Intervention de Alice Desbiolles

Commission des affaires sociales — Réunion du 8 février 2022 à 15h30
Hommage à un commissaire décédé

Alice Desbiolles, médecin de santé publique :

Vous me posez la question du rationnel scientifique : existe-t-il des données probantes sur l'efficacité du passe vaccinal ? On peut commencer par s'interroger sur le passe sanitaire : à ma connaissance, aucune étude de bonne qualité, dotée d'un fort niveau de preuve, ne démontre une quelconque efficacité.

La mise en oeuvre de ce passe s'est appuyée sur des modélisations. Dans un avis du 6 juillet 2021, le Conseil scientifique indique que ces modélisations « sont faites avec l'hypothèse que les vaccins réduisent le risque d'hospitalisation de 95 %, le risque d'infection de 80 % et le risque de transmission en cas d'infection de 50 % ». Il faut préciser que le critère de jugement principal dans les essais cliniques randomisés de Pfizer était le nombre d'infections symptomatiques confirmées par un test PCR positif, et non l'effet du vaccin sur la prévention des formes graves et sur la diminution du risque d'hospitalisation ou de décès. Ces données ne sont d'ailleurs toujours pas disponibles.

Les données observationnelles en vie réelle confirment un impact positif de la vaccination sur la prévention des formes graves et de la mortalité chez les personnes à risque. C'est un élément très important, mais les données de vie réelle émanant des études observationnelles américaines produites à la même époque sur Delta sont complètement discordantes avec cette observation. Une étude par appariement de la Mayo Clinic montrait une efficacité vaccinale de 42 % pour Pfizer sur les infections, qui était le critère de jugement principal de l'essai clinique randomisé en juillet 2020, alors même que Delta n'avait pas encore complètement remplacé les souches précédentes. Selon un rapport des Centers for Disease Control and Prevention (CDC), les charges virales étaient équivalentes chez les personnes en situation d'échec vaccinal avec Delta et chez les non-vaccinés.

Les modélisations sont susceptibles d'avoir de nombreux biais. Il n'existe donc pas de données probantes permettant de montrer l'efficacité du passe vaccinal pour sécuriser des lieux, voire les sanctuariser, un des principaux arguments avancés pour mettre en place cette mesure si ma mémoire est bonne.

L'impact positif du vaccin sur la diminution de la contamination et de la propagation ne faisait pas partie des critères de jugement principaux des essais cliniques randomisés de Pfizer. On a bien vu d'ailleurs l'échec de ces dispositifs, avec de nombreuses contaminations dans les lieux soumis au passe : l'étude ComCor de l'Institut Pasteur, menée sur la période du 23 mai au 13 août 2021, évaluait le taux de contamination dans les bars à plus de 90 % et à 240 % dans les boîtes de nuit.

Un autre argument avancé en faveur du passe sanitaire était qu'il permettait d'inciter à la vaccination : effectivement, on a noté une augmentation de la couverture vaccinale. Mais l'important est tout de même la prévention des formes graves ou létales de covid-19, notamment chez les personnes à risque. Or ce fut malheureusement un échec chez les populations les plus vulnérables. La France présente l'une des couvertures vaccinales les plus basses d'Europe de l'Ouest chez les plus de 80 ans. Des pays comme l'Irlande qui n'ont pas mis en place de passe sanitaire ou vaccinal présentent 100 % de couverture vaccinale chez les plus de 70 ans. La Finlande présente une couverture vaccinale de 94 % chez les plus de 80 ans, et au Portugal 100 % des personnes âgées étaient vaccinées avant même la mise en place d'un passe. Il en va de même pour le Danemark, avec un taux de 100 % chez les plus de 80 ans. Ces données proviennent de l'European Center for Disease Prevention and Control (ECDC).

L'intérêt majeur est d'augmenter la couverture vaccinale chez les personnes à risque, celles qui présentent des comorbidités, notamment le surpoids et l'obésité, ou qui sont âgées : de ce point de vue, les mesures n'ont pas atteint l'effet escompté. Si la vaccination présente un bon bénéfice individuel pour les personnes à risque, on peut se demander quel est le bénéfice collectif sur la dynamique infectieuse.

Un autre argument en faveur du passe était qu'il allait permettre de réduire la saturation des hôpitaux. D'après un rapport interne de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) qui a été publié, les déprogrammations ne s'expliquent pas par la prise en charge des patients non vaccinés : la plupart sont liées à des vacances de poste au bloc opératoire, notamment en raison du départ d'un grand nombre d'infirmières.

Une étude publiée par le Conseil d'analyse économique évalue à 4 000 le nombre de morts qui auraient été évités grâce au passe. Je préciser que certains auteurs de cette étude sont juge et partie, puisque l'un d'entre eux en particulier est membre du Conseil scientifique. Je ne remets pas du tout en cause l'expertise, je dis simplement que ces résultats doivent être interprétés avec précaution au regard de l'absence d'indépendance de certains auteurs.

Ensuite, c'est non pas le passe qui évite les décès, mais la vaccination. Le passe ne peut pas être évalué par comparaison avec une absence totale de mesures, comme le font souvent les études. Une myriade d'interventions sont envisageables : cibler la vaccination sur les plus fragiles, aller vers, se déplacer en zone rurale chez les personnes âgées et les personnes moins connectées. La mise en place du passe vaccinal a conduit à environ 800 000 primo-injections, mais elles n'ont pas concerné les personnes les plus fragiles. Inciter les plus jeunes, qui ne sont pas les plus à risque de forme grave ou létale de covid-19, à se faire vacciner peut même s'avérer contre-productif en termes de disponibilité et d'accès aux doses pour les personnes qui en auraient vraiment besoin. Tout le monde ne peut pas se connecter facilement à des plateformes en ligne. Cette situation dénote en quelque sorte un échec de la politique du « aller vers » et la nécessité d'une approche plus proportionnée de la vaccination, tournée vers les personnes les plus à risque.

Le niveau de preuve de l'utilité de la mise en oeuvre du passe en population générale est insuffisant. Cette mesure peut produire des dommages collatéraux, comme le pointait l'Organisation mondiale de la santé (OMS) dans une note d'intention en avril 2021 : perte de confiance d'une partie de la population à l'égard des scientifiques et des politiques, risque d'abîmer le contrat social, risque de baisse de confiance dans toute intervention de santé publique, notamment dans les politiques de vaccination autres que contre la covid. L'hésitation vaccinale constitue pour l'OMS l'une des principales menaces pour la santé publique. Selon une étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) publiée dans Nature Medicine, le passe semble contribuer à augmenter l'hésitation vaccinale des personnes vaccinées, alors même qu'elles se seraient fait vacciner sans ce dispositif.

Je rappelle que le passe est demandé pour entrer à l'hôpital, dans les centres de protection maternelle et infantile (PMI) ou les plannings familiaux.

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