Intervention de Sylviane Noël

Réunion du 9 février 2022 à 15h00
Contrôle parental sur internet — Discussion générale

Photo de Sylviane NoëlSylviane Noël :

Madame la présidente, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de M. Bruno Studer, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale. Ce texte vise à encourager l’utilisation du contrôle parental sur certains équipements et services vendus en France et permettant d’accéder à internet.

Cette proposition de loi est l’aboutissement d’une série de travaux, de recommandations et d’engagements politiques en faveur d’une meilleure protection de la présence en ligne des personnes mineures.

En naviguant de manière autonome sur internet, nos enfants et nos adolescents sont exposés à des risques multiples et de plus en plus nombreux : cyberharcèlement, mauvaises rencontres, partage de fausses informations, arnaques, exposition à des contenus violents, choquants, haineux ou illicites. À cet égard, l’exposition à des contenus à caractère pornographique est particulièrement bien documentée.

Ainsi, en France, 57 % des parents déclarent ne pas utiliser de contrôle parental alors que les enfants acquièrent en moyenne leur premier smartphone un peu avant 10 ans, et que près d’un tiers d’entre eux ont déjà été exposés à des contenus à caractère pornographique à seulement 12 ans, souvent de façon involontaire.

Face à de tels constats, la commission des affaires économiques du Sénat n’a pu qu’adopter à l’unanimité cette proposition de loi lors de son examen le 26 janvier dernier.

En tant que rapporteure, je me suis fixé une feuille de route, guidée dans mes travaux par des principes qui continueront de m’animer jusqu’à l’adoption définitive de cette proposition de loi.

Premièrement, je souhaite que ce texte demeure mesuré et équilibré. Nous légiférons sur une ligne de crête. Nous devons être prudents et ne pas nous immiscer de façon excessive dans la relation intime qui lie les parents à leurs enfants. L’objectif doit être d’accompagner les parents et de les inciter à recourir davantage au contrôle parental.

C’est pourquoi la première avancée de ce texte est d’obliger à proposer gratuitement l’activation du contrôle parental dès la première mise en service des appareils connectés. Les parents doivent avoir le choix du paramétrage des outils de contrôle parental, dont les fonctionnalités sont diverses et peuvent révéler des options éducatives différentes : contrôle du temps d’écran ou du temps de connexion, filtrage de contenus, blocage de l’accès à certains sites ou encore encadrement des achats en ligne.

Deuxièmement, je souhaite que ce texte demeure adapté aux pratiques numériques de nos enfants et de nos adolescents, ainsi qu’aux évolutions technologiques qui demeurent difficiles à anticiper. Les appareils utilisés aujourd’hui ne seront pas forcément ceux qui seront utilisés demain, c’est pourquoi il ne me paraît pas judicieux d’établir une liste exhaustive et détaillée des appareils concernés.

Troisièmement, je souhaite que ce texte soit suffisamment robuste pour s’adapter aux évolutions du marché, qui sont également difficiles à anticiper. En l’état, les acteurs dominants proposent déjà des outils gratuits de contrôle parental. Cette situation repose toutefois sur la bonne volonté de quelques acteurs aujourd’hui leaders sur des marchés très concentrés. Si les rapports de force étaient amenés à évoluer, nous aurions joué notre rôle en sécurisant une telle obligation par son inscription dans la loi.

Par ailleurs, ces acteurs sont aujourd’hui fabricants et au moins partiellement fournisseurs de systèmes d’exploitation. Or des discussions sont en cours à l’échelle de l’Union européenne pour permettre une plus grande dissociation entre fabricants et fournisseurs de systèmes d’exploitation, entre constructeurs et éditeurs de logiciel.

Dans cette perspective, notre commission a adopté un amendement visant à faire peser l’obligation de pré-installation du contrôle parental à la fois sur les fabricants et sur les fournisseurs de systèmes d’exploitation. Cette précision est indispensable afin que l’ensemble des appareils connectés utilisés par des particuliers soient, à terme, concernés par cette obligation. Nous parlons bien ici des appareils à destination des particuliers, des familles et des parents.

