Intervention de Véronique Guillotin

Commission d'enquête Hôpital — Réunion du 14 février 2022 à 17h00
Organisation de la prise en charge des soins non programmés et des soins urgents — Audition des docteurs patrick pelloux président de l'association des médecins urgentistes de france amuf serge smadja secrétaire général de sos médecins france et président de sos médecins paris et olivier richard chef de service du samu des yvelines

Photo de Véronique GuillotinVéronique Guillotin :

Cela compte !

Dr Olivier Richard, chef de service du Samu des Yvelines. - L'épidémie de covid a durement touché la médecine de ville et la médecine hospitalière. Mais elle nous a aussi conduits à travailler ensemble, ce que nous faisons depuis de nombreuses années dans le département des Yvelines.

On dénombrait 10 millions de passages aux urgences en 1996. On en comptait 22 millions en 2018. L'augmentation annuelle du nombre d'admissions est de 3,5 %. Le nombre d'appels au Samu est passé de 24 millions en 2013 à 29 millions en 2018.

Très concrètement, dans les Yvelines, le nombre de dossiers de régulation médicale a bondi de 120 000 en 2000 à 262 000 en 2021. Dans le même temps, le nombre de dossiers pour la permanence des soins au titre de la régularisation libérale est passé de 50 000 à 130 000.

À l'évidence, il se passe quelque chose dans la société : on observe un glissement des missions de la médecine d'urgence vers des problématiques sociétales et médico-sociales touchant les patients chroniques.

S'y ajoute, parmi les éléments contextuels, l'enjeu d'accessibilité aux soins. Dans un rapport publié en 2018 et traitant de l'accessibilité potentielle localisée (APL), la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) montre qu'en France plus de 5 millions de patients n'ont pas accès aux soins. Plus précisément, ces habitants ont accès à moins de 2,5 consultations par an. Un grand nombre de régions sont touchées - Centre-Val de Loire, Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Île-de-France, Antilles-Guyane et Corse.

En Île-de-France, 18 % des patients n'ont pas accès aux soins. On pourrait imaginer que cette région bénéficie d'une forte densité médicale ; mais, comme le souligne l'union régionale des professionnels de santé (URPS) d'Île-de-France dans une enquête publiée fin 2020, 27 % des médecins libéraux partant à la retraite n'y sont pas remplacés.

Entre 2020 et 2030, nous allons passer de 6,4 millions à 8,6 millions de Français de 75 ans et plus, avec une charge de soins nécessairement plus importante.

Il existe de nombreuses instances de coordination territoriale : pas moins de vingt-trois dans mon département des Yvelines... Tout le monde travaille dans son coin, avec la conviction de bien faire. Il y a donc un réel besoin de coordination, pour potentialiser toute cette activité masquée, inaccessible ou illisible pour les soignants de ville.

J'aime à citer le rapport sénatorial de juillet 2017, publié par Laurence Cohen, Catherine Génisson et René-Paul Savary intitulé Les urgences hospitalières, miroir des dysfonctionnements de notre système de santé. Vous y écrivez notamment : « Les services d'urgence doivent être regardés non comme un point d'entrée défaillant dans le système de soins, mais comme un miroir grossissant des dysfonctionnements de l'ensemble de notre système de santé. Les difficultés des services d'urgence résultent de leur positionnement original, au confluent des carences de la médecine de ville et de la permanence des soins ambulatoires en amont. » Ces propos me semblent sévères pour la médecine de ville : les difficultés sont globales et il ne faut stigmatiser personne, car nous avons besoin de tout le monde. Vous écrivez d'ailleurs, un peu plus loin dans le rapport : « Il ne fait cependant pas de doute que la médecine de ville peut et doit prendre sa part des soins non programmés - non pas seulement dans le but de désengorger les urgences, mais avant tout afin d'améliorer le parcours et le suivi des patients. »

Vous estimez enfin que « l'amélioration du fonctionnement des urgences doit aller de pair avec un renforcement de l'interface entre la ville et l'hôpital, et notamment de la régulation médicale ».

