continuer ce combat ; nous ne devons pas oublier ! C’est pourquoi les membres du groupe Union Centriste voteront en faveur de ce texte.

Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et RDSE. – Mme Colette Mélot applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il a fallu du temps – trop de temps, sans aucun doute – pour que la France reconnaisse l’abandon dans lequel ont été plongés les harkis au lendemain des fameux accords d’Évian.

Parce qu’ils avaient servi la France, ils eurent le choix entre la mort et l’exil. Dans ces conditions, les harkis n’ont pas hésité à passer, quand ils l’ont pu, de l’autre côté de la Méditerranée, où l’horizon leur paraissait plus clair.

Quelle déception ! La terre promise ne s’est pas révélée aussi accueillante qu’elle aurait dû l’être.

Pour une partie d’entre eux, près de 42 000, le passage ou l’installation dans des camps de transit et de reclassement ou des hameaux de forestage a constitué une véritable relégation faite de souffrances et de légitime amertume. Dans ces camps qui, rappelons-le, étaient fermés, précarité, privations, déscolarisation et brimades étaient le lot quotidien des harkis – notre collègue rapporteure l’a très bien souligné.

Il faut le dire : c’est l’indignité légalisée qui figurait au fronton obscur de ces structures, en lieu et place de la fraternité qui aurait dû y être prodiguée.

Notre pays – patrie des droits de l’homme, dit-on souvent – a clairement raté, à cette époque, le rendez-vous de la compassion à l’égard de ceux qui croyaient en elle et qu’elle aurait dû accueillir avec plus de générosité.

À Bias, en Lot-et-Garonne, à Rivesaltes, dans les Pyrénées-Orientales, ou au Larzac, dans l’Aveyron, est-il compréhensible que de jeunes enfants aient longtemps vu la France des barbelés avant de connaître celle des libertés ?

Mes chers collègues, vous le savez : on ne saurait prétendre que le législateur n’a rien fait par la suite pour améliorer leur sort. Entre mesures sociales, indemnisation des biens perdus et aides au logement, de nombreux dispositifs ont pu aider certains d’entre eux à s’en sortir. Mais le compte n’y est pas, ce que le Conseil d’État n’a pas manqué de rappeler en 2018, en condamnant l’État à dédommager un fils de harki ayant séjourné dans l’un de ces camps.

Aussi, l’engagement du Président de la République, prononcé le 20 septembre dernier, permettra d’accorder les réparations qu’exige ce sombre épisode de l’histoire de France.

Naturellement, les élus de mon groupe soutiennent ce projet de loi, lequel institue un mécanisme de réparation financière en faveur des rapatriés ayant transité par un camp ou par un hameau de forestage entre 1962 et 1975.

Nous approuvons également les articles renouvelant ou approfondissant la reconnaissance de la Nation à l’égard des harkis.

Je salue enfin la mesure relative à l’allocation viagère : la suppression de la forclusion permettra à des familles qui ignoraient leurs droits de les exercer.

Toutefois, comme le souligne la commission, « ce texte ne saurait constituer le solde de tout compte ». Une majorité des sénateurs de mon groupe aurait d’ailleurs souhaité étendre le bénéfice du dispositif de réparation à tous les harkis

M. André Guiol acquiesce .

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Madame la ministre, peut-être aurait-il également fallu profiter de ce texte pour régler la situation des quelque vingt-cinq supplétifs de statut civil de droit commun dont le sort est régulièrement discuté au titre des projets de loi de finances.

En attendant ces améliorations, le RDSE approuvera le projet de loi qui concrétise la demande de pardon formulée par le Président de la République. Nous le devons avant tout aux harkis et à leurs enfants ; nous le devons aussi au pacte républicain, dont il faut rapidement réparer les fêlures afin de laisser place à une seule communauté de destins.

Je conclurai sur une note personnelle. Lors de son service militaire, à Rodez, en Aveyron, mon frère a été chargé avec ses camarades d’accueillir les harkis arrivant en gare de Millau, puis de les conduire en camion au camp du Larzac, où ils devaient rester dans le froid et la solitude. Il a gardé un souvenir poignant de ces pauvres bougres venus d’Algérie, que nous avons si mal accueillis.

Je le répète, les élus de notre groupe voteront ce projet de loi !

Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Albert Camus écrivait dans ses Carnets : « Maintenant j’erre parmi des débris, je suis sans loi, écartelé, seul et acceptant de l’être, résigné à ma singularité et à mes infirmités. Et je dois reconstruire une vérité, après avoir vécu toute ma vie dans une sorte de mensonge. »

C’est précisément ce que ressentent les harkis et leurs descendants, témoins et victimes d’une histoire coloniale douloureuse.

Après l’enfer de la guerre d’Algérie, ceux qui ont combattu pour la France ont été abandonnés par elle. Ils ont été livrés à leur sort sur le sol algérien et, à ceux qui ont pu être rapatriés, l’État a infligé une peine terrible : ils ont été entassés comme du bétail dans des camps d’accueil et des hameaux de forestage.

Insalubrité, promiscuité, absence d’eau chaude et d’électricité : ces structures étaient indignes. Les témoignages des harkis et de leurs enfants sont glaçants. De telles conditions de vie ont emporté de graves conséquences sur l’état physique, psychique et psychologique de ces personnes. Les dommages matériels et moraux sont nombreux et irréversibles.

Le temps du silence et de la honte est révolu. Dans son discours du 20 septembre 2021, Emmanuel Macron a déclaré que la République avait contracté à leur égard une dette, qu’il faudrait honorer.

Ce projet de loi est ainsi assujetti à un devoir de réparation au titre de la responsabilité de l’État. Toutefois, il exclut les harkis restés en Algérie, qui ont vécu l’infamie et la persécution et, de ce fait, ne sauraient être oubliés.

En dehors d’une réparation pécuniaire, la reconnaissance solennelle des préjudices subis par les harkis et par leurs descendants est un tournant mémoriel dans l’histoire postcoloniale française. L’État ne peut se contenter de demi-mesures ou d’une loi incomplète. Il ne suffit plus de reconnaître ses torts ou de demander pardon, il est temps d’assumer pleinement ses actes.

Pour ceux qui ont connu le pire de notre administration, pour ceux qui ont été privés de libertés fondamentales, pour ceux qui ont tout perdu pour la France, arrive enfin le temps de la vérité et de la cicatrisation. Ce texte est un premier pas : nous attendons la suite. À ce titre, je regrette que certains de nos amendements n’aient pas été jugés recevables.

Applaudissements sur des travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Émilienne Poumirol

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer les représentants des associations de harkis présents aujourd’hui en tribune. Devant vous, je veux les remercier des éclairages et des propositions qu’ils ont apportés lors des auditions de la commission. Notre travail a été nourri par ce qui a été leur vie ou celle des leurs.

Je remercie également l’ensemble de mes collègues de leur engagement et de leur participation à un texte aussi important, en particulier Mme la rapporteure.

Nous examinons un projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers l’ensemble des supplétifs qui ont servi la France en Algérie et que celle-ci a abandonnés. Ce texte reconnaît également – il faut nous en féliciter ! – la responsabilité de l’État français dans l’indignité des conditions d’accueil et de vie sur son territoire réservées aux anciens supplétifs et à leurs familles, hébergées dans des structures fermées.

Ce projet de loi s’inscrit dans la continuité des discours présidentiels, notamment celui de François Hollande, qui, pour la première fois en 2016, a reconnu explicitement la responsabilité des gouvernements français dans l’abandon des harkis, les massacres de ceux restés en Algérie et les conditions d’accueil inhumaines des familles transférées dans les camps en France.

Les dispositions débattues aujourd’hui sont très attendues par les anciens harkis et leurs familles. Elles marqueront – je l’espère – une étape sur le chemin de l’apaisement des mémoires.

Près de soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, la douleur est toujours vive, les plaies peinent à cicatriser et les mémoires sont encore troublées.

L’histoire des harkis, c’est l’histoire de la France, de notre Nation, qu’il nous faut regarder avec lucidité. C’est l’histoire de ces Français, nés en Algérie, qui ont été recrutés pour appuyer l’armée française durant la guerre d’Algérie. Ils sont encore aujourd’hui appelés des supplétifs, terme les rabaissant au rôle d’auxiliaires, d’hommes de second rang, alors même que leur action fut souvent essentielle au sein des forces armées françaises. Auparavant, beaucoup d’entre eux avaient d’ailleurs servi lors d’autres conflits où la France était engagée.

L’histoire des harkis est aussi celle d’un abandon. À la fin de la guerre, le gouvernement français ordonne à l’armée de désarmer les harkis et de limiter strictement leur rapatriement : il a, de fait, laissé sur place une grande partie d’entre eux. Seuls sont rapatriés les Français d’origine européenne et une partie des anciens supplétifs, dont la sécurité est menacée en Algérie.

Les anciens harkis, considérés comme des traîtres en Algérie, sont victimes d’exactions et de massacres sur le sol algérien.

L’histoire de cet abandon se poursuit sur le sol français : sont frappés ceux qui ont réussi à être rapatriés, souvent grâce à la désobéissance de certains officiers français, hommes d’honneur qui, faisant fi des ordres donnés, ont organisé eux-mêmes le rapatriement de leur harka.

Selon l’Office national des anciens combattants et des victimes de guerre (ONACVG), entre 80 000 et 90 000 anciens supplétifs, épouses et enfants se sont réfugiés ou ont été rapatriés en France.

À leur arrivée, plus de la moitié d’entre eux furent relégués dans des camps et des hameaux de forestage. Ils y vécurent dans des conditions de vie inhumaines, soumis à un régime dérogatoire du droit commun, isolés à plusieurs kilomètres des villages, devant subir un couvre-feu et le contrôle de leurs déplacements. Ils connurent des conditions d’hygiène déplorables et subirent le manque de scolarisation de leurs enfants.

Exilés, marginalisés, oubliés, devenus invisibles, tous les harkis et leurs proches ont souffert de traumatismes durables.

En se bornant à reconnaître le préjudice des personnes passées dans les camps, ce projet de loi est incomplet. En effet, le champ de la reconnaissance n’inclut pas les 40 000 personnes n’ayant pas séjourné dans ces structures, alors que leurs conditions de vie ne se sont pas toujours révélées plus dignes.

De plus, au-delà des sommes allouées, le système de forfait n’est pas à la hauteur des préjudices dont furent victimes les harkis et leurs familles. Il n’est en aucun cas une reconnaissance par la Nation des violences vécues. Un tel forfait, c’est l’acceptation d’un préjudice sans la reconnaissance de la culpabilité.

Tous les anciens harkis et leurs familles méritent que leur histoire et leurs souffrances soient entendues et bénéficient d’une réparation individuelle, fondée sur ce que chacun d’entre eux a réellement subi.

La dernière partie de ce texte porte sur la reconnaissance mémorielle. À ce titre, je salue le travail remarquable déjà effectué par l’ONACVG : cet office organise des expositions, des recueils de témoignages et des interventions à quatre voix dans les établissements scolaires. Mais il faut aller plus loin encore et faire vivre cette mémoire commune, qui participe de notre richesse, celle de la réconciliation nationale et du vivre ensemble.

Ce texte constitue une avancée, mais il ne saurait être un solde de tout compte. Dans cet esprit, nous veillerons à ce qu’il ne reste pas purement déclaratif : nous proposerons un certain nombre de modifications, même si la plupart de nos amendements ont été déclarés irrecevables ou rejetés en commission.

Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Guy Benarroche applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Duranton

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je ne vous cache pas l’émotion que j’éprouve en prenant la parole, alors que notre Haute Assemblée s’apprête à contribuer à écrire un nouveau chapitre de notre histoire. Ma meilleure amie est fille de harki. Elle est née dans le camp de Rivesaltes, où elle a vécu et où elle a souffert des conditions d’existence. Ses douleurs sont telles que la plaie ne s’est jamais refermée.

Je salue les représentants des harkis présents en tribune.

Les uns et les autres l’ont rappelé : les harkis appartiennent à l’histoire de France, et à mon tour je leur rends hommage.

La signature des accords d’Évian a ouvert cette page dramatique : après avoir servi la France durant la guerre d’Algérie, des hommes – harkis, moghaznis et membres des autres formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local – ont été soit délaissés sur leur terre natale, en proie aux exactions et aux massacres, soit rapatriés en métropole, coupés de leurs racines et relégués dans des cités urbaines, des camps ou des hameaux de forestage.

Dans ces camps et ces hameaux de forestage, où certains ont passé des années, ces personnes ont connu l’abandon, l’enfermement et la survie dans des conditions particulièrement précaires et indignes. Leur vie était dominée par le rationnement, la faim, le froid, la promiscuité, la maladie, l’exclusion, les privations de libertés, l’arbitraire et le racisme, au mépris des valeurs qui fondent notre République, au mépris du droit et de toute justice.

Ces souffrances se sont transformées en traumatismes durables, que nous savons difficiles à apaiser complètement, soixante ans plus tard.

C’est pourquoi, le 20 septembre 2021, le Président de la République, Emmanuel Macron, a pris la parole pour demander pardon au nom de la France. Pour réparer cette faute de l’État que fut l’indignité de ces conditions d’accueil et de séjour sur le territoire national, dans ces camps et hameaux de forestage, il a reconnu la nécessité d’inscrire dans le marbre de la loi la responsabilité de l’État d’indemniser et de rendre justice.

Ce nouveau pas franchi est historique.

Par ses articles 1er et 2, le présent texte concrétise cet engagement du Président de la République : il acte la création d’un mécanisme de réparation des préjudices subis par ces personnes, leurs conjoints et leurs enfants dans les structures visées.

Si l’on a retenu tel fait générateur pour déterminer un préjudice spécifique, c’est conformément à la jurisprudence du Conseil d’État. Ainsi ce projet de loi évitera-t-il tout risque d’inconstitutionnalité.

La commission nationale de reconnaissance et de réparation, créée par l’article 3, sera au cœur de ce dispositif. Elle a gagné à l’Assemblée nationale la faculté « de proposer des évolutions de la liste des lieux » dans lesquels il est nécessaire d’avoir séjourné pour bénéficier du mécanisme de réparation. Cette évolution décisive lui confère les moyens d’être une entité active capable de détecter les angles morts et de faire évoluer le mécanisme de réparation.

Sa mission mémorielle est tout aussi déterminante : en recueillant de nouveaux témoignages, elle sera en mesure d’aider à transmettre aux jeunes générations la mémoire la plus précise possible, pour que rien ne soit oublié.

Enfin, c’est un véritable soulagement que l’article 7 vienne supprimer les irritants relatifs à l’allocation viagère, qui empêchaient injustement plusieurs veuves d’y accéder.

Félicitations, madame la rapporteure ! Notre groupe tient à vous remercier de votre travail minutieux et des précisions essentielles que vous avez apportées à ce texte en commission. Je pense notamment à votre amendement tendant à préciser que la responsabilité de l’État concernera des structures « de toute nature » ayant fait subir à leurs résidents des conditions indignes et attentatoires à leurs libertés, ce qui ouvre la voie à l’inclusion de certaines prisons reconverties en lieux d’accueil pour les harkis, pour l’heure encore mal identifiées.

En commission, les élus du groupe RDPI ont eux aussi contribué à améliorer les dispositions relatives à la commission nationale de reconnaissance et de réparation.

Ainsi – le texte le précise désormais sans ambages –, à la demande de la commission, l’ONACVG sollicite systématiquement de tout service de l’État, collectivité publique ou organisme gestionnaire de prestations sociales la communication de tout renseignement utile à l’exercice de ses missions. En outre, on pourra solliciter ces demandes d’informations afin de faire évoluer la liste des structures concernées.

Mes chers collègues, pour poursuivre ces efforts, les membres du groupe RDPI vous proposeront aujourd’hui deux nouveaux amendements.

Le premier tend à préciser les conditions de désignation des membres qui siégeront au sein de la commission en confiant cette prérogative au Premier ministre, sur proposition des autorités compétentes. Notre préoccupation, exprimée sur nombre de nos travées, est de sauvegarder l’indépendance de cette instance.

Le second, que nous défendons avec plusieurs collègues issus des groupes Les Républicains, Union Centriste, RDSE et Les Indépendants – République et Territoires, vise à prévoir spécifiquement un accès prioritaire à la commission pour les anciens combattants harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives de statut civil de droit local et assimilés. En l’état actuel du texte, ce n’est pas encore prévu.

Madame la ministre, avant de conclure, je tiens à saluer votre engagement infaillible et inlassable. C’est ainsi à vous que l’on doit le doublement des allocations de reconnaissance et viagère.

Mes chers collègues, à l’issue de ces travaux, j’ai l’espoir que nous saurons avancer ensemble sur le chemin de la réconciliation nationale ; que nous saurons contribuer à maintenir la flamme de l’espoir et de la mémoire à jamais allumée, pour ouvrir la voie vers un avenir meilleur.

Bien entendu, les membres de notre groupe voteront ce texte.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – MM. Yves Détraigne et Claude Kern applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Tabarot.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Tabarot

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’aborde l’examen de ce texte avec gravité et émotion, car nous sommes à un rendez-vous de l’histoire.

