Intervention de Fabien Gay

Réunion du 8 février 2022 à 14h30
Outils de gestion des risques climatiques en agriculture — Discussion générale

Photo de Fabien GayFabien Gay :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, démarrages de végétation toujours plus précoces, gels destructeurs, grêle, puis canicules avec des températures supérieures à 40 degrés pendant plusieurs semaines, manque de précipitations, rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui se succèdent, toujours plus alarmants : les aléas d’hier deviennent des risques récurrents aujourd’hui !

C’est pourquoi il est impératif de prendre la mesure des contraintes climatiques qui pèsent et pèseront sur l’ensemble de nos filières agricoles.

C’est cette unique question qui devrait guider les choix d’avenir en matière de prévention et de gestion des risques agricoles. Malheureusement, il n’en est rien. Ici, comme ailleurs, d’autres motivations priment : le marché, la concurrence, la financiarisation, le profit.

Alors que l’ensemble de la profession agricole bénéficiait des garanties minimales d’assurance publique contre les aléas climatiques exceptionnels, le choix a été fait d’affaiblir progressivement le Fonds national de garantie des calamités agricoles, créé en 1964, toujours avec cette même volonté de siphonner les moyens d’un fonds public pour assurer l’extension du secteur privé.

Pourtant, nous le savons, le système assurantiel privé est inefficace et inadapté pour répondre aux enjeux de notre siècle. Il ne survit que grâce aux fonds publics et ne répond pas aux besoins réels des agriculteurs.

Seulement 20 % des surfaces de cultures sont couvertes par un contrat « multirisque climatique récolte » ; ce taux s’élève à seulement 2, 5 % pour les filières comme l’arboriculture et est quasi nul pour les prairies.

De plus, ces contrats, qui ne concernent presque aucune structure agricole familiale, ne permettent pas de compenser efficacement une part significative des pertes : problèmes d’estimations, franchises, seuils de déclenchement, complexité en tous genres !

Enfin, ils ne correspondent pas aux capacités financières de la majorité des exploitants familiaux : les assurances privées restent inaccessibles pour toutes les fermes qui ne dégagent que de très faibles revenus.

Le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui prend donc la mauvaise direction puisqu’il tend à généraliser les assurances privées via un financement public supplémentaire prélevé sur le budget de la politique agricole commune.

Ce projet de loi, que vous présentez comme universel, laissera plusieurs agriculteurs sans couverture contre les risques. Non seulement vous privez nombreux d’entre eux du dispositif des « calamités agricoles », mais de surcroît vous pénalisez ceux qui n’auront pas souscrit à une assurance puisqu’ils seront moitié moins indemnisés par l’État et qu’ils ne le seront qu’en cas de pertes exceptionnelles.

De plus, vous excluez les productions essentielles, comme le maraîchage diversifié ou l’apiculture, qui ne sont pas assurables alors qu’elles sont en première ligne face au changement climatique, comme le souligne très justement la Confédération paysanne.

Le groupe CRCE est en désaccord avec la majorité de la commission des affaires économiques, qui a même prévu à l’article 3 ter une minoration de l’aide à l’installation si les candidats n’ont pas souscrit à une assurance ou s’ils n’ont pas réalisé un diagnostic de gestion des risques. Selon nous, il conviendrait au contraire de faciliter l’accès aux aides à l’installation !

Enfin, ce projet de loi acte encore un peu plus le retrait de l’État et donne une place centrale aux assureurs dans la gouvernance du nouveau dispositif. Certes, le système actuel présente de nombreux défauts et nécessite une vraie réforme.

Pour notre part, nous pensons qu’il faut définir un nouveau régime ambitieux capable de répondre aux enjeux et aux défis de demain. Nous devons bâtir un régime public, solidaire, mutualisé et couvrant de façon universelle tous les agriculteurs, ainsi que toutes les agricultures.

Ce régime devra disposer de moyens financiers spécifiques et adaptés reprenant l’intégralité des contributions – fonds publics nationaux et européens – déjà existantes, mais il devra aussi être doté de nouvelles ressources. Nous pourrions, par exemple, l’alimenter grâce à des prélèvements sur les revenus financiers des groupes de l’agroalimentaire, de la distribution, de l’industrie des phytosanitaires, des intrants, mais aussi des secteurs bancaires et assurantiels, qui spéculent sur les matières premières agricoles.

La gestion de ce régime devrait être confiée majoritairement aux représentants des professionnels agricoles eux-mêmes. De la sorte, les premiers bénéficiaires du système pourraient définir et adapter directement aux côtés de l’État les critères et les choix de gestion afin d’assurer la plus large couverture possible des pertes subies, tout en jouant un véritable rôle aussi bien en matière d’adaptation des systèmes agricoles aux risques encourus qu’en termes de prévention.

C’est pourquoi, malgré les avancées introduites par la commission des affaires économiques – je pense, en particulier, à la méthode d’évaluation des pertes, à la possibilité de contester celle-ci, ou à la faculté offerte au ministre de plafonner le montant des primes en cas de forte inflation de ces dernières –, nous ne voterons pas en faveur de ce projet de loi, sauf si nos amendements devaient être adoptés.

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