Concernant la contagiosité, il me semble que le professeur Delfraissy a lui-même admis que le but du passe sanitaire était non pas de réduire les contaminations, mais bien d'augmenter le nombre de primo-vaccinations, ce qui a eu lieu, mais pas dans le public cible des personnes à risque. On peut donc s'interroger sur l'efficacité de la mesure.
Je ne cherche pas à démontrer une conjecture, mais je m'appuie sur les données disponibles, notamment par le biais des études à fort niveau de preuve menées par Pfizer, où la contagiosité ne fait pas partie des critères de jugement. On ne peut donc pas statuer sur cette question, même si chacun peut constater de manière empirique que, vacciné ou non, on peut contracter cet agent infectieux. Il me semble que M. Delfraissy était revenu sur ce point.
Je précise que la charge de la preuve doit normalement incomber à la puissance qui met en place la politique publique, et que ce n'est pas à moi d'en démontrer la potentielle inefficacité. Si l'on veut faire les choses dans les règles de l'art, même si l'incertitude fait partie de la pratique, il faut disposer d'un fort niveau de preuve avant de mettre en place des interventions. Il ne faut pas inverser les rôles.
Concernant le port du masque, j'attends un essai à fort niveau de preuve qui démontre son efficacité, en particulier chez les enfants. Je ne dis pas que le masque ne sert à rien, et je ne veux pas tomber dans un manichéisme stérile : le port du masque a beaucoup d'intérêt dans certaines conditions, si l'on est malade par exemple.
À mon avis, si le port du masque était initialement déconseillé en population générale par l'OMS, c'est simplement en raison du risque de mésusage : ce n'est pas parce que l'on conseille de porter un masque que le masque sera bien porté - et je ne parle même pas des enfants. Pour être efficace, ce dispositif médical doit être porté de manière précise : le masque doit être changé régulièrement, ne doit pas être touché, et il faut une certaine rigueur. D'ailleurs, la Société française d'hygiène hospitalière ne recommande pas le port du masque FFP2 en population générale.
Je comprends votre difficulté à naviguer dans tout cela, ce qui est tout à fait regrettable. Le débat contradictoire, qui s'observe normalement dans les agences de santé publique, qui permet au dissensus de s'exprimer et au consensus d'émerger, n'a pas vraiment eu lieu dans les institutions. Il émerge maintenant, provoquant une certaine incompréhension.
Vous me demandez ce que j'aurais fait en l'état des connaissances dont nous disposions au début de l'année 2020. Les données chinoises permettaient déjà d'identifier les personnes à risque de formes graves, et, personnellement, j'aurais préféré que les mesures de protection soient davantage ciblées sur ces personnes, dans le respect de leur consentement.
Que se serait-il passé si nous n'avions pas eu de vaccin ? Que se passera-t-il quand un nouveau variant échappera au vaccin, ou lors de l'émergence d'une nouvelle maladie ? Il faut s'interroger sur ces questions pour anticiper et ne pas se retrouver pris au dépourvu. Une des conclusions du rapport de l'IPBES Échapper à l'« ère des pandémies » est qu'il faut insister sur la prévention et ne pas uniquement être dans la réaction.
J'aurais donc ciblé la protection sur les personnes à risque consentantes, en leur proposant dans un premier temps d'adopter des mesures de protection comme le port du masque FFP2 pour elles et le port du masque pour les personnes à leur contact, éventuellement, dans le respect de leur consentement, un autoconfinement volontaire et une mise à disposition de services pour leur permettre de limiter les interactions sociales. J'aurais ciblé les mesures sur ce public-là, et réduit la pression exercée sur l'ensemble de la population, selon le concept important en santé publique de l'universalisme proportionné, qui précise que des mesures proportionnées doivent être prises selon la vulnérabilité des personnes.
Cet alliage aurait permis une approche moins coûteuse sur tous les plans, sanitaire, social, économique, pédagogique, en matière d'inégalité, de démocratie, de confiance, et de rigueur scientifique.