J’en suis convaincu de longue date : le temps est venu d’honorer les harkis, citoyens français à part entière ; d’engager enfin la réparation d’un drame humain ; d’écrire la dernière page de cette histoire et de fermer ce livre de l’ombre.

Abandon, massacres, déracinement, camps, discrimination, misère sociale : non seulement cette vérité doit être dite, mais il faut programmer le règlement définitif de la dette immense de la France envers les harkis.

Parce que ces hommes courageux avaient servi sous le drapeau français, ils furent, avec leurs familles, victimes de représailles après le cessez-le-feu, car privés de la protection de la France. Pour survivre et ne pas subir le sort de près de 100 000 de leurs compatriotes, massacrés par l’organisation terroriste du FLN, ils furent condamnés à un exil précipité.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Tabarot

Oui, en Algérie, la France a abandonné une partie de ses propres soldats.

Lorsqu’ils débarquèrent en métropole, sans ressources, sans attaches et sans perspectives, ils furent accueillis dans des conditions indignes ; puis au déracinement s’ajouta l’oubli. Les harkis aimaient la France, mais la France les a abandonnés.

Madame la ministre, avec ce projet de loi, vous accomplissez une avancée louable. Le présent texte traduit, je l’espère, la volonté de réparer l’une des plus grandes injustices du XXe siècle. Je ne saurais croire qu’il ait en fait un but électoraliste, encore moins qu’il résulte de pressions juridiques ou judiciaires du Conseil d’État ou de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

Je veux simplement croire que le Président Macron se repent – oui, se repent ! – des propos ignobles qu’il a tenus en 2017 à Alger, en qualifiant la présence française en Algérie de crime contre l’humanité.

Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Henno applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Tabarot

Toutefois, ce texte cristallise beaucoup de déceptions : derrière les avancées, votre engagement est trop restrictif pour être réparateur. Ce texte entend opérer un tri entre les mémoires et créer des catégories entre les harkis. Certes, dans les camps et hameaux de forestage, il n’y avait ni eau ni électricité et l’on ne mangeait pas à sa faim. Mais, ailleurs, les conditions de vie pouvaient être tout aussi précaires.

Certains ont voulu croire en la parole du chef de l’État. Leur espoir était immense, pour qu’enfin soit reconnue l’indignité de leurs conditions d’accueils. Malheureusement, cet espoir est déçu.

Personne n’a jamais dit que près de la moitié des harkis seraient exclus de la réparation. §Leur seul tort est de ne pas avoir vécu entourés de barbelés. En hiérarchisant la souffrance, vous bafouez leur honneur et leur loyauté ; en les condamnant à leur sort, vous créez une défiance qu’il vous faudra réparer pour me convaincre de la portée de ce texte, d’autant qu’il demeure incomplet.

Ainsi, ce projet de loi ne dit rien de la reconnaissance de la qualité de Français aux harkis ; rien de la reconnaissance de la responsabilité de la France dans cet abandon ; rien de l’instauration d’une sanction pénale lorsque est portée à l’égard d’un harki une injure ou une diffamation ; rien de l’abrogation de la journée du 19 mars, date funeste qui, par l’ampleur des massacres commis, n’a pas empêché le sang de couler, bien au contraire. Les harkis ont eu le choix entre la valise et le cercueil !

J’ai noué très tôt des liens d’amitié durables qui m’ont valu d’entrer dans la blessure de ces familles déracinées. Ayant bien connu la précarité de la cité des Mimosas, à Cannes-la-Bocca, je peux en témoigner.

À cet exode forcé, j’associe les rapatriés pieds-noirs…

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Tabarot

En effet, leur sort est intimement mêlé à celui des harkis. Ils ont été chassés d’une terre où ils étaient nés et où leurs aînés reposent encore, fuyant une mort que leur loyauté rendait certaine. Cet exode aurait dû inspirer une hospitalité digne de leur engagement.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Tabarot

Voilà ce que je défends.

À l’heure où, soixante ans après les faits, des extrémistes se détournent de notre pays selon une logique victimaire anti-France, comment ne pas ériger en héros et en exemples ces musulmans qui ont combattu pour la France ?

Mes chers collègues, posons aujourd’hui un acte global de reconnaissance de cette histoire…

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Tabarot

… pour mettre un terme à sa méconnaissance.

Un peuple sans mémoire est un peuple sans histoire. Les commémorations n’ont pas la force de guérir à elles seules les blessures. Ce texte fera date s’il apporte une complète réparation et s’il assure l’hommage de la Nation aux membres de cette communauté qui a choisi de défendre notre pays librement, avec son cœur et, trop souvent, avec son sang.

Les harkis ont montré la voie dans cet inconnu permanent de l’avenir qui, un jour, devient histoire.

J’en appelle à votre sens du devoir pour que les harkis, qui ne demandent pas la charité, ne subissent pas une énième trahison, eux qui avaient choisi de se ranger du côté de la France. Tout doit commencer par la vérité ; tout doit finir par la justice.

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Devésa.

Applaudissements sur des travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Devesa

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier notre collègue Marie-Pierre Richer : je salue le sens de l’écoute et du consensus dont elle a fait preuve durant l’ensemble de nos travaux.

Mes premiers mots iront aux harkis, à leurs familles, aux blessés, aux âmes écorchées, aux morts. Je tiens à rendre hommage à l’ensemble d’entre eux, où qu’ils aient vécu, avant ou après 1975.

Les auditions du Sénat et de l’Assemblée nationale ont fait ressurgir en moi, fille de pieds-noirs, nombre de souvenirs, de témoignages, d’histoires et de visages.

Ils m’ont laissée muette face à la douleur vécue, face à la blessure de l’histoire, face à la vérité criante qui domine chacun de ces témoignages : le cessez-le-feu n’en était pas un ; la guerre a continué ; les accords de paix cachaient une paix bâclée.

Au sommet de l’État français régnait la peur – peur laissée par le souvenir de la guerre d’Indochine, peur de s’enliser dans une guerre interminable. La peur a mené à la précipitation. Doublée d’un manque de considération, elle a rendu l’État, la France, lâche.

C’est la lâcheté qui a conduit à l’abandon de citoyens français ; un abandon grossier, d’abord, qui conduira aux pires massacres. Je pèse mes mots : il s’agissait de massacres.

Persécutés, martyrisés, les harkis ont subi un nouvel abandon, plus sournois que le premier. L’oubli est un abandon. Il aura duré presque soixante ans.

Rendons hommage à Jacques Chirac, grâce à qui l’État cessa de s’enliser dans le déni. Les Présidents Hollande et Sarkozy ont eu des mots forts pour les harkis ; le Président Macron aussi. Ils savent que les harkis n’oublient pas et que jamais au grand jamais ils n’accepteront un énième abandon, une énième lâcheté.

Les harkis honorent la Nation et le peuple français par leur courage, par leur patriotisme, par leur amour de la France. Ils donnent une chance à l’État de sortir d’un silence sournois, d’une pudeur qui entache l’esprit français. N’oublions pas qu’il s’agit d’une réparation par la France, pour la France, pour son unité. Voilà pourquoi l’injure faite aux harkis est une injure faite à la Nation.

Déclassifions les archives, continuons les auditions : les préjudices ne sont pas encore tous établis.

Madame la ministre, je forme le vœu que l’office national indépendant, création de ce gouvernement, fasse toute la lumière sur l’histoire des harkis et leur permette de témoigner de l’ampleur des préjudices subis et des réparations attendues.

Ce texte de loi vient bien tard ; mais nous avons aussi le sentiment qu’il arrive trop tôt, peut-être parce que le Président de la République, qui se décrivait lui-même comme le « maître des horloges », s’en est laissé dicter le tempo par la Cour européenne des droits de l’homme.

En résulte, in fine, un sentiment de frustration. Cette sensation, qu’éprouvent bon nombre d’associations de harkis, m’a conduite à m’interroger longtemps, et avec gravité, sur le sens de mon vote.

Aux associations de harkis, je veux dire que la loi peut paraître froide, mais qu’elle n’est jamais une fin en soi. N’ayez pas peur, car le chemin ne s’arrête pas là.

Ce gouvernement instaure, le 25 septembre, la journée nationale d’hommage aux harkis. Chaque année, mesdames, messieurs les harkis, la République vous entendra. Chaque année, nous essaierons ensemble de faire un pas de plus vers l’apaisement.

Comme l’indiquait ma collègue Jocelyne Guidez, les membres du groupe Union Centriste voteront en faveur de ce texte.

Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu ’ au banc des commissions. – Mme Valérie Boyer applaudit également.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Rachid Temal

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous réunit aujourd’hui se doit de répondre enfin aux aspirations de milliers de nos compatriotes : les harkis et leurs familles.

Les harkis servaient dans les forces armées françaises. Ils étaient moghaznis, tirailleurs, spahis, membres des forces régulières, des groupes mobiles de sécurité, des groupes d’autodéfense et des sections administratives. Ils furent 200 000. Nous leur devons remerciements et reconnaissance. Ils ont risqué leur vie pour une patrie qui était et qui demeure la leur : la France.

Pourtant, après la proclamation du cessez-le-feu le 19 mars 1962, les plus hautes autorités de l’État n’ont pas tenu la promesse qui leur avait été faite : leur offrir une protection et la citoyenneté française.

Oui, la citoyenneté française est une promesse, parce que nulle autre au monde ne porte en elle l’idéal républicain.

Les harkis ne furent ni protégés ni rapatriés, mais abandonnés à leur triste sort. Alors, il fallut le courage et la parole de nombreux militaires français, au nom de la fraternité d’armes, pour assurer le rapatriement en France de près de 90 000 soldats harkis et de leurs familles. Ces militaires sont l’honneur de la France.

Près de la moitié des harkis ainsi rapatriés furent condamnés aux camps, de sinistre mémoire, et à leurs violences. Des enfants morts de faim et de froid, enterrés sans sépulture, d’autres déscolarisés, des femmes violentées et humiliées, parfois même violées, l’internement en cas de rébellion, l’insalubrité et la promiscuité au quotidien, la spoliation des maigres revenus par les chefs de camp : chacun peut imaginer les conséquences de telles épreuves sur ces vies brisées.

L’horreur – c’est bien de cela qu’il s’agit –, dura officiellement jusqu’au 31 décembre 1975, soit treize longues années d’inhumanité.

On sait désormais que les autres harkis vécurent une situation d’enfermement social ; qu’ils furent rejetés de l’autre côté de la Méditerranée et mal acceptés ici même, dans leur pays, la France. Les harkis durent attendre douze années après la fin de la guerre d’Algérie pour obtenir le statut, pourtant légitime, d’anciens combattants.

Les Présidents de la République qui se sont succédé – Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et désormais Emmanuel Macron – ont, avec dignité, reconnu la responsabilité de la France.

Reconnaître n’est pas se repentir ; c’est admettre l’expression de la douleur vécue. Il nous faut être respectueux. Le respect est la marque à laquelle on reconnaît l’humanité et c’est toujours l’honneur d’un pays.

Madame la ministre, les associations de harkis attendaient beaucoup de ce projet de loi, né de la volonté présidentielle, le 20 septembre dernier, à l’Élysée – j’y étais. Elles sont déçues et parfois même en colère. Il n’y a pas eu de concertation et ce texte présente bien des lacunes.

Avec mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, je défendrai plusieurs mesures d’importance.

Tout d’abord, il faut reconnaître la qualité de Français à tous les harkis. Cette disposition doit figurer dans l’ensemble du texte et même dans son titre.

Ensuite, la réparation ne peut pas conduire à établir des distinctions entre les harkis : elle doit valoir pour l’ensemble des 90 000 harkis et leurs familles.

En outre, comme le souligne la commission, ce projet de loi ne saurait valoir solde de tout compte. Dans la rédaction actuelle, c’est pourtant le cas. En effet, une réparation forfaitaire qui ne tiendrait pas compte des situations particulières n’apporterait qu’une réponse froidement administrative, ce qui est bien entendu inacceptable : un tel dispositif ne garantirait pas réparation à chacune des personnes.

Enfin, l’État doit favoriser la création d’une fondation mémorielle – j’y reviendrai dans la suite du débat.

Madame la ministre, nous attendons que vous fassiez preuve d’humanité et d’écoute. Saisissez la main que nous vous tendons en retenant nos amendements, voire en les reprenant, afin de faire avancer les choses. C’est ainsi que les harkis pourront rejoindre les grandes pages de notre histoire nationale !

Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Cathy Apourceau-Poly et M. Guy Benarroche applaudissent également.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Antoine Levi applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Burgoa

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec beaucoup d’émotion et de gravité que nous abordons ce projet de loi et, avant tout, je tiens à remercier notre rapporteure, Marie-Pierre Richer, de son travail et de son sens de l’écoute.

Cette reconnaissance de la Nation envers les harkis découle d’un long processus, engagé dès 2001 par le Président Jacques Chirac et qu’il convient de poursuivre. À quelques mois d’une élection importante, je refuse d’imaginer que cette initiative est entachée par une tentative de récupération. Que ceux qui s’y laisseraient aller fassent preuve de décence !

L’épreuve de la guerre d’Algérie saigne encore dans le cœur de nombreux Français. Je pense en particulier aux anciens combattants de ce conflit : il suffit d’avoir croisé leur regard embué pour mesurer à quel point la paix est précieuse.

À la fin de cette guerre, la France a rapatrié une partie des anciens supplétifs, accompagnés de leurs familles, dont la sécurité était désormais menacée sur la terre qui les avait vus naître.

Sur ce même sol, plusieurs dizaines de milliers de harkis furent assassinés. Aujourd’hui, comment ne pas rendre hommage à ces victimes, qui ont cru en notre idéal républicain et pour lesquelles la République n’a pas été à la hauteur ?

Parmi les harkis ayant pu être rapatriés, 82 000 étaient d’origine algérienne, dont 42 000 furent accueillis dans des conditions indignes se traduisant par des atteintes aux libertés individuelles, une forte précarité, des brimades ou encore la non-scolarisation des enfants.

Rien ne pourra réparer ces outrages, rien, jamais ! Mais j’en suis intimement persuadé : les grandes nations se reconnaissent à leur faculté de regarder leur histoire droit dans les yeux.

Il ne s’agit pas de se gargariser de ce projet de loi, qui, par ailleurs, a fait naître un grand espoir. Nous devons faire preuve d’humilité face à ceux qui ont été rapatriés, comme face à ceux qui n’ont pu rejoindre notre rive.

Nous sommes nombreux, au sein de cet hémicycle, à déplorer le communautarisme. Oui, notre République, riche de sa diversité, nourrit l’ambition humaniste de ne faire qu’un ! Toutefois, lorsque ces rapatriés sont arrivés sur notre sol, nous avons indéniablement manqué de fraternité à leur égard. En réaction, une formidable solidarité s’est développée au sein de cette communauté : comment le leur reprocher ? À l’instar de certains représentants d’associations, je regrette que ce texte les divise et les segmente.

Bien sûr, les souffrances ont été diverses, elles ont duré plus ou moins longtemps ; mais nous devons cette reconnaissance à l’ensemble des harkis. Certains d’entre eux vivaient certes en milieu ouvert, mais leurs conditions d’existence n’en étaient pas moins précaires.

Ce projet de loi a sans doute été inscrit à l’ordre du jour avec un peu de précipitation, mais je le voterai dans un esprit de responsabilité, à condition que l’amendement cosigné par de nombreux sénateurs de mon groupe, à l’article 3, soit adopté.

Au cours de nos discussions, je veillerai également à garantir l’indépendance de la commission nationale de reconnaissance et de réparation. Ma collègue Christine Bonfanti-Dossat et moi-même avons déposé un amendement en ce sens.

Madame la ministre, mes chers collègues, c’est cette garantie qui permettra à la commission nationale d’exprimer pleinement notre reconnaissance envers les harkis, même si – je le sais parfaitement – cette page douloureuse ne se tournera pas facilement. Il faudra poursuivre notre travail.

Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Hussein Bourgi applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

Chapitre Ier

Reconnaissance et mesures de réparation

La Nation exprime sa reconnaissance envers les harkis, les moghaznis et les personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie et qu’elle a abandonnés.

Elle reconnaît sa responsabilité du fait de l’indignité des conditions d’accueil et de vie sur son territoire, à la suite des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 relatives à l’Algérie, des personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et des membres de leurs familles, hébergés dans des structures de toute nature où ils ont été soumis à des conditions de vie particulièrement précaires ainsi qu’à des privations et à des atteintes aux libertés individuelles qui ont été source d’exclusion, de souffrances et de traumatismes durables.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Émilienne Poumirol, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Émilienne Poumirol

En vertu de l’article 1er, la nation française exprime sa reconnaissance envers les harkis et les personnels des différentes formations supplétives bénéficiant du statut de civil de droit local, qui l’ont servie en Algérie et qu’elle a abandonnés.

Nous saluons cette reconnaissance, très attendue par les anciens harkis.

L’article reconnaît également la responsabilité de la Nation à l’égard de ces personnes pour l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans les camps et hameaux de forestage, entre 1962 et 1975.

