Je suis médecin de santé publique et épidémiologiste. Je précise que je n'ai pas de conflits ou de liens d'intérêt à déclarer. Je m'exprime non pas au nom des institutions pour lesquelles je travaille ou collabore, mais en mon nom propre. Les éléments que je vais vous apporter résultent d'une réflexion pluridisciplinaire. Je remercie très chaleureusement les confrères et les consoeurs qui m'ont aidée à répondre aux questions qui m'ont été soumises, ainsi que les ingénieurs, les polytechniciens, les immunologistes et les épidémiologistes - la liste est non exhaustive - qui m'ont accompagnée dans ma réflexion.
Vous m'avez interrogée sur les indicateurs mobilisés durant cette crise et sur l'importance des modélisations. Au regard des mesures mises en place, qui ont un impact sur la santé dans toutes ses dimensions, il importe de mettre dans la balance, à la fois, des indicateurs spécifiques « covid » et des indicateurs « non-covid » relatifs à la santé physique, mentale et sociale, ainsi que, pour les enfants, des indicateurs pédagogiques.
Je me félicite que des données sanitaires quotidiennes aient été mises à disposition via l'open data depuis le début de l'épidémie, notamment grâce au travail de Santé publique France, de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) et de l'application TousAntiCovid. Des rapports hebdomadaires étaient également disponibles aux niveaux national et régional. Nous avons eu accès à des données de qualité.
Néanmoins, il faut noter un certain manque de transparence. Certaines données ne sont pas publiées alors qu'elles sont disponibles : je pense par exemple aux données de réanimation pour et avec covid, en particulier chez les enfants. Il en va de même des données sur les comorbidités rapportées par âge et par statut vaccinal et des données relatives aux patients intubés. Je souligne également la présence d'indicateurs erronés : d'après les données de Santé publique France, 30 % des hospitalisations covid sont en fait des hospitalisations avec covid et non pour covid, un taux qui peut grimper à près de 50 % pour la tranche d'âge 20-39 ans. Les données sont alors difficiles à interpréter de manière rigoureuse et pertinente.
Idem pour le niveau de tension en réanimation : l'indicateur qui est disponible sur TousAntiCovid n'a pas vraiment de sens puisqu'il rapporte le nombre de patients hospitalisés en réanimation, en soins critiques et en soins continus aux seuls lits de réanimation. Si l'on rapporte le nombre de patients de trois services au nombre de lits d'un seul service, l'indicateur n'a plus aucun sens et l'estimation est forcément surestimée.
Je précise que des écarts au protocole ont été notifiés dans le dernier bulletin publié par Santé publique France. Des classes d'âge ont été regroupées en un groupe 15 à 64 ans pour les données en réanimation, alors qu'elles étaient auparavant présentées en deux classes - 15 à 44 ans et 45 à 64 ans -, ce qui est problématique : le risque de terminer en réanimation pour covid grave n'est pas le même selon l'âge. Le surpoids, une comorbidité importante responsable à elle seule, d'après un bulletin épidémiologique de Santé publique France, de 15 % de la mortalité en 2020, a disparu de ce dernier point épidémiologique : ce facteur a été très probablement intégré dans la ligne « patients sans comorbidités », ce qui augmente artificiellement le poids de ces patients. C'est un biais majeur pour l'interprétation des données.
Par ailleurs, aucune communication écrite n'est faite dans les points épidémiologiques de Santé publique France sur les causes des décès covid chez l'enfant : au vu de la sensibilité du sujet, il serait pertinent de pouvoir évaluer de manière claire cet indicateur. Nous n'avons pas de communication sur le nombre d'enfants en réanimation pour ou avec covid, et pas de résultat de la Drees sur l'évaluation vaccinale pour la tranche d'âge 11-18 ans.
Je constate aussi que les données sont présentées de façon de plus en plus partiale, ce qui ne respecte pas la neutralité et l'objectivité qui devraient pourtant être de mise dans ce domaine. Ainsi, le dernier bulletin épidémiologique de Santé publique France conclut que la part des patients ne présentant pas de comorbidités a augmenté. C'est une façon quelque peu orientée de présenter les choses : il aurait fallu préciser sur le fait que plus de 80 % des patients en réanimation ont, d'après leurs données, au moins une comorbidité.
Je note également un recours quasi systématique aux modélisations pour justifier des décisions avant leur mise en oeuvre ou a posteriori pour arguer de l'efficacité de ces décisions. Les modélisations présentent un niveau de preuve extrêmement faible, insuffisant au regard des enjeux sanitaires qui en découlent. Le même argumentaire pourrait s'appliquer au passe.
Toujours sur les modélisations, aucune évaluation de leur pertinence et de leur conformité à la réalité n'a été réalisée. Des travaux menés par des ingénieurs de Polytechnique, dont je reparlerai, montrent un décalage très important entre la réalité et ce qui avait été prévu par les modélisations, ce qui pose question.