Je suis attachée à l'evidence-based medecine, à la médecine fondée sur des preuves ; je suis très attachée à ce que les politiques de santé publique soient fondées sur les données « probantes », et à la rigueur méthodologique et scientifique.
Dès lors que les mesures concernent toute la population, y compris des personnes très fragiles comme les enfants, le niveau de preuve doit être extrêmement rigoureux, et la balance bénéfice-risque doit indiscutablement pencher en faveur de l'intervention. Pour la plupart des décisions qui ont été prises, cela n'était pas le cas. Je pense aux confinements, aux fermetures d'écoles, aux passes : toutes ces interventions n'étaient pas fondées sur des preuves. Une étude de l'université Johns Hopkins montre que, dans 53 pays, il n'y a pas de corrélation qui justifie une potentielle efficacité des mesures de confinement.
Concernant la vaccination, actuellement, le niveau de preuve - sur lequel je me fonde, et sur lequel les agences de santé publique doivent normalement se fonder - est suffisant pour proposer la vaccination aux populations bien identifiées qui présentent des risques de formes graves de covid, afin de leur assurer une protection individuelle. Il faut néanmoins une réévaluation régulière, compte tenu de la très grande rapidité de l'évolution virale.
Le niveau de preuve est suffisant pour conclure à l'acquisition d'une protection durable et forte contre les formes sévères de la covid à la suite d'une infection naturelle, quel que soit le statut vaccinal.
Et le niveau de preuve est clairement insuffisant pour arguer d'un bénéfice collectif de la vaccination de masse des individus à faible risque de formes graves de covid, d'autant plus dans le contexte d'un échappement potentiel d'Omicron vis-à-vis du vaccin.
Si l'on dit « les antibiotiques, c'est pas automatique », c'est parce que, d'après l'OMS, l'antibiorésistance constitue avec l'hésitation vaccinale l'une des principales menaces pour la santé publique au XXIe siècle. En matière d'antibiotiques, l'arsenal thérapeutique dont nous disposons est de plus en plus restreint, à la fois du fait d'une absence de recherche clinique sur ces médicaments et en raison de l'augmentation de la résistance de nombreux agents infectieux. Il y a là un péril pour les générations futures.
Pour la vaccination, le risque d'échappement doit être considéré. Je ne dis pas que c'est effectivement le cas, mais il y a un risque d'échappement immunitaire, du fait d'une pression de sélection sur les variants pouvant conduire à un échappement vaccinal. Une publication du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) montre que, pour limiter ce risque et économiser l'efficacité de l'outil vaccinal sur les personnes à risque, il convient d'en avoir, comme avec les antibiotiques, un usage mesuré, proportionné, fondé sur des preuves. Cela implique une vaccination prioritaire des personnes à risque que sont les personnes âgées et les personnes présentant des comorbidités, notamment le surpoids - je regrette que ce dernier facteur ait été retiré des données de Santé publique France - et l'obésité, si elles sont consentantes.
Concernant les écoles, la circulation virale dans les écoles n'est que le reflet de la circulation virale communautaire. Il est important de préciser que les enfants sont l'une des populations les moins à risque de formes graves ou létales de la maladie. Il est même peut-être contre-productif d'essayer à tout prix de les empêcher de se contaminer avec Omicron, alors que cette contamination est peut-être inévitable, d'où l'intérêt d'une vaccination des personnes à risque. On estime que 16 % des Français ont été en contact avec le SARS-CoV-2 depuis le 1er janvier dernier, soit un Français sur six.
Chercher à limiter à tout prix l'infection chez les enfants peut même se révéler contre-productif, puisque le risque de formes graves augmente avec l'âge. Je prends un exemple pour illustrer mon propos, même si les deux maladies n'ont rien à voir : mieux vaut attraper la varicelle enfant, car même si les symptômes sont très impressionnants, le risque de forme grave de varicelle augmente avec l'âge. Des personnes qui n'ont pas contracté la varicelle durant l'enfance ont un risque de pneumopathie varicelleuse accru à l'âge adulte. Il y a d'ailleurs un vaccin, mais ce dernier n'est pas recommandé, car on a constaté une augmentation du nombre de formes graves chez les adultes vaccinés - je précise que je connais ces questions, car j'ai un diplôme de vaccinologie.
Il faut réfléchir globalement sur les rapports entre bénéfice et risque, et faire très attention aux mesures prises concernant les enfants, en prenant en compte le fait que la santé physique et mentale des enfants est complètement dégradée. Il faut également voir que les inégalités sociales en matière de santé ont explosé. Il serait important que Santé publique France mette ces données à disposition ; celles qu'on arrive à recueillir à l'oral montrent que la plupart des enfants décédés avec le SARS-CoV-2 depuis le début de l'année souffraient de lourdes comorbidités et sont morts d'autre chose.
Il faut remettre les choses en perspective, pour que les mesures prises dans les écoles soient elles aussi fondées sur des preuves, au même titre que les protocoles sanitaires que l'on impose aux enfants. L'OMS ne recommande pas de faire des activités physiques avec un masque sur le visage, alors qu'on impose cela aux enfants, à l'encontre du bon sens et des données scientifiques. Le port du masque dans les écoles ne fait l'objet d'aucun rationnel scientifique ; aucun essai clinique de bonne qualité ne prouve un quelconque intérêt du port du masque chez les enfants - et je ne parle pas du port du masque en extérieur.
Vous posiez la question des personnes âgées en zone rurale, vers lesquelles il faudrait effectivement aller pour encourager la vaccination. La plupart des personnes non vaccinées sont hésitantes vis-à-vis de la vaccination ou n'ont pas accès aux soins, qu'il s'agisse de personnes âgées en zones rurales, de migrants ou de personnes en situation de précarité. On peut imaginer que le passe, nécessaire pour accéder à certains lieux de soins - telle est en tous cas mon expérience -, peut aussi représenter une barrière à l'accès aux soins et peut-être même à la vaccination. Il faudrait en tous cas évaluer ce point.
Concernant la vaccination dans le monde, il serait intéressant que, dans un souci d'efficacité de lutte contre cette pandémie, la plupart des pays vaccinent leur population à risque, plutôt que dans certains pays l'on vaccine des populations qui n'ont pas de risque de développer des formes graves, comme les enfants ou les adolescents, et dont les contingents lors des essais sont extrêmement faibles, ce qui pose par ailleurs un problème méthodologique.
Une seule maladie a été éradiquée par une couverture vaccinale très large : la variole. Dans certains pays où il était très compliqué de vacciner toute la population, notamment en Afrique, une méthode par cerclage avait été privilégiée : n'étaient vaccinées que les personnes qui avaient été en contact avec un cas de variole. Le virus de la variole a ainsi pu être éliminé.
La poliomyélite est une autre maladie en cours d'éradication, même si le virus circule encore, notamment dans les pays qui connaissent une grande instabilité géopolitique, comme la Syrie ou l'Afghanistan.