Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après l’échec de la commission mixte paritaire réunie le 12 janvier dernier, la commission des affaires sociales du Sénat avait décidé de poursuivre une « vraie » discussion à l’occasion de cette nouvelle lecture des deux propositions de loi relatives aux LFSS.
En effet, ces textes, vous venez de le rappeler, monsieur le secrétaire d’État, concernent des sujets institutionnels de première importance : non seulement nous ne les prenons pas à la légère, mais nous estimons aussi que des dispositions de cette importance ne pouvaient pas relever du « dernier mot » de l’Assemblée nationale.
Comme je l’ai dit en commission, ce n’est pas un hasard si, jusqu’à présent, toutes les réformes significatives du cadre organique des finances publiques, dans la sphère de l’État comme dans celle de la sécurité sociale, ont toujours été menées de façon consensuelle, indépendamment des majorités. Nos deux propositions de loi – je rappelle que nous avions déposé un texte similaire – traduisent une vision commune de l’équilibre des pouvoirs, en particulier entre le Gouvernement et le Parlement.
On ne réforme pas souvent la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (Lolfss) et il aurait été dommage de manquer l’occasion qui nous est offerte d’améliorer réellement le pouvoir de décision et de contrôle du Parlement en matière de finances sociales.
L’absence de recherche de consensus au moment de la réunion de la commission mixte paritaire posait donc, à mes yeux, un problème sérieux. Mais nous étions prêts, monsieur le secrétaire d’État, à formuler de vraies propositions de compromis en nouvelle lecture pour permettre in fine l’adoption d’un texte commun, ou presque, aux deux assemblées.
Il est heureux, même si c’est très inhabituel, que les discussions aient pu reprendre entre la réunion de la commission mixte paritaire et la nouvelle lecture de ces propositions de loi par l’Assemblée nationale, de façon à parvenir dès aujourd’hui à l’examen d’un texte très proche de ce qu’aurait donné un accord en commission mixte paritaire.
En effet, la proposition de loi organique que nous a transmise l’Assemblée nationale reprend plusieurs amendements importants adoptés par le Sénat en première lecture.
Pour mémoire, la principale disposition du texte de première lecture des députés, à savoir la création des lois d’approbation des comptes de la sécurité sociale (Lacss), constituait un point d’accord. Cette mesure figurait d’ailleurs dans la proposition de loi organique déposée au Sénat.
Au-delà, les députés ont repris deux de nos « clauses de retour au Parlement », qui imposent une consultation pour avis des commissions des affaires sociales en cas de remise en cause, en cours d’exercice, d’éléments essentiels de la LFSS votée à l’automne. Le Gouvernement devrait ainsi nous saisir dans deux hypothèses : soit en cas de dépassement du plafond d’endettement à court terme des organismes autorisés à recourir à ce type de financement, au premier chef l’Urssaf-Caisse nationale, ex-Acoss, soit, de manière plus générale, en cas de remise en cause de l’équilibre financier de la sécurité sociale déterminé par la LFSS.
Les commissions des affaires sociales seraient alors appelées à se prononcer tous les trimestres sur la base d’un rapport complet présenté par le Gouvernement, sauf en cas de dépôt d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) en bonne et due forme.
Il s’agit là, vous le voyez bien, de vraies avancées. Souvenons-nous de ce qui s’est passé en 2020 et 2021 et de la réponse de certains ministres à nos demandes de dépôts d’un PLFRSS. Selon eux, dans la mesure où rien n’obligeait le Gouvernement à revenir devant le Parlement, ce dernier n’avait pas à être consulté. À l’avenir, même si le parallèle avec la loi de finances n’est pas complet, puisque le dépôt d’un « collectif social » ne sera pas obligatoire, le Gouvernement ne pourra plus considérer qu’il peut agir sans expression formelle des deux assemblées sur la situation des comptes sociaux et les mesures qu’il envisage de prendre pour y répondre.
De plus, l’Assemblée nationale a repris d’autres avancées contenues dans le texte adopté par le Sénat en première lecture.
Je pense à la création d’un article liminaire des futures lois d’approbation des comptes de la sécurité sociale, qui donnera un point de comparaison entre la prévision et l’exécution du budget pour l’ensemble des administrations de sécurité sociale, au-delà du seul périmètre des lois de financement de la sécurité sociale.
Je pense également à l’obligation pour le Gouvernement de répondre aux commissions des affaires sociales dans un standard aisément exploitable et réutilisable. Cette disposition, qui nous permettra de retraiter à notre guise les données du Gouvernement et des organismes, est importante pour l’exercice effectif des missions législatives et de contrôle du Parlement, comme l’a d’ailleurs souligné le Conseil d’État dans son avis sur ma propre proposition de loi organique.
