Madame la présidente, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, Christian Redon-Sarrazy devait initialement prendre la parole lors de cette discussion générale ; puisqu’il est empêché, je vais m’exprimer en son nom et en celui de notre groupe.
Notre rapport au numérique doit être à la fois pragmatique et méticuleux lorsque les enfants sont en cause.
Pour situer l’enjeu de fond, je rappelle que, selon le code de l’éducation, « le droit de l’enfant à l’instruction a pour objet de lui garantir, d’une part, l’acquisition des instruments fondamentaux du savoir, des connaissances de base, des éléments de la culture générale […] et, d’autre part, l’éducation lui permettant de développer sa personnalité, son sens moral et son esprit critique, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, de partager les valeurs de la République et d’exercer sa citoyenneté. »
On touche là à ce qui fait véritablement la République, depuis Condorcet jusqu’à nos jours, en passant par Jules Ferry. On comprend tout de suite que le numérique n’est pas neutre au regard de ces enjeux. Il permet une insertion du futur adulte dans ce qui peut être le meilleur comme le pire.
Le numérique est un outil pour l’éducation. Il peut être au service des parents ou des responsables de l’enfant.
C’est d’ailleurs l’un des apports de la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, dite loi Peillon, que notre groupe avait défendue.
Cette loi instaure un service public du numérique éducatif complétant ce qui existait en matière d’enseignement à distance. Il s’agit bien d’assurer la continuité du service public de l’éducation, de rendre plus effectif le droit à l’éducation, de soutenir les familles placées dans des situations très particulières, comme lors des confinements liés à la crise sanitaire.
Philippe Meirieu, professeur en sciences de l’éducation, dit de l’école qu’elle représente une ouverture positive au monde. On y découvre que le monde ne se réduit pas à sa famille, son quartier, sa région, son pays. On peut dire la même chose d’internet. En cela, ses contenus doivent participer de l’éducation dans sa conception républicaine. L’accès du mineur à internet est donc nécessaire ; celui-ci doit être préparé à s’en servir à son avantage.
Mais internet et les réseaux sociaux constituent aussi une menace qui peut être très grave et qu’il faut regarder en face.
D’ailleurs, dans le code pénal, la mise en relation par un réseau de communication électronique est une circonstance aggravante que l’on retrouve dans de nombreuses infractions, et pas seulement à l’égard des mineurs. Cela montre que les adultes eux-mêmes peuvent être victimes d’internet, et donc a fortiori les enfants.
Il s’agit d’une circonstance aggravante en matière de corruption de mineur. Même sans être suivie d’effet, l’utilisation de moyens de communication électronique par un adulte, par exemple pour faire des propositions de nature sexuelle à un mineur de moins de 15 ans, est une infraction.
Depuis 2021, hors les cas de viol ou d’agression sexuelle, le fait pour un majeur d’inciter un mineur par un moyen de communication électronique à commettre tout acte de nature sexuelle est puni de sept ans d’emprisonnement. Cette peine est portée à dix ans s’il s’agit d’un mineur de 15 ans ou si les faits sont commis en bande organisée.
À la gravité de ces incriminations doit correspondre un volet préventif. Nous comprenons ainsi l’objectif de cette proposition de loi. Pour autant, les modalités de sa mise en œuvre nécessitent de faire preuve de discernement à plusieurs égards.
C’est un fait, nos enfants sont confrontés régulièrement à de nombreux contenus à caractère choquant, violent et même sexuel sur internet. D’année en année, ce phénomène tend à s’aggraver, avec un taux d’équipement en smartphones toujours plus élevé, et toujours plus tôt dans la vie de ce jeune public. Si, auparavant, le collège marquait le saut vers l’accès à ces terminaux, aujourd’hui, celui-ci s’est décalé vers le CM1 ou le CM2 : l’âge moyen de possession du premier smartphone est de moins de 10 ans. La première inscription à un réseau social, quant à elle, semble intervenir en moyenne vers l’âge de 8 ans et demi.
La dernière consultation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), en date de janvier 2021 et relative aux droits numériques des mineurs, confirmait que les pratiques numériques des jeunes étaient massives de plus en plus précocement.
Il en ressort que 82 % des enfants âgés de 10 à 14 ans vont régulièrement sur internet sans leurs parents, et que 66 % des enfants de cette même tranche d’âge regardent seuls des vidéos en ligne. Dans le même temps, les parents interrogés minimisent ces chiffres. Ils sous-estiment en effet l’utilisation d’internet par leurs enfants, et ne sont souvent pas informés de leur présence sur les réseaux sociaux.
La présente proposition de loi, qui reprend en partie les recommandations de la CNIL de juin 2021, va dans le bon sens un obligeant la pré-installation d’un dispositif de contrôle parental, dont l’activation sera proposée à l’utilisateur dès la mise en service de l’équipement. Une majorité de parents ne recourent pas aujourd’hui à de tels dispositifs, notamment parce qu’ils considèrent trop complexes, difficiles d’accès ou encore insuffisamment efficaces ceux qui existent.
À nos yeux le contrôle parental est nécessaire tant qu’il se limite à filtrer des contenus inappropriés et à encadrer les pratiques de l’enfant, en limitant par exemple son temps d’écran, ainsi que ses interactions avec des inconnus sur internet.
Cependant, nous avons identifié un point de vigilance sur les possibilités de surveillance directe de son enfant introduites par ce dispositif, quand elles se caractérisent par l’accès à l’historique de navigation, aux conversations, aux contenus échangés, ainsi qu’à la géolocalisation permanente. La collecte de données personnelles concernant le mineur, si elle est trop importante, devient injustifiée, voire excessive, et fait courir plusieurs risques, déjà identifiés par la CNIL et que nous tenons à rappeler.
Une dérive de l’utilisation du contrôle parental risque autant d’altérer la relation de confiance entre les parents et le mineur que d’entraver le processus d’autonomisation du mineur, qui aurait dès lors l’impression d’être surveillé en permanence, peut-être même de s’y habituer. Nous ne doutons pas que la CNIL se montrera très attentive à ces sujets lorsqu’elle rendra son avis au Conseil d’État pour déterminer les modalités d’application du texte. Elle aura à cœur, n’en doutons pas, de contribuer à la mise en place d’un outil de contrôle parental à la fois protecteur et respectueux de la vie privée de l’enfant, toujours dans son intérêt.
Quant aux amendements déposés par la rapporteure Sylviane Noël, dont je salue le travail, nous les avons votés, considérant qu’ils vont justement dans le sens de l’intérêt de l’enfant.
Nous avons déposé nos propres amendements dans le but de sécuriser le logiciel libre en France. En effet, la rédaction actuelle du texte fait craindre une possible interdiction, par effet de bord, des équipements informatiques dits « nus », c’est-à-dire ceux commercialisés sans système d’exploitation, pour lesquels la pré-installation de logiciels est par définition impossible ; c’est pourquoi nous voulons les exclure de ce texte.
Aussi, afin de garantir aux utilisateurs la liberté de ne pas se voir imposer une couche logicielle dont ils ne voudraient pas ou dont ils n’auraient pas besoin, il est nécessaire de permettre la désactivation et la désinstallation de ce contrôle parental au moment même où son activation est proposée, lors du premier démarrage. Je pense ici aux utilisateurs dont les usages sont professionnels ou à ceux qui n’ont pas d’enfant.
Pour l’essentiel et compte tenu des raisons que j’ai évoquées, au nom de l’intérêt et de la protection de l’enfant, les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront cette proposition de loi.