Je me permets d’insister sur ce dernier point, car nous avons été plusieurs sénateurs à être alertés sur les éventuels effets de bord non désirés de ce texte, notamment pour les ordinateurs commercialisés sans systèmes d’exploitation à des fins professionnelles. C’est pourquoi je vous proposerai plusieurs amendements visant à clarifier cette distinction et à vous rassurer sur ces questions.

Quatrièmement, je souhaite que cette proposition de loi permette une meilleure protection de nos enfants et de nos adolescents sur internet. C’est l’objectif principal qui a été fixé.

Pourtant, j’enregistre un décalage entre les discours politiques et la réalité première de ce texte. Plutôt technique, cette proposition de loi parle d’acteurs économiques, de fabricants, de distributeurs et d’importateurs. Elle parle de Google, d’Apple, de Microsoft ou de Samsung, mais elle parle peu, et sans doute pas assez, d’enfance et d’adolescence. Pourtant, les risques encourus sont réels.

Ainsi, dans un objectif global d’amélioration de la protection des mineurs en ligne, j’ai souhaité m’inspirer des dispositions applicables en matière de régulation audiovisuelle, qui concernent surtout la radio, la télévision et les plateformes de partage de vidéos. Elles sont, d’une certaine façon, plus anciennes et plus avancées que les dispositions applicables à la régulation de la navigation sur internet.

Dans cette perspective, notre commission a élargi le périmètre des contenus et services qui peuvent être concernés par le contrôle parental, en retenant notamment l’« épanouissement » des personnes mineures, notion habituellement utilisée en matière de régulation audiovisuelle et de protection de l’enfance.

Cinquièmement, je souhaite que cette proposition de loi permette de nouvelles avancées pour la protection de la présence en ligne des personnes mineures. La généralisation du contrôle parental signifie plus de protection, mais également davantage de données collectées sur nos enfants et nos adolescents, dont les capacités de discernement et de consentement ne sont pas les mêmes que celles de personnes adultes.

Sur les recommandations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), nous avons adopté un amendement visant à interdire l’exploitation à des fins commerciales des données à caractère personnel collectées lors de l’activation des dispositifs de contrôle parental. C’est une avancée importante, qui complète utilement les dispositions déjà applicables dans le cadre du règlement général sur la protection des données (RGPD).

Enfin, je souhaite que cette proposition de loi soit pleinement opérationnelle et puisse être adoptée dans les meilleures conditions possible, indépendamment de toute pression de calendrier. La proximité des élections ne vous aura sans doute pas échappé, mes chers collègues…

Sur ce point, je souhaite vous faire part de mes craintes. Ce texte a été notifié à la Commission européenne, car il entre dans le champ d’une directive de 2015 relative aux services de la société de l’information. L’objectif de cette procédure est de s’assurer qu’une législation nationale n’entrave pas le bon fonctionnement du marché intérieur. Or notre commission a émis de sérieuses réserves sur ce point, et aucune des auditions menées n’a permis de répondre de manière satisfaisante à nos interrogations.

Surtout, ce texte a été notifié beaucoup trop tôt, au moment de son dépôt, et sans prendre en compte les modifications adoptées par l’Assemblée nationale ni celles que le Sénat votera, contrairement à l’usage habituel. Nous avons depuis adopté des dispositions importantes et plus protectrices pour nos enfants et nos adolescents.

Je souhaiterais donc, messieurs les secrétaires d’État, que vous vous engagiez aujourd’hui à notifier de nouveau la proposition de loi que nous examinons, et à informer le Parlement des éventuelles remarques formulées et transmises par la Commission européenne et les autres États membres.

Messieurs les secrétaires d’État, c’est aussi le rôle du Sénat que de faire preuve d’une franchise respectueuse et d’une vigilance critique sur ces questions. Notre objectif est de pouvoir librement examiner et amender le texte qui nous a été transmis, surtout à l’heure où nous adoptons des dispositions plus protectrices pour les personnes mineures.

Telle est, mes chers collègues, ma feuille de route pour l’examen de cette proposition de loi.

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