Par le biais d’un amendement, Mme la rapporteure précise et élargit la notion de « structures » présente dans le texte initial. Toutefois, il nous semble que la reconnaissance de l’État et sa responsabilité dans les conditions d’accueil et de vie sur le territoire devraient valoir pour l’ensemble des harkis et membres de leurs familles rapatriés.

Veillons à ne pas écarter celles et ceux qui n’ont pas transité dans ces structures. Dans bien des cas, il s’agit de familles arrivées en France par leurs propres moyens, sans bénéficier d’un rapatriement militaire. Rien ne justifie qu’on les exclue du bénéfice des réparations : elles ont droit, elles aussi, à un traitement équitable.

Nous en sommes convaincus, un droit à réparation individuelle et une reconnaissance non discriminatoire seront sources d’apaisement.

Debut de section - PermalienPhoto de Hussein Bourgi

Madame la ministre, l’article 1er du projet de loi reconnaît la responsabilité de la France dans les conditions indignes et même inhumaines dans lesquelles notre pays a rapatrié et accueilli ces citoyens français, dont le seul tort aura été d’aimer la France, de la servir et de la défendre.

Le patriotisme des harkis a été bien mal récompensé : la mère patrie pour laquelle ils se sont engagés au péril de leur vie les a abandonnés.

L’histoire des harkis, j’ai appris à la connaître en parlant, depuis trente ans, avec ces hommes et ces femmes. J’ai écouté les souffrances endurées et les sévices subis. J’ai écouté le profond sentiment d’injustice qu’ils portent en bandoulière, en lieu et place des armes qui leur servaient à défendre la France et qui leur ont été retirées, de sorte qu’ils ont été livrés aux représailles. J’ai écouté le silence assourdissant de ces hommes et de ces femmes qui, par pudeur ou par épuisement, ne pouvaient ou ne voulaient plus évoquer les exactions et les humiliations endurées.

À force d’écouter les harkis, j’ai épousé leur cause et leur combat. L’histoire des harkis est aussi la nôtre.

Longtemps, ces hommes, ces femmes et leurs enfants ont été relégués dans certains lieux, notamment les hameaux de forestage de mon département, à Saint-Pons-de-Thomières, à Lodève et à Avène, et les centres de transit de ma région, à Rivesaltes dans les Pyrénées-Orientales, à La Cavalerie en Aveyron et à Saint-Maurice-l’Ardoise dans le Gard.

Très longtemps, ces hommes et ces femmes ont aussi subi une relégation mémorielle, comme s’ils étaient la mauvaise conscience de la France.

Madame la ministre, vous nous proposez aujourd’hui de réparer les fautes commises à l’encontre des harkis. Nous y sommes naturellement favorables, mais pas à n’importe quel prix, pas en divisant les harkis, en sélectionnant ceux qui seraient dignes de prétendre à une réparation contre ceux qui le seraient moins.

Certes, le préjudice n’a pas été le même pour tous et il conviendra de l’évaluer de manière individuelle avant de l’indemniser. Mais, de grâce – je vous en conjure –, il ne faut ni mégoter ni barguigner !

Applaudissements sur des travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Paccaud

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il est dans l’histoire de France bien des heures glorieuses, mais il est aussi des pages plus sombres, enfouies sous un oubli gêné. C’est le cas de la guerre d’Algérie, dont notre mémoire collective a tant de mal à s’emparer.

Les plaies ne sont pas cicatrisées, peut-être parce que ces « tristes événements », comme on les a longtemps faussement appelés, ne sont pas si lointains ; peut-être aussi parce que notre nation souffre de n’avoir pas su trouver une issue moins sanglante et cruelle à ce conflit.

Certes, rien n’était simple. Entre l’attachement des pieds-noirs au sol d’Afrique, la détermination des indépendantistes algériens et l’impatience de la métropole à sortir de ce bourbier, où tant d’appelés laissèrent leur vie ou leur jeunesse, l’Algérie fut un récif tranchant sur lequel se brisèrent plusieurs gouvernements et même une République.

À la fois guerre civile et guerre d’indépendance, la tragédie algérienne est une page de ce passé qui ne passe pas.

S’il était difficile, voire impossible, de résister au vaste mouvement de décolonisation, si le terrorisme à outrance du Front de libération nationale (FLN) et de l’Organisation armée secrète (OAS) ne cessait de fortifier ce nid de scorpions, le sort réservé aux harkis à la fin du conflit n’est à l’honneur ni de la France ni de l’Algérie.

Ces citoyens français fidèles à la France furent, après les accords d’Évian, doublement persécutés. Abandonnés d’un côté, pourchassés de l’autre, ils périrent par milliers. Pour ceux qui eurent la chance de traverser la Méditerranée et de rallier la France, l’accueil, souvent dans des camps ou des structures de fortune, ne fut pas toujours chaleureux.

Injustement oubliés et négligés, nos amis harkis méritent l’hommage de la nation française tout entière, car c’est leur nation. Leur sacrifice et leur amour de la France ont longtemps été ignorés. Il est temps de le reconnaître. Il est temps de rendre aux harkis, à ces braves et à leurs descendants, ce que la France leur doit.

Ce texte constitue une avancée réelle, mais perfectible. À nous de l’améliorer pour que la France puisse enfin regarder ses fils harkis droit dans les yeux.

Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous accordons tous ce point : nous parlons aujourd’hui d’un drame français.

Pour ma part, je n’aborderai qu’un seul sujet. Depuis des années, nous demandons la reconnaissance de la République pour tous les anciens combattants d’Afrique du Nord et bien évidemment les harkis, forts de leur sens du devoir, de leur courage et de leur fraternité d’armes. Ils ont appris combien être français exigeait de sacrifices. Ils ont vu leurs camarades tomber. Ils ont droit au respect de la Nation.

Il faut le dire aux harkis : notre pays sait ce que nous leur devons. Ils ont tout donné et ils ont tout quitté, parce qu’ils avaient fait le choix de leur pays, la France. Pour savoir ce qu’est l’identité nationale, il suffit de les écouter. Leur histoire nous dit qu’être français c’est choisir la France et l’aimer par-dessus tout.

N’oublions pas ce que fut la guerre d’Algérie, non pas pour raviver les plaies d’un passé douloureux, mais, comme je l’espère, pour construire une mémoire réconciliée, sereine et apaisée. Toutefois, il faudra une volonté mutuelle, ce qui pose quand même problème de l’autre côté de la Méditerranée. En France, tout au moins, il nous faut assurer la justice et la vérité.

Madame la ministre, le discours du Président de la République aux harkis a été bien accueilli, mais le texte que nous examinons aujourd’hui a déçu. Le discours comportait des avancées sans être dénué d’angles morts. Ce moment de l’histoire de France n’est pas celui des fidélités déçues, mais celui des fidélités trahies. La réparation ne pourra pas tout effacer, surtout soixante ans après les faits.

À mon sens, la France ne pourra pas exprimer sa reconnaissance envers les harkis tant qu’elle continuera de célébrer les tragiques accords d’Évian qui marquent le début du drame pour les harkis, comme pour les Français d’Algérie, les Européens et les autres – je pense notamment à la fusillade de la rue d’Isly et au massacre d’Oran.

Protestations sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

Nous présenterons des amendements, non pas pour satisfaire les associations, même si celles-ci accomplissent un travail remarquable – je les salue, d’autant que j’ai toujours beaucoup de plaisir et d’émotion à les accompagner –, mais pour donner à ce texte un supplément d’âme grâce auquel la République, dont nous sommes les représentants, retrouvera ses valeurs, son histoire et sa mémoire.

Au moment même où, en Algérie, les harkis devaient se cacher, où ils ne pouvaient sortir que la nuit, d’autres Français traversaient la Méditerranée. Or le ministre de l’intérieur de l’époque, également maire de Marseille, déclarait à leur intention : « Qu’ils aillent se réadapter ailleurs ! Qu’ils repartent d’où ils viennent ! »

Protestations sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

Mme Valérie Boyer. Telle est l’histoire que nous avons en partage.

Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Chasseing

Les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires saluent l’inscription dans ce texte de la reconnaissance de la Nation envers l’ensemble des supplétifs qui ont servi la France en Algérie et que notre pays a abandonnés, ainsi que de la responsabilité de l’État dans les conditions d’accueil et de vie indignes sur notre territoire faites aux anciens supplétifs, qui avaient choisi la France, et à leurs familles.

Ces personnes ont subi des conditions de vie particulièrement précaires, au sein de structures fermées.

Le champ de la reconnaissance n’inclut pas les 40 000 rapatriés d’origine algérienne qui n’ont pas séjourné dans les camps de transit. Toutefois, certains d’entre eux qui sont passés par ces camps avant d’aller vivre en ville pourront obtenir des indemnités.

Selon nous, tous les rapatriés devraient être indemnisés : dans les structures urbaines, la vie n’avait rien non plus de confortable, quand bien même on gardait la liberté de circuler.

La distinction opérée dans le texte entre les harkis qui pourront toucher réparation pour avoir vécu en structures fermées et ceux qui ne le pourront pas, car ils étaient en ville, n’est pas entièrement satisfaisante.

Toutefois, cette mesure reste une avancée. Elle marque une étape dans le processus de reconnaissance totale des harkis, lequel devra être poursuivi. Nous sommes donc favorables à cet article.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Madame la ministre, comme beaucoup de mes collègues, je demande à mon tour que la réparation soit générale, qu’il n’y ait pas de séparation incompréhensible.

J’attire votre attention sur un exemple précis. Dans mon département, le Loiret, plus précisément dans la commune de Semoy, se trouve la cité dite « de l’Herveline ». Depuis des décennies, j’en entends parler par les harkis, par leurs familles et par leurs descendants, qui me disent : « On ne nous reconnaît pas, on ne nous prend pas en considération, nous ne sommes sur aucune liste. »

Conjointement avec le maire de la commune, M. Laurent Baude, avec les harkis du Loiret et leurs représentants, je vous le demande avec force : la future commission doit avoir toute latitude pour examiner l’ensemble des situations ; tous les dossiers doivent pouvoir être examinés ou réexaminés.

Ainsi, des personnes qui se sont trouvées dans une situation d’isolement, venant de cités, de camps de transit, que l’on appelait presque ironiquement des camps d’accueil, ou de hameaux de forestage, et qui ont échoué là ou ailleurs, seront pleinement prises en considération. L’examen de leur dossier leur permettra de bénéficier des réparations.

Dès lors que l’on reconnaît un devoir de réparation, il ne faut pas que les critères mis en œuvre puissent être jugés arbitraires par qui que ce soit. Or le seul moyen d’éviter l’arbitraire, c’est de prendre en compte toutes les situations.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Je suis saisie de dix-neuf amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 39, présenté par M. Temal, Mmes Poumirol et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier et Rossignol, MM. Bourgi, Stanzione, Michau, Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Après le mot :

assimilés

insérer les mots :

citoyens français anciennement

La parole est à M. Rachid Temal.

Debut de section - PermalienPhoto de Rachid Temal

Madame la ministre, l’adoption de cet amendement ne coûtera rien, hormis un peu d’honneur.

L’idée est simple : il s’agit de reconnaître dans la loi que les harkis sont des citoyens français. C’est la moindre des choses quand on a servi dans l’armée. En outre, ce statut leur était accordé en vertu du bloc constitutionnel de 1946. Enfin, l’ordonnance du 21 juillet 1962 le précisait de nouveau. Cette demande est donc légitime et naturelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’amendement n° 2 rectifié, présenté par Mme V. Boyer, M. Regnard, Mmes Muller-Bronn et Joseph, MM. Meignen, Meurant, Daubresse, Longuet et Babary, Mme Dumont et MM. Sido, Le Rudulier et Laménie, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Après le mot :

Algérie

insérer les mots :

en tant que citoyens français

La parole est à Mme Valérie Boyer.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

Cet amendement, comme d’autres déposés par mes collègues, a pour seul objet de rétablir la dignité, la vérité et la justice.

Les associations relaient une forte demande de la part des harkis : inscrire dans le marbre de la loi qu’avant d’être harkis ou membres de telle ou telle formation supplétive ils étaient des citoyens français.

Dans leur immense majorité, ces anciens supplétifs réfugiés en France métropolitaine sont juridiquement redevenus français par la procédure de déclaration recognitive qui leur a été ouverte jusqu’en 1967 par l’ordonnance du 21 juillet 1962.

L’ambition de ce projet de loi étant de « reconnaître la responsabilité de la France du fait des conditions indignes de l’accueil des personnes anciennement de statut civil de droit local et de leurs familles, rapatriées d’Algérie, sur son territoire après les accords d’Évian et de réparer les préjudices subis par ces personnes résultant de leurs conditions de vie, particulièrement précaires, dans les structures de transit et d’hébergement où ils ont été cantonnés », il convient de nommer justement les événements et les personnes impliquées.

Je rappelle que les harkis étaient des militaires français et qu’ils ont versé leur sang lors de plusieurs conflits, en France métropolitaine ou ailleurs. On refusant de leur reconnaître la nationalité française, on contreviendrait à l’objectif de réparation que fixe le texte.

Tous les 25 septembre et tous les 5 décembre, je me rends aux commémorations en l’honneur des harkis et des soldats morts pendant la guerre d’Algérie. Mais, aujourd’hui, il faut retenir une date unique pour rendre un même hommage à tous les combattants d’alors qui ont choisi la France et qui étaient français. Ce choix est celui de la justice et de la dignité, tant pour notre histoire que pour ces personnes et pour leurs descendants, pour ceux qui sont encore là et qui souffrent toujours de discriminations.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’amendement n° 14, présenté par M. Bourgi, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 1

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

La France reconnaît que les harkis étaient des citoyens français à part entière lorsqu’ils servaient et défendaient ses intérêts.

La parole est à M. Hussein Bourgi.

Debut de section - PermalienPhoto de Hussein Bourgi

Madame la ministre, lorsque les harkis se sont engagés au service de la France, pendant la guerre d’Algérie, ils étaient considérés comme des citoyens français à part entière. Ils ont perdu la nationalité française lors de la conclusion des accords d’Évian, mais l’ont recouvrée progressivement grâce à l’ordonnance du 21 juillet 1962.

Cet épisode fâcheux a été vécu par les intéressés comme une marque d’indignité infligée par la mère patrie. Plus récemment, certains d’entre eux me disaient qu’ils l’avaient ressenti comme une déchéance de nationalité, comme une infamie de plus.

Il convient de proclamer dans la loi, une bonne fois pour toutes, que les harkis ont été et sont restés des citoyens français à part entière. Au-delà de la réparation symbolique, il s’agit d’une réalité que nul ne peut nier ou contester.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’amendement n° 31 rectifié, présenté par M. Tabarot, Mme V. Boyer, MM. Mandelli, J.M. Arnaud, J.B. Blanc, Le Rudulier, Laménie et Hingray, Mme Ventalon, MM. Longuet, Belin, Détraigne, Favreau et Chaize, Mme Herzog, MM. Rietmann, Somon et Klinger, Mme Muller-Bronn, MM. Regnard, Grosperrin, Paccaud, Bonne, Daubresse et Sol, Mmes Demas et Devésa et M. Saury, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 1

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

La France reconnaît que les harkis ont servi en Algérie en tant que citoyens français.

La parole est à M. Philippe Tabarot.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Tabarot

Cet amendement vise à entériner la qualité de Français des harkis qui ont combattu en Algérie.

Comme l’ont dit les orateurs précédents, les harkis se sont battus pour la France et ils étaient bel et bien français avant de perdre cette nationalité lors des accords d’Évian, puis de la recouvrer.

Cet amendement vise à poursuivre le processus de reconnaissance engagé par ce projet de loi. Les harkis étaient français non seulement parce qu’ils avaient fait le choix de la France, mais aussi parce que l’Algérie était française, n’en déplaise à certains.

Madame la ministre, madame la rapporteure, ce point ne souffre aucune contestation historique, si bien que de telles dispositions peuvent être acceptées par tous. Les harkis ont besoin de recevoir une réparation – nous y reviendrons dans quelques instants –, mais ils méritent surtout notre reconnaissance. Nous devons rappeler qu’ils étaient français.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’amendement n° 3 rectifié, présenté par Mme V. Boyer, M. Regnard, Mmes Muller-Bronn et Joseph, MM. Meignen, Meurant, Daubresse, Longuet et Babary, Mme Dumont et MM. Sido et Le Rudulier, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 1

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

La France reconnaît sa responsabilité pleine et entière du fait de l’ordre donné par le Gouvernement français de ne pas rapatrier les harkis et leurs familles, conduisant de fait à leur abandon sur le territoire algérien, postérieurement aux déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 relatives à l’Algérie. Elle reconnaît que cet abandon a conduit les populations de harkis et personnes anciennement de statut civil de droit local, exposées aux représailles de membres du Front de libération nationale, à un sort tragique et souvent fatal.

La parole est à Mme Valérie Boyer.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

Cet amendement vise à reconnaître que l’abandon par la France des forces supplétives sur le sol algérien a conduit à de nombreuses représailles contre les harkis et leurs familles. Plusieurs milliers de harkis ont en effet été massacrés sur le sol algérien, dans des conditions particulièrement cruelles.

