Commission d'enquête Hôpital

Réunion du 14 février 2022 à 17h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Nous procédons cette après-midi à une audition commune sur l'organisation de la prise en charge des soins non programmés et des urgences.

Je suis heureux d'accueillir les docteurs Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France (Amuf), Serge Smadja, secrétaire général de SOS Médecins France et président de SOS Médecins Paris, et Olivier Richard, chef de service du Samu des Yvelines, département retenu parmi les vingt-deux territoires d'expérimentation du service d'accès aux soins (SAS).

Depuis le début de nos travaux, une question revient de manière récurrente : celle du grand nombre de patients qui se présentent aux urgences de l'hôpital alors qu'ils auraient pu relever d'une autre prise en charge, qu'il s'agisse des soins urgents ou, plus largement, des soins non programmés. Nous en avons discuté avec des chefs de service des urgences, mais aussi des représentants de médecins de ville exerçant sous forme regroupée ou coordonnée.

Au regard de l'importance de ce sujet, nous avons souhaité aujourd'hui revenir plus spécifiquement sur cette problématique avec des représentants de la médecine d'urgence et de SOS Médecins, structure de médecine de ville particulièrement concernée par la permanence des soins et les soins non programmés.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de céder la parole à notre rapporteure, Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Pelloux, M. Serge Smadja et M. Olivier Richard prêtent successivement serment.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Depuis le début de nos travaux, beaucoup de nos interlocuteurs soulignent le caractère insatisfaisant du recours respectif aux soins primaires, d'une part, à l'hôpital, de l'autre. En effet, l'hôpital est conduit à prendre en charge des patients qui n'ont pu recourir à la médecine de ville ou ont préféré se rendre d'emblée dans un service d'urgence.

Ce phénomène ne tient pas seulement à l'érosion de la permanence des soins ambulatoires. On l'observe aussi hors des horaires de permanence des soins, en particulier en raison de difficultés d'accès à des consultations non programmées. La démographie médicale est bien sûr un facteur aggravant.

Il est donc nécessaire de trouver des solutions pour redresser la permanence des soins ambulatoires. À ce titre, les enjeux sont sans doute assez différents en soirée, le week-end ou en nuit profonde. Il faut également parvenir à clarifier ce qui relève des urgences et des besoins de soins non programmés, l'objectif étant que le recours à l'hôpital cesse de s'imposer comme solution par défaut. C'était en partie l'objet du pacte de refondation des urgences, qui débouche notamment sur la mise en place des SAS.

C'est sur tous ces points que nous souhaitons vous entendre.

Dr Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France. - Il s'agit, pour nous, d'une audition très importante. En effet, nous avons suivi vos travaux et nous tenions à vous dire combien la situation est difficile pour ce qui concerne la permanence des soins.

Ces difficultés ne datent pas d'hier. Dans un rapport présenté en 1989 devant le Conseil économique et social, le professeur Steg avait souligné le problème des urgences et son travail avait fait bouger les lignes ; mais tout a été détruit en 2002. D'une certaine manière, l'obligation de faire des gardes en ville structurait le dispositif. De plus, chaque établissement de santé devait assurer un accueil d'urgence. Or tout cela a été supprimé, sans solution de substitution. Concomitamment - on le constate dans tous les pays, où l'on assiste à la flambée des urgences -, plus vous fermez de lits d'hospitalisation, plus la fréquentation des urgences augmente. On aboutit donc à une déstructuration.

Madame la rapporteure, vous soulignez avec raison le facteur de la démographie médicale. En médecine, mieux vaut faire un métier sans contraintes comme les gardes de nuit et les astreintes du week-end. Il est très difficile de vieillir dans nos métiers, qu'il s'agisse de la médecine d'urgence ou des autres métiers de la permanence des soins, comme la chirurgie et l'anesthésie, qui eux aussi impliquent des gardes.

Or, comme par hasard, qu'a-t-on oublié dans le Ségur pour rénover le système de santé ? La permanence des soins et les métiers à gardes.

Je dédouane d'emblée le Gouvernement. Le cabinet du ministre de la santé me l'a confirmé, le Gouvernement avait l'intention de valoriser la permanence des soins et les gardes dans les hôpitaux. Mais les syndicats de praticiens hospitaliers s'y sont opposés, préférant créer un échelon supplémentaire pour toutes les autres disciplines. De ce fait, il n'y a pas de valorisation du travail de nuit. En conséquence, la permanence des soins subit un désengagement profond et constant.

Cette situation a conduit à la publication, il y a quelques mois, d'un décret autorisant la fermeture des services d'urgence et des services mobiles d'urgence et de réanimation (Smur) en cas de problèmes organisationnels. C'est bien le cas, du fait du désengagement qu'entraîne le manque d'attractivité. Nous avons fait le point avant de venir devant vous : ces derniers jours, quelque soixante-dix services d'urgence et de Smur ont fermé leurs portes faute de médecins.

En découlent des problèmes majeurs : dès lors qu'une structure ferme la nuit, la charge est reportée sur les autres. Or tous les services d'urgence sont déjà saturés.

En outre - c'est à mon avis ce qui, avec le temps, permettra d'inverser la tendance -, ces problèmes suscitent un certain nombre de plaintes, par exemple lorsqu'une personne en train de faire un infarctus vient aux urgences et trouve porte close. Inutile de vous dire que de telles situations sont très mal vécues par la population... Des manifestations d'usagers ont d'ailleurs lieu tous les jours devant les structures dont les services d'urgence subissent ces fermetures.

Bref, la méthode choisie est mauvaise. La seule personne à même de savoir si elle a raison ou tort de venir aux urgences, c'est le malade. Ce n'est pas mon interprétation, c'est celle des juges. À cet égard, la jurisprudence est constante.

