Intervention de Fabien Gay

Réunion du 8 février 2022 à 14h30
Activité professionnelle indépendante — Vote sur l'ensemble

Photo de Fabien GayFabien Gay :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous l’avons indiqué en première lecture, ce texte ne sera qu’une énième tentative de réformer en profondeur le statut des travailleurs indépendants et de remédier à un véritable déficit de protection sociale.

Tout d’abord, il ne prend pas en compte la multiplicité des travailleurs indépendants. Cette catégorie regroupe en effet un grand nombre de métiers du quotidien, qui vont du commerçant à l’agriculteur, des artisans aux professions libérales ; tous ont leurs spécificités. À cet égard, les inquiétudes soulevées par le monde agricole illustrent la difficulté d’appréhender les travailleurs indépendants de manière homogène. Si des garanties ont été apportées lors des débats à l’Assemblée nationale, il n’en demeure pas moins que nous serons vigilants quant à l’application de ce texte aux agriculteurs.

Ensuite, avec ce texte, vous niez, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réalité des rapports de force économiques. La mise en place d’un régime légal de séparation des patrimoines, destiné à mieux protéger le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel, est une bonne idée, mais il y a fort à parier que les effets de cette réforme sur la protection des biens personnels des entrepreneurs individuels ne seront pas ceux que l’on espère. En effet, la limitation du droit de gage des créanciers au seul patrimoine professionnel des indépendants comporte trop d’exceptions, qui vident de son contenu votre pétition de principe.

Pour garantir l’efficacité du dispositif, il aurait fallu supprimer la faculté laissée à l’entrepreneur de renoncer à la protection de son patrimoine personnel, interdire le cautionnement sur ses biens personnels ou, à tout le moins, garantir sans renonciation possible l’insaisissabilité de sa résidence principale, faute de quoi, les banques pourront continuer d’imposer leur volonté…

Ce texte est également insuffisant parce qu’il ne s’attaque pas aux vrais problèmes : au travers de ses dispositions, on laisse entendre que c’est le formalisme qui freine le choix en faveur du travail indépendant. En ce sens, ce projet de loi n’apporte pas de réponse claire aux problèmes réels des entrepreneurs individuels : aucune obligation n’est mise à la charge des banques, on n’y trouve rien qui puisse mettre fin à leurs pratiques actuelles.

Pour sa part, le groupe CRCE est conforté dans l’idée qu’il est nécessaire de doter notre pays d’une grande banque publique qui soit à même de proposer des prêts à taux zéro pour accompagner les entrepreneurs individuels ou de garantir les crédits souscrits par les entrepreneurs concernés.

Quant à l’allocation des travailleurs indépendants, la nouvelle version du texte peine à convaincre. Certes, il ne sera plus nécessaire d’être passé par une liquidation ou un redressement judiciaires pour être indemnisé ; il faudra présenter une déclaration de cessation d’activité et prouver que celle-ci n’était pas « économiquement viable ». Pour estimer que l’entreprise n’était pas « viable », l’État se fondera sur une baisse du revenu fiscal de l’indépendant de 30 % d’une année sur l’autre. Toutefois, là encore, de nombreux indépendants risquent de passer entre les mailles du filet, parce que la baisse de leur activité ne se traduira pas encore dans leur revenu fiscal ou encore parce qu’ils sont en couple.

De plus, le texte limite encore un peu plus le montant de l’ATI pour certains indépendants. Alors que son montant était le même pour toutes celles et tous ceux qui pouvaient y prétendre, il pourra désormais être inférieur à 800 euros par mois pour les indépendants qui ne percevaient pas un revenu suffisant pendant leur activité.

L’ATI sera également limitée dans le temps. Si un entrepreneur décide de rebondir, de se lancer dans une nouvelle affaire, mais que celle-ci périclite également, il devra attendre cinq ans avant de pouvoir bénéficier de nouveau de cette aide.

Enfin, monsieur le ministre, vous avez oublié les travailleurs des plateformes, alors que ceux-ci subissent les effets d’un contournement honteux des garanties du salariat. L’occasion vous était pourtant offerte d’anticiper la traduction législative de la récente décision de la Commission européenne, qui instaure une présomption de salariat pour les travailleuses et les travailleurs du numérique. Vous le savez, nous souscrivons à cette analyse.

Dans la mesure où nous œuvrons pour une société où les femmes et les hommes pourront vivre décemment de leur travail et qui garantisse à l’ensemble des indépendants des droits et une protection sociale équivalents à celle des salariés, vous comprendrez, monsieur le ministre, mes chers collègues, que nous ne partagions pas l’enthousiasme des promoteurs du texte.

C’est la raison pour laquelle le groupe CRCE s’abstiendra.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion