Intervention de Alain Milon

Commission des affaires sociales — Réunion du 9 février 2022 à 9h05
Hommage à un commissaire décédé

Photo de Alain MilonAlain Milon, président :

Il semble que deux millions d'actes médicaux et chirurgicaux ont été déprogrammés. Pourrions-nous vous revoir dans quelques années pour analyser les conséquences de ces déprogrammations sur les patients ?

Merci, en tout cas, pour tous ces renseignements.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Dans le cadre de la mission d'information sur l'adéquation du passe vaccinal à l'évolution de l'épidémie de covid-19, nous avons à présent l'honneur de recevoir le professeur Alain Fischer, président du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Je rappelle que l'objet de notre travail n'est pas de refaire le débat sur le passe vaccinal. Ce débat a été tranché par le Sénat, qui a voté ce dispositif à une large majorité.

Notre sujet est plutôt de vérifier qu'un instrument conçu dans un contexte donné, avec un variant donné, est toujours adapté, quelques semaines plus tard, à une nouvelle configuration de l'épidémie.

Vous nous direz, monsieur le professeur, quelle place le passe vaccinal a prise et prend encore dans la stratégie vaccinale et, plus largement, dans la gestion de cette épidémie.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Monsieur le professeur, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, le professeur Alain Fischer prête serment.

Professeur Alain Fischer, président du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale. - Je crains de vous répéter des choses que vous avez déjà beaucoup entendues...

Cent fois sur le métier...

Professeur Alain Fischer. - Je commencerai donc par faire un rapide bilan de la situation de la pandémie. Heureusement, dans l'immense majorité des cas, l'infection au SARS-CoV-2 est bénigne, voire asymptomatique. Le virus disparaît de l'organisme à mesure que s'organise la réponse immunitaire, normalement en quelques jours. En France, 21,1 millions de cas ont été diagnostiqués à ce jour. Ce chiffre sous-estime certainement la réalité, mais il donne un ordre de grandeur convenable.

Malheureusement, dans un certain nombre de cas, rares, mais pas négligeables, la maladie prend des formes sévères, en particulier, mais pas exclusivement, chez les personnes âgées et les personnes déjà malades. Dans ce cas, la réponse immunitaire s'emballe et le virus n'est plus contrôlé. En France, nous totalisons, depuis début 2020, 700 000 hospitalisations et 133 600 décès. Dans le monde, l'épidémie a causé au moins 5 700 000 décès, sachant que ce chiffre provient de données largement sous-estimées dans certains pays.

Aujourd'hui, le taux d'incidence est de 2,5 % environ. Il est en décroissance, après avoir atteint 3,7 % le 25 janvier. Le variant Omicron est devenu quasiment exclusif, puisqu'il constitue plus de 99 % des cas. Même si la vague actuelle est en décroissance, ses conséquences médicales sont loin d'être négligeables : en moyenne hebdomadaire, on compte plus de 2 700 hospitalisations par jour, dont les deux tiers ont pour cause principale le covid-19. C'est un chiffre considérable, tout comme celui des 300 hospitalisations quotidiennes en soins critiques, dont entre 80 % et 90 % ont pour cause principale le covid-19, et celui des 285 décès quotidiens. Nous ne sommes donc pas au bout de la vague ni de ses conséquences, y compris indirectes, sur le fonctionnement de nos structures hospitalières.

Le SARS-CoV-2 est un virus à ARN, qui mute sans cesse. Chaque personne infectée est porteuse de différentes souches. L'arbre généalogique du virus montre bien les variants principaux. Alpha a été présent en France, après être arrivé en Grande-Bretagne au printemps dernier. Nous avons presque oublié Bêta et Gamma, qui ne se sont pas trop répandus en France, d'ailleurs : Bêta s'est diffusé surtout en Afrique du Sud et Gamma, au Brésil. Delta a été très présent chez nous l'automne dernier, en revanche. Quant à Omicron, il est très différent des autres. Il est apparu en Afrique du Sud après une succession de mutations, probablement chez une même personne immunodéficiente. Sur la branche qui y mène, un bras collatéral mène à BA.2, qui vient du Danemark et semble se développer. Il n'est pas plus pathogène, mais la réponse immune est très légèrement distincte de celle qui a été générée par Omicron. Il n'est pas exclu que BA.2 soit à son tour rebaptisé avec une lettre grecque. Sa diffusion ralentit probablement la phase de décroissance qu'on observe aujourd'hui.

Omicron résulte de nombreuses mutations, notamment sur la protéine Spike, qui permet au virus de s'attacher aux cellules, ce qui induit la réponse immunitaire, et contre laquelle immunise la vaccination. Les mutations qui le caractérisent sont beaucoup plus nombreuses que celles qui définissent Delta. C'est donc un variant très différent des autres. Il manifeste une moindre sensibilité à la réponse immunitaire, vaccinale ou naturelle - c'est ce qui a fait qu'il a été sélectionné. Et il jouit d'une transmissibilité accrue de plus de 80 %. Heureusement, sa sévérité est moindre, elle aussi 80 % environ.

De plus, le taux d'anticorps contre Omicron est extrêmement faible, même après deux doses de vaccin. En revanche, après trois doses, la réponse immunitaire devient très significative et protectrice. Le rappel est donc absolument primordial dans le contrôle de l'infection par Omicron, et donc des formes graves. En tout cas, j'y insiste, la protection contre le risque d'hospitalisation reste supérieure à 90 %.

La couverture vaccinale en France n'est pas mauvaise, même si elle n'est pas parfaite. Plus de 93 % des personnes âgées de plus de douze ans ont reçu au moins une dose. Cela représente 80 % de tous les Français, tous âges confondus, y compris les bébés, qu'on ne vaccine pas. La vaccination des enfants, malheureusement, ne progresse pas assez vite.

Une modélisation faite par des économistes montre bien l'effet du passe sanitaire sur la couverture vaccinale : s'il n'y avait pas eu de passe sanitaire, 13 % des Français aujourd'hui vaccinés n'auraient reçu aucune dose.

En quoi la vaccination est-elle utile ? Toutes les données montrent que le vaccin continue de protéger contre l'infection, contrairement à ce qu'on dit. L'effet n'est certes pas massif, mais, à l'échelle épidémiologique, il est tout à fait significatif, et donc très important. Il protège aussi, très clairement pour le coup - d'un facteur dix - contre l'entrée en hospitalisation conventionnelle et en soins critiques et de réanimation. Pour un sujet infecté, le risque d'être hospitalisé baisse fortement si l'on est vacciné, même si la protection diminue avec l'âge. Surtout, après le rappel, la protection contre les formes graves est excellente. Aujourd'hui, 36,6 millions de Français ont reçu une dose de rappel, parmi lesquels plus de 80 % des plus de 65 ans.

Qui meurt du covid-19 en France ? Il y a essentiellement trois catégories de personnes. D'abord, les personnes non vaccinées et, notamment, celles qui sont très âgées. Il y en a encore 450 000, malheureusement. Ensuite, 10 % des décès sont dus au couplage du covid-19 avec des pathologies chroniques diverses, qui vont de l'insuffisance rénale à l'obésité, en passant par les cancers ou les maladies psychiatriques. Les personnes en situation de précarité, également, sont moins vaccinées. Celles qui ont reçu une primo-vaccination, mais pas de dose de rappel, présentent aussi des facteurs de risque. Enfin, le groupe le plus critique compte environ 300 000 personnes en France, qui sont profondément immunodéprimées et répondent mal ou pas à la vaccination. Ces personnes dépendent de nous pour être protégées. Il s'agit, par exemple, de patients en insuffisance rénale terminale, de patients ayant subi des transplantations d'organes, de certains types de patients traités pour des cancers ou des maladies auto-immunes... Imaginez ce que vivent ces malades, obligés de se cacher en permanence, car le risque pour eux de mourir du covid est énorme, et on n'arrive pas à les protéger par la vaccination, ou très mal. Ils peuvent bénéficier de prévention par des anticorps monoclonaux, mais ce n'est pas complètement évident.

L'existence de ce dernier groupe pose un problème et justifie, à mon sens, une attitude proactive sur la vaccination, qui est à la fois une protection individuelle et un acte de solidarité à l'égard de ceux qui ne sont pas protégés directement.

J'ajoute que les femmes enceintes ne sont pas assez vaccinées. Certaines font des complications graves, pouvant avoir des conséquences sur leur bébé. Les femmes enceintes doivent être vaccinées, la vaccination ne présente pas de risque pour elles.