On ne savait pas comment imposer un certain nombre d'outils, comme la téléconsultation - Serge Smadja reviendra sur la fin de la visite à domicile. On ne savait pas comment tordre le cou à leurs opposants : on a profité de la crise du covid. Mais la téléconsultation donne également lieu à des plaintes : on a constaté un certain nombre de décès après des téléconsultations, faute d'un bon diagnostic. À coup sûr, la jurisprudence va faire mal.

En résumé, on constate une désorganisation profonde du système. Faute d'une rénovation pérenne, qui suppose un certain nombre d'obligations, les déserts médicaux s'étendent : au-delà des campagnes, les villes sont désormais touchées. Dans certains arrondissements de Paris, il est impossible de trouver un médecin se rendant, de nuit, au domicile du malade. Beaucoup de personnes n'ont même pas de médecin traitant : les praticiens installés ne prennent plus de nouveaux patients, du fait de la saturation du système. On déplore donc une inadéquation entre les besoins de la population et les moyens.

Dr Serge Smadja, secrétaire général de SOS Médecins et président de SOS Médecins Paris. - SOS Médecins, c'est 63 associations en France et 1 300 médecins. Nous recevons plus de 6 millions d'appels par an, qui donnent lieu à environ 4 millions d'actes - 2,8 millions de visites à domicile et 1,2 million de consultations. Nous couvrons à peu près 65 % de la population.

Nous avons noué d'importants partenariats avec les services publics. Nous sommes interconnectés avec le Samu dans le cadre de partenariats formalisés depuis 2005 aux échelles nationale et locale, grâce aux déclinaisons qu'assurent les associations. Nous avons aussi des partenariats avec Santé publique France, à qui nous adressons quotidiennement nos données d'activité. Ce faisant, nous participons à la veille sanitaire en temps réel. SOS Médecins France, c'est même la première base de données ambulatoires.

Nous travaillons avec les services de police et de gendarmerie. Nous intervenons dans les commissariats, au titre des gardes à vue ou encore pour établir les certificats d'ivresse publique et manifeste. Nous sommes sollicités lors des découvertes de cadavre. Avec un certain nombre d'associations, nous intervenons dans les prisons.

Nous travaillons aussi avec les acteurs privés, notamment les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et certaines compagnies d'assistance médicale.

Nous fonctionnons 24 heures sur 24 - je le souligne, car c'est de moins en moins à la mode -, 7 jours sur 7. Notre matériel nous permet d'éviter autant que possible l'hospitalisation : électrocardiogrammes, lecteurs de glycémie, bandelettes urinaires, etc. De plus en plus, nos médecins pratiquent l'échoscopie au chevet du patient : c'est précieux pour détecter certaines pathologies urgentes.

Au fil du temps, nous avons diversifié notre réponse. Historiquement, SOS Médecins, c'est la visite à domicile et elle reste notre ADN. Pour nous, la visite à domicile demeure la principale réponse aux demandes de soins - j'y reviendrai. Nous avons aussi développé la consultation et, de manière plus timide, la téléconsultation - j'y reviendrai également.

Nous mutualisons nos moyens humains et techniques. Depuis notre apparition, il y a cinquante-cinq ans, nous n'avons cessé d'améliorer nos outils, qui sont désormais digitalisés. Pour un patient, le canal téléphonique n'est plus le seul moyen de joindre SOS Médecins : nous avons développé des applications informatiques de demande de soins.

Peu de médecins viendront devant vous pour dire que tout va bien, qu'il s'agisse des urgences ou des soins non programmés. La cause principale de ces dysfonctionnements, ce sont évidemment les problèmes de démographie médicale.

On rappelle souvent combien le système hospitalier souffre, et c'est tout à fait juste. Mais on parle beaucoup moins de la médecine ambulatoire et de la médecine de ville. Ainsi, quand on égrène les chiffres des contaminations quotidiennes du covid, on raisonne comme si les patients concernés, ils ont été jusqu'à 500 000, allaient tous se faire soigner aux urgences : heureusement que ce n'est pas le cas ! Pour beaucoup de pathologies, la médecine de ville prend en charge la majeure partie des patients. Tous les cas n'exigent pas une hospitalisation ou, a fortiori, une admission en réanimation.

Si la médecine de ville ne fait pas mieux, c'est d'abord parce qu'il n'y a pas assez de médecins, du fait d'une baisse terrible de l'attractivité des métiers. On a de moins en moins envie de faire ce que nous faisons. On a de moins en moins envie de travailler la nuit ou le week-end. Or, quand la médecine de ville est débordée, la situation de l'hôpital s'aggrave encore.

La politique tarifaire des actes a déséquilibré l'offre. Quand le périmètre retenu est le bon, la téléconsultation peut répondre aux demandes de soins, mais il ne faut pas passer d'un extrême à l'autre. La téléconsultation ne saurait être la réponse à tout, qu'il s'agisse des déserts médicaux, de la démographie médicale ou des urgences.

Surtout, si le médecin est rémunéré de la même manière qu'il soit chez lui, devant son ordinateur dans son canapé, ou qu'il gravisse les étages à quatre heures du matin pour se rendre chez une personne âgée en décompensation, personne ne voudra plus aller au domicile des malades. Il faut faire attention à ne pas trop déséquilibrer l'offre tarifaire. À l'inverse, il faut conserver une forme d'incitation : c'est peut-être terre à terre, mais c'est une réalité.