Dans son discours du 20 septembre dernier, le Président de la République a évoqué la date du 19 mars 1962 comme « la fin des combats, le soulagement pour beaucoup, l’angoisse pour tant d’autres, le début du calvaire pour les harkis, la cruauté des représailles, l’exil ou la mort ». En somme, les harkis ont eu le choix entre la valise et le cercueil.

Si la France ne saurait reconnaître la responsabilité de massacres qu’elle n’a pas commis, elle doit reconnaître sa responsabilité dans l’abandon délibéré des harkis et des personnes anciennement de statut civil de droit local, restés en Algérie, et de leurs familles. C’est cet abandon qui a conduit aux massacres.

Dans un esprit de reconnaissance, il est important que nous votions ces amendements. Je le répète, si la France n’a pas commis ces exactions, elle doit réparation aux Français qu’elle a abandonnés et trahis en Algérie.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’amendement n° 18, présenté par Mme Devésa, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 1

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Elle reconnaît que les déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 relatives à l’Algérie ont amené à l’abandon des harkis, pourtant citoyens français, entraînant des massacres sur le territoire algérien, des représailles ainsi que l’exil forcé de harkis.

La parole est à Mme Brigitte Devésa.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Devesa

Bon nombre d’amendements auront la même teneur que celui que je présente, mais il est important de persister pour graver dans le marbre la responsabilité de l’État français dans l’abandon et les massacres des harkis et de leurs familles, après les accords d’Évian du 19 mars 1962.

Cet amendement vise également à inscrire noir sur blanc dans ce texte les mots « citoyens français » pour qualifier les harkis.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’amendement n° 4 rectifié, présenté par Mme V. Boyer, M. Regnard, Mme Muller-Bronn, MM. Meignen, Meurant, Daubresse et Longuet, Mme Dumont et MM. Sido et Le Rudulier, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

Elle reconnaît sa responsabilité du fait de l’accueil attentatoire à la dignité humaine de ceux qui ont été relégués dans des structures de toute nature où ils ont été soumis à des conditions de vie particulièrement précaires ainsi qu’à des spoliations, à des privations et à des atteintes aux libertés individuelles et aux libertés publiques qui ont été source d’exclusion, de souffrances et de traumatismes durables induisant une perte de chance pour les harkis et les enfants nés dans ces familles.

La parole est à Mme Valérie Boyer.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

Cet amendement tend à inclure dans le champ de la reconnaissance prévue par cette loi les ayants droit des harkis qui ont subi une perte de chance due à leurs conditions de vie difficiles et à l’absence de scolarisation. On leur a ainsi infligé une rupture d’égalité par rapport aux autres citoyens et enfants de la République.

Élargir la reconnaissance de la faute de la France à l’endroit de la deuxième génération, passée par les camps, hameaux de forestage et foyers, particulièrement quand l’État a failli à son devoir de scolarisation des enfants, constituerait une avancée sans précédent, que le Président de la République a d’ailleurs appelée de ses vœux dans son discours du 20 septembre 2021.

De plus, il s’agit de recueillir les témoignages de la deuxième génération qui a eu à vivre dans les camps, les hameaux de forestage ou les foyers, afin qu’elle obtienne réparation pour ces conditions de vie indignes et l’absence de scolarisation des enfants.

Cet amendement vise donc à mettre en cohérence les paroles prononcées par le Président de la République et ce texte de loi.

Il s’agit également de reconnaître que ceux qui ont été relégués dans les structures d’hébergement ou de transit ont subi divers préjudices, allant de la privation de liberté à la spoliation.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’amendement n° 53, présenté par M. Bourgi, Mmes Poumirol et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier et Rossignol, MM. Temal, Stanzione, Michau, Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Après le mot :

responsabilité

insérer les mots :

dans l’abandon des harkis sur le sol algérien, la gestion aléatoire du rapatriement de certains d’entre eux et les conditions particulièrement inhumaines des harkis qui furent accueillis dans les structures dédiées sur le territoire français

La parole est à M. Hussein Bourgi.

Debut de section - PermalienPhoto de Hussein Bourgi

Madame la ministre, ce projet de loi reconnaît la responsabilité de la France à l’égard des harkis vivant dans notre pays. Mais la France porte aussi une responsabilité à l’égard de ceux qui sont restés sur le sol algérien et qui y sont morts. Il convient de le reconnaître, par devoir moral et politique.

Ce faisant, on honorerait la mémoire de ces martyrs. Bon nombre d’entre eux ont été égorgés. Pendant plusieurs jours, leur sang a rougi le sol algérien et le port d’Alger, où ils ont attendu désespérément que l’armée française et la France viennent à leur secours.

Debut de section - PermalienPhoto de Hussein Bourgi

Bien sûr, il est impossible de leur accorder la moindre réparation ; mais, à tout le moins, il symboliquement leur faire une petite place dans la mémoire collective.

Les dispositions proposées par des collègues siégeant sur toutes les travées témoignent du consensus que suscite cette demande au Sénat. Je vous prie de l’entendre et d’y faire droit.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’amendement n° 32 rectifié, présenté par MM. Tabarot et Mandelli, Mme V. Boyer, MM. Longuet, J.M. Arnaud, J.B. Blanc, Le Rudulier, Laménie et Hingray, Mme Ventalon, MM. Belin, Favreau et Chaize, Mme Herzog, MM. Somon et Klinger, Mme Muller-Bronn, MM. Regnard, Grosperrin, Paccaud, Bonne, Daubresse et Sol et Mmes Demas et Devésa, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Après le mot :

responsabilité

insérer les mots :

dans l’abandon et

La parole est à M. Philippe Tabarot.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Tabarot

Le premier alinéa de l’article 1er reconnaît l’abandon des harkis. Pour notre part, nous souhaitons aller plus loin en précisant la responsabilité de la Nation dans cet abandon. Si la Nation reconnaît avoir abandonné les harkis après le 19 mars 1962, elle doit aussi admettre sa responsabilité dans la défaillance de leur rapatriement.

Cet article est purement déclaratif et nous nous devons d’être fidèles à l’histoire des harkis. Ces derniers ont été abandonnés, désarmés par la France, laissés à leur triste sort face aux actes barbares du FLN.

Tel est donc l’objet de cet amendement : reconnaître la responsabilité de la France, non seulement dans les conditions d’accueil des harkis, mais également dans leur abandon.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’amendement n° 40, présenté par M. Temal, Mmes Poumirol et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier et Rossignol, MM. Bourgi, Stanzione, Michau, Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Remplacer le mot :

personnes rapatriées

par les mots :

citoyens français rapatriés

La parole est à M. Rachid Temal.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’amendement n° 43, présenté par M. Stanzione, Mmes Poumirol et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier et Rossignol, MM. Bourgi, Temal, Michau, Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Après le mot :

rapatriées

insérer les mots :

ou rentrées en France par leurs propres moyens

La parole est à M. Lucien Stanzione.

Debut de section - PermalienPhoto de Lucien Stanzione

Ce projet de loi reconnaît les préjudices subis par les harkis et les personnes de statut civil de droit local lors dans leur retour en France.

Circonscrire cette reconnaissance aux seules personnes rapatriées et hébergées dans les structures d’accueil particulières reviendrait, une fois encore, à manquer à notre devoir.

En effet, lors des opérations de rapatriement, certains harkis sont venus en métropole par leurs propres moyens. Or leurs conditions de vie étaient aussi difficiles et indignes que celles des harkis rapatriés.

Toutes ces raisons militent pour une reconnaissance et une réparation identiques : il serait totalement illogique de ne pas inclure dans ce dispositif les personnes rentrées par leurs propres moyens.

Cet amendement vise donc à prendre en considération l’ensemble des personnes rentrées en France : les harkis et les autres personnes anciennement de statut civil de droit local, quel que soit leur mode de retour et d’hébergement en métropole.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’amendement n° 33 rectifié, présenté par M. Tabarot, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Après les mots :

des personnes rapatriées d’Algérie

insérer les mots :

ou arrivées par leurs propres moyens

La parole est à M. Philippe Tabarot.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Tabarot

Cet amendement vise à compléter l’article 1er, qui évoque les harkis rapatriés et oublie que certains sont arrivés par leurs propres moyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Tabarot

Ainsi, on éviterait d’exclure certaines personnes du champ de la loi.

Certains harkis ont été emprisonnés et torturés en Algérie en violation des fameux accords d’Évian du 19 mars 1962, pourtant censés garantir la sécurité des biens et des personnes. Certains harkis ont ainsi été contraints, du fait de leur emprisonnement en Algérie, de ne rejoindre la France que bien des années plus tard, après le rapatriement initial et par leurs propres moyens.

En évoquant le seul rapatriement, ce projet de loi ne prend pas en compte la réalité vécue par les harkis. Mon amendement vise simplement à corriger cette erreur.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’amendement n° 41, présenté par M. Temal, Mmes Poumirol et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier et Rossignol, MM. Bourgi, Stanzione, Michau, Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Supprimer les mots :

, hébergés dans de structures de toute nature où ils ont été soumis à des conditions de vie particulièrement précaires ainsi qu’à des privations et à des atteintes aux libertés individuelles qui ont été source d’exclusion, de souffrances et de traumatismes durables

La parole est à M. Rachid Temal.

Debut de section - PermalienPhoto de Rachid Temal

Les dispositions de cet amendement sont relativement simples et correspondent aux positions défendues, me semble-t-il, sur toutes les travées de cet hémicycle.

Il faut éviter toute distinction entre les harkis ayant transité par des camps et les autres. Ainsi, notre amendement tend à retirer le périmètre limitatif de la disposition, à savoir le passage par les camps.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’amendement n° 42, présenté par M. Temal, Mmes Poumirol et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier et Rossignol, MM. Bourgi, Stanzione, Michau, Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Après le mot :

familles,

insérer le mot :

notamment

La parole est à M. Rachid Temal.

Debut de section - PermalienPhoto de Rachid Temal

Avec cet amendement de repli, nous proposons de ne pas limiter la réparation aux seules personnes ayant transité par les camps.

Il me semble que nous visons tous le même but : réparer l’ensemble du drame vécu par les harkis et reconnaître leurs années de combat pour la France, puis leur abandon par la France. C’est aussi simple que cela.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’amendement n° 15 rectifié, présenté par M. Guiol, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Remplacer les mots :

dans des structures de toute nature

par les mots :

pour leur transit puis leur cantonnement dans des structures de toute nature fermées ou ouvertes

La parole est à M. André Guiol.

Debut de section - PermalienPhoto de André Guiol

Cet amendement vise à éviter toute discrimination envers la communauté harkie, induite par une distinction fondée, dans la rédaction actuelle de l’article 1er, sur les conditions d’accueil et d’hébergement sur le territoire français.

Si ce projet de loi cible assez bien la reconnaissance des préjudices subis lors de l’accueil des harkis en métropole, il est dommageable de distinguer les structures ouvertes et fermées. Toutes ont, malheureusement, provoqué des frustrations et des situations d’isolement, de gravité et d’intensité variables. Il appartiendra à la commission ad hoc de quantifier le montant du préjudice.

Cette commission nationale indépendante, créée pour la circonstance à l’article 3, pourra instruire les demandes de reconnaissance et de réparation grâce à une enveloppe financière dédiée, annuelle et normée. Elle devra examiner toutes les formes de logement ayant abouti à une relégation.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’amendement n° 51, présenté par M. Bourgi, Mmes Poumirol et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier et Rossignol, MM. Temal, Stanzione, Michau, Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Remplacer le mot :

précaires

par le mot :

inhumaines

La parole est à M. Hussein Bourgi.

Debut de section - PermalienPhoto de Hussein Bourgi

Cet amendement vise à remplacer l’adjectif « précaire » par l’adjectif « inhumaine ». Ce n’est pas simple question sémantique, car derrière les mots se cachent des réalités.

Parler de précarité pour évoquer les conditions d’accueil et de vie des harkis revient, en somme, à atténuer les faits. Les harkis ont été relégués, privés de transports en commun et d’accès à l’eau potable. Leurs enfants ont été déscolarisés. Ils ont subi la promiscuité et l’absence de soins.

Tous ces faits, attestés et prouvés, étaient malheureusement la règle dans beaucoup de hameaux de forestage. Ces derniers étaient très éloignés des villes, des bourgs et des villages. Le but était clair : empêcher les harkis de se mêler à la population.

Voilà ce que j’appelle des conditions inhumaines. Si elles n’avaient été que précaires, les harkis auraient été hébergés à l’hôtel ou dans des lieux plus conformes à la notion de confort.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’amendement n° 59, présenté par Mme Benbassa, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

L’État français reconnaît avoir refusé de rapatrier tous les harkis en les abandonnant à leur sort sur le territoire algérien.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Comme mes collègues l’ont rappelé, l’article 1er ne concerne que les harkis ayant vécu dans les camps, pas ceux venus d’Algérie par leurs propres moyens.

En Algérie, des centaines de harkis ont été enfermés, maltraités, molestés et torturés pour avoir combattu auprès de la France. Après la guerre, ils ont été livrés à eux-mêmes.

Tous les supplétifs de l’armée française n’ont pas eu le choix entre partir en France ou rester en Algérie. Certains d’entre eux ont réussi à gagner l’Hexagone plusieurs années après le cessez-le-feu ; mais, à leur arrivée, qu’ont-ils trouvé ? Rejet, misère et humiliation ! Il ne faut en aucun cas les exclure du texte et les priver de leur droit à la réparation.

Cet amendement vise à réécrire le deuxième alinéa l’article 1er afin de reconnaître cette double responsabilité de la France : d’une part, l’abandon des harkis sur le territoire français dans les camps d’accueil et les hameaux de forestage ; de l’autre, l’abandon des harkis sur le sol algérien.

N’oublions aucun d’entre eux : ce serait faire injure à leur engagement pour la France. Nous le devons à leurs descendants – je salue d’ailleurs la présence de certains d’entre eux dans les tribunes.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’amendement n° 5 rectifié, présenté par Mme V. Boyer, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

S’agissant des harkis et des personnes anciennement de statut civil de droit local et leurs familles rapatriées sur son territoire, la France reconnaît sa responsabilité pleine et entière du fait de l’abandon de certains d’entre eux arrivés par leurs propres moyens dans le plus grand dénuement.

La parole est à Mme Valérie Boyer.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

Cet amendement vise à ajouter un alinéa 4 afin d’inclure l’ensemble des harkis et autres personnes anciennement de statut civil de droit local dans le champ de la reconnaissance prévue par ce texte.

Il est bon de le rappeler une fois de plus : certains d’entre eux sont arrivés en France par leurs propres moyens et, sans séjourner dans des structures d’accueil, ont été livrés à la plus grande précarité dans l’indifférence générale, voire parfois dans l’hostilité.

Ils ont de fait subi un préjudice. Circonscrire ce projet de loi à l’espace déterminé des structures de toute nature exclura, en violation du principe constitutionnel d’égalité des citoyens, des harkis qui ne sont pas passés par ces structures, mais qui seraient pourtant éligibles à une reconnaissance du préjudice subi du fait de leur statut.

Cette reconnaissance est une sépulture de dignité pour ceux qui sont morts dans des conditions atroces, victimes d’actes barbares, torturés par le FLN et abandonnés par la France.

Il s’agit également d’une réparation morale : elle doit s’appliquer à toutes les situations si douloureuses vécues par ces Français qui venaient de l’autre côté de la Méditerranée.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’amendement n° 44, présenté par M. Stanzione, Mmes Poumirol et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier et Rossignol, MM. Bourgi, Temal, Michau, Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

Elle reconnaît sa responsabilité du fait de l’accueil attentatoire à la dignité humaine des personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et des membres de leurs familles, ainsi que les souffrances et les traumatismes durables occasionnés par ces conditions de rapatriement, induisant une perte de chance pour les harkis et les enfants nés dans ces familles.

La parole est à M. Lucien Stanzione.

Debut de section - PermalienPhoto de Lucien Stanzione

Dans son discours du 20 septembre 2021, le Président de la République déclarait : « Sur ce sujet, je serai clair : il s’agit de réparer d’abord pour la première génération et de pouvoir revaloriser les allocations pour les anciens combattants et leurs veuves, c’est un devoir. »

Il poursuivait : « Ensuite, il s’agit de recueillir les témoignages et de réparer [les préjudices] pour la deuxième génération qui a eu à vivre les camps, qui a eu à vivre les hameaux de forestage ou les foyers dans des conditions de vie indignes et l’absence d’accès à l’école pour les enfants. »

J’ajoute que ceux qui se sont trouvés isolés en dehors de ces structures de cantonnement forcé ont, eux aussi, été touchés.

Cet amendement vise donc à ce que les traumatismes et les préjudices subis par les enfants accueillis dans ces conditions indignes soient reconnus et inscrits dans la loi.

En résumé, les discours, c’est bien ; mais une réparation effective et sans délai, c’est beaucoup mieux !

M. Rachid Temal approuve .

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre Richer

L’article 1er exprime la reconnaissance de la Nation envers les harkis qui ont servi la France et qu’elle a abandonnés.