C'est ce à quoi notre service travaille depuis plusieurs années. En 2019, nous avons présenté le « dispositif d'amélioration du parcours de soins pour des patients complexes ou en demande de soins non programmés urgents, sur le territoire des Yvelines, par le coexercice hospitalier et libéral ainsi que la formation des jeunes médecins ». C'était une démarche altruiste, portée par la plateforme territoriale d'appui, qui est une coordination de médecins libéraux dans les Yvelines, par l'Ordre des médecins et par le monde hospitalier.

Elle consiste à ouvrir aux soignants de ville, à travers un guichet unique, des solutions pour éviter les ruptures de parcours qui conduisent, par facilité ou par défaut, les patients aux urgences faute d'anticipation.

Ce projet ambitionne d'intégrer une plateforme de coordination ville-hôpital qui oeuvre en étroite collaboration avec les urgences et les médecins libéraux. Il y a de plus en plus de patients complexes à cause des difficultés de suivi en ville. Il faut anticiper les problèmes pour éviter les ruptures de parcours et favoriser le maintien à domicile, pierre angulaire de tout le système. Il est inutile de parler de médecine si l'on n'est pas en mesure de réorienter les patients qui ne nécessitent pas une hospitalisation vers une prise en charge en ville.

La conséquence de ce dispositif est une stabilisation du recours aux urgences. Nous ne travaillons pas à désengorger les urgences, mais à construire un parcours du patient abouti qui évite les ruptures.

Notre travail a précédé le Ségur, en particulier sa mesure 26 intitulée « Fédérer les acteurs de la santé dans les territoires au service des usagers ». C'est bien ce que nous essayons de faire, à travers une nouvelle articulation entre la ville et l'hôpital.

Les missions assurées par des structures d'urgence se sont décentrées en partie vers la prise en charge des complications des pathologies chroniques et des problèmes médico-sociaux. C'est pourquoi nous avons besoin d'une coordination pluripartenariale, plurisectorielle et pluriprofessionnelle.

Jusqu'à présent, nous avons surtout travaillé sur la médecine d'urgence, avec la problématique du soin non programmé : il fallait offrir une consultation à des personnes qui n'avaient pas accès à un médecin. Mais il faut aussi prendre en compte l'autre temporalité, celle de l'anticipation et des patients complexes, avec une organisation des soins qui ne les conduise pas systématiquement à l'hôpital, dans des services totalement débordés.

Nous avons donc choisi trois thématiques de travail : le médico-social, la gériatrie et la psychiatrie. C'est le travail en réseau, en collaboration avec les collègues de ville des autres spécialités, qui nous autorise à mettre en place une démarche centrée sur le patient.

Dans cette optique, la création des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) est une opportunité : elles fédèrent tous les acteurs, médecins, mais aussi infirmières, orthophonistes, etc. Leurs missions vont dans le même sens : améliorer l'accès aux soins, organiser des parcours de soins pluriprofessionnels, développer la prévention et la promotion de la santé, accompagner les professionnels de santé, structurer des espaces d'échanges. C'est fondamental.

Paradoxalement, la crise covid que nous avons combattue ensemble nous a fait avancer plus vite : nous avons créé les prémices d'une collaboration entre la ville et l'hôpital, en apportant des repas à domicile aux patients du covid, en leur assurant des consultations ou des téléconsultations.

Les visites à domicile sont essentielles : il faut absolument réinsuffler aux jeunes médecins l'envie de les faire. En effet, elles donnent la possibilité d'anticiper l'état d'un patient et coûtent beaucoup moins cher qu'une hospitalisation.

Nous avons eu la même démarche avec les gériatres pour les patients Ehpad, pour articuler la prise en charge entre la médecine de ville, l'hôpital, la gériatrie et les réseaux au profit du patient. Nous avons pu mener à bien cette tâche parce que nous avions identifié ces problématiques comme essentielles ; et nous avons pu avancer ensemble, parce que nous avions appris à nous connaître et à travailler ensemble.

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