De même, prenons garde à la bureaucratisation du système. C'est bien de créer des systèmes coordonnés de soins ; c'est très bien que les médecins travaillent en réseau - c'est intellectuellement imparable et personne ne peut a priori le critiquer. Mais il ne faut pas surfinancer le fonctionnement administratif au détriment des médecins qui sont au chevet des malades et qui font les actes. Il ne faut pas qu'en définitive certains médecins se spécialisent dans l'administratif. In fine, on n'ira pas plus voir les patients à domicile.

Aujourd'hui, la complémentarité entre la ville et l'hôpital n'existe pour ainsi dire pas. Le covid a donné lieu à un certain nombre de balbutiements : on a commencé à se rapprocher, à réfléchir à des protocoles communs de prise en charge pour les patients pouvant rentrer chez eux avec de l'oxygène ou des anticoagulants. Bien sûr, il faut développer ces actions, mais on ne peut pas se contenter d'initiatives locales ou individuelles. Il faut formaliser ces dispositifs, les organiser - sans pour autant les rendre obligatoires : pour les médecins libéraux, ce sera toujours un gros mot ! -, pour que les uns et les autres puissent et veuillent se connaître.

D'ailleurs, cet effort est à l'oeuvre. Le pacte de refondation des urgences prévoyait que l'on adresse directement les personnes âgées dans les services sans passer obligatoirement par l'interne de garde : c'est un bon moyen de soulager un tant soit peu les urgences. De même, il faudrait pouvoir accéder au plateau technique des urgences directement par un médecin de ville, sans passer par le médecin de garde.

Pour nous, la visite à domicile reste essentielle pour appréhender dans sa globalité la réalité sociale et familiale des patients comme pour maximiser le virage ambulatoire, dont on parle depuis si longtemps.

Pour un grand nombre de pathologies urgentes ou invalidantes, le patient ne peut pas se déplacer. En cas d'épidémie, le fait de rester chez soi contribue à limiter la transmission de la maladie. La visite à domicile est également source d'économies, car elle évite des transports en ambulance par les pompiers ou par le Samu. Il est stupide et navrant de mobiliser un camion de police pour conduire aux urgences une personne placée en garde à vue ; et je ne parle pas du coût de prise en charge des urgences - la visite à domicile limite les hospitalisations.

Or la visite est domicile est en danger. J'ai déjà évoqué la politique tarifaire en abordant la téléconsultation. On ne forme pas assez les étudiants pour cette prise en charge spécifique et l'on ne fait rien pour aider les médecins au titre de cet acte, plus pénible qu'une consultation. J'ajoute que, dans Paris, les problèmes de circulation et de stationnement, on n'en peut plus.

Debut de section - PermalienPhoto de Véronique Guillotin

Cela compte !

Dr Olivier Richard, chef de service du Samu des Yvelines. - L'épidémie de covid a durement touché la médecine de ville et la médecine hospitalière. Mais elle nous a aussi conduits à travailler ensemble, ce que nous faisons depuis de nombreuses années dans le département des Yvelines.

On dénombrait 10 millions de passages aux urgences en 1996. On en comptait 22 millions en 2018. L'augmentation annuelle du nombre d'admissions est de 3,5 %. Le nombre d'appels au Samu est passé de 24 millions en 2013 à 29 millions en 2018.

Très concrètement, dans les Yvelines, le nombre de dossiers de régulation médicale a bondi de 120 000 en 2000 à 262 000 en 2021. Dans le même temps, le nombre de dossiers pour la permanence des soins au titre de la régularisation libérale est passé de 50 000 à 130 000.

À l'évidence, il se passe quelque chose dans la société : on observe un glissement des missions de la médecine d'urgence vers des problématiques sociétales et médico-sociales touchant les patients chroniques.

S'y ajoute, parmi les éléments contextuels, l'enjeu d'accessibilité aux soins. Dans un rapport publié en 2018 et traitant de l'accessibilité potentielle localisée (APL), la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) montre qu'en France plus de 5 millions de patients n'ont pas accès aux soins. Plus précisément, ces habitants ont accès à moins de 2,5 consultations par an. Un grand nombre de régions sont touchées - Centre-Val de Loire, Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Île-de-France, Antilles-Guyane et Corse.

En Île-de-France, 18 % des patients n'ont pas accès aux soins. On pourrait imaginer que cette région bénéficie d'une forte densité médicale ; mais, comme le souligne l'union régionale des professionnels de santé (URPS) d'Île-de-France dans une enquête publiée fin 2020, 27 % des médecins libéraux partant à la retraite n'y sont pas remplacés.

Entre 2020 et 2030, nous allons passer de 6,4 millions à 8,6 millions de Français de 75 ans et plus, avec une charge de soins nécessairement plus importante.

Il existe de nombreuses instances de coordination territoriale : pas moins de vingt-trois dans mon département des Yvelines... Tout le monde travaille dans son coin, avec la conviction de bien faire. Il y a donc un réel besoin de coordination, pour potentialiser toute cette activité masquée, inaccessible ou illisible pour les soignants de ville.

J'aime à citer le rapport sénatorial de juillet 2017, publié par Laurence Cohen, Catherine Génisson et René-Paul Savary intitulé Les urgences hospitalières, miroir des dysfonctionnements de notre système de santé. Vous y écrivez notamment : « Les services d'urgence doivent être regardés non comme un point d'entrée défaillant dans le système de soins, mais comme un miroir grossissant des dysfonctionnements de l'ensemble de notre système de santé. Les difficultés des services d'urgence résultent de leur positionnement original, au confluent des carences de la médecine de ville et de la permanence des soins ambulatoires en amont. » Ces propos me semblent sévères pour la médecine de ville : les difficultés sont globales et il ne faut stigmatiser personne, car nous avons besoin de tout le monde. Vous écrivez d'ailleurs, un peu plus loin dans le rapport : « Il ne fait cependant pas de doute que la médecine de ville peut et doit prendre sa part des soins non programmés - non pas seulement dans le but de désengorger les urgences, mais avant tout afin d'améliorer le parcours et le suivi des patients. »

Vous estimez enfin que « l'amélioration du fonctionnement des urgences doit aller de pair avec un renforcement de l'interface entre la ville et l'hôpital, et notamment de la régulation médicale ».