Il prévoit ensuite de reconnaître la responsabilité de la Nation du fait de l’indignité des conditions d’accueil subies par certains harkis et leurs familles hébergés dans des structures telles que des camps et des hameaux de forestage – nous l’avons tous évoqué lors de la discussion générale.

Rappelons que la reconnaissance de la Nation envers les harkis est déjà exprimée dans deux lois toujours en vigueur : celle du 11 juin 1994 et celle du 23 février 2005.

Je regrouperai les amendements par thème, plusieurs d’entre eux ayant des objets analogues.

Sous des rédactions différentes, les amendements n° 39, 2 rectifié, 14, 31 rectifié et 40 tendent à préciser que les harkis étaient des citoyens français. Or tous les supplétifs n’étaient pas français : certains Marocains et Tunisiens résidant en Algérie ont servi dans les harkas.

Concernant les autres supplétifs, je tiens à être parfaitement claire : nul ne remet en cause leur qualité de citoyen français, qui a motivé leur engagement au service de la France. Je précise qu’aux termes de l’ordonnance du 21 juillet 1962, les supplétifs de statut civil de droit local ont perdu la nationalité française le 1er janvier 1963, sauf si, établis en France, ils ont souscrit avant le 22 mars 1967 une déclaration de reconnaissance de la nationalité française. Il ne me semble pas nécessaire d’inscrire cette précision dans la loi.

J’émets donc un avis défavorable sur ces amendements ; mais en aucun cas je ne remets en cause le fait que ce sont des citoyens français.

Sous différentes rédactions, les amendements n° 3 rectifié, 18, 53, 32 rectifié, 59 et 5 rectifié visent à reconnaître la responsabilité de l’État du fait de l’abandon des supplétifs en Algérie. Certains tendent à évoquer la mauvaise gestion du rapatriement et le fait que certains harkis sont arrivés en France par leurs propres moyens.

Si je souscris pleinement à l’intention des auteurs, je souligne que le gouvernement de l’époque n’a pas donné l’ordre de ne pas rapatrier les supplétifs, mais de limiter les arrivées au strict cadre du plan général de rapatriement. Rappelons également que le FLN s’était engagé à assurer leur sécurité après les accords d’Évian.

M. Philippe Tabarot s ’ exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre Richer

Ces amendements me paraissent satisfaits dans la mesure où le premier alinéa de l’article 1er reconnaît déjà explicitement l’abandon des harkis par la France.

J’ajoute qu’une telle précision du champ de la responsabilité de l’État à l’article 1er serait sans effet, puisqu’elle n’entraînerait aucune conséquence en matière de réparation à l’article 2. En conséquence, elle susciterait un espoir qui ne pourrait qu’être déçu.

Je demande donc le retrait de ces amendements ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Les amendements n° 4 rectifié et 44 tendent à mentionner la perte de chance subie par les harkis et leurs enfants.

Ces amendements sont satisfaits, car le présent texte reconnaît déjà l’indignité des conditions d’accueil et de vie de ces personnes dans les structures destinées à les recevoir. Cette indignité tient à leur précarité, aux privations et aux atteintes aux libertés individuelles qui leur ont été infligées ; sont concernés l’ensemble des membres de ces familles, dont les enfants.

La perte de chance subie par les enfants de harkis est prise en compte à la fois par ce texte et par les dispositifs d’aide existants, qui, je le rappelle, s’ajoutent à l’aide sociale de droit commun. Lors de nos auditions, certains ont estimé qu’ils ne pouvaient pas cumuler ces deux types d’aide.

Je demande donc le retrait de ces amendements ; à défaut, j’émettrais un avis défavorable.

Les amendements n° 43 et 33 rectifié tendent à adjoindre aux anciens supplétifs rapatriés d’Algérie ceux qui sont arrivés en France par leurs propres moyens.

Or le terme « rapatriés » inclut tous les anciens supplétifs ayant servi en Algérie et s’étant installés en France, quel qu’ait été leur moyen de gagner le territoire national. Ainsi, toutes ces personnes et les membres de leur famille seront éligibles au droit à réparation, à la seule condition d’avoir séjourné dans un camp ou dans un hameau de forestage – c’est là le cœur du texte. Ces amendements étant satisfaits, il n’est pas nécessaire d’apporter une telle précision.

Je demande donc le retrait de ces amendements ; à défaut, j’émettrais un avis défavorable.

Les amendements n° 41, 42 et 15 rectifié visent, sous des rédactions différentes, à étendre le champ de la responsabilité de l’État à l’ensemble des harkis et de leurs familles en supprimant le critère de séjour dans des camps ou hameaux ou en élargissant ce critère à des structures « fermées ou ouvertes ».

Je comprends parfaitement l’intention de leurs auteurs : il est certain que les harkis et leurs familles ont connu des conditions de vie précaires, qu’ils aient été ou non hébergés dans des camps. C’est précisément pourquoi l’alinéa 1er reconnaît leur engagement et leur abandon. En revanche, l’alinéa 2 cible une responsabilité de l’État pour un préjudice particulier, né des conditions d’accueil indignes et privatives de liberté subies dans les camps et hameaux, alors que ces structures étaient sous la responsabilité de l’État. Il y a là une faute imputable à l’État, que l’on ne peut pas étendre aux conditions de vie hors de ces camps.

Voilà pourquoi le droit à réparation, prévu à l’article 2, ne pourrait par exemple pas être étendu à l’accueil dans des cités urbaines, lesquelles n’étaient pas soumises à un régime administratif dérogatoire du droit commun, contrairement aux structures fermées. Une telle mesure créerait par ailleurs une rupture d’égalité envers toutes les autres personnes qui ont séjourné dans ces cités.

Dès lors, l’adoption de cet amendement reviendrait in fine à donner un vain espoir à la communauté harkie et à susciter de la déception.

Mme Valérie Boyer proteste.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre Richer

J’émets donc un avis défavorable sur ces amendements.

Enfin, l’amendement n° 51 vise à mentionner le caractère inhumain des conditions de vie dans les camps et hameaux. Une nouvelle fois, je comprends bien l’intention de nos collègues, qui souhaitent qualifier plus précisément les graves atteintes aux droits et libertés subies par les harkis dans ces structures ainsi que la précarité de leurs conditions de vie. Nul ne peut en douter.

Toutefois, le présent texte indique déjà que les conditions d’accueil étaient indignes, qu’elles ont été marquées par une précarité significative et par des privations et atteintes aux libertés individuelles et aux droits fondamentaux. Ces termes me semblent suffisamment précis pour englober la diversité des conditions de vie subies dans ces structures – les camps, les hameaux ou les prisons reconverties. Il ne me semble pas nécessaire d’apporter la précision proposée.

J’émets un avis défavorable sur cet amendement.

Debut de section - Permalien
Geneviève Darrieussecq

Mesdames, messieurs les sénateurs, je reprendrai quelques éléments fournis par Mme la rapporteure et je vous indique d’ores et déjà que je souscris à ses conclusions.

En toute humilité et en toute franchise, je ne pense pas que les dispositions de ces amendements apportent quelque chose à ce texte simple. Ainsi, le terme « abandon », qui y figure noir sur blanc, se suffit à lui-même.

Comme l’a fait valoir Mme la rapporteure, la citoyenneté est un véritable sujet.

Bien sûr que les harkis sont français.

Debut de section - Permalien
Geneviève Darrieussecq

J’ai toujours insisté sur l’appartenance indéfectible des harkis et de leurs familles à la communauté nationale. Dans les communications qui leur sont dédiées, notre ministère le rappelle de manière systématique : au-delà des questions de justice, c’est un simple état de fait.

Néanmoins – Mme la rapporteure l’a souligné –, tous n’étaient pas français : c’est une question de rigueur historique. Certains d’entre eux étaient tunisiens ou marocains.

Debut de section - Permalien
Geneviève Darrieussecq

Ces derniers, comme tous les harkis, peuvent prétendre à réparation s’ils ont vécu dans des camps et des hameaux de forestage.

Si le terme « abandon » se suffit à lui-même, il est vrai que le 19 mars 1962 et le cessez-le-feu ne sont pas synonymes de soulagement. Les appelés, partis faire la guerre, ont pu éprouver ce sentiment, tant ils avaient hâte de rentrer chez eux ; mais nous savons tous que cette date marque aussi de nouvelles flambées de violence. C’est un fait historique.

Il apparaît clairement qu’à la fin de la guerre d’Algérie les autorités en place ont très nettement sous-dimensionné les plans de rapatriement.

Debut de section - Permalien
Geneviève Darrieussecq

Bien sûr, nous pouvons le reconnaître : c’est précisément ce que nous faisons avec la rédaction actuelle de ce projet de loi.

La France avait fait figurer dans les accords, âprement négociés, la protection des harkis par les nouvelles autorités algériennes. La responsabilité des massacres ne lui incombe donc pas – je pense que nous nous rejoindrons tous sur ce point.

Le rapatriement a eu lieu dans des conditions difficiles, pour une raison simple : il a été largement improvisé et, bien souvent, chaotique. Harkis ou pieds-noirs, tous les rapatriés en ont souffert.

Après le 19 mars 1962, on a orchestré un rapatriement insuffisant, de 5 000, puis 10 000 places. En mai 1962, trois instructions de Pierre Messmer, ministre des armées, Louis Joxe, ministre des affaires algériennes, et Roger Frey, ministre de l’intérieur, ont rappelé l’interdiction des rapatriements hors de ce plan ; et, en septembre 1962, Georges Pompidou a décidé de l’accueil des harkis.

Entre 1963 et 1965, l’ambassade de France a appuyé les efforts du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en faveur de la libération des prisonniers harkis en Algérie. S’en est suivie une arrivée perlée sur le sol français.

Ces harkis entreront dans le périmètre de la réparation s’ils ont vécu dans les camps et les hameaux de forestage – c’est bien le cas de certains d’entre eux.

Ce projet de loi n’oublie personne. Je tiens à rappeler un facteur important de reconnaissance, qui ne figure pas dans le texte : il s’agit du doublement, depuis le 1er janvier dernier, de l’allocation de reconnaissance créée par Jacques Chirac. Cette mesure concerne tous les combattants harkis, qu’ils aient ou non séjourné dans les camps ou les hameaux.

En outre, le présent texte tend à réparer les fautes de l’État, qui a contrevenu aux valeurs de notre République, qu’il s’agisse de l’accueil ou de la scolarisation.

Debut de section - Permalien
Geneviève Darrieussecq

Nous l’avons dit à plusieurs reprises : les personnes enfermées dans les camps et les hameaux ont été privées de leurs libertés et ont subi une mise sous tutelle de l’État. Telles sont les fautes que nous voulons réparer avec ce projet de loi, comme s’y est engagé le Président de la République dans son discours du 20 septembre 2021.

Lors de son examen par l’Assemblée nationale, ce texte a été enrichi de façon remarquable, …

Debut de section - Permalien
Geneviève Darrieussecq

… dans la mesure où, sur la base des travaux des historiens, la commission créée par vos collègues députés pourra compléter la liste des lieux considérés.

Pour arrêter cette liste, on a retenu un certain nombre de critères, que je vous ai déjà indiqués : privation de liberté, tutelle de l’État, déscolarisation, absence de conditions d’hygiène minimale. À l’heure actuelle, plus de quatre-vingts lieux ont été répertoriés, dont soixante-treize hameaux de forestage ; cinq autres lieux ont déjà été ajoutés à la liste, que la commission pourra encore compléter…

Debut de section - Permalien
Geneviève Darrieussecq

Ce travail sera au cœur de ses missions.

Aussi, vous constatez que rien n’est cadenassé. La liste pourra évoluer pour apporter la reconnaissance et les réparations les plus larges possible.

J’ajouterai un dernier élément aux propos de Mme la rapporteure. L’abandon des harkis sur le sol algérien doit faire l’objet d’un traitement mémoriel digne de ce nom. Bien sûr, un partenariat avec l’Algérie nous permettrait d’avancer dans cette direction, mais nous en sommes encore loin. Toutefois, nous devons avoir confiance dans l’avenir. §Plus le temps passera, plus nous serons à même d’en parler sereinement.

Vous l’avez compris, je suis défavorable à l’ensemble de ces amendements.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Rachid Temal

Madame la rapporteure, madame la ministre, je suis extrêmement choqué par vos propos, notamment au sujet de la citoyenneté et de la nationalité française. C’est une vraie claque !

Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce que vous venez de dire dans cet hémicycle. Si l’on mentionne le statut civil de droit local, c’est bien en référence aux Algériens. Il ne me semble pas qu’un tel statut ait existé en Tunisie ou au Maroc : dès lors, l’argument tombe. Vous pouvez aussi sous-amender notre amendement afin d’ajouter les mots « à l’exception des Tunisiens et Marocains ». Ainsi, le problème serait réglé.

Si votre seule réponse consiste à dire que des Tunisiens ou des Marocains – combien, d’ailleurs ? On ne le sait pas – pourraient être concernés, vos arguments ne sont pas à la hauteur.

J’y insiste : ils étaient français. Il suffit de l’indiquer dans le projet de loi. Je ne comprends pas votre opposition, …

Debut de section - PermalienPhoto de Rachid Temal

… à moins que vous ne vouliez humilier les harkis une fois de plus.

Pour ce qui concerne l’élargissement du périmètre retenu, nous pourrons débattre du travail de la commission. Mais le présent texte porte bien concomitamment sur la reconnaissance et la réparation : il ne s’agit pas d’assurer la reconnaissance pour les uns et la réparation pour les autres.

M. Lucien Stanzione opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Rachid Temal

De plus, la réparation ne dépend pas des seules conditions d’accès : nous la devons à des hommes qui ont pris tous les risques pour la France et qui sont morts pour elle. Nous devons une réponse à l’ensemble des harkis ainsi qu’à leur famille.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Philippe Tabarot, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Tabarot

Madame la ministre, madame la rapporteure, notre collègue Rachid Temal vient de le souligner : vous tentez vainement d’opposer la qualité de Marocain et de Tunisien à certains combattants ayant servi dans les harkas.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Tabarot

Vous partez d’une spécificité pour éviter une généralité, pour ne pas reconnaître que les harkis étaient français.

Ainsi, avec ce projet de loi, vous niez l’histoire de ces hommes et de ces femmes qui ont choisi la France parce qu’ils étaient français. Vous évoquez des cas particuliers pour éviter un sujet qui vous déplaît.

Aurez-vous le courage de vous présenter devant les harkis, qui ont combattu au nom de la France et qui attendent une reconnaissance, pour leur nier la qualité de Français ?

Vous vous opposez à l’amendement n° 32 rectifié au motif que les espoirs d’indemnisation créés par ses dispositions seraient nécessairement déçus. Je tiens à vous rappeler que l’article 1er du projet de loi préfigure une logique déclarative : seul l’article 2, que nous examinerons dans quelques instants, porte sur l’indemnisation.

Votre argument n’est donc pas recevable. Il s’agit simplement d’admettre la responsabilité de la France, …

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Tabarot

… non de présumer les préjudices qui seraient mentionnés à l’article 2.

L’amendement n° 31 rectifié vise à affirmer que les harkis sont français : vous m’opposez que cette précision n’aura aucune conséquence sur l’indemnisation. Soit dit en passant, c’est normal, puisque cet article est déclaratif. Or, pour l’amendement n° 33 rectifié, vous me dites exactement l’inverse : j’ai du mal à vous suivre.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Paccaud

Mon intervention porte sur les quatre premiers amendements, qui ont tous pour objet la citoyenneté française.

Mme Boyer, MM. Temal, Bourgi et Tabarot proposent tous la même chose. Peut-être les dispositions proposées par M. Temal présentent-elles une petite nuance : son amendement tend à ajouter « anciennement » après « citoyens français ».

Debut de section - PermalienPhoto de Rachid Temal

Non ! Le terme « anciennement » s’applique au statut.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Paccaud

Madame le ministre, toujours est-il que notre hémicycle est presque unanime sur ce point : la citoyenneté française des harkis doit être gravée dans le marbre.

On ne ressuscite jamais les martyrs. Toutefois, « oublier les morts serait les tuer une deuxième fois », comme disait Elie Wiesel. Un oubli volontaire, conscient et assumé constituerait une insulte à la mémoire de ceux qui ont donné leur vie à la France.

Les harkis étaient des citoyens français. Leurs fils, leurs petits-fils et leurs arrière-petits-fils souhaitent ardemment que cette vérité soit inscrite dans le marbre de la loi.

C’est ce qui a brisé leur destinée. Ils ont choisi la France, ils ont aimé la France, ils ont été loyaux envers la France : c’est pour cela qu’ils ont été stigmatisés, pourchassés et exterminés par les tueurs du FLN.

Au nom de la vérité, au nom de la fidélité des harkis à la France, exauçons la volonté des descendants de ces braves. Rendons-leur justice en leur reconnaissant pour toujours cette citoyenneté française !

Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Hussein Bourgi

Madame la ministre, madame la rapporteure, je dois vous le dire, vos propos me laissent assez circonspect : après nous avoir écoutés, comment pouvez-vous nous expliquer que vous nous comprenez, que vous adhérez à nos propos, puis balayer d’un revers de main les dix-neuf amendements qui viennent d’être défendus ?

