Madame la présidente, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, nous sommes souvent stupéfaits face à l’agilité et la réactivité de nos enfants devant un ordinateur, une tablette connectée, un smartphone… Je précise que la tablette est aujourd’hui l’objet connecté le plus vendu auprès des plus jeunes.
Les plus jeunes générations, véritables fers de lance de la révolution numérique, sont nées avec le numérique et l’apprentissage de l’usage des équipements terminaux est probablement aussi naturel pour elles que l’acquisition de la parole et de la marche.
Nous sommes face à une génération du multimédia, un environnement technologique qui bouleverse les rapports de la jeunesse au divertissement, à l’information et à l’enseignement. Alors oui, nous pouvons nous dire que c’est une chance pour la jeunesse, qui a notamment entraîné une libération de la parole évidente. L’outil multimédia est un catalyseur de compétences indubitable, un vecteur culturel extraordinaire. Il a ainsi un intérêt pédagogique certain, participant à la formation de la pensée des jeunes et à leur insertion sociale.
Nonobstant ce constat, dès lors que l’on reconnaît une influence à l’image et aux médias, il faut aussi admettre que cela peut nuire à l’équilibre des utilisateurs, notamment les plus jeunes.
Je pense notamment au rétrécissement de la sphère de l’intime, aux menaces d’addictions, à l’omniprésence de la publicité et à l’incitation permanente à la consommation qui en découle, sans oublier l’impact de la diffusion de contenus violents, la multiplication des cas de cyberharcèlement ou encore les atteintes à la e-réputation.
Comme vous pouvez le voir, nous faisons donc face, mes chers collègues, à un mouvement qui semble irréversible et, sur certains aspects, quelque peu inquiétant.
Dans un rapport datant de 2013, l’Académie des sciences faisait état d’une révolution numérique. Elle pointait des effets certes positifs pour nos enfants, mais avertissait déjà, à l’époque, qu’une utilisation précoce et une surexposition aux écrans pourraient avoir « des conséquences délétères durables sur la santé, l’équilibre et les activités intellectuelles ».
Parents, nous sommes pris entre deux feux : d’un côté, nous comprenons qu’un usage modéré des écrans peut être facteur d’apprentissage, d’intégration sociale et d’aisance numérique pour nos enfants ; de l’autre, nous voulons tous rester vigilants, même si cette vigilance peut parfois rester « passive ». Ainsi, entre la règle familiale et la réalité de la consommation des enfants, il y a le plus souvent une différence de taille.
Selon une étude publiée ce lundi par Ipsos pour l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN) et l’Union nationale des associations familiales (UNAF), trop de parents sous-estiment les risques encourus par leurs enfants lors de l’utilisation des écrans.
Les enfants âgés de 7 à 10 ans passent quasiment trois fois plus de temps devant un écran que ce qu’imaginent leurs parents. Autre exemple inquiétant – sans vouloir vous abreuver de chiffres –, selon les parents, 9 % des 7-10 ans se rendent sur les réseaux sociaux, alors que, selon les enfants eux-mêmes, ils seraient près de 30 % à le faire. Concrètement, de très jeunes enfants se font connaître sur Facebook ou Instagram, avec tous les dangers qu’implique une telle immersion, et bien évidemment sans le consentement des parents.
Outre les réseaux sociaux, vous le savez tous, d’autres dangers guettent facilement un enfant sur internet.
Comme l’a rappelé à l’Assemblée nationale mon collègue député Bruno Studer, qui est à l’initiative de cette proposition de loi, un enfant seul dans sa chambre qui mène innocemment des recherches sur internet peut facilement tomber sur des contenus qui n’ont rien à faire dans les moteurs de recherche. Pornographie, ultraviolence, harcèlement, endoctrinement, contacts avec des inconnus potentiellement malveillants, la liste des cybermenaces potentielles est longue.
Les parents sont souvent en proie à un sentiment d’impuissance face à des technologies bien souvent mieux maîtrisées par leurs enfants que par eux-mêmes. Ils se sentent fréquemment incapables de les protéger.
Trop peu nombreux sont les parents qui ont recours de façon effective aux outils mis à leur disposition. En 2019, seuls 44 % des parents avaient paramétré l’appareil de leur enfant, et 38 % seulement recouraient à des dispositifs dits « de contrôle parental ».
De ce fait, toute solution technologique qui permettrait de mieux gérer le contrôle parental est bonne à prendre. C’est l’objet du texte qui nous réunit aujourd’hui.
Ce texte émane de la volonté du Président de la République, qui, lors de son discours à l’occasion du trentième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, en novembre 2019, a évoqué son engagement pour la protection des enfants dans l’espace numérique. Il a notamment marqué sa volonté de permettre aux parents de reprendre davantage la main sur l’utilisation du numérique par leurs enfants, via la mise en place d’un contrôle parental par défaut, qui garantira simplement son application. Deux ans plus tard, il annonçait une réforme législative visant à améliorer le contrôle parental en faisant en sorte que celui-ci soit installé par défaut sur tous les téléphones, ordinateurs et tablettes.
Bruno Studer, auteur de cette proposition de loi, a donc poursuivi dans cette voie avec beaucoup de rigueur, de volontarisme, et une ardente conviction : la nécessité de faire adopter cette loi avant la fin de la législature.
Le texte qui nous est proposé comprend ainsi trois orientations majeures.
Premièrement, il rend obligatoire la pré-installation d’un dispositif de contrôle parental sur les appareils connectés vendus en France.
Deuxièmement, il prévoit que les fabricants devront, de leur côté, certifier que leurs appareils incluent un tel logiciel.
Troisièmement, il dispose que ces nouvelles obligations faites aux constructeurs et aux distributeurs seront contrôlées par l’Agence nationale des fréquences (ANFR), qui pourra le cas échéant prononcer des sanctions.
L’adoption à l’unanimité de ce texte à l’Assemblée nationale témoigne du large consensus existant autour des enjeux de la protection de l’enfance.
Cette proposition de loi ne va pas tout régler. Il faut encore combattre les problèmes de contenus ultraviolents ou pornographiques en libre accès, de cyberharcèlement et d’atteinte à la réputation. Il reste encore beaucoup à faire, mais, pour reprendre une citation désormais célèbre, « les consciences s’éveillent et les solutions sont juste à portée de main ».
Mes chers collègues, le texte qui nous est soumis ce soir est l’une de ces solutions. Il s’agit d’une proposition de loi concrète, contraignante pour les fabricants, ce qui est un gage d’efficacité. Elle permettra, si elle est votée, de tranquilliser le quotidien de nombreux parents et, in fine, de protéger de nombreux jeunes des contenus dangereux.