C'est ce à quoi notre service travaille depuis plusieurs années. En 2019, nous avons présenté le « dispositif d'amélioration du parcours de soins pour des patients complexes ou en demande de soins non programmés urgents, sur le territoire des Yvelines, par le coexercice hospitalier et libéral ainsi que la formation des jeunes médecins ». C'était une démarche altruiste, portée par la plateforme territoriale d'appui, qui est une coordination de médecins libéraux dans les Yvelines, par l'Ordre des médecins et par le monde hospitalier.

Elle consiste à ouvrir aux soignants de ville, à travers un guichet unique, des solutions pour éviter les ruptures de parcours qui conduisent, par facilité ou par défaut, les patients aux urgences faute d'anticipation.

Ce projet ambitionne d'intégrer une plateforme de coordination ville-hôpital qui oeuvre en étroite collaboration avec les urgences et les médecins libéraux. Il y a de plus en plus de patients complexes à cause des difficultés de suivi en ville. Il faut anticiper les problèmes pour éviter les ruptures de parcours et favoriser le maintien à domicile, pierre angulaire de tout le système. Il est inutile de parler de médecine si l'on n'est pas en mesure de réorienter les patients qui ne nécessitent pas une hospitalisation vers une prise en charge en ville.

La conséquence de ce dispositif est une stabilisation du recours aux urgences. Nous ne travaillons pas à désengorger les urgences, mais à construire un parcours du patient abouti qui évite les ruptures.

Notre travail a précédé le Ségur, en particulier sa mesure 26 intitulée « Fédérer les acteurs de la santé dans les territoires au service des usagers ». C'est bien ce que nous essayons de faire, à travers une nouvelle articulation entre la ville et l'hôpital.

Les missions assurées par des structures d'urgence se sont décentrées en partie vers la prise en charge des complications des pathologies chroniques et des problèmes médico-sociaux. C'est pourquoi nous avons besoin d'une coordination pluripartenariale, plurisectorielle et pluriprofessionnelle.

Jusqu'à présent, nous avons surtout travaillé sur la médecine d'urgence, avec la problématique du soin non programmé : il fallait offrir une consultation à des personnes qui n'avaient pas accès à un médecin. Mais il faut aussi prendre en compte l'autre temporalité, celle de l'anticipation et des patients complexes, avec une organisation des soins qui ne les conduise pas systématiquement à l'hôpital, dans des services totalement débordés.

Nous avons donc choisi trois thématiques de travail : le médico-social, la gériatrie et la psychiatrie. C'est le travail en réseau, en collaboration avec les collègues de ville des autres spécialités, qui nous autorise à mettre en place une démarche centrée sur le patient.

Dans cette optique, la création des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) est une opportunité : elles fédèrent tous les acteurs, médecins, mais aussi infirmières, orthophonistes, etc. Leurs missions vont dans le même sens : améliorer l'accès aux soins, organiser des parcours de soins pluriprofessionnels, développer la prévention et la promotion de la santé, accompagner les professionnels de santé, structurer des espaces d'échanges. C'est fondamental.

Paradoxalement, la crise covid que nous avons combattue ensemble nous a fait avancer plus vite : nous avons créé les prémices d'une collaboration entre la ville et l'hôpital, en apportant des repas à domicile aux patients du covid, en leur assurant des consultations ou des téléconsultations.

Les visites à domicile sont essentielles : il faut absolument réinsuffler aux jeunes médecins l'envie de les faire. En effet, elles donnent la possibilité d'anticiper l'état d'un patient et coûtent beaucoup moins cher qu'une hospitalisation.

Nous avons eu la même démarche avec les gériatres pour les patients Ehpad, pour articuler la prise en charge entre la médecine de ville, l'hôpital, la gériatrie et les réseaux au profit du patient. Nous avons pu mener à bien cette tâche parce que nous avions identifié ces problématiques comme essentielles ; et nous avons pu avancer ensemble, parce que nous avions appris à nous connaître et à travailler ensemble.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Quelle est la place du SAS dans votre organisation ?

Dr Olivier Richard. - Le SAS est d'abord, pour nous, une amélioration de la réponse pour les soins non programmés. Jusqu'à présent, les patients dont l'état n'était pas grave avaient simplement une consultation par téléphone avec un médecin de ville : en journée, les cabinets n'étaient pas accessibles.

Désormais, en collaboration avec les CPTS, les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et les autres médecins du territoire, nous donnons accès à des consultations en journée pour les urgences.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

S'agit-il seulement de consultations de médecins de ville, ou les spécialités sont-elles aussi concernées ?

Dr Olivier Richard. - Les places sont d'abord réservées pour les consultations de médecine générale ; elles seront ensuite ouvertes sur les spécialités.

La démarche est centrée sur le médecin traitant.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Il prendra en charge des patients dont il n'est pas nécessairement le médecin référent.

Dr Olivier Richard. - Oui. Nous essayons avant tout de rendre le médecin traitant accessible au patient, ce qui n'est pas toujours possible avec les filtres de l'agenda informatique et du secrétariat. Le SAS rend possible cette accessibilité. Nous avons eu des mots tout à fait aimables de patients qui ont pu obtenir un rendez-vous par ce biais.

