Intervention de Frédérique Vidal

Réunion du 1er février 2022 à 21h30
Mieux protéger notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques — Débat sur les conclusions du rapport d'une mission d'information

Frédérique Vidal :

Madame la présidente, monsieur le président de la mission d’information, cher Étienne Blanc, monsieur le rapporteur, cher André Gattolin, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, cet été, sur l’initiative du groupe RDPI, le Sénat a décidé de consacrer une mission d’information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde académique.

C’est une question évidemment cruciale et, à cet égard, permettez-moi de me réjouir que nous puissions avoir ce débat en séance publique au Sénat, tant la question qui est posée est déterminante à la fois pour notre souveraineté et nos libertés.

La recherche et l’enseignement supérieur sont par essence ouverts sur l’international, et la science ne doit pas connaître de frontière. Pour autant, les établissements d’enseignement supérieur et le monde académique sont au cœur d’échanges internationaux nombreux. Cette richesse, nous devons la développer avec ambition, mais sans naïveté face à d’éventuelles menaces. C’est également vrai s’agissant de l’innovation, avec un enjeu supplémentaire : celui de la compétition économique internationale.

Nos établissements sont désormais beaucoup plus visibles sur les radars d’acteurs dont les intentions ne sont pas conformes à nos valeurs, ce qui doit nous inciter à une plus grande vigilance.

L’organisation de la surveillance et la prévention des éventuelles influences étatiques étrangères au sein des établissements d’enseignement supérieur et de recherche est articulée avec la structuration des acteurs qui en constituent le paysage. Des acteurs de l’administration centrale sont chargés de la stratégie et de la vigilance, qui se déclinent au sein de chaque établissement et opérateur autonome dans sa gouvernance, avec l’ensemble des acteurs territorialement compétents.

On ne saurait prétendre protéger notre potentiel et notre patrimoine scientifiques sans y associer pleinement les chercheurs et les enseignants-chercheurs eux-mêmes, qui doivent s’approprier ces enjeux et être, à leur niveau, acteurs de la préservation tant des établissements que des activités de recherche et d’enseignement.

L’intégrité scientifique constitue un formidable levier en la matière. C’est pourquoi notre action a aussi porté sur cette dimension.

Grâce aux remontées spontanées des chercheurs, des directeurs de laboratoire ou des 160 fonctionnaires de sécurité et de défense (FSD) ou FSD adjoints, le ministère est constamment informé des principales interactions internationales, ainsi que des éventuelles menaces et risques d’ingérence qui pourraient affecter l’écosystème de l’enseignement supérieur.

Le dispositif de protection du potentiel scientifique et technique de la Nation est piloté par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Il vise à protéger les savoirs, les savoir-faire et les technologies les plus sensibles des établissements localisés sur le territoire national.

Nous sommes également acteurs du dispositif de gouvernance interministérielle de la politique de sécurité économique, au travers notamment du comité de liaison en matière de sécurité économique (Colisé).

Régionalement, l’accompagnement des référents et l’animation de ce réseau sont copilotés par les délégués à l’information stratégique et à la sécurité économiques (Disse) et les délégués régionaux académiques à la recherche et à l’innovation (Drari).

Le déploiement de ces dispositifs se poursuivra en 2022 au sein des pôles de compétitivité, puis dans toutes les autres structures d’écosystèmes de valorisation de l’innovation.

Au-delà des structures, le Gouvernement est animé d’une ferme volonté : renforcer le dispositif de protection de notre potentiel scientifique et notre souveraineté dans les technologies clés, et cela dans tous les champs qui bénéficient d’un soutien financier de l’État.

Certains financements publics sont désormais explicitement soumis à la prise en compte des impératifs de souveraineté nationale face aux risques d’ingérence. Tel est le cas, par exemple, des soutiens aux projets de France Relance. La protection du potentiel scientifique et technique de la Nation (PPST) est également une exigence pour la mise en œuvre des programmes prioritaires de recherche du programme d’investissements d’avenir (PIA).

Qu’il s’agisse de la recherche ou de l’enseignement supérieur, nous avons poursuivi et amplifié ce travail depuis la publication du rapport de votre mission d’information.

Tout d’abord, la circulaire du Premier ministre du 11 octobre 2021, relative au renforcement de la transparence des actions d’influence étrangère conduites auprès des agents publics de l’État, a été relayée auprès de chaque établissement.

Ensuite, le 28 janvier dernier, les modalités pratiques de communication au ministère des projets d’accords de partenariats internationaux des établissements d’enseignement supérieur français ont été rappelées et réaffirmées à tous les chefs d’établissement et présidents d’organisme de recherche par voie de circulaire.

Affirmer ces règles, établir des process et des procédures est une chose ; les faire vivre et permettre aux acteurs de se les approprier est un autre travail. Nous le conduisons notamment avec la DGSI, dans le cadre de sa mission de sécurité économique.

Ainsi, un certain nombre de préconisations établies conjointement ont été adressées aux établissements, assorties d’exemples pratiques permettant à chacun de mieux identifier et comprendre les tentatives d’ingérence ou les points de vulnérabilité constatés. Il s’agit là de réponses opérationnelles face aux risques d’influence et d’ingérence étrangères.

En cohérence avec la réaffirmation des priorités gouvernementales, nous avons aussi porté une attention toute particulière aux enjeux de sécurité numérique.

Un travail conjoint avec l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) et le ministère de l’éducation nationale nous a permis de nous doter d’une feuille de route stratégique et opérationnelle dans le domaine de la sécurité numérique. Un comité stratégique de sécurité numérique sera ainsi installé au cours de ce mois de février.

J’ai récemment rencontré le directeur général de l’Anssi pour traiter avec lui de l’état de la menace cyber et lui exposer les avancées du ministère dans la réponse aux risques y afférents. De son côté, il est intervenu au début de cette année devant l’ensemble des recteurs et des délégués régionaux académiques à la recherche et à l’innovation (Drari). Nous le savons : une réponse appropriée aux risques passe nécessairement par une compréhension commune des enjeux et implique donc des actions de sensibilisation sur le terrain.

Lors de mon audition, j’ai aussi évoqué la désignation de référents de sécurité économique par le président de chaque société d’accélération du transfert de technologies (SATT). Ces nominations sont désormais effectives.

Enfin, la protection de notre potentiel scientifique n’est évidemment pas d’ordre strictement national : c’est un véritable enjeu de souveraineté européenne, qui suppose une cohérence communautaire. À cet égard, la Commission européenne a présenté le 18 janvier dernier une boîte à outils à destination de l’ensemble des établissements de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation de l’Union européenne. Il s’agit, une nouvelle fois, de les aider à se prémunir des influences étrangères.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris : le sujet traité par votre mission d’information est pris au sérieux, non seulement en France, par l’ensemble des autorités de l’État, mais à l’échelle européenne. Cette question fait l’objet de travaux continus, et je tiens à féliciter la Haute Assemblée, qui, par ce rapport, a mis en lumière un enjeu majeur pour notre souveraineté et le respect de nos valeurs.

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