Nous avons contribué à la mise en place du passe vaccinal, au cours d'une série d'échanges informels. Dans un avis rendu au début de l'automne, nous avions proposé au Gouvernement d'inclure le rappel vaccinal dans le passe sanitaire. Le passe vaccinal n'est jamais que l'adaptation du passe sanitaire dans un contexte marqué par le variant Omicron, qui a un très haut taux de transmission. L'idée d'un passe sanitaire devenait scientifiquement moins valide parce qu'un test PCR négatif de moins de 24 heures ne peut pas garantir qu'on n'a pas été infecté depuis le prélèvement. L'évolution vers le passe vaccinal, de mon point de vue, était donc absolument logique pour permettre des activités sociales en sécurité, à condition de respecter les gestes barrières, parce que la vaccination ne protège pas à 100 %, et d'avoir effectué un rappel. C'est une incitation à la vaccination - c'est même une obligation partielle, disons les choses comme elles sont - que je trouve justifiée, car la vaccination n'est pas seulement une protection individuelle, c'est aussi une protection collective, significative pour les plus fragiles d'entre nous, comme les patients immunodéprimés ou les personnes très âgées.

Il reste à peu près 17 millions de personnes primovaccinées qui n'ont pas reçu le rappel, parmi lesquelles 9 millions qui doivent le recevoir avant le 15 février pour ne pas perdre leur passe sanitaire. Parmi eux, un certain nombre ont été infectées, et l'infection vaut rappel : nous y avons beaucoup insisté auprès du Gouvernement ces dernières semaines, et nous nous réjouissons d'avoir été suivis. Je rappelle que l'efficacité du rappel s'observe après sept jours, ce qui est très rapide.

Jusqu'à quand maintenir le passe ? D'un point de vue scientifique et médical, je vois deux critères.

D'abord, il faut que le taux d'incidence ait diminué. Il est actuellement à 2 500. Il faut qu'il soit divisé par dix ou vingt. Surtout, il faut que la surcharge hospitalière actuelle ait disparu et que les hôpitaux soient revenus à un état de fonctionnement habituel, c'est-à-dire que les patients n'ayant pas le covid-19 soient traités sans délai, sans retard et de façon efficace. Enfin, il faut que la couverture vaccinale de rappel ait atteint un niveau très élevé. Cela peut arriver assez vite : l'incidence est en train de diminuer rapidement, et la situation devrait redevenir satisfaisante sur ce plan fin mars et, sur le plan hospitaliser, une quinzaine de jours plus tard. Si nos concitoyens suivent les consignes induites par le passe vaccinal et se font administrer le rappel, la couverture vaccinale devrait être également satisfaisante fin mars.

Si nous faisons de la prospective, on voit que la protection contre les formes graves de la maladie, qui s'est effritée après la primo-vaccination, est dopée par le rappel, ou l'infection survenue plus de trois mois après la primo-vaccination. Quid pour la suite ?

Cette protection va-t-elle décroître rapidement, lentement ? Nous n'en savons rien. Plusieurs facteurs interviennent, parmi lesquels la nature et la virulence des variants qui circuleront dans les mois qui viennent, avec la possibilité de résurgence de variants comme Delta, par exemple. Il y a aussi l'espoir d'un vaccin combinant plusieurs Spike, pour couvrir plus largement le spectre des différents variants. Il est possible que nous en disposions à l'automne, pour un nouveau rappel.

On peut affirmer sans risque d'erreur, à mon avis, qu'on ne peut pas éradiquer ce virus. Le seul virus jamais éradiqué à ce jour est celui de la variole, grâce à la vaccination, mais pour les virus respiratoires, il est vraiment illusoire d'y songer. Un scénario plausible est que nous évoluions dans un contexte d'endémie, avec des vagues épidémiques du même type que celles de la grippe, avec des recrudescences saisonnières. La décroissance de la vague actuelle, qui a atteint son pic il y a une dizaine de jours, sera assez rapide. Nous aurons encore chaque année des vagues saisonnières, d'intensité variable, ce qui devrait nous amener à des vaccinations annuelles. D'où viendra le prochain variant ? Nul ne saurait le prédire. Nous devons pratiquer une veille intensive. Il sera sélectionné par un certain degré d'échappement à la réponse immunitaire, avec une virulence imprévisible.

La France n'est pas isolée dans le monde. Un peu plus de 10 milliards de doses de vaccins ont été administrées. Comme il faut deux doses de rappel, nous devons atteindre 24 milliards de doses administrées : nous sommes à 40 % de l'objectif à l'échelle mondiale. De plus, la répartition géographique des injections est extraordinairement hétérogène. L'Afrique n'est que très peu vaccinée ; l'Inde, le Pakistan ne le sont que partiellement, et avec des vaccins peu efficaces. Ainsi subsistent des foyers majeurs de l'épidémie, au sein desquels les nouveaux variants peuvent apparaître. Conclusion : nous ne serons pas en sécurité tant que l'ensemble de la population mondiale ne sera pas en sécurité.

Vos propos sont réconfortants, par rapport à ce que nous avons entendu hier soir !

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