Il est également très important de travailler sur des patients qui n'appellent pas nécessairement pour une consultation ou un soin non programmé - des patients complexes relevant d'un parcours de gériatrie ou de psychiatrie. Faire collaborer la ville, les spécialistes et l'hôpital permet d'anticiper les prises en charge pour ces patients.

Ainsi, dans les Ehpad, les échanges d'informations entre la médecine de ville et les gériatres évitent un accueil inapproprié de certaines personnes âgées à l'hôpital.

Je souhaitais surtout savoir comment un patient qui n'a pas de médecin traitant et qui se retrouve en situation d'urgence est pris en charge.

Dr Olivier Richard. - Le patient qui n'a pas de médecin traitant, ou dont le médecin traitant est inaccessible, est confié à un médecin du territoire qui peut le prendre en charge.

Qui gère la plateforme territoriale d'appui ?

Dr Olivier Richard. - C'est une cogestion entre la médecine de ville et la médecine hospitalière, via un groupement de coopération sanitaire. La plateforme d'appui est une construction pluripartenariale coordonnée par la médecine de ville.

Dr Serge Smadja. - En matière de permanence des soins ambulatoires, la réponse est organisée au niveau réglementaire, avec un cahier des charges et un ou des médecins de garde désignés.

Auparavant, il n'y avait pas d'encadrement : on considérait qu'il appartenait aux médecins traitants de prendre en charge les urgences de leurs patients.

Mais, avec l'évolution de la démographie médicale que nous avons évoquée, les médecins traitants sont débordés. Il leur est difficile de prendre en charge les soins non programmés dans la journée. Même dans nos structures, conçues à l'origine pour les urgences et les soins non programmés, nous réalisons de plus en plus d'actes de médecine générale.

Avec le SAS, nous serons en mesure de flécher une réponse à partir de la régulation médicale conjointe de l'aide médicale d'urgente et de la médecine libérale. Nous nous en félicitons ; cependant, un soin non programmé a été défini comme une demande de rendez-vous dans les 48 heures. Or un patient qui se rend aux urgences n'attend pas 48 heures pour recevoir une réponse à sa demande de soins...

Je ne conteste pas le caractère vertueux du dispositif, mais la réponse, à domicile, à une demande de soins urgente a été oubliée.

Dr Patrick Pelloux. - Le SAS a été conçu pour absorber le Samu et devenir une grande plateforme médico-psycho-sociale, dans la vision idyllique qu'en a mon collègue le docteur Richard. Ce n'est pas le cas partout, loin s'en faut, et des centaines de millions ont été engloutis dans ce projet. Dont acte.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Des centaines de millions ?

Dr Patrick Pelloux. - Oui ; au moment de la recomposition des urgences, les enveloppes ont été affectées au SAS. Il faut payer l'organisation, les médecins qui y participent... Mais tout cela a été acté par la loi. Des expérimentations ont été menées, comme celle que décrit le docteur Richard. Si cela fonctionne, j'en prends acte ; mais le problème est que cela ne fait pas baisser la fréquentation des urgences.

Dr Olivier Richard. - C'est le début...

Dr Patrick Pelloux. - Pour l'instant, la fréquentation ne baisse pas parce que c'est un système très complexe. Nous souhaitons tous que les maisons communes en cogestion fonctionnent, mais il y a des rapports de force entre la médecine de ville, les hôpitaux participant au service public, les hôpitaux lucratifs, les CPTS, les maisons de santé, etc.

Il est vrai que ce système dégage des plages de rendez-vous - une sorte de Doctolib du SAS. Pourquoi pas, mais cela ne fait pas baisser la fréquentation des urgences, parce que les malades sont devenus complexes, et que l'hôpital veut désormais aller très vite.

La médecine va vers le soin ambulatoire, les opérations ambulatoires, sans se rendre compte que les gens ne se réduisent pas à un tableau Excel. Il y a de l'aléatoire, or dans tous ces systèmes, y compris les opérations ambulatoires, on n'a pas prévu, justement, que le malade ne va pas bien ; et le malade qui ne va pas bien se rend aux urgences...

Ainsi, depuis 2003 et la fin de l'obligation des gardes pour les médecins libéraux, les urgences sont devenues la variable d'ajustement de tous les dysfonctionnements.

Autre exemple, la psychiatrie. Lorsque les lois de 1992 et 1996 organisant les urgences ont été votées, un psychiatre était prévu dans chaque service. On l'a ensuite retiré, et désormais il est extrêmement difficile d'accéder aux urgences psychiatriques - sans parler de la pédopsychiatrie et de la psychiatrie des adolescents... Et lorsque ces malades se rendent aux urgences, on a recours à la sédation, faute de psychiatres, puisqu'il n'y en a plus dans certains secteurs.

Autre problématique de spécialité très pertinente pour la permanence de soins : la traumatologie, dont relèvent 50 % des malades qui viennent aux urgences. Sauf en mars 2020, lors du premier confinement, où l'on ne voyait plus arriver, à Paris, que cinq à six personnes par jour, qui se blessaient chez elles...

Jadis, la traumatologie était traitée par l'orthopédie publique, qui est désormais sinistrée : tous les chirurgiens orthopédistes sont partis vers le privé, pour l'attractivité de la rémunération et les moyens mis à disposition. C'est pourquoi les patients de traumatologie qui arrivent aux urgences sont transférés vers les cliniques privées, avec l'attente que cela engendre.

La direction générale de l'offre de soins (DGOS) avait conçu un indicateur intéressant, celui du besoin journalier en lits. Il donnait une vision mathématique : tel service d'urgence aurait besoin de vingt ou vingt-cinq lits pour fonctionner chaque jour. Mais l'indicateur n'a pas été mis en place parce qu'il aurait impliqué de rouvrir des lits, ce que l'on ne voulait pas.

