Je veux d'abord remercier le Sénat de son accueil. Je tiens à saluer la qualité des échanges que j'ai pu avoir avec Marie Mercier, rapporteur pour le Sénat.
Cette proposition de loi est une réforme attendue : depuis son adoption en première lecture à l'Assemblée nationale, pas un jour ne s'écoule sans que je reçoive des témoignages de nos concitoyens, qui me font part de leur souhait de se saisir des possibilités qu'elle offre.
Si nos deux assemblées ont convergé sur certains articles, subsistaient néanmoins, à l'issue de la première lecture devant chaque assemblée, plusieurs points de désaccord.
À l'article 1er, le désaccord principal portait sur la possibilité pour un parent qui n'a pas transmis son nom d'usage d'adjoindre celui-ci au nom de son enfant après en avoir simplement informé l'autre parent. L'Assemblée nationale souhaite ainsi inverser la règle actuelle. Nous estimons que c'est au parent qui s'oppose à l'ajout du nom qu'il doit incomber de saisir le juge. Nous considérons que le parent qui souhaite ajouter son nom - souvent, la mère - ne devrait pas avoir à mener un combat judiciaire si l'autre parent est absent ou s'il refuse de signer le formulaire de demande, ce qui est très souvent le cas. L'ouverture de cette possibilité, qui ne concerne que l'adjonction du nom de l'un des deux parents, est toutefois marquée par la prudence.
Sur l'article 2, nos assemblées ont convergé sur plusieurs points, notamment sur un constat : la nécessité de réformer l'actuelle procédure de changement de nom, qui est coûteuse, bien trop lente et incertaine. Nos deux assemblées ont ainsi toutes deux supprimé l'exigence du motif légitime lorsque le changement de nom consiste à prendre l'un des noms issus de la filiation. Elles ont également prévu de simplifier cette procédure en la fondant sur le dépôt d'un formulaire Cerfa, ce dont je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs.
Alors que la convergence me semblait presque acquise, elle échouera finalement sur la question de la désignation de l'administration chargée du traitement du formulaire. Le Sénat a souhaité que ce dernier soit d'abord traité par le ministère de la justice. Nous pensons, au contraire, que cette saisine du ministère s'avère inutile en l'espèce : une procédure décentralisée est plus simple pour le justiciable. Celui-ci pourra s'adresser à sa mairie, qui est l'endroit où il se marie, où il déclare la naissance de ses enfants et l'échelon local dans lequel le citoyen, me semble-t-il, se reconnaît aujourd'hui. La procédure est aussi plus simple sur le plan administratif, car ce sont les mairies qui disposent des actes d'état civil et qui seront, quelle que soit la procédure, sollicitées pour apposer sur ces derniers les mentions de changement de nom.
On compte, dès aujourd'hui, entre 3 000 et 4 000 demandes. Si, demain, la loi est adoptée, il y aura peut-être plus de demandes, mais je ne pense pas qu'il y ait un risque d'encombrement de nos municipalités, notamment dans les grandes métropoles, qui disposent de services d'état civil adaptés à leur démographie.
En dépit de ces divergences, nous avons essayé de parvenir à un texte de compromis. Nous étions prêts à accepter plusieurs des améliorations que vous nous proposez, notamment l'introduction, à l'article 2, d'un délai de réflexion, dont je vous remercie. Nous n'avions effectivement pas pensé à ce délai ; pour votre part, vous proposez trois mois. Je pense qu'un délai de réflexion est justifié parce qu'il n'est pas anodin de changer son nom, mais un mois est suffisant. Ainsi, une personne majeure qui décide de changer son nom devrait revenir à l'état civil un mois plus tard pour confirmer son intention. On nous a en effet opposé qu'un gamin de vingt ans qui serait en colère contre l'un de ses parents pourrait se présenter à l'état civil pour changer son nom. Pour ce qui me concerne, j'ai envie de faire confiance aux Français : un nom, on y tient. Un nom, c'est personnel. Un nom, c'est une identité.
Cependant, nous ne pouvons pas renoncer à l'essence même de ce texte : l'adjonction unilatérale, à titre d'usage, du nom du parent qui n'a pas transmis son nom à celui de l'enfant, et une simplification réelle de la procédure pour le citoyen.
Par conséquent, nous ne parviendrons pas à l'adoption d'un texte commun à l'issue de cette commission mixte paritaire (CMP). Nous le regrettons sincèrement, car cette proposition de loi est symbolique. La réforme est attendue des Français. Nous aurions pu nous réunir sur ce texte, le dernier de la législature, pour régler non pas des comptes, mais des problèmes que rencontrent de nombreux Français. Il y aura donc une nouvelle lecture, au cours de laquelle l'Assemblée nationale sera en mesure de rétablir son texte, dans une version éventuellement modifiée, pour parfaire le dispositif retenu en première lecture.
Très franchement, je regrette cet échec, car je reste convaincu que l'enjeu n'était pas politique : il y avait une demande du terrain. On nous reproche souvent de voter des lois conçues dans les cabinets ministériels. Or 40 000 personnes ont signé la pétition : on est loin d'un lobbying pour du vin ou une fabrique de tabac... Je pensais vraiment que nous pouvions trouver un consensus.
Je peux vous dire que c'était une loi de liberté, une loi de choix : elle n'imposait rien à personne, soulageait la souffrance d'un grand nombre de gens et pouvait même réunir des couples autour de la place de la femme.
Il est temps que l'on se pose de vraies questions. Alors que l'on parle partout d'égalité entre hommes et femmes, ce texte marquait un début d'égalité : on allait pouvoir arrêter de dire que, quand la femme donne la vie, l'homme donne son nom.
Ce recul me paraît regrettable.