Il faut que vous en ayez conscience : nos débats sont regardés, non seulement par les hommes et les femmes présents en tribune, mais aussi par les harkis qui, devant leur écran, m’envoient des messages pour me dire combien ils sont choqués et blessés par les propos qui viennent d’être tenus dans cette assemblée.

Madame la ministre, vous ne pouvez pas, dans le même temps, vous réjouir des avancées accomplies à l’Assemblée nationale et balayer d’un revers de main les amendements déposés par les sénateurs. Le Sénat, lui aussi, a vocation à améliorer le texte ! Le Sénat, lui aussi, a vocation à l’enrichir !

M. Olivier Paccaud acquiesce .

Debut de section - PermalienPhoto de Hussein Bourgi

Mes chers collègues, quelle que soit votre sensibilité ou votre groupe politique, je vous invite à voter en conscience et en responsabilité !

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Je voterai ces amendements, car je souhaite que l’on fasse le maximum pour les harkis. Mais, sur ces travées, certains devraient faire preuve d’un peu plus de pudeur.

À droite comme un gauche, on s’insurge, on regrette que l’on n’aille pas plus loin. Mais combien de gouvernements, de droite comme de gauche, se sont succédé cinquante ans ? Personne n’a rien fait : il y a tout de même des responsabilités à chercher !

Mon intention n’est en aucun cas de blanchir le gouvernement actuel – je ne suis pas là pour cela –, mais il ne faut pas exagérer : pendant cinquante ans, on n’a rien fait, on n’a pris aucune mesure…

Protestations sur les travées des groupes SER et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

J’ai entendu l’un de nos collègues parler du FLN. Mais si les harkis ont été massacrés, ce n’est pas la seule faute du FLN. C’est aussi la faute de ceux qui les ont délibérément abandonnés en Algérie !

Je le répète, je voterai ces amendements. Mais les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, n’ont pas fait ce qu’il fallait faire. Aujourd’hui, on vient nous donner des leçons : c’est un peu fort.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Chasseing

Mon intervention concerne les quatre premiers amendements.

Les harkis étaient aux côtés de la France : ils étaient donc foncièrement des Français. Beaucoup ont versé leur sang pour notre pays et leurs familles ont souvent été persécutées parce qu’ils étaient français.

Madame la rapporteure, madame la ministre, vous avez affirmé que les harkis étaient d’ores et déjà français. Ce projet de loi répare la faute de l’État français : c’est une bonne chose, car l’effort restait insuffisant. Mais, sauf erreur de ma part, l’immense majorité des harkis étaient des citoyens français d’Algérie ; dès lors, il ne me paraît pas illogique de le préciser ici.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Valérie Boyer, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

Mes chers collègues, ce projet de loi mémoriel, soumis au Parlement français, a vocation à réparer les préjudices subis par des Français. Sinon, nous ne serions pas là : peut-être serions-nous en train de débattre une nouvelle fois des accords d’Évian dans une enceinte internationale.

Nous sommes là pour donner une sépulture morale à des Français qui ont choisi le drapeau français ; pour parler de ces Français qui ont choisi la France et l’ont fidèlement servie. Ce texte porte reconnaissance de la Nation.

En effet, nos débats sont très regardés. Ils le sont dans certaines de nos familles, pour ceux d’entre nous qui ont encore des parents ou des grands-parents nés de l’autre côté de la Méditerranée. Ils sont aussi le reflet de notre conscience. En 1962, je suis arrivée en France dans les valises de mes parents. J’ai déjà cité les mots par lesquels Gaston Defferre les a accueillis : « Allez vous réadapter ailleurs ! »

Depuis toutes ces années, certains d’entre nous portent, avec les harkis, le poids de cette mémoire. Comme nos parents nés de l’autre côté de la Méditerranée, les harkis étaient français. Si nous leur dénions cette nationalité, ce texte de réparation devient une offense à notre mémoire !

Aujourd’hui, quelle que soit notre couleur politique, seules trois couleurs nous intéressent, sur l’ensemble de ces travées, celles du drapeau pour lequel les harkis sont partis et sont tombés : le bleu, le blanc et le rouge. En refusant de leur reconnaître la nationalité française, on risque de raviver des plaies qu’il faudrait, au contraire, refermer.

Nous ne demandons pas grand-chose ; nous voulons simplement que ce texte dise la vérité et fasse justice à leur mémoire, à notre mémoire.

Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Raymond Hugonet

Je souhaite réagir aux propos de M. Masson, que j’invite à faire preuve d’un peu plus de discernement.

Notre collègue nous qualifie de donneurs de leçons : parole d’expert !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Raymond Hugonet

Madame la ministre, je m’adresse à vous en tant que représentante du « en même temps ». Vous devriez tenir compte du fait que, contre votre position, des voix concordantes viennent de s’exprimer de part et d’autre de l’hémicycle.

Un certain nombre d’éléments de ces amendements nous conduisent à cette conclusion évidente : ce texte n’est pas encore à la hauteur des attentes, mais il suffirait de peu pour qu’il le soit.

Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Mme Esther Benbassa. Mes chers collègues, ces débats sont riches à plus d’un titre. Cela étant, nous n’avons pas encore parlé du contexte colonial dont les harkis sont les protagonistes.

Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

L’Algérie a été colonisée en 1830 : il s’agissait d’une colonie – je n’y peux rien – et, d’une certaine manière, les harkis en sont les victimes.

On ne peut pas se contenter de parler de réparation et de mémoire. N’oublions pas que, contrairement aux rapatriés, les harkis, qu’ils soient français ou pas, étaient musulmans.

Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Il convient de le souligner.

Les rapatriés n’ont pas été placés dans des camps. Ils n’ont pas suivi les mêmes itinéraires que les harkis. Malgré les immenses difficultés auxquelles ils ont été confrontés, ils ont pu s’insérer plus facilement dans la société.

Ne noyons pas le poisson : « Étaient-ils français ? » ; « Y avait-il aussi des Marocains et des Tunisiens ? » Arrêtons avec ces questions et regardons la réalité en face !

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Laménie

Bien entendu, je peux comprendre l’intention des nombreux collègues signataires de ces amendements, de même que les réactions tout à fait respectables et légitimes suscitées par ces dispositions.

Pour ma part, j’insiste sur la notion de réparation. En tant que rapporteur spécial de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » – je parle sous l’autorité du président de la commission des finances et de son rapporteur général –, je tiens à mentionner le programme 169, intitulé « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant ».

Quels que soient les combats considérés, pour tous les représentants du monde combattant, toutes les associations patriotiques et de mémoire, tous les porte-drapeaux, pour qui nous avons aussi beaucoup de respect et de reconnaissance, ce terme de réparation est tout à fait essentiel.

Je salue également le grand travail accompli par la commission des affaires sociales, en particulier par sa rapporteure et par sa présidente. J’ai moi-même cosigné certains amendements et, j’y insiste, la notion de réparation est fondamentale.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Au sujet de l’appartenance des harkis à la nation française, qu’il me soit permis d’évoquer la devise de la Légion étrangère : on est aussi français « par le sang versé ».

Nous savons que 60 000 à 150 000 harkis ont été massacrés après les accords d’Évian, censés garantir la paix. Sincèrement, il ne me semble pas décent de débattre aujourd’hui de la nationalité des harkis. Bien sûr qu’ils sont français : et, même s’ils ne l’étaient pas techniquement, je considère qu’il est de notre devoir de leur reconnaître cette qualité !

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Madame la présidente, mes chers collègues, la passion que ce débat suscite est bien compréhensible, mais je me dois de vous appeler à un peu plus de calme.

Tout d’abord, je n’admets pas que l’on dénigre le travail de la rapporteure en lui reprochant de piétiner l’honneur des harkis : ce n’est pas acceptable ! §Quand on veut défendre l’honneur des harkis – ils le méritent –, on s’efforce de tenir des propos modérés à l’égard de ses collègues. C’est la moindre des choses.

Ensuite, sur le fond, nous n’avons jamais dit que les harkis n’étaient pas citoyens français. Simplement – Mme la rapporteure l’a bien précisé –, nous rappelons que certains de ces combattants étaient originaires d’autres pays.

Mme la rapporteure a parlé avec humanité, et tout le monde a salué le travail qu’elle a mené, en particulier lors de ses auditions. C’est pourquoi les propos que j’ai entendus me paraissent inadmissibles. Ils discréditent complètement les positions de ceux qui les prononcent !

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.

Debut de section - Permalien
Geneviève Darrieussecq

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons effectivement aller dans le sens de l’apaisement.

Ce conflit d’Algérie…

Debut de section - Permalien
Geneviève Darrieussecq

La guerre, oui, est difficile, et les mémoires sont toujours à vif soixante ans après.

C’est pourquoi nous devons travailler dans un esprit d’apaisement et rassembler au maximum les mémoires, non pas pour en faire une mémoire unique, mais pour respecter chacune d’elles, pour faire en sorte qu’elles s’inscrivent dans le champ mémoriel de cet événement historique si important pour notre pays.

Pour autant, certains propos m’écorchent les oreilles. Je le répète : j’ai toujours dit que les harkis étaient Français, qu’ils étaient citoyens français depuis toujours. C’est écrit dans le rapport Ceaux…

Debut de section - Permalien
Geneviève Darrieussecq

Si vous n’en avez pas encore pris connaissance, je vous en recommande la lecture : il est très complet et très bien documenté, notamment pour ce qui concerne les conditions d’accueil des harkis.

Ce que je crains, avec ces amendements, c’est ce que nous ne créions – cela arrive souvent avec les lois, hélas ! – de nouvelles zones d’exclusion…

Debut de section - Permalien
Geneviève Darrieussecq

… à l’encontre de certains, ceux qui ont combattu dans l’armée française sans être français.

Comprenez-le bien : c’est ce sujet-là qui me tient à cœur. Des Tunisiens et des Marocains ont combattu aux côtés de l’armée française.

Debut de section - Permalien
Geneviève Darrieussecq

Ils n’étaient peut-être pas très nombreux, mais ils le sont suffisamment pour obtenir eux aussi réparation.

Il ne faut pas que la loi en vienne à exclure : voilà ce qui m’importe. Il est préférable de simplifier les choses, de donner de la lisibilité au texte, de sorte que les droits de chacun soient respectés.

Je ne voudrais pas que, dans quelque temps, l’on en soit réduit à déposer un nouveau projet de loi pour avoir exclu certains supplétifs de nos armées, ces Marocains et ces Tunisiens qui ont combattu pour la France.

Debut de section - Permalien
Geneviève Darrieussecq

C’est à ce niveau que je souhaiterais porter le débat.

Voilà pourquoi je ne suis pas favorable à ces amendements. Notre intention n’est pas du tout de blesser les harkis et leurs familles. Nous faisons tout, au contraire, pour regarder leur situation et leur histoire avec la plus grande humanité et la plus grande écoute possible.

Je puis vous assurer que j’ai contacté et rencontré les représentants des associations. Je m’y emploie depuis cinq ans. Je les connais très bien et, si je ne les connais pas toutes, j’en connais beaucoup. Leurs témoignages sont profondément touchants et troublants.

Cette histoire, que les Français connaissent encore mal, doit être abordée avec beaucoup de dignité au cours de nos débats, mais aussi avec pragmatisme, afin que ce texte de loi soit utile.

Applaudissements sur des travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Après avoir suivi les travaux de la commission, je n’avais pas l’intention d’intervenir en séance.

Mes chers collègues, nous avons tous les mêmes préoccupations, même si le sujet est certainement plus sensible pour certains que pour d’autres.

Personnellement, je suis rapatrié d’Algérie et ma famille a été directement frappée par la guerre. Ainsi, quand on me parle des événements de la rue d’Isly, je me souviens de ma cousine germaine, qui, lors des mitraillages, avait reçu un cadre sur la tête.

Nous sommes repartis de rien. Comme d’autres, j’ai été élevé dans la culture des événements d’Algérie, qui restent traumatisants : pour ma part, je n’aime pas en parler. Nous avons aussi grandi dans le souvenir des harkis, de ces hommes qui se sont battus à nos côtés. Ils font partie de la France : notre commission ne l’a jamais mis en doute.

Il nous faut retrouver du calme et de la sérénité face à ces événements, qui sont toujours aussi marquants pour le peuple français, et plus encore pour ceux qui y ont participé, de part et d’autre de la Méditerranée.

Personnellement, je fais confiance au travail de la commission. En admettant un certain nombre de faits, nous accomplissons une avancée. Par ailleurs, au-delà des nuances de ces amendements, nous nous retrouvons tous sur un point : la reconnaissance que nous voulons accorder aux harkis.

Je vous invite à suivre l’avis de Mme la rapporteure.

Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Laurent Burgoa, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Burgoa

Après Mme Deroche et M. Savary, je tiens à apporter mon soutien à Mme le rapporteur.

Marie-Pierre Richer a réalisé un important travail d’auditions. Elle a été à l’écoute de toutes et tous. Certains propos me paraissent particulièrement blessants, d’autant plus dans cet hémicycle, censé être celui des sages…

Je suis membre de la commission des affaires sociales et élu d’un département où vivent de nombreuses familles de harkis. Je rejoins M. Savary : jamais personne n’a prétendu que les harkis n’étaient pas français. Nous avons toujours dit l’inverse !

Sur un sujet si sensible, efforçons-nous de faire preuve de responsabilité : pour ma part, je suivrai l’avis de Mme le rapporteur.

Bravo ! et applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Martin Lévrier applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Bernard Buis, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Buis

Aujourd’hui, notre rôle n’est pas de diviser les harkis. Nous devons soutenir l’excellent travail de Mme la rapporteure et nous suivrons l’avis de la commission.

Jamais nous n’avons dit, nous non plus, que les harkis n’étaient pas français. Pour nous, ils sont bel et bien français ; nous avons toujours été à leurs côtés et nous continuerons de l’être.

Applaudissements sur des travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Mes chers collègues, avant de procéder aux votes, je précise que, si l’amendement n° 39, l’amendement n° 2 rectifié, l’amendement n° 14 ou l’amendement n° 31 rectifié était adopté, les autres amendements n’auraient plus d’objet.

Je mets aux voix l’amendement n° 39.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ amendement n ’ est pas adopté.

L ’ article 1 er est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à dix-neuf heures quinze.

Est instituée une journée nationale d’hommage aux harkis, aux moghaznis et aux personnels des diverses formations supplétives et assimilés en reconnaissance des sacrifices qu’ils ont consentis du fait de leur engagement au service de la France lors de la guerre d’Algérie. Cette journée rend également hommage aux personnes qui leur ont apporté secours et assistance à l’occasion de leur rapatriement et de leur accueil sur le territoire français.

Cette journée est fixée au 25 septembre.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Buis

Le samedi 25 septembre 2021, les harkis ont été doublement honorés dans mon département de la Drôme, le matin par une cérémonie au carré militaire de Valence, l’après-midi lors de l’inauguration d’une plaque commémorative au hameau de forestage de Beaurières, commune voisine de la mienne.

Honorer les combattants, c’est bien ; mais il convient aujourd’hui d’aller plus loin, ce que ce projet de loi va enfin permettre.

Ce texte est nécessaire pour les harkis ainsi que pour leurs descendants, qui seront accompagnés par l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) et la commission nationale. Il faut le rappeler : les enfants et petits-enfants de harkis sont également au cœur de cette histoire.

Mes chers collègues, je tiens à vous citer les mots de Rekia Danet, arrivée enfant à Beaurières, qui décrit ainsi son hébergement : « On est arrivés fin 1962 : c’était l’hiver ; nous étions logés dans des tentes meublées avec de gros poêles à bois, des lits en fer et des tables de l’armée.

« Quelques jours plus tard, il s’est mis à neiger ; la neige nous arrivait aux genoux et ce n’était pas évident, car il fallait prendre le chemin de l’école, distante de trois kilomètres. Ma petite sœur, en voyant la neige, a dit à ma mère que c’était comme du sable mais que c’était froid. »

Ce froid glaçant a pu, pour certains, être couplé à de l’indifférence, mais – je puis vous le dire d’expérience – pas partout.

La chaleur humaine était présente dans la Drôme. À Beaurières et dans les communes environnantes, la solidarité s’est exercée sous la houlette d’André Reynaud, maire du village, qui n’hésitait pas à faire le tour des maisons et des commerces pour que chacun aide à porter vêtements et nourriture.

Je me félicite que, lors de l’examen du texte par l’Assemblée nationale, l’article 1er bis ait étendu la journée nationale d’hommage aux harkis à toutes les personnes qui leur ont porté secours et assistance. Ces dernières font honneur à la République, là où malheureusement l’État a failli.

À Beaurières, les enfants étaient scolarisés ensemble au sein de l’école de la République, dans deux classes supplémentaires créées ex nihilo grâce à l’installation de préfabriqués dans la cour. Élisabeth et Pascal Reynaud, les enfants du maire, nous rappellent régulièrement qu’ils étaient tous assis sur les mêmes bancs et qu’ils jouaient ensemble sans distinction.