Un mot sur la démographie médicale. L'obligation de faire des gardes, cette contrainte au temps, n'est plus d'époque. Lorsque la spécialité de médecine d'urgence a été mise en place, le principal syndicat représentant les internes en a tiré un argument pour refuser les gardes aux urgences. Il est extrêmement difficile de motiver les jeunes générations pour les gardes. Ainsi, on perd des heures à trouver un lit d'hospitalisation, faute de place aux urgences.

Dernier point, le SAS comme permanence de soins des Ehpad - un sujet qui a fait l'actualité ces derniers jours. La prescription par les médecins coordinateurs a été votée, mais c'est encore balbutiant. Il n'a pas accès aux dossiers médicaux. Enfin, au moment d'envoyer un Smur pour un départ, l'aide-soignante ou l'infirmière demande au médecin de faire le point sur un grand nombre de malades.

Il y a eu des expériences positives, notamment à Amiens ; mais cela reste extrêmement compliqué. On sait bien que les urgences ne sont pas une destination adéquate pour les personnes âgées Gir 1 ou Gir 2, c'est-à-dire démentes ou grabataires.

Il faut une refonte du système, mais elle ne se fera qu'avec des femmes et des hommes qui veulent s'investir dans la permanence des soins. Ils ne le feront que si c'est attractif. Or la permanence de soins est défiscalisée, pour les médecins libéraux, sur une partie de leur rémunération, ce qui n'est pas le cas pour les médecins du public. Quant à la progression de l'indemnisation, un praticien hospitalier touche deux cents euros de moins qu'un universitaire pour une garde nuit.

Au moment du Ségur, le Gouvernement voulait une égalité de rémunération pour le même travail. Cela a été refusé par les syndicats de praticiens hospitaliers, à l'exception du syndicat national des praticiens hospitaliers, anesthésistes réanimateurs (SNPHAR-E), parce qu'ils voulaient gagner un échelon.

En matière de permanence de soins, tout est lié : même si votre volonté est sincère, le SAS rénové ne se fera pas sans les femmes et les hommes. Or la contrainte au temps, le travail le week-end ou la nuit, ne sont plus acceptés par les jeunes générations - y compris pour les visites à domicile qu'évoquait Serge Smadja. Or la question est liée à celle du maintien à domicile. Il n'y a pas de solution facile.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Le maintien à domicile passe par le retour des visites à domicile, qui permettent de voir le patient dans sa vraie vie, pour ainsi dire.

Qu'est-ce qui rendrait aux médecins l'envie de faire des visites à domicile, en particulier pour les personnes très âgées polypathologiques ?

La médicalisation des Ehpad est un vrai sujet. La maltraitance, monsieur Pelloux, ne concerne d'ailleurs pas que le privé. Nous allons former une commission d'enquête sur ce thème.

Faut-il revenir à une obligation de garde pour les médecins libéraux ? La région Pays de la Loire apportait son soutien aux centres de santé à la condition qu'ils participent à la permanence des soins. Notre commission a visité un hôpital de proximité à Lamballe où se trouvait une maison médicale de garde, assurée par des libéraux. Cette maison reprenait les soins non programmés qui n'avaient pu être effectués pendant la journée. Comment SOS Médecins voit-il l'organisation de ces maisons, placées à l'entrée des urgences pour éviter que certains patients n'y entrent ?

Dr Serge Smadja. - J'ai évoqué le déséquilibre tarifaire entre la visite à domicile et les autres actes. Cet été, à la demande des syndicats, la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) a prévu, dans l'avenant n° 9 à la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l'assurance maladie, un doublement du tarif de la visite à domicile pour les plus de 80 ans en affection de longue durée (ALD) - mais quatre fois par an, et uniquement pour les médecins traitants. Comme, par définition, nous ne le sommes pas, nous en étions exclus. Sans commentaire...

De plus, nous avons diversifié notre réponse aux demandes de soins : nous avons développé des points fixes d'accueil pour les soins non programmés, à condition que les pathologies des patients le permettent et que ces derniers soient en mesure de se déplacer. Nous ne pouvons cependant pas ignorer l'aspect social des visites à domicile, en dehors de toute cause médicale : nous devons nous déplacer lorsqu'un parent élève seul trois enfants par exemple.

Je ne nie pas l'intérêt des points fixes d'accueil, qui constitue l'une des pistes de diversification de l'accès aux soins, mais nous nous battons pour le maintien de la visite à domicile, non seulement parce que nous adorons cette pratique, mais aussi parce que nous sommes attachés à la défense de ce service médical rendu particulier.

Dr Olivier Richard. - Les patients nous contactant pour des besoins moins urgents ne devraient pas attendre quarante-huit heures, mais plutôt douze heures.

Je souscris aux propos qui ont été tenus : les visites à domicile sont fondamentales. Celles-ci doivent être revalorisées : il est inadmissible que leur montant soit fixé à 35 euros. Certes, les patients souffrant d'une ALD bénéficient de quatre visites annuelles de leur médecin traitant à domicile. L'investissement des médecins pratiquant les visites à domicile doit être récompensé. Il en va de même pour le travail de nuit des médecins et des infirmières.

Chaque jour, une dizaine de patients ne se rendent pas aux urgences, car ils ont obtenu un rendez-vous auprès d'un médecin de ville. Les pratiques évoluent progressivement.

Auparavant, nous travaillions par silo et par spécialité. Or le département représente un échelon plus pertinent : les médecins apprennent à se connaître et constituent des réseaux utiles. Toutefois, la revalorisation des visites à domicile et des gardes de nuit est indispensable et elle ne doit pas être limitée à quelques centimes d'euros.

