Intervention de André Gattolin

Réunion du 1er février 2022 à 21h30
Mieux protéger notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques — Débat sur les conclusions du rapport d'une mission d'information

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quatre mois après l’adoption du rapport de la mission d’information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français, je suis heureux que les conclusions de nos travaux fassent, ce soir, l’objet d’un débat public avec le Gouvernement.

Avant d’en venir aux constats et aux principales recommandations de la mission, je tiens tout d’abord à remercier mon groupe, le Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, qui a accepté de consacrer son droit de tirage à ce sujet.

Je tiens aussi à remercier chaleureusement chacun des membres de cette mission de sa participation, en me félicitant de l’adoption à l’unanimité de ce rapport, tout particulièrement le président Étienne Blanc, dont la rigueur et l’ouverture d’esprit nous ont permis d’œuvrer ensemble dans une totale relation de confiance.

Enfin, madame la ministre, je vous remercie de votre présence parmi nous. Vous aviez accepté que vos services apportent leur contribution à nos travaux et vous nous avez livré plusieurs pistes de réflexion, dont certaines ont nourri nos recommandations.

L’intérêt de ce débat est à présent de vous entendre sur les suites que vous entendez leur donner. J’ai la conviction sincère que ce rapport a déjà fait bouger des lignes. Sur un sujet encore peu documenté en France, il aura au moins contribué à alerter assez largement sur un phénomène longtemps ignoré dans notre pays : celui des influences et des ingérences étrangères qui menacent notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques.

Lorsque nos travaux ont commencé, en juillet 2021, nous nous sommes appuyés sur des exemples étrangers, plutôt alarmants, notamment dans les pays anglo-saxons. En effet, les mondes académiques australien et britannique sont depuis plusieurs années en première ligne, notamment, il faut bien le dire, en raison de leur dépendance aux droits d’inscription des étudiants étrangers et des éventuelles pressions exercées par les pays dont ceux-ci sont originaires.

Il peut s’agir du contrôle des diasporas, de la censure qui s’exerce sur les chercheurs, du façonnage de l’image ou de la réputation d’un État en assurant la promotion d’un « narratif » officiel par l’instrumentalisation des sciences humaines et sociales.

Il faut noter que, dans ces États, c’est sous l’impulsion de leurs parlements, avec lesquels nous avons beaucoup échangé, que les universités et les gouvernements ont commencé à étudier la mise en œuvre d’un cadre juridique et de lignes directrices pour protéger leur enseignement supérieur et leur recherche.

Qu’en est-il de la situation en France ?

Notre premier constat est celui d’une menace bien réelle, mais encore largement sous les radars. Le monde académique français se caractérise par sa culture d’ouverture et par son niveau d’excellence. Ce qui fait de notre pays une cible de choix, c’est bien sûr le haut niveau de notre recherche scientifique – la France figure au troisième rang du classement de Shanghai –, mais aussi, malheureusement, le relatif manque de moyens de sa recherche, tant publique que privée.

Lors des auditions, il nous a été rapporté plusieurs exemples préoccupants d’ingérence, mais seulement dix cas jugés sérieux ont, semble-t-il, fait l’objet d’un signalement en 2020.

L’identification des tentatives d’influence reste cependant assez problématique : celle-ci est peu organisée et ne fait pas l’objet d’un recensement exhaustif.

Autre phénomène inquiétant et qui demeure largement hors des radars : celui de l’autocensure croissante des chercheurs, par crainte de mesures de représailles – je pense ici notamment au chantage au visa ou à l’interdiction d’accès à certaines sources.

Notre second constat concerne notre dispositif de protection de la recherche, qui demeure insuffisamment connu au sein même des institutions universitaires et académiques.

Pourtant, il existe bel et bien un dispositif de protection du potentiel scientifique et technique de la Nation tout à fait structuré et organisé, qui s’articule entre, d’une part, le Haut Fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de l’enseignement supérieur, et, d’autre part, le réseau des fonctionnaires de sécurité et de défense désignés au sein de chaque établissement.

Toutefois, ces différents échelons nous sont apparus peu connus des principaux intéressés, à savoir les chercheurs, et insuffisamment coordonnés.

Par ailleurs, le dispositif actuel de protection se limite au domaine des sciences et technologies, et sur des niveaux de risques particulièrement élevés. De fait, les menaces qui pèsent sur les sciences humaines et sociales sont exclues de la vigilance et de la chaîne de remontée d’information vers le ministère. Cela explique l’incapacité actuelle à fournir un état des lieux et une cartographie exhaustive du problème.

Venons-en à présent nos principales recommandations.

Compte tenu du temps qui m’est imparti, j’irai à l’essentiel des objectifs majeurs que nous avons identifiés, qui se déclinent en vingt-six propositions.

Le premier objectif est de promouvoir la question des interférences étrangères au rang de priorité politique. C’est une étape indispensable, à notre sens, pour dresser un état des lieux et surtout coconstruire avec le monde universitaire des réponses adaptées. Il est essentiel que les réponses et les procédures à mettre en œuvre soient largement acceptées par le monde universitaire, soucieux de son indépendance et de son autonomie.

Nous préconisons la constitution d’un comité scientifique, prenant la forme d’un « Observatoire des influences étrangères et de leurs incidences sur l’enseignement supérieur et la recherche ». Il associerait universitaires et spécialistes des ministères pour élaborer une étude scientifique de référence récurrente sur l’état des menaces constatées en France.

Le deuxième objectif est d’aider les universités à protéger leurs valeurs de libertés académiques et d’intégrité scientifique dans le respect de leur autonomie. Il ne s’agit nullement de brimer la recherche ou de décourager les partenariats, mais d’ériger, au niveau national, la transparence et la réciprocité en principes cardinaux de toute coopération universitaire internationale.

Enfin, il nous faut promouvoir aux niveaux national et international – en particulier au niveau européen – l’adoption d’un référentiel de normes et de lignes directrices pour encadrer la compétition toujours plus forte qui s’établit au détriment de l’Europe dans le domaine de la recherche et de la propriété intellectuelle.

Pour conclure, je veux indiquer que ce rapport n’a pas épuisé le sujet. C’est un « rapport vigie » destiné à alerter la communauté universitaire et les pouvoirs publics.

Nos travaux ont été très largement relayés dans la presse française. À l’étranger, une vingtaine de sites d’information turcs ont lancé une campagne de presse très virulente contre une chercheuse qui avait accepté de témoigner devant la mission sur des tentatives d’intimidation. Nous avons dû alors effectuer un signalement au Haut Fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Enfin, ce rapport a contribué à accélérer le calendrier de plusieurs ministères sur le sujet des ingérences étrangères.

Le Premier ministre a ainsi lancé une mission interministérielle, tandis que le ministère de l’intérieur, à travers la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), le ministère des affaires étrangères, ainsi que l’inspection générale de l’enseignement supérieur et de la recherche (IGESR) se sont beaucoup intéressés à notre rapport.

Je gage, madame la ministre, que votre ministère s’est également emparé du sujet et qu’il mettra en œuvre les mesures appropriées.

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