La chaleur humaine est grande, mais elle ne peut remédier à tout. Ce projet de loi portant reconnaissance de la Nation représente, notamment grâce à la réparation qu’elle instaure, un apport indéniable.

M. François Patriat applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

Madame la rapporteure, il s’agit effectivement d’un sujet difficile, qui ravive les plaies de beaucoup d’entre nous dans cet hémicycle pour toutes les raisons déjà exposées.

Si nous déposons des amendements, ce n’est pas pour aller à l’encontre de votre excellent travail, mais pour faire avancer le débat et faire valoir nos positions. Certains d’entre nous défendent ces sujets depuis longtemps, pour ne pas dire depuis toujours : nous sommes nés avec, ce n’est pas un choix ! C’est ainsi que les choses se sont passées.

Nous n’allons pas à l’encontre de votre travail ; bien au contraire, nous nous efforçons de le compléter. Tel est le sens de ma prise de parole sur cet article.

Je souhaiterais que ce texte permette à la République française de reconnaître la barbarie et l’ampleur des massacres commis après le 19 mars, notamment ceux de la rue d’Isly ou ceux d’Oran, le 5 juillet, et de parler des disparus à la population française.

Voilà ce qui s’est passé : des militaires, des civils engagés à nos côtés, des harkis, des femmes et des enfants ont été massacrés.

À ce propos, Jean-Jacques Jordi a déclaré : « De 1957 jusqu’aux accords d’Évian, il y a eu à peu près 330 disparus civils. On pouvait s’attendre à ce qu’après les accords d’Évian ce chiffre baisse. Or, entre les accords d’Évian et la date de l’indépendance, le 5 juillet 1962, c’est-à-dire en quelques semaines, il y en a eu plus de 600, donc deux fois plus en quatre mois qu’en six ans de guerre. »

Je tiens à vous parler d’un autre événement extrêmement important : la fusillade de la rue d’Isly, cette fusillade unilatérale qui a duré douze minutes. La France n’a pas respecté le cessez-le-feu : le bilan officiel fut de 49 morts et 200 blessés ; toutes les victimes furent des civils, on ne déplora pas un mort chez les militaires.

Les civils n’ont pas pu enterrer leurs morts dignement ; les obsèques religieuses ont été interdites ; les corps furent convoyés directement au cimetière par camions militaires au jour et à l’heure choisis par les autorités.

Il s’agit d’un événement d’une gravité exceptionnelle, de la répression d’État la plus violente que la France ait jamais orchestrée, de la manifestation de rue la plus meurtrière depuis la Commune.

Permettez-moi de parler d’un dernier événement…

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

… qui mériterait la reconnaissance de notre nation : les massacres d’Oran du 5 juillet 1962. En quelques heures…

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Ma chère collègue, votre temps de parole est épuisé.

La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Laménie

Je dirai quelques mots de cet article 1er bis, consacré à la journée nationale d’hommage aux harkis.

Bien entendu, je salue le travail de la commission des affaires sociales, qui s’appuie sur les auditions des différentes associations patriotiques et de mémoire.

Il est fait directement référence au décret du 31 mars 2003, qui a institué cette journée nationale d’hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives.

L’hommage serait également rendu aux personnes ayant apporté secours et assistance à l’occasion de leur rapatriement et de leur accueil sur le territoire français. La date retenue est celle du 25 septembre, date à laquelle des cérémonies sont déjà organisées dans nos départements respectifs, en métropole et outre-mer, sous l’autorité des représentants de l’État et avec la participation des élus, des porte-drapeaux et des représentants des associations patriotiques et de mémoire.

Ce décret du 31 mars 2003, il faut le rappeler, a été pris sur l’initiative du président Jacques Chirac, et cette date a une portée hautement symbolique, comme, d’ailleurs, toutes les cérémonies dites « nationales et locales », pour lesquelles nous avons aussi beaucoup de respect.

N’oublions pas, enfin, que deux autres dates existent, le 5 décembre et le 19 mars, cette dernière étant la journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

Je soutiendrai donc, bien entendu, cet article 1er bis.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Folliot

Les grands peuples se reconnaissent à leur capacité à analyser lucidement leur histoire dans ce qu’elle a de plus beau, mais aussi, parfois, de plus tragique.

C’est ce qui nous rassemble ici ce soir, mes chers collègues : la nécessité d’inscrire un certain nombre d’éléments dans la loi, pour réparer une injustice, flagrante, envers ceux qui ont fait le choix de défendre la France dans une période particulièrement difficile et troublée, alors que notre pays connaissait une forme de guerre civile.

Il me paraît essentiel – bien entendu, je voterai cet article 1er bis – d’instaurer une journée spécifique d’hommage à nos compatriotes harkis, vis-à-vis d’eux, de leurs descendants et de toutes celles et tous ceux qui se sont engagés pour les soutenir dans cette période extrêmement dure.

Bien entendu, d’autres journées nationales, que ce soit le 5 décembre ou le 19 mars, nous ramènent directement à ces événements d’Algérie. Elles méritent aussi respect et attention.

Toutefois, il importe que nous puissions, dans une forme de calme et de sérénité, dire ce que nous pensons au regard de ce qui s’est passé. À cet égard, je salue le travail de notre rapporteure et de toutes celles et tous ceux qui ont fait en sorte que nous puissions débattre de ce sujet et soutenir cette mémoire des harkis.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

L’amendement n° 50, présenté par M. Bourgi, Mmes Poumirol et Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier et Rossignol, MM. Temal, Stanzione, Michau, Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 1, première phrase

Après le mot :

consentis

insérer les mots :

et des sévices qu’ils ont subis

La parole est à M. Hussein Bourgi.

Debut de section - PermalienPhoto de Hussein Bourgi

Cet amendement tend à compléter l’article 1er bis, auquel, naturellement, nous souscrivons tous.

Dans cet article, il est fait mention des sacrifices que les harkis ont consentis. Personne n’en disconvient, mais il est juste de rappeler que des familles de harkis ont été victimes de représailles, d’exécutions sommaires et de sévices. Ces personnes n’étaient pas engagées dans l’armée française ; elles ont été prises pour cible simplement parce qu’elles étaient liées à un harki qui, lui, était un soldat engagé dans l’armée française.

Chaque année, lorsque je participe aux cérémonies commémoratives, je rencontre des harkis, présents sur le sol français, qui me racontent comment leur père et leur mère ont été exécutés chez eux, dans leur maison – des personnes âgées, assassinées au seul motif que leur fils s’était engagé dans l’armée française.

Le fils avait voulu consentir des sacrifices, mais ses parents n’avaient absolument rien demandé… C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose de les inclure symboliquement dans la mémoire collective nationale, dans l’hommage rendu par la Nation aux harkis et à leur famille, leurs femmes, leurs enfants, mais aussi leurs parents.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre Richer

Cet amendement vise à élargir l’objet de la journée nationale d’hommage aux harkis, aux moghaznis et aux autres personnels des diverses formations supplétives et assimilés en intégrant la reconnaissance, non seulement des sacrifices qu’ils ont consentis du fait de leur engagement au service de la France, mais également des sévices qu’ils ont subis pour cette même raison.

Il s’agit là d’une proposition pertinente. Il est indéniable que des milliers d’anciens supplétifs ont subi des persécutions et des massacres en raison de leur soutien à la cause de la France.

C’est pourquoi, sans conteste, j’émets un avis favorable.

Debut de section - Permalien
Geneviève Darrieussecq

Monsieur le sénateur, les sévices que vous évoquez sont bien réels – c’est, dans toute sa gravité, la triste et douloureuse réalité historique –, et personne ne veut bien sûr les minimiser.

La journée nationale d’hommage vise à honorer l’engagement des harkis au service de la France et à rassembler le peuple français autour de cette mémoire. La mention des sévices que ces derniers ont pu subir ou des souffrances qu’ils ont connues dans leur chair est, en réalité, couverte par l’évocation des sacrifices consentis au service de notre pays ; une guerre est en effet toujours douloureuse.

Néanmoins, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

L ’ amendement est adopté.

L ’ article 1 er bis est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° 12 rectifié est présenté par Mme V. Boyer, M. Regnard, Mme Muller-Bronn, MM. Meurant, Daubresse et Longuet, Mme Dumont et MM. Sido et Le Rudulier.

L’amendement n° 34 rectifié ter est présenté par MM. Tabarot, Mandelli, Hingray, Favreau et Chaize, Mme Herzog, MM. Rietmann, Somon, Grosperrin, Paccaud et J.M. Boyer, Mme Demas et M. J.B. Blanc.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 1er bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La loi n° 2012-1361 du 6 décembre 2012 relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc est abrogée.

La parole est à Mme Valérie Boyer, pour présenter l’amendement n° 12 rectifié.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

Ce que la loi a fait, la loi peut le défaire – je dirais même, doit le défaire.

Le 6 décembre 2012, on a imposé sans concertation une journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc, fixée le 19 mars, date d’entrée en vigueur du prétendu cessez-le-feu issu des accords d’Évian.

En effet, la date du 19 mars est officiellement celle à laquelle un cessez-le-feu a été décrété en Algérie, au lendemain des accords d’Évian. L’ancien chef de l’État Nicolas Sarkozy disait : « Pour qu’une commémoration soit commune, il faut que la date célébrée soit acceptée par tous. Or chacun sait qu’il n’en est rien, le 19 mars reste au cœur d’un débat douloureux. »

Jacques Chirac, qui avait été sous-lieutenant durant ce conflit, choisit avec discernement une autre date d’anniversaire, celle du 5 décembre. Puis, il y eut le 25 septembre, une date qui apaise.

Même François Mitterrand estimait que l’on ne pouvait retenir la date du 19 mars, car « il y aurait confusion dans la mémoire de notre peuple. Ce n’est pas l’acte diplomatique rendu à l’époque qui pourrait s’identifier à ce qui pourrait apparaître comme un grand moment de notre histoire, d’autant plus que la guerre a continué, que d’autres victimes ont été comptées et que, au surplus, il convient de ne froisser la conscience de personne ».

C’est pour cette raison que je souhaitais tout à l’heure évoquer les événements qui se sont déroulés après le 19 mars. En effet, on ne peut pas séparer les mémoires ; toutes les mémoires blessées de la guerre d’Algérie doivent être reconnues et commémorées.

C’est pour cette raison, aussi, que je tenais à citer M. Jean Tenneroni sur cette question précise de la date du 19 mars, qui n’est pas propre à apaiser les mémoires, indépendamment, d’ailleurs, de l’origine, de la confession ou du parcours des Français d’Algérie.

Voici donc un changement que l’on pourrait apporter, pour tenter d’apaiser les mémoires et, en tout cas, ne pas les mettre en concurrence.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Philippe Tabarot, pour présenter l’amendement n° 34 rectifié ter.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Tabarot

Avant de défendre cet amendement, ce que je ferai avec plaisir, je dirai un mot à l’attention de Mme la rapporteure et Mme la ministre, qui ont refusé de soutenir nos précédents amendements, notamment s’agissant de la qualité de Français de nos amis harkis.

Ce qui nous a été dit, c’est qu’il y aurait des difficultés par rapport à quelques Marocains et Tunisiens, et cela semblait être un souci pour vous. En revanche, exclure du dispositif de l’article 2 pratiquement 50 000 harkis ne semble vous poser aucun problème !

S’agissant de la date du 19 mars, celle-ci marque l’entrée en vigueur de funestes accords d’Évian, qui n’ont jamais signifié la fin des combats et des exactions. Après cette date, de sinistre mémoire, des milliers de harkis et de pieds-noirs ont perdu la vie dans des assassinats et des massacres, comme ceux de la rue d’Isly et du 5 juillet à Oran.

Commémorer les accords d’Évian, c’est commémorer l’abandon et la douleur subie par ceux qui se battaient pour la France. Si la France souhaite honorer la mémoire des harkis, qui l’ont choisie pour ce qu’elle était et pour les valeurs qu’elle portait, alors nous ne pouvons accepter d’honorer le 19 mars 1962, cette date marquant le début des exactions à leur encontre, ainsi qu’à l’encontre des pieds-noirs – le fameux « la valise ou le cercueil », que j’ai précédemment évoqué à la tribune.

Le présent amendement vise donc à abroger la loi de M. Hollande du 6 décembre 2012 relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

Je vous demande, mes chers collègues, de soutenir cet amendement particulièrement symbolique.

Profitant de ce qui me reste de temps de parole, j’ajoute un dernier point : nous sommes vraiment le seul pays au monde à célébrer une défaite… Car le 19 mars 1962 est une défaite !

Protestations sur les travées du groupe CRCE.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre Richer

C’est un sujet important et douloureux que nous évoquons ici, et l’on voit bien à quel point il divise.

Néanmoins, la question ne me semble pas pouvoir être tranchée dans le présent texte : même si je comprends les interventions des uns et des autres, elle doit être portée à un autre moment.

Je demande donc le retrait de ces deux amendements identiques, faute de quoi j’émettrais un avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Geneviève Darrieussecq

Effectivement, le sujet est profond et difficile.

La date du 19 mars, sur un plan factuel et historique, marque ce que l’on appelle le « cessez-le-feu » à la suite de la signature des accords d’Évian.

Debut de section - Permalien
Geneviève Darrieussecq

On sait, toujours sur un plan historique, que les violences ont continué au-delà de cette date – d’ailleurs, nous avons voté la fameuse carte du combattant pour les services effectués en Algérie du 3 juillet 1962 au 1er juillet 1964, ce qui montre bien que des combats ont encore eu lieu durant cette période. Néanmoins, les accords d’Évian prévoient bien l’arrêt de la lutte.

S’agissant des journées mémorielles, je suis tout de même assez frappée de voir, aux cérémonies du 19 mars, un certain nombre de personnes que je ne vois jamais à celles du 5 décembre, et inversement. Et c’est un peu la même chose pour le 25 septembre…

Il me semble donc que nous devrions collectivement, avec sagesse, dignité et intelligence, nous orienter vers une date unique. Mais, je puis vous le dire, mesdames, messieurs les sénateurs, nous n’y sommes pas prêts !

Voilà cinq ans que j’entretiens un échange permanent avec les associations. Nous menons, en commission, un travail soutenu et de confiance. Mon sentiment est que nous ne sommes pas encore prêts, même si nous allons progressivement avancer.

À cet égard, je suis très heureuse que, pour les commémorations du soixantième anniversaire des accords d’Évian – ne parlons pas de la fin de la guerre d’Algérie –, un accord ait été trouvé entre les associations pour organiser une cérémonie d’ampleur, rassemblant tout le monde, à une date qui ne sera ni le 19 mars ni le 5 décembre. Ces deux dates étant officielles, il y aura bien sûr des commémorations, mais nous travaillons avec les associations à ce rassemblement sur une seule et même date. Ce sera – je crois que l’annonce a été faite – le 18 octobre.

Le texte que nous examinons aujourd’hui concerne les harkis et leurs familles. La date du 19 mars est, bien entendu, douloureuse pour eux. Mais je ne pense pas qu’il faille l’ôter de ce calendrier, qui est complexe.

Pour rencontrer beaucoup de jeunes dans les établissements scolaires, je puis dire qu’il est très difficile, dans le cadre d’un travail de mémoire, de construire des messages simples à destination de la jeunesse quand on a plusieurs dates de commémoration différentes. La sagesse voudrait donc que, progressivement, nous allions vers une date unique. Cela étant, j’y insiste, nous ne sommes pas encore tout à fait prêts.

Pour finir, je voudrais revenir sur l’évocation par Mme Boyer des exactions commises rue d’Isly le 26 mars 1962. Cette question n’entre pas du tout dans le périmètre du projet de loi, puisque, je le répète, nous traitons aujourd’hui de la question des harkis.

Toutefois, madame la sénatrice, sachez que j’ai participé, le 26 mars dernier, à la cérémonie organisée par les associations au mémorial du quai Branly et que, à cette occasion, j’ai déposé une gerbe au nom du Président de la République. Celui-ci tient donc compte, aussi, de la mémoire des rapatriés et des faits qui se sont déroulés après la date du 19 mars 1962.

J’émets donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Gréaume

Pour être fructueux, le travail de mémoire doit se réaliser ensemble, sans omettre les aspects les plus douloureux. Ce n’est malheureusement pas le sens des amendements que nous examinons maintenant et dont l’objet véritable est, au détour d’un projet de loi de reconnaissance de la Nation, de tenter de réécrire l’histoire.

La guerre d’Algérie a pris fin le 19 mars 1962, avec l’entrée en vigueur du cessez-le-feu prévu par les accords d’Évian. Cette date est celle qui est reconnue par les autorités françaises et algériennes pour la commémoration dans notre pays. Le 5 décembre, journée nationale d’hommage aux morts pour la France pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie, ne correspond à aucune date historique.

C’est surtout l’objet de ces amendements, niant la responsabilité de l’Organisation armée secrète (OAS) dans la tuerie de la rue d’Isly, qui est inacceptable.

Les historiens ont reconnu la responsabilité des activistes d’extrême droite de l’OAS dans la fusillade du 26 mars 1962, ayant entraîné le décès de 80 Européens d’Algérie envoyés contre les forces de police.

Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Tabarot

Quelle honte ! Cessez de dire des choses pareilles !