Nous devons mieux négocier le tournant de la médecine ambulatoire, dont chacun reconnaît l'intérêt. Quelque 8,4 millions de personnes âgées de plus de 75 ans auront cependant besoin de lits d'hospitalisation polyvalents.

Dr Patrick Pelloux. - Depuis les commissions d'enquête sur le covid-19, le nombre de lits en réanimation, essentiel pour prendre en charge les patients arrivant aux urgences dans un état grave, n'a pas augmenté, contrairement aux engagements du Gouvernement. Certes, le ministre de la santé a récemment annoncé la création de 1 500 à 2 000 lits de réanimation, mais encore faut-il des médecins ! Or des combats acharnés ont cours entre des universitaires sur la possibilité de former 100 médecins-réanimateurs chaque année, contre 76 actuellement. En tout état de cause, je pense que 150 médecins spécialistes seraient nécessaires. Sans l'apport des praticiens étrangers, notre système s'effondrerait.

Les urgences font partie de la permanence des soins. Tous les malades se présentant aux urgences ne s'inscrivent pas dans une démarche de soins consumériste : il est illusoire de croire qu'on pourrait les diriger facilement vers d'autres services.

La télémédecine représente sans doute un progrès, mais comment établir un diagnostic sans examiner les malades ? Prenons garde à ne pas développer une médecine à deux vitesses avec, d'une part, les gens aisés capables de s'offrir une consultation, et, d'autre part, les personnes plus modestes, qui devront se contenter de la télémédecine et des infirmiers en pratique avancée. C'est un danger majeur. Nous ne devons pas nous tromper dans les solutions à apporter aux problèmes des urgences, qui, in fine, ne feraient qu'aggraver les maux de l'ensemble du système.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Les problèmes liés à la permanence des soins sont tous imbriqués : il est impossible de traiter séparément les problèmes de l'hôpital, des urgences et de la médecine de ville. Je fais mienne la mise en garde du Dr Pelloux : certaines solutions pourraient en fait aggraver les choses.

Il faut bien sûr revaloriser les visites à domicile et le travail de nuit.

J'ai récemment échangé avec le Dr Maurice Raphaël, qui exerce aux urgences de l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, dans mon département. Ce dernier m'a expliqué avoir dû annuler ses vacances pour effectuer des gardes à l'hôpital. Je comprends mal la différence de traitement entre les praticiens hospitaliers et les médecins de ville, dont on se demande encore s'ils doivent faire des gardes. Je suis favorable à la suppression du décret Mattei : les difficultés et les obligations doivent reposer sur tous les médecins, et pas seulement sur une poignée de professionnels.

Si l'on veut poursuivre le développement du virage ambulatoire, le nombre de personnels paramédicaux doit être fortement développé afin d'accompagner les patients à leur sortie de l'hôpital.

Les centres de santé jouent aussi un rôle important dans la permanence des soins. Ils sont susceptibles d'attirer les jeunes professionnels, qui aspirent à travailler en équipe et à pratiquer des horaires de travail convenables.

Debut de section - PermalienPhoto de Véronique Guillotin

J'ai moi-même exercé la médecine à une époque où les médecins participaient à la permanence des soins et effectuaient des visites à domicile, même la nuit. Tout n'était pas parfait : certaines visites de nuit étaient, par exemple, injustifiées. Le filtrage téléphonique et la coordination qui ont été instaurés depuis lors vont dans le bon sens.

Toutefois, les visites à domicile doivent être sanctuarisées. Comment donner l'envie aux jeunes médecins de les pratiquer de nouveau ? Le problème restera entier tant que ceux-ci seront aussi peu nombreux : il est impossible de se rendre au domicile des patients quand les médecins pratiquent déjà 50 actes à leur cabinet. Le renforcement de l'attractivité passe sans doute par une revalorisation des actes : selon vous, quel serait un tarif attractif pour les visites à domicile et les visites de nuit ?

La télémédecine représente un outil moderne pour les médecins faisant partie d'équipes coordonnées. Si elle peut être utile dans certains cas précis, elle ne saurait remplacer systématiquement le contact avec les patients.

Ne faisons-nous pas face à un problème de formation ? Hormis le manque de médecins, quelles sont les causes d'un tel changement dans les pratiques de la médecine de ville ? Des modules spécifiques de formation pourraient être créés pour redonner le goût de la médecine de famille.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Avant de vous rendre la parole pour que vous puissiez répondre à nos collègues, je remarque que vous aboutissez largement à la même analyse, malgré quelques différences d'appréciation. Le manque de médecins est la question essentielle. Les nouvelles stratégies d'organisation seront toujours mises en échec par cette pénurie.

De plus, vous plaidez tous pour une revalorisation de la permanence des soins ambulatoires (PDSA), des gardes et des visites à domicile.

Enfin, la question de la coordination des acteurs reste entière. Pourquoi les SAS rencontreraient-ils plus de succès que les tentatives précédentes ? Un changement de culture est-il réellement à l'oeuvre ?

Dr Serge Smadja. - Je suis réservé sur le retour à l'obligation des gardes pour les médecins libéraux. Il faut non pas créer des obligations, mais renforcer l'attractivité du métier et donner envie aux jeunes médecins de s'engager.

Dr Patrick Pelloux. - À l'hôpital, les médecins doivent assumer de nombreuses obligations.

Dr Serge Smadja. - Je reconnais qu'il s'agit peut-être là d'une forme d'injustice : l'attractivité de l'hôpital doit être renforcée. Chacun connaît les difficultés - voire les drames - auxquelles doivent faire face les médecins des urgences.

