Cette question est importante. Pour cette raison, j'ai précisé m'exprimer à titre personnel, sans conflits d'intérêts. M. François Alla a démissionné du Haut Conseil de la santé publique. Je cite ses propos, tenus dans un entretien dans Le Quotidien du Médecin : « On assiste aujourd'hui à un processus de décrédibilisation de toute voix discordante. C'est devenu très dur pour un expert de dire qu'il n'est pas tout à fait d'accord avec les politiques. Les gens sont tétanisés, ils ont peur de passer pour des antivax ou des complotistes. » Effectivement, il est difficile de tenir une parole libre sur ce sujet.
Ce que l'on aurait pu faire collectivement, c'est mobiliser le dispositif d'agences sanitaires supposées indépendantes qui existent déjà, et permettre la tenue d'un débat contradictoire scientifique - je vous remercie d'ailleurs d'offrir à cette parole de santé publique nuancée, pragmatique et fondée sur des preuves d'avoir pu être portée dans un cadre institutionnel au moins une fois. Ce débat contradictoire est nécessaire, car la communauté scientifique médicale de santé publique est extrêmement fragmentée sur la gestion de la crise. Je ne suis pas la seule experte de santé publique ou épidémiologiste professionnelle à porter cette voix. L'impression a été donnée qu'il n'y avait qu'une seule voix scientifique, homogène et consensuelle, face à la gestion de cette crise, et qu'on ne pouvait emprunter qu'une seule voie pour lutter contre la pandémie, alors que ce n'était pas le cas.
Les solutions providentielles qui nous ont été présentées, comme le confinement, les fermetures d'écoles ou le vaccin, n'avaient rien de providentiel. Il n'y a pas de sauveur providentiel, si ce n'est nous-mêmes. Nous devons nous reconnecter avec les principes fondamentaux de la médecine et de la santé publique que sont l'appui sur des preuves et le consentement des individus.
Il est important de ne pas gâcher les ressources. Si le vaccin est une ressource précieuse, au même titre que les antibiotiques, il ne faut pas non plus gâcher les ressources économiques : d'après le rapport de la Cour des comptes du 9 septembre 2021, qui porte sur « les dépenses publiques pendant la crise et le bilan opérationnel de leur utilisation », la somme des dépenses de la crise s'élève à 49,6 milliards d'euros. Le testing à l'aveugle en population générale représente 1,6 milliard d'euros pour le seul mois de janvier dernier.
Il me semble que la santé publique est un sujet sérieux et doit reposer sur des données probantes. La gestion des fonds publics est un sujet sérieux. Quand on voit que 1,6 milliard d'euros sont dépensés par mois pour des tests dont la plupart n'ont pas lieu d'être, je trouve cela douloureux, notamment au regard d'autres secteurs sinistrés, comme la pédopsychiatrie. On parle beaucoup de la saturation des services de réanimation, mais il y a des enfants dont la santé mentale est complètement ravagée du fait de cette gestion de crise, et qui sont renvoyés chez eux alors qu'ils présentent un risque suicidaire majeur. Dans les centres médicopsychologiques, il y a en moyenne entre 18 et 24 mois d'attente pour obtenir un rendez-vous.
Il faut regarder ce que, dans le secteur médico-économique, on appelle l'efficience. Le coût de l'action doit être favorable par rapport à son efficacité ; l'action, au regard de son prix, doit être bénéfique pour la santé. La dépense publique représentée par les tests est autant d'argent non investi de manière durable et plus efficiente. Il en va de même pour la vaccination, même si cette dernière a un sens pour certains publics. Le contrôle des passes coûte énormément d'argent : par exemple, ce sont environ 60 millions d'euros qui sont rajoutés dans le budget des hôpitaux.
On m'a toujours appris que lorsqu'on prend une décision de santé publique, il faut tenir compte de l'efficacité des mesures à partir de données probantes, mais aussi de l'efficience, qui permet de déterminer la légitimité d'une mesure au regard de son coût pour la solidarité nationale.
Les interrogations éthiques et démocratiques doivent aussi être prises en compte. Quand bien même un passe sanitaire ou vaccinal serait efficace, ce qui, en l'état actuel des connaissances, n'est pas le cas, devrait-il être mis en place au regard de ses implications éthiques et démocratiques ?
Il est très important d'avoir une approche globale, sanitaire, médico-économique, démocratique, éthique, déontologique, et de mettre tout cela dans la balance, ce qui, à mon sens, n'a pas du tout été fait.