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Gréaume

Ce sont ces mêmes terroristes qui ont massacré de nombreux militants communistes en Algérie et tenté d’assassiner le général de Gaulle lors de l’attentat du Petit-Clamart.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Gréaume

Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera contre ces amendements identiques, dont les auteurs revisitent et réécrivent l’histoire de la guerre d’Algérie, au mépris des milliers de victimes qu’elle a suscitées.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Émilienne Poumirol

Je suis quelque peu étonnée de voir apparaître ces amendements identiques, au détour d’un texte portant sur la reconnaissance et la réparation envers les harkis, et ressurgir le thème de la date du 19 mars, depuis longtemps cher à certains de nos collègues.

Il fallait bien choisir une date, et celle du 19 mars marque tout de même la signature des accords d’Évian, qui ont mis fin à la guerre. Certes, des exactions, des assassinats et des massacres ont été commis de tous côtés par la suite, mais cela n’ôte pas sa validité à la date, et je ne crois pas que toutes les exactions aient cessé après le 11 novembre 1918 ou, plus encore, après le 8 mai 1945.

Il me semble que le cessez-le-feu a constitué un moment essentiel. Cette date du 19 mars, effectivement arrêtée sous la présidence de François Hollande, le 6 décembre 2012, revêt une importance extrême, notamment pour les appelés du contingent qui se trouvaient alors en Algérie. De nombreuses associations d’anciens combattants d’Algérie, du Maroc et de Tunisie y sont d’ailleurs très favorables, comme la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie (Fnaca), une association très présente dans ma région.

Debut de section - PermalienPhoto de Émilienne Poumirol

Personne ne nie les événements qui se sont déroulés après le 19 mars. Néanmoins, cette date marque le début de la paix, et nous nous devons de la célébrer.

Nous voterons donc contre ces amendements.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Cathy Apourceau-Poly

Je ne comprends pas bien non plus ce que viennent faire ces amendements dans l’examen de ce projet de loi. Nous évoquons ici la reconnaissance de la Nation envers les harkis et la prise en compte de toutes les situations qu’ils ont connues, sans distinction ni discrimination ; et voilà que certains de nos collègues ressortent un vieux leitmotiv, qui, on le sait bien, leur tient à cœur.

Le cessez-le-feu du 19 mars 1962 a été un soulagement pour des milliers de familles, qui ont vu leurs enfants revenir. C’est la date à laquelle la Fnaca, forte de plusieurs milliers d’adhérents, rend chaque année hommage aux victimes de ces conflits.

Pour rappel, depuis 1963, quelque 4 000 lieux de mémoire ont été installés dans nos villes, avec des plaques commémoratives ou des noms de rue. On y rend hommage aux victimes chaque 19 mars.

Ce que vous nous proposez aujourd’hui, madame Boyer, monsieur Tabarot, c’est au fond de supprimer un symbole de paix, comme l’a fort bien dit ma collègue Michelle Gréaume ; c’est d’opposer, une fois de plus, les populations les unes aux autres.

M. Philippe Tabarot proteste.

Debut de section - PermalienPhoto de Cathy Apourceau-Poly

Vous voulez que l’on débaptise certaines de nos rues, que l’on retire certaines de nos plaques commémoratives, afin que la mention du 19 mars 1962 n’apparaisse plus nulle part. D’autres ont déjà osé le faire ! D’autres ont déjà réécrit l’histoire ! Deux maires issus du Front national ont ainsi débaptisé des rues portant ce nom et retiré les plaques commémoratives du 19 mars 1962. Pourtant, oui, cette date est celle du cessez-le-feu, qui a mis fin à la guerre d’Algérie.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Paccaud

On ne choisit jamais une date de commémoration par hasard. Certaines, comme le 11 novembre ou le 8 mai, s’imposent par le poids de granit de l’histoire. Mais d’autres doivent être le fruit d’échanges et de discussions. Cela a d’ailleurs été le cas du 14 juillet : arrêtée par le Parlement, à cause non pas du 14 juillet 1789, mais du 14 juillet 1790, la date de la fête nationale a donné lieu à un débat extrêmement poussé.

Dans le cas présent, vous avez vous-même souligné, madame la ministre, que le 19 mars était une date très douloureuse.

En effet, contrairement à ceux qui accusent M. Philippe Tabarot et Mme Valérie Boyer de vouloir réécrire l’histoire, je tiens à observer que le sang a continué de couler après le 19 mars 1962. Et il a coulé d’une façon encore plus atroce, puisque ceux qui ont été massacrés se trouvaient sans défense, sans protection, et l’ont été précisément du fait que, à compter du 19 mars, les troupes officielles avaient rangé leurs armes.

Il y a bien eu un accord, précisément le 18 mars 1962, entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la République algérienne. Mais, j’y insiste, le sang ne s’est malheureusement pas arrêté de couler. Le 19 mars 1962 a inauguré des calendes de la haine, pendant lesquelles des dizaines de milliers de personnes sont mortes dans des conditions si terribles que je n’ose même pas les décrire.

Je vous rejoins, madame la ministre : j’espère que nous aboutirons à une date unique. Mais, sincèrement, fixer la commémoration au 19 mars constitue un non-sens historique, une faute morale et une provocation envers les sacrifiés.

Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Philippe Folliot, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Folliot

L’examen de ces amendements nous renvoie à des débats qui ont maintes fois eu lieu ici, dans cet hémicycle, ainsi que dans d’autres assemblées.

Pour ma part, je ne les voterai pas, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, comme plusieurs de nos collègues l’ont rappelé, nous débattons d’un projet de loi de reconnaissance envers les harkis, et non d’un texte relatif à des actes mémoriels ou des journées nationales du souvenir de tel ou tel événement.

Ensuite, bien entendu, le 19 mars est une date qui fait débat, comme d’autres dates commémoratives, d’ailleurs. Je le dis très sincèrement, tout le monde reconnaît la réalité historique que nos collègues cherchent à dénoncer. Effectivement, des exactions ont été commises après le cessez-le-feu du 19 mars, et nombre de harkis et de leur famille en ont été victimes. Nul ne le conteste !

Pour autant, les propos de Mme la ministre, indiquant qu’il faut prendre le temps de chercher et de trouver un cadre consensuel dans lequel inscrire ce travail de mémoire, ont une très grande importance.

Nous chercherons ce cadre spécifique, mais n’oublions pas qu’une loi du 28 février 2012 a fait du 11 novembre, date de commémoration de la Première Guerre mondiale, une date du souvenir de tous les morts pour la France de toutes les guerres et tous les conflits. C’est aussi, me semble-t-il, un élément important.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Rachid Temal

Comme le débat doit être serein, et nous avons tous raison de le vouloir ainsi, prenons les choses simplement.

Effectivement, nous examinons la question des harkis.

M. Philippe Tabarot s ’ exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Rachid Temal

Par ailleurs, certaines réalités historiques ne peuvent être contestées. La date du 19 mars est celle de la fin des combats, donc, de fait, de la « guerre d’Algérie », même s’il a fallu attendre 1999, sous le gouvernement de Lionel Jospin, pour que l’expression soit officialisée. Personne ne peut prétendre le contraire !

Chacun peut reconnaître, aussi, que des exactions terribles ont été commises de part et d’autre entre le 19 mars 1962 et le début du mois de juillet de la même année, marquant les populations des deux pays. C’est également incontestable !

Monsieur Paccaud, vous avez souligné que la date du 14 juillet avait été arrêtée par le Parlement. Celle du 19 mars a été fixée par une loi de la République ; elle s’impose donc à nous.

Plutôt que de tenter de la supprimer par amendement – je n’étais pas loin d’évoquer un cavalier législatif –, je propose d’avoir un vrai débat parlementaire sur la question. Chacun aura son avis sur la date à arrêter, mais le Parlement y retrouvera toutes ses lettres de noblesse.

En tout cas, il ne me semble pas que l’on puisse aujourd’hui, par amendement, revenir sur une loi, celle qui institue la date commémorative du 19 mars, ou prétendre que certaines réalités historiques n’en sont pas.

Par conséquent, je ne voterai pas ces amendements identiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Laménie

Bien que je respecte la préoccupation des auteurs de ces amendements – dans notre assemblée, le respect est très important, me semble-t-il –, je suivrai néanmoins l’avis de la commission, exprimé par Mme la rapporteure.

Premièrement, nous sommes associés aux cérémonies du 19 mars, comme à celles du 5 décembre. Cela fait partie de notre mission : nous participons aux cérémonies nationales, comme la journée nationale d’hommage aux harkis, instaurée à l’article 1er bis du présent projet de loi. Ces différentes dates ont été fixées par la loi, et nous la respectons.

Deuxièmement, avec le président Jean-Claude Requier et notre collègue Cécile Cukierman, je rencontre très régulièrement, au nom de nos groupes respectifs, des représentants des associations patriotiques pour évoquer avec eux leurs sujets de préoccupation, en particulier lors de l’examen des lois de finances.

Aussi, je le répète, je soutiens la position de Mme la rapporteure.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

Nous examinons un texte relatif aux harkis et nous devons tout faire pour que réparation leur soit donnée des préjudices qu’ils ont subis, afin de leur rendre la dignité à laquelle ils aspirent.

Aussi, je ne comprends vraiment pas pourquoi certains de nos collègues ont cru bon de déposer ces deux amendements polémiques. Certes, nous devons prendre le temps de les examiner, mais ils affaiblissent notre discussion. C’est la raison principale pour laquelle nous ne les voterons pas.

J’en invoquerai une seconde. Comme Valérie Boyer – j’étais sans doute un peu plus âgé qu’elle –, je suis arrivé d’Afrique du Nord ma valise à la main ; de fait, le mois de mars 1962 n’évoque pas de bons souvenirs pour ma famille et nous ne commémorons donc pas cette date pas, en raison de toutes les exactions qui ont eu lieu à ce moment-là et des morts qu’elles ont causées. Sur ce point, je suis d’accord avec vous.

Pour autant, ne réécrivons pas l’histoire, madame Boyer, monsieur Tabarot. Au départ, dans ma ville, ces exactions ont été le fait de l’OAS. Soyons clairs !

J’ai vécu là-bas, et je sais bien, pour les avoir vécues avec mes parents, ce qu’elles ont été ; vous savez de quoi je veux parler. Elles ont été commises par les deux parties, dans une guerre qui fut une vraie guerre d’indépendance.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Tabarot

C’est l’OAS qui a massacré 100 000 harkis ?

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

Monsieur Tabarot, je ne vous ai pas interrompu !

Par conséquent, c’est dans la sérénité, en prenant le temps nécessaire et en impliquant les différentes parties prenantes que nous devons débattre de la date à laquelle certains événements doivent être commémorés, et non pas au détour de l’examen d’un projet de loi sans rapport avec le sujet, en invoquant de mauvais prétextes.

On ne peut pas opposer les morts d’un côté aux morts de l’autre, les exactions de certains aux exactions des autres, ce qui s’est passé rue d’Isly à ce qui s’est passé ailleurs. Il n’est pas possible de le faire, ce soir, ici au Sénat, au détour d’un texte sur les harkis !

Applaudissements sur les travées du groupe GEST.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à Mme Valérie Boyer, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

Mes chers collègues, je me permets simplement de poser une question : soixante ans après 1962, serions-nous ce soir dans cet hémicycle pour parler des harkis s’il n’y avait pas eu de massacres après le 19 mars de cette année-là ? Bien sûr que non !

Les harkis ont été massacrés parce qu’ils ont été abandonnés, parce que, comme l’a fort bien dit notre collègue Olivier Paccaud, ils ont été désarmés.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

Je suis d’accord avec vous, mon cher collègue : il faut examiner ce texte dans la sérénité. Lorsque j’étais députée, j’avais déposé plusieurs propositions de loi portant sur la date du 19 mars et sur la reconnaissance de ce qui s’est passé rue d’Isly le 26 mars 1962 et à Oran le 5 juillet de la même année.

Madame la ministre, moi aussi, chaque 26 mars, je me rends aux cérémonies en souvenir des 80 Français tués rue d’Isly, à Bab-El-Oued, parce qu’un tel événement doit être commémoré ; je fais de même chaque 5 juillet, en souvenir des 700 personnes tuées à Oran le 5 juillet 1962 et enterrées en catimini au Petit-Lac, parce qu’un tel événement doit être commémoré ; et, bien évidemment, chaque 25 septembre, je me rends au monument érigé en hommage aux harkis, tout comme chaque 5 décembre je rends hommage à tous les morts d’Afrique du Nord.

Aujourd’hui, nous examinons en effet un texte relatif aux harkis, qui sont concernés au premier chef, comme tous les Français des trois départements d’Algérie, par ce qui s’est passé après le 19 mars. C’est la raison pour laquelle nous demandons depuis des années, avec un certain nombre de mes collègues, dont Philippe Tabarot, que cette date soit revue.

Comme je le disais tout à l’heure en présentant mon amendement, ce qu’une loi a fait, une autre loi peut le défaire. Fixons une date unique pour rassembler et réconcilier les mémoires plutôt que de les diviser. Le 19 mars n’est pas une bonne date.

M. Olivier Paccaud applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Serge Mérillou, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Merillou

Je n’avais pas prévu d’intervenir sur ce projet de loi, mais je tiens tout de même à dire que le 19 mars est une date historique, marquant la fin d’une bien trop longue guerre – sept ans –, qui a fait énormément de victimes. Ce fut un soulagement dans tout le pays.

Certains disent que, après le 19 mars, il y a eu des morts et que l’on a assisté à des règlements de comptes. Mais le 8 mai 1945 marque la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors que les règlements de comptes ont aussi été très nombreux après cette date. Malheureusement, et c’est ainsi, une guerre ne cesse pas forcément au moment du cessez-le-feu, même si l’histoire retient cette date.

À quoi peut-on bien rattacher la date du 5 décembre, sinon à une quelconque décision politique ? En tout cas, ce n’est pas une date historique. Bien évidemment, je ne voterai pas ces deux amendements identiques : la quasi-totalité des anciens combattants d’Algérie est très attachée à la date du 19 mars, parce qu’ils savent qu’elle marque la fin d’une période qui fut pour eux très difficile.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

La commission a bien compris l’esprit qui sous-tend ces deux amendements identiques, ainsi que les positions des uns et des autres. Nous mesurons tous, dans nos départements, combien cette question est complexe : certaines associations sont favorables au 19 mars, au contraire d’autres. Le débat mérite donc d’être soulevé.

Moi aussi, je serais très favorable à ce que soit fixée une date unique pour commémorer cette histoire douloureuse ; néanmoins, la commission a jugé que nous ne pouvions trancher ce débat au détour de deux amendements déposés sur ce projet de loi. C’est pourquoi, aussi intéressant que soit ce sujet, elle a émis un avis défavorable.

Comme elle l’aurait fait pour tout autre texte, elle s’est attachée à ne pas retenir des amendements tombant sous le coup de l’article 40 ou de l’article 45 de la Constitution, même si, chacun le sait, cette procédure est toujours désagréable pour leurs auteurs – cela m’est arrivé plusieurs fois, comme à beaucoup d’entre vous –, d’autant plus si la question est digne d’intérêt. C’est ainsi que se fait la loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

M. Jean-Claude Requier. Puisque chacun prend la parole, à mon tour de m’exprimer !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Je ne m’attendais pas à ce que soit évoquée ce soir la date du 19 mars. Certes, on peut en débattre, mais, comme l’a dit tout à l’heure l’un de nos collègues, elle a un caractère officiel et marque le cessez-le-feu en Algérie, et non pas, malheureusement, la fin des morts et des exactions, nombreuses tant du côté algérien que du côté français. Ainsi va l’histoire, on ne peut pas l’oublier. Mais, je le répète, cette date marque officiellement la fin de la guerre.

En 1962, j’avais 15 ans. Quand les accords d’Évian ont été signés, un dimanche, les bals et les orchestres se sont arrêtés et l’on a annoncé partout que c’était la fin de la guerre d’Algérie.

Souvenez-vous, mes chers collègues : on a envoyé là-bas non seulement l’armée d’active, mais aussi, sans leur demander leur avis, les appelés du contingent, qui ont compté dans leurs rangs de nombreux morts. Le soulagement fut grand dans les familles, parmi les parents, parmi les conjoints. Même si, et l’on ne peut que le regretter, des morts ont été comptés par la suite, on ne peut effacer cette date.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Chasseing

Pour ne parler que de ce que je connais, j’indiquerai que, en Corrèze, dans le Limousin, les anciens combattants d’Algérie – on en compte encore, heureusement – sont très attachés au 19 mars ; en revanche, le 5 décembre, on ne voit personne !

Aussi, conservons cette date, car c’est ce qu’ils veulent.

Les amendements ne sont pas adoptés.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

Exclamations.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Chasseing

Madame la présidente, le 19 janvier, lors du scrutin public n° 82 sur la motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement, Jean-Pierre Decool a été considéré comme votant contre, alors qu’il souhaitait voter pour.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Je salue la présence dans nos tribunes de représentants des associations de harkis. Ils sont venus nombreux, et je les en remercie.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Pierre Laurent.