Toutefois, introduire des obligations est incompatible avec l'exercice de la médecine libérale, même si je comprends l'intérêt porté à ces propositions. Il en va de même pour la liberté d'installation des médecins et pour l'obligation d'installation dans les zones sous-dotées. Ce sont des sujets difficiles.

Il est délicat de définir la valeur pécuniaire d'une visite à domicile. Il convient plutôt de réfléchir à l'équilibre des rémunérations. Le soir et le week-end, la différence entre une visite à domicile et une consultation dans une maison médicale de garde est de 3,50 euros seulement. De même, dans la journée, le montant d'une visite à domicile est de 35 euros, contre 25 euros pour un acte simple au cabinet. C'est le déplacement du médecin qui doit être majoré.

Dr Patrick Pelloux. - Je suis favorable à la réintroduction des gardes pour les médecins de ville, à condition que celle-ci s'accompagne d'un contrat d'objectifs et de moyens. La population ne comprend pas cette désorganisation et cette inégalité prévalant non seulement dans certaines zones rurales, mais aussi dans les villes, à l'image de la Seine-Saint-Denis.

Des obligations statutaires s'imposent aux praticiens hospitaliers : même si c'est parfois difficile à vivre, je n'en suis pas malheureux.

Les revalorisations sont nécessaires. Pour une garde, le praticien hospitalier gagne 200 euros de moins qu'un universitaire. Cette situation, qui perdure depuis des années, est anormale.

En outre, pourquoi les médecins libéraux et les infirmiers bénéficient-ils d'une défiscalisation plus importante de leur rémunération issue des permanences de soins que les praticiens hospitaliers ? Cet avantage, obtenu par Roselyne Bachelot lorsqu'elle était ministre de la santé, avait ensuite été oublié. Nous devons revenir à une culture de l'égalité, ce qui suppose de remettre à plat le système, en examinant les rémunérations de tous les acteurs.

Madame Guillotin, vous avez évoqué à juste titre la question de la formation. À cet égard, je ne suis pas d'accord avec la position des doyens et des universitaires : les internes et les externes doivent pouvoir être formés non pas uniquement dans les centres hospitalo-universitaires (CHU), mais aussi dans les hôpitaux généraux. Soutenir que nous ne pourrions pas former davantage d'étudiants en médecine en France au motif que les CHU et les centres de stage seraient en nombre insuffisant est une aberration. On marche sur la tête : la ville d'Orléans vient de signer un protocole d'accord avec la faculté de médecine de Zagreb, en Croatie, pour engager une coopération de formation d'étudiants, à Orléans.

Il est extrêmement difficile de coordonner les actions, tant les systèmes vivent en autonomie totale depuis des années. Je me réjouirais du succès des formules de coopération ; cependant, je n'ai toujours pas compris qui dirigeait les SAS. À l'hôpital, il convient d'abandonner la culture des pôles, issue de la vision de l'hôpital-entreprise, et de revenir à la cellule structurelle du monde hospitalier : les services.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

L'audition des doyens des facultés de médecine de Tours et de Reims a montré que la situation évoluait peu à peu : certains doyens envisagent la formation en dehors des CHU.

Dr Patrick Pelloux. - Pas tous !

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

La situation parisienne n'est d'ailleurs pas le meilleur exemple en la matière.

Dr Olivier Richard. - Les centres de santé peuvent représenter une solution aux problèmes évoqués : il ne faut fermer aucune porte.

Les urgences sont en situation de souffrance, car elles souvent submergées par des flux incontrôlables. Or on ne peut pas fermer la porte des urgences : il faut donc prévoir leur organisation non pas au vu de leur activité moyenne, mais en fonction de leur pic d'activité - nous devons être en mesure de répondre à 90 % des situations. Les ratios de soignants par nombre de malades doivent être revus et les effectifs adaptés aux besoins.

Les revalorisations sont certes importantes, mais les questions financières ne sont pas le seul problème de l'hôpital. La revalorisation passe aussi par une meilleure qualité de vie au travail : parfois, les aides-soignantes demandent la création d'un poste supplémentaire, afin qu'elles puissent accomplir correctement leurs tâches. C'est le coeur de la mission de service public : les organisations doivent être repensées afin d'offrir un soin de qualité, empreint d'humanité.

Tous les personnels que nous avons entendus ont exprimé le même souhait : retrouver du sens à leur métier en regagnant de la qualité au travail.

Dr Olivier Richard. - La situation est extrêmement critique. Il faut réenchanter l'hôpital public, afin que ceux qui y travaillent ne souhaitent pas en partir et - soyons fous ! - que ceux qui l'ont quitté reviennent y travailler avec plaisir.

Dr Patrick Pelloux. - En 2008, la commission pour la libération de la croissance française, présidée par Jacques Attali, et dont le rapporteur était Emmanuel Macron, voyait dans le secteur médico-social un gisement d'emplois. Rien n'a été fait depuis.

Malgré des revalorisations salariales importantes, quelque 1 200 postes d'infirmières sont à pourvoir au sein de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). La situation est similaire dans tout le pays.

Nous faisons face à une spirale sociale infernale : plus les effectifs sont réduits, plus les défections sont à prévoir. Des stratégies salariales et un accompagnement quotidien sont nécessaires. Quelques hôpitaux ont créé un service de conciergerie pour leur personnel ; ces initiatives, très innovantes, doivent être reproduites. Sans cela, les situations que nous connaissons aujourd'hui se multiplieront. Aujourd'hui, en France, des services d'urgences et des Smur ferment chaque soir par manque de personnel : c'est profondément inégalitaire et scandaleux !

Je vous remercie pour votre contribution aux travaux de notre commission d'enquête.

La réunion est close à 18 h 30.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.