Sur un plan plus symbolique, l’Assemblée nationale a également confirmé l’abandon de l’élévation au niveau organique du « Printemps de l’évaluation » propre à la seule Assemblée nationale, la loi organique n’ayant pas à privilégier telle ou telle modalité de contrôle. Au Sénat, la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) fonctionne très bien à cet égard.
Le texte de l’Assemblée nationale contient même de véritables positions de compromis sur les deux points qui avaient entraîné l’échec de la commission mixte paritaire.
S’agissant de l’extension du périmètre des LFSS aux mesures relatives à la dette des établissements de santé ou médico-sociaux, à laquelle nous étions opposés, elles ne concerneraient que les mesures ayant un effet sur l’équilibre financier de la sécurité sociale. Autant dire que ces mesures sont d’ores et déjà incluses dans le périmètre des LFSS, ce qu’a montré la décision du Conseil constitutionnel sur la LFSS pour 2022. Dès lors, pour dire les choses de manière diplomatique, la portée réelle de cette extension est très atténuée par rapport à la version initiale.
S’agissant des dotations à divers organismes ou agences de la sécurité sociale, nous sommes parvenus au compromis suivant.
Pour toutes ces dotations, le montant prévu en année n +1 figurera expressément en annexe. Le Parlement saura donc, en votant l’objectif national des dépenses d’assurance maladie(Ondam), quelle part est prévue pour ces financements. Et, en cas de dépassement de plus de 10 % d’une dotation par rapport au montant prévu, les commissions des affaires sociales seront informées sans délai par le Gouvernement. Cela ne va pas aussi loin que nos propositions, mais constitue un réel progrès par rapport à l’opacité actuelle.
Bien entendu, certains de nos apports n’ont pas été repris dans le texte soumis aujourd’hui à notre examen.
C’est le cas, en particulier, de l’inclusion de l’assurance chômage dans le champ des LFSS et de la « règle d’or » sur l’équilibre financier de la sécurité sociale. J’avais indiqué dès la réunion de la commission mixte paritaire que j’étais prêt à les retirer afin de permettre un accord.
C’est également le cas de quelques mesures de moindre portée : l’extension aux recettes et au solde de la sécurité sociale du « compteur des écarts » entre la LFSS et la loi de programmation des finances publiques, que l’Assemblée nationale a de nouveau réduit aux seuls écarts en dépenses ; le principe de non-contraction des recettes et des dépenses, supprimé par l’Assemblée nationale, car le Gouvernement y voyait un obstacle majeur à la prise en compte des remises pharmaceutiques au sein de l’Ondam ; la création de certaines annexes que nous avions souhaitées, comme l’annexe « médicaments » défendue par nos collègues Florence Lassarade, Véronique Guillotin et Olivier Henno.
Enfin, je regrette l’abandon de précisions que j’estimais utiles sur le droit d’interrogation du président et des rapporteurs des commissions des affaires sociales, même si la rédaction très large de l’article L.O. 111-9 du code de la sécurité sociale leur donne déjà une grande latitude d’actions, que nous continuerons d’utiliser à l’avenir comme nous l’avons fait dans le passé.
Néanmoins, au bout du compte, je considère que le texte soumis à notre examen constitue un bon compromis entre les textes adoptés en première lecture par chacune des deux assemblées.
C’est pourquoi la commission des affaires sociales ne l’a pas modifié lors de sa réunion du 1er février dernier. Et c’est pourquoi, au nom de la commission, je propose au Sénat de l’adopter également sans modification. Si le Sénat donnait suite à cette proposition, nous pourrions clore dès aujourd’hui, de façon consensuelle, la navette de cette proposition de loi organique.
Je formulerai bien sûr le même avis pour ce qui concerne la proposition de loi ordinaire. Sur ce texte à objet restreint, qui concerne la procédure de remise des avis des caisses, il n’y avait déjà pas de désaccord politique à l’issue de la première lecture. L’Assemblée nationale l’a simplement complété en nouvelle lecture par quelques coordinations, qui ne soulèvent aucune difficulté.
Mes chers collègues, je vous propose, au nom de la commission des affaires sociales, d’adopter conforme cette proposition de loi. Je remercie tout particulièrement Mme la présidente de la commission des affaires sociales, Catherine Deroche, représentée aujourd’hui par Chantal Deseyne, ainsi que mes collègues rapporteurs, en particulier René-Paul Savary et Alain Milon, et les administrateurs ayant contribué à la rédaction de ce texte.